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Nat. Sci. Soc.
Volume 26, Numéro 2, April-June 2018
Dossier « La fabrique de la compensation écologique : controverses et pratiques »
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Page(s) | 230 - 245 | |
Section | Repères – Events & books | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2018031 | |
Publié en ligne | 1 août 2018 |
Ouvrages en débat
Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement. Analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité
Harold Levrel, Nathalie Frascaria-Lacoste, Julien Hay, Gilles Martin, Sylvain Pioch (Eds)
Quæ, 2015, 320 p.
Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement, coordonné par Harold Levrel et Nathalie Frascaria-Lacoste (AgroParisTech), Julien Hay (Université de Brest), Gilles Martin (Université de Nice Sophia-Antipolis) et Sylvain Pioch (Université de Montpellier 3) constitue, à n’en pas douter, un ouvrage de référence sur la compensation écologique : il réussit le tour de force de faire le tour, en 300 pages (mais au vu de la taille des caractères choisis par l’éditeur, il aurait pu en contenir 400), d’une question extrêmement complexe, laissant peu d’éléments de côté, et d’exposer deux thèses, fortes, concernant la compensation écologique.
La première thèse pourrait se résumer ainsi : la compensation écologique constitue un outil important d’atténuation des impacts du développement, voire de lutte contre l’érosion de la biodiversité liée aux aménagements, mais telle qu’elle est mise en pratique actuellement en France, elle court le risque de ne pas remplir ces fonctions − voire même, pire, de légitimer la destruction de milieux naturels. Une mise en œuvre efficace nécessite la création d’outils institutionnels et réglementaires à la fois souples et contraignants.
L’apparente contradiction entre la souplesse et le caractère contraignant des outils constitue à mon avis l’autre thèse de l’ouvrage, moins explicite que la première mais tout aussi importante : la compensation écologique doit être encadrée par des règlements stricts et des mesures précises de son efficacité mais elle doit aussi pouvoir s’adapter aux milieux et aux territoires afin de résoudre des problèmes qui sont toujours contingents. Elle doit donc à la fois contraindre et responsabiliser les acteurs chargés de la compensation dans le cadre d’un véritable développement territorial.
Ces deux thèses sont développées en filigrane tout au long des 24 chapitres, organisés en quatre parties, dont il paraît utile de faire un rapide résumé pour mieux en appréhender la portée.
La première partie porte sur le cadre législatif de la compensation. Elle s’ouvre sur un premier article, écrit par un juriste, G. Martin, qui fait un constat fort : « Notre droit a fait naître un nouveau “quelque chose” (la compensation), sans prendre soin ni de définir ce qu’il est exactement au sein des catégories juridiques (en bref le qualifier), ni d’en réglementer l’usage (autrement qu’en définissant les cas dans lesquels il doit y être recouru), ni de réguler le fonctionnement des relations qui pourront naître à son propos » (p. 18). Le droit s’écrit donc par les pratiques de ceux qui le mettent en œuvre : si l’auteur reconnaît que ce processus est normal, voire souhaitable quand il s’agit d’un objet aussi complexe que la compensation écologique, il appelle à ce que l’inscription officielle dans le droit soit faite très rapidement afin de réguler les rapports de force qui ne manquent pas de se manifester. Ne pas réguler reviendrait à abandonner la compensation aux rapports de force, ce qui, en matière de nature, n’est pas souhaitable pour un bon état des écosystèmes.
Si ce premier chapitre illustre parfaitement ce que j’appelle la première thèse de l’ouvrage, les deux suivants proposent deux modalités d’appréhension de la régulation différentes, qui traversent toutes deux la complexité de cet objet : le chapitre 2 coordonné par Fabien Quétier (et écrit avec Baptiste Regnery, Céline Jacob et Harold Levrel) présente les avancées et les limites de la doctrine « Éviter, réduire, compenser » (ERC), insistant notamment sur la nécessité de métriques fiables pour contrôler la mise en œuvre de la doctrine, établir des systèmes d’équivalence, etc. ; le chapitre 3, rédigé par Julie Gobert, insiste plutôt sur la territorialisation des mesures de compensation et la nécessité d’inclure une multiplicité d’acteurs dans sa caractérisation − la mesure compensatoire faisant partie intégrante du projet d’aménagement et devant être définie avec les populations qui vont subir cet aménagement.
Bien que ne s’opposant pas frontalement, ces deux articles renvoient chacun à une vision différente de la compensation : l’une est centrée sur l’efficacité écologique et l’expertise scientifique, l’autre sur l’inclusion sociale et le territoire. Certes, des ponts sont identifiables entre les deux méthodes, mais ces deux chapitres ont l’avantage de poser les termes d’une contradiction inhérente à l’idée même de compensation. Le chapitre 7, coordonné par Fabien Quétier (et écrit avec Pauwel De Wachter, Melina Gersberg, Hélène Dessard, Durrel Nzene Halleson et Eugène Ndong Ndoutoume), montre combien les métriques sont nécessaires dans des contextes de faiblesse de l’État, tandis que les chapitres 4, 5 et 6 prouvent l’importance des mesures de territorialisation aux États-Unis et en Allemagne. Autrement dit, il faut à la fois pouvoir diriger et contrôler la compensation écologique, mais aussi déléguer sa mise en œuvre dans des situations concrètes.
