Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Numéro 1, Janvier/Mars 2023
Page(s) 49 - 63
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2023020
Publié en ligne 26 juin 2023

© S. Gelot et C. Bigard, Hosted by EDP Sciences, 2023

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NSS a publié plusieurs études portant sur les obligations, de certains porteurs de projets d’aménagement, d’éviter les atteintes à l’environnement, à défaut de les réduire, et en dernier lieu de compenser les destructions résiduelles. Dans ce trio dit ERC, c’est sans doute l’obligation de compensation écologique qui a suscité le plus de travaux scientifiques (voir le dossier « La fabrique de la compensation écologique : controverses et pratiques » (NSS, 2018, 2). Par ce mécanisme, les acteurs de l’aménagement du territoire, économiques pour la plupart et dont ce n’était pas le métier jusqu’alors, ont la responsabilité de décider des lieux de compensation écologiques et des mesures à mettre en œuvre pour restaurer, créer, gérer des écosystèmes, en contrepartie des impacts générés par leur projet. La compensation s’inscrit ainsi dans un mouvement de « modernisation écologique » où le rôle de l’État se réduit à un contrôle administratif, qui montre ses limites. C’est l’un de ces outils de contrôle – le recensement des mesures compensatoires – qui fait l’objet ici d’une analyse critique.

La Rédaction

Plus d’un quart des espèces sont menacées d’extinction dans les prochaines décennies, ce qui affectera les équilibres écologiques, l’intégrité des services écosystémiques rendus par la biodiversité et donc l’humanité (IPBES, 2019). Les taux d’extinction actuels interviennent à une vitesse sans précédent dans l’histoire de l’humanité : ils sont des centaines ou des milliers de fois plus rapides que les disparitions survenues au cours des dix derniers millions d’années (Pimm et al., 2014). Par le changement d’occupation des sols qu’elles génèrent, les activités humaines sont les principales responsables du déclin observé (Newbold et al., 2015 ; IPBES, 2019). Pourtant, depuis les années 1970 dans les pays occidentaux, des instruments d’action publique réglementent l’artificialisation des sols en intégrant les préoccupations environnementales aux projets d’aménagement. Publiée en 1976 dans la loi relative à la protection de la nature en France, la séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC) est présentée comme l’instrument capable d’enrayer la perte de la biodiversité. Pour ce faire, un objectif est à tenir : celui de la « neutralité écologique » des aménagements. Les aménagements concernés sont ceux issus des projets, plans ou programmes soumis au processus d’évaluation environnementale. La séquence ERC, à appliquer comme une démarche logique de minimisation des impacts dans l’évaluation environnementale, prévoit la mise en œuvre de mesures visant à éviter les impacts sur l’environnement, des mesures visant à les réduire s’ils n’ont pu être évités ou, en dernier recours, des mesures pour compenser les impacts résiduels. Les modalités d’application de ces mesures découlent du processus d’évaluation environnementale et de plusieurs autorisations administratives, notamment celles issues du Code de l’environnement. Parmi elles, il y a la dérogation Espèces protégées, la procédure Loi sur l’eau relative aux projets d’installations, d’ouvrages, travaux et activités (IOTA), l’évaluation des incidences Natura 2000, etc. Par exemple, la dérogation d’espèces protégées peut être accordée si les mesures proposées permettent de préserver l’état de conservation de l’espèce protégée impactée par le projet (Quétier et al., 2015). En effet, l’application de la compensation écologique suppose l’existence d’une équivalence écologique entre les pertes engendrées lors de la création de l’aménagement et les gains issus de la compensation. Pour parvenir à cette équivalence, il est nécessaire de qualifier et de quantifier les composantes de l’environnement affectées ainsi que celles du milieu où la compensation aura lieu. Il s’agit de déterminer et d’évaluer le nombre d’espèces impactées, les fonctions écologiques et les habitats qui seront altérés, la surface à considérer, etc. (Quétier et al., 2015).

Malgré l’apparition de la séquence ERC dans le contexte réglementaire français il y a près de 50 ans, son application souffrait d’un manque de cadrage et de définitions claires et précises de ses éléments. En effet, ce n’est qu’en 2016, avec la loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », dite dite loi « Biodiversité », qui codifie certains principes et objectifs, que la séquence ERC et notamment la compensation écologique est dotée d’une réelle valeur réglementaire (Arnauld de Sartre et Doussan, 2018 ; Lucas, 2018). Cette loi revient sur les notions déjà mentionnées dans la doctrine ERC ou dans les lignes directrices, qui avaient déjà permis d’accompagner la mise en œuvre de la séquence par les praticiens. La loi inscrit notamment l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité et précise certains principes relatifs à la mise en œuvre de la compensation : responsabilité du maître d’ouvrage, obligation de résultat, effectivité de la compensation dès les premiers impacts du projet et ce tout au long des impacts, mesures de compensation additionnelles aux autres politiques publiques environnementales générant un gain écologique qui n’aurait pas pu être atteint autrement (CGDD, 2013).

Ce travail important, à la fois législatif, réglementaire et d’accompagnement par des outils destinés aux praticiens tels que des doctrines et guides, a mis la séquence ERC sous les projecteurs pendant la dernière décennie. Il a permis de rappeler les grands principes sous-jacents à sa mise en œuvre pourtant introduite dans le droit bien plus tôt. Jusqu’alors, aucune règle précise pour le calcul des gains et des pertes (Guillet et Semal, 2018) n’était encore définie. Ce n’est que récemment, en juin 2021, qu’un guide intitulé Approche standardisée du dimensionnement de la compensation écologique a été rédigé afin d’homogénéiser les pratiques de dimensionnement des mesures au regard des impacts engendrés, de faciliter l’instruction des dossiers et l’atteinte de l’équivalence écologique (Andreadakis et al., 2021). Ainsi, sur le territoire français, l’équivalence écologique est mise en œuvre en « like for like » (Bezombes, 2017 ; Latune et al., 2019). Cela signifie que les gains obtenus sur le site de compensation doivent bénéficier aux mêmes composantes de biodiversité (espèces, habitats et fonctions) que celles initialement présentes sur le site impacté (Bezombes, 2017 ; Andreadakis et al., 2021 ; McKenney et Kiesecker, 2010). Il est également important que le site de compensation choisi présente un potentiel de gain écologique notable (Andreadakis et al., 2021). À ce titre, Weissgerber et al. (2019) suggèrent dans leurs hypothèses que l’atteinte de l’objectif d’absence de perte nette n’est possible qu’à la condition que le site de compensation soit au moins autant dégradé que le site impacté. En effet, selon les auteurs, le calcul de l’équivalence écologique devrait se faire sur la base des différences entre les états écologiques des deux sites avant toute action puis après actions (c’est-à-dire avant/après les impacts engendrés par le projet, d’une part, et avant/après l’obtention de gains écologiques suite à la mise en œuvre de la compensation, d’autre part). Or, les auteurs montrent que les sites de compensation se situent souvent en milieux naturels ou semi-naturels en France, et donc sur des sites dont l’état écologique est a priori bon.

L’article 69 de la loi Biodiversité de 2016 précise aussi que les mesures de compensation relatives à la biodiversité doivent être géolocalisées et décrites dans un système national d’information géographique, accessible au public. Cet article induit la création d’un outil de gestion et de géolocalisation des mesures de compensation environnementales rempli par et destiné aux services instructeurs : Géolocalisation des mesures de compensation environnementales (GéoMCE). Opérationnelle depuis 2017, la base de données recense les mesures d’évitement, de réduction, de compensation et d’accompagnement. La version 2, qui date de novembre 2019, a pour objectif d’assurer le suivi et le contrôle des mesures. Dans GéoMCE, seules les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité font l’objet d’un renseignement obligatoire selon la loi, tandis que les autres mesures sont saisies de manière volontaire par les services de l’État. Ce sont également les seules qui sont communiquées au public, via la plateforme GéoPortail1 de l’Institut géographique national [IGN] (les données relatives aux mesures de compensation géoréférencées de GéoMCE sont versées ponctuellement dans GéoPortail). Pour ce faire, le maître d’ouvrage doit fournir des informations claires et à jour sur la conception et la mise en œuvre des mesures de compensation aux services de l’État. Cela contraint les maîtres d’ouvrage à être transparents sur celles auxquelles ils s’engagent et permet aux services de l’État d’assurer le suivi et leur contrôle, en veillant notamment à ce que d’autres aménagements ne s’y superposent pas et à ce que les compensations soient effectivement mises en œuvre sur le terrain. Cette transparence est essentielle pour analyser la pratique de la compensation à l’échelle nationale, pour évaluer sa pertinence dans une logique de conservation et, finalement, pour assurer le principe de non-perte nette de la biodiversité (Bull et al., 2018).

Toutefois, la base de données GéoMCE reste un outil national destiné aux services instructeurs et les mesures répertoriées, qui reflètent bien les mesures déclarées par les aménageurs, ne sont pas nécessairement validées sur le terrain. C’est pourquoi nous proposons dans cet article d’apporter pour la première fois des éclairages sur l’écart entre ce à quoi s’engagent les porteurs de projets (c’est-à-dire le contenu de la base de données GéoMCE) et ce qui s’opère concrètement sur le terrain.

À ce jour, la compensation fait l’objet de nombreuses critiques et sa mise en œuvre en France n’a été examinée que par le biais d’études empiriques se focalisant sur des études de cas à l’échelle d’un département, d’un type de projet, d’une espèce ou d’un habitat (Bezombes et al., 2019 ; Bigard et al., 2017 ; Weissgerber et al., 2019). Dans un premier temps, notre analyse statistique et spatiale de la base de données GéoMCE permet d’offrir une vision inédite des engagements des aménageurs à l’échelle nationale. Dans un deuxième temps, une approche expérimentale du sujet par une enquête sur le terrain nous permet de mettre en lumière et d’illustrer, de manière quantitative et qualitative, l’imperfection de la mise en œuvre des mesures de compensation. Enfin, dans un troisième temps, nous nous attachons à discuter ces résultats, notamment dans une perspective d’évaluation de l’efficacité et d’implication possible de la compensation écologique dans les objectifs fixés par l’État, à savoir l’absence de perte nette et de Zéro artificialisation nette (ZAN).

La compensation mobilisée en France par les aménageurs, une vision globale permise grâce à la base de données nationale GéoMCE

Matériel et méthode

L’analyse quantitative et spatiale d’une base de données nationale telle que GéoMCE permet de comprendre et de connaître globalement, sur un large panel de données, les tendances quant à la mobilisation des mesures de compensation par les aménageurs en France. Le présent travail est réalisé à partir d’une extraction de la base de données qui a eu lieu en mars 2020. Puisque l’outil n’est opérationnel que depuis 2017, les mesures antérieures à cette date ont fait l’objet d’une reprise de données à partir de bases régionales historiques. La très grande majorité de celles-ci concerne la période 2012-2020, et bien que l’absence de perte nette de biodiversité ne soit devenue une notion législative qu’en 2016, cet objectif était déjà à l’ordre du jour à travers la doctrine ERC publié en 2012 (MEDDE, 2012) qui faisait référence au niveau national.

Les statistiques descriptives sont réalisées avec le logiciel R (Version 3.4.4) et Rstudio. GéoMCE est une base de données relationnelle utilisant le langage SQL (structured query language). Elle a été créée sur le système de gestion gratuit et open source PostgreSQL (version 10) avec l’extension Postgis pour la partie cartographique. Les informations disponibles dans GéoMCE comme le nom du projet, de la mesure, de la région, de la procédure d’autorisation déclenchée, la catégorisation de la mesure ou encore la date de la décision sont utilisées dans le cadre de cette étude. Pour plus de détails concernant les renseignements disponibles dans GéoMCE, se reporter à une étude complémentaire centrée sur la répartition spatiale des mesures, et notamment leur articulation avec les outils de gestion d’espaces naturels, publiée par Gelot et Bigard (2021).

GéoMCE : un catalogue de mesures quantitativement significatives

La base de données GéoMCE contient 4 686 mesures de compensation relatives à des arrêtés préfectoraux datant de 1996 à mars 2020 (Fig. 1). Cependant, les trois quarts des mesures de compensation n’ont été saisis qu’après 2012. Le faible nombre de mesures antérieures à cette année-là pourrait s’expliquer par le manque de cadrage réglementaire (Quétier et al., 2014). Le nombre important de mesures prises en 2012 (Fig. 1) pourrait correspondre à la survenue d’un projet d’aménagement particulièrement impactant, ou à la publication de la doctrine ainsi qu’à l’entrée en vigueur du décret réformant l’étude d’impact environnemental. Bien que nous n’ayons pas de données quantitatives concernant l’impact de ces événements sur le nombre de dossiers instruits, leurs effets sur la prise en compte de la biodiversité dans les procédures d’évaluation environnementale en France ont bien été prouvés (Bigard et al., 2017).

thumbnail Fig. 1

Nombre de mesures de compensation par année saisies dans GéoMCE.

Les procédures d’autorisation présentes dans GéoMCE

L’analyse de la base de données montre que 60 % des mesures de compensation sont prévues dans le cadre de la procédure de dérogation d’espèces protégées et 31 % dans le cadre de la procédure IOTA. Certaines procédures sont quasi inexistantes dans la base de données. C’est le cas de Natura 2000, Déclaration d’utilité publique (DUP) et Autorisation supplétive. Ces résultats reflètent bien la mise en œuvre de la compensation en France, principalement centrée sur les espèces protégées, comme des études ont déjà pu le mettre en avant (Regnery et al., 2013).

Des compensations reposant sur l’efficacité des techniques de génie écologique

Plusieurs actions écologiques peuvent être envisagées dans le cadre de la compensation : création de milieu naturel, réhabilitation/restauration et évolution des modes de gestion d’un milieu. Les premières, par exemple, sont des mesures de création de mare, de lisière, de gîte à reptiles, de ripisylves, etc. Les mesures de restauration se traduisent par des travaux sur un milieu dégradé (terrassement, suppression de remblais, réensemencement, replantation, débroussaillage, etc.) visant à faire évoluer le milieu vers un état fonctionnel et favorable à la biodiversité. Enfin, les mesures relatives aux évolutions des modes de gestion d’un milieu correspondent, par exemple, à des changements de pratiques culturales ou à la modification des modalités de fauches, etc. Notre étude révèle que les mesures de compensation de type « création » sont les plus utilisées par les aménageurs (38 %), suivies des mesures de restauration (32 %) et de gestion (20 %) (Fig. 2).

thumbnail Fig. 2

Les mesures de compensation selon leur type telles que saisies dans GéoMCE.

Des mesures de compensation petites et éparpillées pour de grands projets d’aménagement

Au sein de la base de données GéoMCE, 1 433 projets ont nécessité au moins une mesure de compensation. Le nombre de mesures de compensation par projet va de 1 à 1 318. En moyenne, un projet est associé à 3,27 mesures de compensation. Nous montrons que 75 % des mesures de compensation ont une surface inférieure ou égale à 3,6 ha, tandis que la moitié d’entre elles ont une surface inférieure ou égale à 0,74 ha. De plus, une même mesure dans GéoMCE peut être présente sur plusieurs sites. Par exemple, une mesure de « Création d’habitats favorables aux espèces et à leur guilde », prévoyant la création de mares, peut être géolocalisée à autant d’endroits que de mares sont prévues. Ainsi, une mesure de compensation peut contenir jusqu’à 925 sites.

Plus de la moitié des mesures de compensation sont issues de projets entrant dans la catégorie « travaux, ouvrages, aménagements ruraux et urbains » (57 %), suivie des « infrastructures de transports » (11 %). La base de données utilise la nomenclature figurant dans l’annexe de l’article R122-2 du Code de l’environnement qui recense les projets soumis à évaluation environnementale. Ainsi, la majorité des projets dont les mesures sont saisies dans GéoMCE sont soumis au processus d’évaluation environnementale et ont donc une emprise au sol d’un minimum de 4 ha, ou de 1 ha pour ceux soumis au cas par cas. Il peut exister ponctuellement des projets ayant déclenché une procédure d’autorisation particulière et n’entrant pas forcément dans ces catégories de surfaces. Ces particularités ne sont malheureusement pas mentionnées dans GéoMCE.

Les infrastructures ferroviaires ont la plus grande surface de mesures de compensation (68 %), suivies des constructions d’autoroutes et de voies rapides (16 %). Ces catégories correspondent à des projets d’envergure : des Lignes à grande vitesse (LGV) ou des autoroutes et voies rapides de plus de 10 km de linéaire. Or, de grandes surfaces de compensation n’impliquent pas une mise en œuvre sur de grands espaces, car le nombre de mesures par projet est également très important. Par exemple, c’est dans le cadre d’un projet de LGV que 1 318 mesures de compensation ont été mises en œuvre avec une médiane des surfaces égale à 0,18 ha.

Les mesures de compensation sur les différents types d’occupation du sol, un éclairage sur les enjeux d’artificialisation

Environ 44 % de la surface des mesures de compensation se situe dans les territoires agricoles, dont près de 20 % sur des terres arables (Fig. 3). La surface des mesures de compensation écologique implantées dans les territoires artificialisés ne se situe qu’à 3 % sur des sols imperméabilisés [zones urbanisées et industrielles] (Fig. 3) et qu’à 5 % sur des sols artificiels mais non imperméabilisés [mines, décharges et chantiers, espaces verts artificialisés] (Fig. 3). En 2020, dans la sous-catégorie « Enlèvement de dispositifs d’aménagements antérieurs », seules 22 mesures étaient saisies dans GéoMCE, soit moins de 0,5 % des mesures.

thumbnail Fig. 3

Surface des mesures de compensation sur les différents types d’occupation du sol [CLC niveau 2] (réalisation : S. Gélot, C. Bigard).

Des engagements des aménageurs à la mise en œuvre effective des mesures sur le terrain : quelques manquements notables ?

Nous nous sommes concentrés jusqu’ici sur des mesures prévues au sein de procédures d’autorisation et d’arrêtés préfectoraux, mesures auxquelles se sont engagés les aménageurs. Rien ne nous dit pourtant que celles-ci ont été mises en œuvre sur le terrain. Cette partie vise à apprécier le décalage entre les mesures saisies dans GéoMCE et celles déployées effectivement sur le territoire.

Méthode d’analyse

Échantillonnage des mesures de compensation étudiées et détail des méthodes d’évaluation de la mise en œuvre des mesures

Pour évaluer qualitativement la mise en œuvre des mesures de compensation, nous avons constitué un échantillon via un tirage dans la base de données. L’hétérogénéité des régions en termes de surface et du nombre de projets instruits nous a poussée à réaliser un tirage aléatoire stratifié. Ainsi, dans chaque région, nous avons tiré aléatoirement 5 % des mesures de compensation. Pour les régions ayant moins de 12 mesures, nous avons sélectionné l’intégralité de leurs mesures (Tab 1). De plus, les DOM-TOM étant très faiblement représentés dans la base de données et disposant d’une biodiversité particulière, nous avons fait le choix de les retirer de notre étude.

En plus de ce tirage aléatoire, nous avons sélectionné trois départements (Hérault, Deux-Sèvres et Indre-et-Loire) dans lesquels nous avons effectué un travail de terrain et/ou d’investigation plus approfondi. Ces trois départements ont été sélectionnés selon plusieurs critères : (i) la faisabilité du terrain en été 2020. Les terrains devaient être géographiquement répartis de manière à évacuer un certain nombre de questions logistiques (liées notamment à la pandémie) ; (ii) L’appartenance à des régions différentes ; (iii) le taux de remplissage dans la base de données. Pour ce dernier critère, nous avons privilégié des départements pour lesquels le nombre de mesures était important, c’est-à-dire dont la saisie était importante relativement à la moyenne de mesures par département (Hérault) et d’autres pour lesquels le nombre de mesures était faible (Indre-et-Loire et, dans une moindre mesure, les Deux-Sèvres). L’objectif de cette seconde sélection est d’adosser l’analyse de l’échantillon de mesures tirées aléatoirement à l’évaluation de la mise en œuvre de mesures d’un point de vue plus qualitatif (déplacements sur le terrain).

Tab 1

Nombre de mesures compensatoires traitées.

Méthodes d’évaluation de la mise en œuvre des mesures de compensation échantillonnées

L’évaluation de la mise en œuvre s’est faite grâce à différentes méthodes complémentaires (prise de contact avec les services instructeurs, contrôle satellitaire, contrôle terrain pour les départements sélectionnés). En effet, dans un premier temps, nous avons contacté la Direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et Logement (DREAL) de chaque région afin d’obtenir les informations disponibles sur l’évaluation de la mise en œuvre des mesures de compensation. Une demande d’accès aux suivis des mesures pour attester officiellement de leur mise en œuvre était aussi faite systématiquement. Lorsque l’information manquait, des prises de contact avec les bureaux d’études, des associations naturalistes et/ou les maîtres d’ouvrage ont été réalisées en complément. Ces échanges se sont basés sur la méthode d’entretiens non directifs. Cette première façon d’investiguer sur la mise en œuvre est cruciale, car cela a permis d’obtenir des informations sur les mesures « non visibles ». Pour le contrôle terrain et le contrôle satellitaire, seules les mesures « visibles » étaient contrôlées. Par visibles, nous entendons celles pour lesquelles, par un simple contrôle satellitaire visuel, il nous était possible d’évaluer leur mise en œuvre (par exemple la création de mares ou la plantation d’arbres ou de haies). Des mesures comme un changement de pratique de gestion ou de restauration d’un milieu étaient alors « non visibles », car complexes à évaluer compte tenu de l’absence d’informations relatives à l’état initial du site de compensation dans GéoMCE. In fine, 235 mesures (163 issues du tirage aléatoire et 72 issues du protocole d’exhaustivité) ont été sélectionnées pour une évaluation de la mise en œuvre (Tab. 1).

En raison notamment de la période estivale et du contexte sanitaire lié à la crise du Covid-19, nous n’avons eu qu’un faible taux de réponses. Seules 90 mesures (39 %) ont pu être évaluées. Face à ce pourcentage, l’étude ne prétend pas être un travail statistiquement significatif. Le bilan et les études de cas présentés ci-dessous permettent néanmoins d’offrir une première vision qualitative et une illustration de la mise en œuvre de la compensation sur le territoire français.

Bilan de la mise en œuvre des mesures de compensation

Sur les 90 mesures de compensation évaluées, 62 mesures (69 %) ont été effectivement mises en œuvre (Fig. 4). Parmi elles, 3 ont été mises en œuvre il y a quelques années (2 ans ou plus), dont une de manière totalement différente de ce qui était initialement prévu par l’arrêté préfectoral et dans GéoMCE.

Parmi les 25 mesures non mises en œuvre – soit 28 % des mesures évaluées – une est « justifiée » car le projet a été abandonné même s’il reste présent dans la base de données. D’autres ont une mise en œuvre prévue prochainement, mais les projets ayant déjà atteint leur terme – et donc les impacts ayant déjà eu lieu –, nous les avons qualifiées de « non mises en œuvre ». Trois mesures ont été qualifiées de mises en œuvre partielles (∼ 3%) lorsque l’intégralité de ce que prévoyait l’arrêté préfectoral n’a pas été respectée (Fig. 4).

Il est important de noter que les résultats présentés ci-dessus estiment la mise en œuvre des mesures de compensation, non leur efficacité écologique lorsqu’elles sont mises en œuvre.

thumbnail Fig. 4

Bilan de la mise en œuvre des mesures de compensation en France sur la base de notre échantillon de 90 mesures de compensation évaluées (réalisation : S. Gélot, C. Bigard).

Illustration par l’étude de cas relatifs à différents types de mises en œuvre

Le cas exemplaire de mesures d’évolution des pratiques de gestion en compensation des impacts d’un projet d’envergure

Comme nous l’avons vu dans la première partie, les projets d’infrastructures ferroviaires ont causé la majeure partie des surfaces de compensation saisies dans GéoMCE. Ces projets-là, de par la fragmentation des habitats qu’ils induisent, ont de nombreux impacts sur la biodiversité (Quétier et al., 2012) et génèrent de multiples controverses. Cela implique une attention particulière de la part d’associations naturalistes, de la population, mais aussi des services de l’État (Drayson et al., 2015 ; Vandevelde, 2013) ; ce qui peut fournir une explication supplémentaire à leur grand nombre dans GéoMCE. Visés par ces controverses, les maîtres d’ouvrage sont également plus enclins à respecter la loi, comme nous le confirme l’un d’eux dans un des entretiens réalisés, et les études d’impacts sont de meilleure qualité (Drayson et al., 2015).

Pour le département des Deux-Sèvres, seules 10 mesures de compensation apparaissent dans la base de données, toutes associées au projet de la Ligne grande vitesse Sud Europe Atlantique (LGV-SEA) et mises en œuvre d’après notre vérification de terrain. Parmi ces mesures, une est relative à la procédure IOTA tandis que les 9 autres sont associées à la procédure de dérogation d’espèces protégées, ce qui corrobore nos résultats issus de l’analyse statistique de la base dans sa globalité. Par ailleurs, l’intégralité des mesures saisies sont des mesures de création ou de renaturation d’habitats favorables aux espèces cibles.

Les mesures de compensation induites par ce projet et saisies dans la base de données font partie des 44 % de compensations implantées dans les parcelles agricoles (Fig. 3). La mise en œuvre des mesures implique alors de passer plusieurs types de contrats : des contrats en acquisition, où le Conservatoire d’espaces naturels est chargé de la gestion du milieu, et des contrats de 5 ans renouvelables en conventionnement auprès de propriétaires agricoles. À l’issue des 5 ans, deux scénarios sont possibles : renouveler le contrat ou, si le gestionnaire agricole ne souhaite pas le renouveler, rechercher de nouvelles terres. L’objectif est de maintenir les exigences, notamment en termes de surfaces, pour permettre de contrebalancer les impacts résiduels notables de la LGV sur le long terme. Ainsi, la maîtrise du foncier sur toute la durée des impacts est nécessaire pour assurer la pérennité des mesures de compensation (Pech et Étrillard, 2016). Sur tout le réseau de la LGV, seules 23 % des mesures de compensation se situent sur des terrains en acquisition, les autres appartiennent à des agriculteurs.

L’Outarde canepetière est une espèce protégée au titre du Code de l’environnement (articles L-411.1 et L-411.2). En Deux-Sèvres, trois Zones de protection spéciale (ZPS) accueillent près de la moitié des espèces recensées dans l’ancienne région Poitou-Charentes. Cette ancienne région comptabilise « la quasi-totalité des effectifs nicheurs en plaine céréalière » (Latraube et Boutin, 2008, p. 1). Sur certains sites, nous avons été accompagnés par le Groupe ornithologique des Deux-Sèvres (GODS) chargé du suivi des mesures de compensation relatives à l’avifaune.

La figure 5 présente une mesure de compensation qui s’intitule dans GéoMCE « Sécurisation foncière et gestion – Outarde ». Elle a pour objectif de gérer un couvert végétal favorable à l’Outarde canepetière (Tetrax Tetrax) en créant des corridors alimentaires – l’habitat optimal de l’espèce étant des surfaces herbacées de hauteurs variées. En effet, le maillage d’habitats favorise des zones refuges et d’alimentation pour l’espèce. Pour ce faire, différents types de végétations sont présents sur le milieu : du blé, des légumineuses ou de l’herbe. Ce type de mesure par conventionnement permet de prétendre à un équilibre entre la conservation de la biodiversité et la production agricole. Les agriculteurs peuvent alors conserver leurs terres et obtenir une équivalence monétaire pour le manque à gagner dû au changement de gestion de leurs terres (Latune, 2018).L’Outarde canepetière est une espèce au domaine vital étendu, ce qui fait d’elle une espèce parapluie. Autrement dit, sa protection permet aussi celle d’un cortège d’espèces inféodé à un type de milieu, comme les plaines cultivées (friche viticole ou herbacée, champs de luzerne, de colza, de céréales, prairie, pâture, etc.). Parmi les 223 espèces impactées par le projet, moins de la moitié ont été ciblées par les mesures de compensation. À l’échelle nationale, ce projet aura affecté un total de 25 000 ha. En raisonnant sur la base d’espèces parapluies, les compensations ont été mises en œuvre sur seulement 3 800 ha, soit 15,2 % de la surface totale des impacts2.

thumbnail Fig. 5

Mesure de compensation en faveur de l’Outarde canepetière (© S. Gelot, 2020).

Des cas de non-mise en œuvre totale ou partielle de mesures de type « création » ou « restauration »

Les mesures de création ou de restauration sont les plus couramment prévues et autorisées (Fig. 2). Les premières sont de faible coût pour les aménageurs et, lorsqu’elles sont mises en œuvre, elles peuvent être réalisées simplement (Bezombes et al., 2019). Comme nous le montrons sur la figure 5, 25 des mesures échantillonnées n’ont pas été mises en œuvre (28 %) et 3 ont été mises en œuvre de manière partielle, soit environ 3 %. Ci-dessous, nous exposons séquentiellement 3 cas de mesures non mises en œuvre ou de manière partielle, illustrant des situations contrastées.

1er cas : Dans le cadre d’un projet de parc photovoltaïque, une mesure de compensation prévoyait la renaturation d’un fossé et la plantation d’une ripisylve le long du site aménagé (Fig. 6a). Une ripisylve est une formation végétale qui se développe sur les cours d’eau ou les plans d’eau situés dans une zone entre terre et eau. Les ripisylves sont caractérisées par la présence d’arbres particuliers : saules, aulnes, aubépine, etc. Au sein de la base de données GéoMCE, la description de la mesure précisait que les essences sélectionnées pour ce projet allaient être choisies en fonction de celles trouvées sur le site : érable de Montpellier, aubépine, chêne blanc, etc.

L’absence frappante d’eau et d’arbres le long du parc photovoltaïque nous a poussée à conclure à la non-mise en œuvre de cette mesure (Fig. 6b). Ce projet de parc photovoltaïque a été autorisé en 2011, lorsque le poids réglementaire de la compensation n’était encore que très faible, laissant peut-être à l’aménageur la possibilité d’outrepasser ses responsabilités. De plus, le faible nombre, voire l’absence de contrôle des mesures de compensation sur le terrain n’incite pas les aménageurs à tenir leurs engagements.

2e cas : Le projet de Zone d’aménagement concerté (ZAC) sur la commune de Castelnau-le-Lez au nord de Montpellier s’étend sur une surface de 24,5 ha environ et a impacté 28 espèces protégées (3 amphibiens, 7 reptiles, 9 mammifères et 9 oiseaux). Accepté en 2015, le projet prévoit la création de logements. Ici, les terrains du projet rassemblaient anciennement des champs cultivés et des friches, proches d’une grande ville et de transports, caractéristiques de l’artificialisation des sols en France.

Pour contrebalancer les impacts résiduels significatifs, le maître d’ouvrage propose d’assurer la mise en place de mesures de compensation ainsi que leurs suivis sur une durée de 30 ans. Leur mise en œuvre se devait d’être effective dès le début de l’année 2015. La compensation a pour objectif de réaliser une restauration écologique de petits secteurs enherbés et ouverts, via le nettoyage d’un sous-bois grâce à un bûcheronnage léger et un gyrobroyage. En effet, l’abondance de végétaux dans le sous-bois est défavorable à la petite faune. Lors de notre visite, le milieu ne semblait pas ouvert et la végétation très abondante (Fig. 7). La mesure a donc été considérée comme non mise en œuvre.

3e cas : La figure 8 présentant une mesure de compensation intitulée « Création de gîtes à reptiles » illustre la simplicité de mise en œuvre d’une telle mesure. Associée à un projet de parc photovoltaïque autorisé en 2016, la mise en place de 45 gîtes était initialement prévue dans l’arrêté préfectoral. Bien que le projet soit actuellement en phase de fonctionnement, seuls 10 gîtes ont été observés sur le site de compensation, d’où sa mise en œuvre jugée partielle.

thumbnail Fig. 6a

Renaturation d’un fossé par plantation d’une ripisylve. Emprise visible sur Géoportail (© Géoportail, 2020).

thumbnail Fig. 6b

Renaturation d’un fossé par plantation d’une ripisylve. Photo de la zone où la mesure devait être implantée (© C. Bigard, 2020).

thumbnail Fig. 7

Mesures de compensation : Restauration écologique d’un sous-bois (© C. Bigard, 2020).

thumbnail Fig. 8

Mesure de compensation – Création de gîtes à reptiles (© C. Bigard, 2020).

Discussion

La base de données contient les mesures de compensation écologique auxquelles les aménageurs se sont engagés, d’un point de vue réglementaire, en contrepartie des impacts autorisés des projets qu’ils portent. Il s’agit donc des mesures de compensation prescrites et relayées dans les arrêtés préfectoraux d’autorisation. Si son analyse complète les études de cas empiriques portant sur la pratique de la compensation en France (Bezombes et al., 2019 ; Bigard et al., 2017 ; Weissgerber et al., 2019), en y apportant une vision à l’échelle nationale (Gelot et Bigard, 2021), l’étude de terrain menée ici peut permettre d’analyser le respect de la réglementation par les aménageurs.

Notre étude met en avant l’intérêt crucial d’une telle transparence, aujourd’hui permise par GéoMCE. Cette transparence doit être conservée et améliorée en garantissant l’homogénéité de la saisie et la géolocalisation systématique, mais aussi en ajoutant des informations (le champ « surface de projets », bien qu’existant dans la base de données, n’a jamais été rempli à ce jour) et en mettant à jour des mesures si nécessaire (suite à l’abandon des projets ou à l’échéance des baux ruraux, par exemple). En effet, cela permet de veiller à la réelle mise en œuvre de la compensation, de prendre du recul sur cette politique publique sectorielle en discutant de son interaction avec les autres objectifs nationaux, et de son influence dans le déclin de la biodiversité.

Depuis le Plan biodiversité, publié en juillet 2018, l’objectif ZAN est inscrit à l’agenda politique. Cet objectif vise à neutraliser l’impact de l’artificialisation sur la biodiversité : un pas engagé vers un ralentissement de l’artificialisation des sols. Bien que moins ambitieuse que les propositions faites par la Convention citoyenne pour le climat, la loi Climat résilience3 promulguée en août 2021 entérine cet objectif d’ici à 2050 et prévoit un objectif intermédiaire, celui de réduire de moitié la consommation d’espace observée durant les dix dernières années (Claron et al., 2021). C’est une double action, de prévention et de réparation, qui s’impose pour atteindre un tel objectif.

D’une part, l’action de prévention suppose une certaine « sobriété foncière », un évitement des projets qui pourrait se penser à l’échelle du territoire, en analysant les impacts cumulés sur la biodiversité qu’engendrerait l’évolution potentielle de l’artificialisation des sols (Bigard et al., 2020 ; Ollivier et al., 2020 ; Whitehead et al., 2017). Le projet de ZAC présenté dans l’étude de terrain est emblématique de la dynamique d’artificialisation des sols en France. Il prévoit, sur des territoires agricoles proches d’une grande ville et de transports, la construction de logements, qui représente le premier facteur d’artificialisation des sols (42 %) suivi des infrastructures de transports (28 %) (Virely, 2017). Dans notre étude de terrain, alors que la construction de la ZAC est finalisée depuis plusieurs années, l’ouverture des milieux prévue dans le cadre des mesures de compensation n’a pas été mise en œuvre par l’aménageur. La perte induite par le projet n’est donc pas activement contrebalancée par le gain écologique auquel il s’était engagé.

D’autre part, l’action de réparation suppose de laisser une large marge de manœuvre aux mesures de compensation pour la désartificialisation des sols, mais aussi pour une mutualisation de celles-ci, afin d’assurer une meilleure conservation et restauration de la biodiversité, aujourd’hui mise à mal par la fragmentation des habitats (Bezombes et Regnery, 2020). Concernant la désartificialisation des sols, la loi prévoit – entre autres – que la renaturation des sols artificialisés soit réalisée pour répondre à l’objectif de ZAN4. Pourtant, les surfaces de compensation ne se situent qu’à 8 % sur les sols artificialisés et très peu de mesures visant la renaturation d’aménagements existants sont saisies, laissant une grande marge de manœuvre à la compensation pour répondre à cet objectif (Fig. 3). Pour ce qui est de la mutualisation, notre étude des mesures géolocalisées dans GéoMCE montre que les mesures de compensation sont de petites tailles et dispersées sur le territoire ; la moitié des mesures ont une surface inférieure à 0,7 ha et une mesure de compensation peut être éclatée en plusieurs petits sites différents. Or, d’un point de vue écologique, le succès d’actions de restauration écologique augmente avec la surface des espaces concernés (Hodgson et al., 2011) et leur connectivité aux autres espaces d’intérêt écologique (Tarabon et al., 2021). À ce titre, introduits par la loi Biodiversité en 2016, les sites naturels de compensation (SNC) constituent un outil pouvant pallier ce problème en anticipant les impacts de projets par la création de mesures ambitieuses et plus grandes. De plus, en définissant une aire de service dans laquelle les projets doivent se trouver pour bénéficier des unités de compensation, les SNC ouvrent la voie à la territorialisation de la compensation. À ce jour, un seul SNC a reçu l’agrément du ministère en avril 2020.

Si la compensation, lorsqu’elle est mise en œuvre, a des progrès à faire pour contribuer à l’atteinte du double objectif d’absence de perte nette de biodiversité et de zéro artificialisation nette, cela est sans compter sur le fait qu’une partie des mesures n’est même pas appliquée sur le terrain. En effet, l’analyse présentée dans cet article met en évidence l’écart entre les mesures saisies dans GéoMCE et celles effectivement mises en œuvre sur le terrain. Bien que près de 70 % des mesures échantillonnées et évaluées soient effectivement implémentées sur le territoire, les 30 % restantes ne le sont pas (∼ 28%) ou ne sont pas mises en œuvre conformément à l’arrêté préfectoral (∼ 3%).

En effet, l’obligation de moyen et de résultat relative à la mise en œuvre des mesures de compensation n’a de sens que si elles font l’objet d’un suivi et d’un contrôle strict, ce qui ne se fait pas sans moyens humains et financiers importants. Pourtant, nous observons au fil des années une baisse des effectifs de la fonction publique d’État dans le secteur de l’environnement5. La base de données GéoMCE est identifiée par le ministère comme un outil pouvant permettre d’assurer un suivi et un contrôle à distance. Mais là encore, les services instructeurs chargés de saisir les données de compensation se retrouvent dépassés par le manque de moyens et le nombre de dossiers qui augmentent (Couvet, 2017 ; Guillet et Semal, 2018). Dans leur article, Bezombes et al. (2019) ont observé que plus de 25 % des dossiers présentant des mesures de compensation ne contiennent pas de plan de gestion, une indication selon eux de l’absence de suivi (et donc de contrôle) des mesures. Ce qui n’est pas étonnant : certains maîtres d’ouvrage sont même réticents à fournir des documents de suivi dans la mesure où ils savent que l’administration aura du mal à trouver du temps pour les analyser (Couvet, 2017). Tout cela contribue à décrédibiliser cet outil environnemental qui, par sa mise en œuvre par toutes les parties prenantes (des aménageurs aux services de l’État), s’écarte des objectifs ambitieux fixés par la loi (Couvet, 2017).

La plupart des mesures de compensation choisies (38 %) sont des mesures de création (de gîtes à reptiles, de mares). En plus d’être concrètes, visibles dans le paysage et centrées sur les microhabitats d’espèces ciblées, elles peuvent être plus simples à mettre en place et à faible coût par rapport à des mesures de restauration écologique, de renaturation ou d’évolution des modes de gestion. Toutefois, cela reste des mesures ambitieuses sur le plan écologique et leur succès ne peut être garanti que par un suivi poussé d’indicateurs écologiques pertinents sur le long terme (Bezombes et al., 2019). On peut également se demander si la création de mesures ponctuelles peut vraiment permettre d’enrayer la perte et la détérioration des habitats dues au changement d’occupation des sols et à la fragmentation des milieux induit par les projets.

Nous avons aussi constaté à travers cette étude que la mise en œuvre de la compensation est davantage réalisée sur des espèces protégées – la dérogation à la destruction d’espèces protégées étant le principal déclencheur de la séquence ERC. De plus, elle est parfois basée sur le concept d’espèce parapluie, comme c’était le cas pour la LGV Sud Europe Atlantique, ce qui la rend plus facile et moins coûteuse (Simberloff, 1998). In fine, dans le déroulé des dossiers d’évaluation environnementale, les espèces protégées à enjeux et les espèces parapluies prennent le dessus sur les espèces communes qui sont alors mises de côté pour l’application de la compensation. Ces constats illustrent l’arbitrage réalisé par les services de l’État, qui demandent aux maîtres d’ouvrage des compensations de « haut niveau écologique » ou bien de se fixer des objectifs hiérarchisés plus réalistes, moins ambitieux et qui auront davantage de chance d’être mis en œuvre (Guillet et Semal, 2018).

Pourtant, une application stricte de la loi Biodiversité de 2016 consisterait à étendre l’application de la compensation à toutes les composantes de la biodiversité, protégée comme commune (Treillard, 2019), cette dernière définissant la biodiversité dans toute sa complexité, indifféremment des pratiques possibles ou des politiques d’aménagement6.

Ainsi, l’enjeu d’une définition plus inclusive de la biodiversité dans les pratiques est majeur, car les populations d’espèces communes sont en diminution (Conrad et al., 2006 ; Fontaine et al., 2020). Une étude pilotée par le Muséum national d’histoire naturelle au travers d’un protocole standardisé de Suivi temporel des oiseaux communs (STOC) montre, par exemple, que, pour la période 1989-2019 en France, la population d’oiseaux communs spécialistes a chuté de 29 % en milieux bâtis et de 39 % en milieux agricoles (Fontaine et al., 2020). La baisse d’abondance des espèces spécialistes est le reflet d’une perturbation des habitats et de l’intensification des pratiques agricoles. Hallmann et al. (2017) démontrent une diminution de 75 % de la biomasse des insectes au sein des espaces protégés allemands sur le même pas de temps. Ainsi, les impacts cumulés et non compensés des projets de développement causent de sérieux dommages aux espèces ordinaires et aux fonctions écologiques qui en résultent (Persson et al., 2015 ; Regnery et al., 2013).

L’objectif d’absence de perte nette de biodiversité ou, a fortiori, l’infléchissement de la tendance actuelle de la biodiversité (une chute nette), ne peut s’opérer que selon plusieurs conditions. Premièrement, les aménageurs doivent porter des mesures plus ambitieuses quantitativement et qualitativement et respecter a minima leurs engagements réglementaires en matière de compensation. Deuxièmement, la conception de la biodiversité telle qu’elle est envisagée dans le cadre de cette politique publique doit évoluer afin d’englober l’ensemble des espèces, protégées comme communes, en s’intéressant davantage au fonctionnement et à la dynamique de leur population plutôt qu’à leur rareté ou à leur patrimonialité. Enfin, à large échelle spatiale, la séquence éviter-réduire-compenser devrait être systématiquement appliquée dans la planification territoriale, en commençant par un évitement drastique de toute nouvelle consommation foncière et un questionnement sur l’intérêt général de l’implantation de certains projets en France.

Remerciements

Nous remercions tout d’abord les financeurs de cette étude, le ministère de la Transition écologique (Commissariat Général au développement Durable) et AgroParisTech. Merci notamment à Frédérique Millard, qui a permis cette collaboration et à Dounia Khallouki pour son aide précieuse pendant la réalisation de l’étude. Merci également à tous les acteurs de terrain qui ont répondu à nos sollicitations pour la validation des mesures in situ et qui nous ont parfois accompagnés sur le terrain. Merci, enfin, à toute l’équipe G-ENV pour l’accueil de ce projet de recherche sur le campus AgroParisTech de Montpellier.

Références


3

Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, Journal officiel, 24 août 2021, 0196.

4

Article L.101-2-1 du Code de l’urbanisme.

6

« On entend par biodiversité, ou diversité biologique, la variabilité des organismes vivants de toute origine, y compris les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques, ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie. Elle comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces, la diversité des écosystèmes ainsi que les interactions entre les organismes vivants » (Loi n°2016-1087, article 1, du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Journal officiel, 9 août 2016, 0184).

Citation de l’article : Gelot S., Bigard C., 2023. Des déclarations des aménageurs à leur mise en œuvre. Bilan et perspectives de l’analyse de la base de données nationale des mesures de compensation. Nat. Sci. Soc. 31, 1, 49-63.

Liste des tableaux

Tab 1

Nombre de mesures compensatoires traitées.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Nombre de mesures de compensation par année saisies dans GéoMCE.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Les mesures de compensation selon leur type telles que saisies dans GéoMCE.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Surface des mesures de compensation sur les différents types d’occupation du sol [CLC niveau 2] (réalisation : S. Gélot, C. Bigard).

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Bilan de la mise en œuvre des mesures de compensation en France sur la base de notre échantillon de 90 mesures de compensation évaluées (réalisation : S. Gélot, C. Bigard).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Mesure de compensation en faveur de l’Outarde canepetière (© S. Gelot, 2020).

Dans le texte
thumbnail Fig. 6a

Renaturation d’un fossé par plantation d’une ripisylve. Emprise visible sur Géoportail (© Géoportail, 2020).

Dans le texte
thumbnail Fig. 6b

Renaturation d’un fossé par plantation d’une ripisylve. Photo de la zone où la mesure devait être implantée (© C. Bigard, 2020).

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Mesures de compensation : Restauration écologique d’un sous-bois (© C. Bigard, 2020).

Dans le texte
thumbnail Fig. 8

Mesure de compensation – Création de gîtes à reptiles (© C. Bigard, 2020).

Dans le texte

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