Les coordinateurs de l’ouvrage ont fait le choix d’analyser en détail l’expérience des banques de compensation états-uniennes, non pas tant pour proposer d’en reproduire l’expérience en France (ils ne commettent pas l’erreur d’appeler à une simple transposition) que pour montrer comment s’est progressivement construit un outil qui répond aux exigences décrites dans la première partie − un outil qui serait à la fois pragmatique, cadré légalement, adaptable à la diversité des situations, qui aurait une valeur contractuelle et répondrait à un certain nombre de risques inhérents à la compensation. Six chapitres structurent la deuxième partie : le premier, le chapitre 8, rédigé par Fabien Hassan, explique le principe des banques de compensation en analysant notamment leur encadrement juridique ; d’après lui, elles ne sont pas tellement une émanation de l’esprit de marché états-unien, mais plutôt un mécanisme adopté après essais et erreurs, par pragmatisme, par les agences chargées de l’environnement aux États-Unis. L’État fournit un cadre souple et sécurisant pour les acteurs privés, s’adaptant aux évolutions sociales et scientifiques. Cela permet à la fois une forte décentralisation et une utilisation optimale des connaissances des acteurs locaux… un système d’indicateurs permet de préciser le bon fonctionnement de la démarche, qui s’accompagne d’une stricte séparation des pouvoirs et rend possible une prise de décision autonome et souple par les autorités environnementales.
L’auteur porte un jugement positif sur l’encadrement dont bénéficie cet outil plus que sur son fonctionnement de quasi-marché. Les chapitres 9 et 10 montrent que le fonctionnement de ces banques de compensation, auxquelles on reproche d’être des outils de marché, est hybride car il s’apparente en fait à celui des marchés et à celui des systèmes de contrat, qui reposent sur plusieurs principes indépendants du mécanisme de marché proprement dit : outre les points signalés dans le chapitre 8, ces banques sont rendues efficaces par l’existence de servitudes environnementales protégeant les sites, par des assurances financières et la forte identification des responsabilités relatives à l’efficacité des mesures.
De fait, le chapitre 11 montre que les banques de compensation permettent de limiter certains risques liés à la compensation écologique : on retiendra que les risques sont nombreux, avérés, mais qu’une partie importante d’entre eux sont traités dans les mécanismes existants. D’ailleurs, ce sont des principes comparables à ceux permettant de gérer ces risques que les auteurs du chapitre 12, qui porte sur une expérience française de réserve d’actifs naturels, appellent de leurs vœux pour encadrer ces expériences. Au fond, cette partie sur les banques de compensation montre que la démarche qui encadre l’outil est plus importante que la forme que prend cet outil : ce qui compte, c’est le respect d’un certain nombre de principes, énumérés ci-dessus.
Les deux dernières parties de l’ouvrage amènent des éléments plus relatifs à la réalisation des mesures compensatoires. Les chapitres de la troisième partie s’interrogent, eux, sur l’effectivité de ces mesures. Le chapitre 14, qui plaide de façon convaincante pour la restauration écologique, permet notamment de comprendre les objectifs qu’elle se donne. Les chapitres 15 à 18 étudient la compensation dans des milieux différents (territoires en mosaïques, forêts, zones humides, fonds marins) : tous mettent en évidence la complexité des mesures de restauration écologique, leur difficile mise en place et insistent sur le fait qu’un milieu ne peut jamais être restauré complètement. Les pertes sont toujours importantes (thème du chapitre 19), d’où l’importance de respecter la doctrine ERC, voire même, comme le disait G. Martin dans le premier chapitre, de séparer la compensation de la prise de décision relative à un aménagement : quand on aménage, on détruit. La compensation n’y fera rien, elle pourra tout au plus restaurer un autre milieu en échange, mais pas remplacer ce qui a été perdu. Car ce qui a été perdu l’est définitivement.
La quatrième et dernière partie fait le point sur différentes méthodes d’évaluation des impacts de la compensation. Après un premier chapitre qui fait un inventaire des outils de dimensionnement des mesures compensatoires pour les zones humides, les contributions suivantes traitent de différentes méthodes : on retiendra qu’elles sont toutes imparfaites, mais qu’elles permettent, selon les contextes, de mettre en œuvre des évaluations intéressantes des milieux.
C’est finalement le dernier chapitre de l’ouvrage qui revient sur le débat, que l’on avait un peu oublié, de la territorialisation des mesures compensatoires. Il rappelle que les compensations ne peuvent être strictement écologiques et qu’elles doivent, à l’échelle du territoire, intégrer la vision des habitants. Un projet a en effet de multiples dimensions, qui ne sont pas seulement environnementales… Comme dans les précédents chapitres, deux méthodes sont proposées pour cela.
Au final, ces deux dernières parties rappellent que puisque la compensation écologique ne permettra jamais de restaurer complètement un écosystème et que son évaluation est fortement problématique, il est nécessaire de bien l’encadrer, notamment en distinguant les phases de la doctrine ERC et les rôles des acteurs, en renforçant les contrôles et sans doute les actions, mais aussi de garder une certaine souplesse afin que les acteurs gèrent, dans des situations toujours distinctes, la complexité que génère la compensation écologique.
Xavier Arnauld de Sartre
(CNRS, UMR5319 Passages, Pau, France)
xavier.arnauld@cnrs.fr
Le ménage des champs. Chronique d’un éleveur au XXIe siècle
Xavier Noulhianne
Éditions du bout de la ville, 2016, 246 p.
Le ménage des champs. Chronique d’un éleveur au XXIe siècle traite de l’agriculture d’aujourd’hui : une agriculture administrée par l’État, qui a depuis les années 1960 un projet d’industrialisation ou plutôt d’insertion dans un projet global d’industrialisation de la France.
La thèse que défend ici Xavier Noulhianne est celle d’un néorural ayant un bagage scientifique (docteur ès sciences en microstructures des matériaux à l’École des mines) et qui a dirigé un petit laboratoire de recherche (une quinzaine de personnes) à Rhône-Poulenc pendant trois ans avant de chercher à s’installer, en couple, en élevage caprin fromager bio. L’ouvrage s’appuie sur son propre parcours (de formation, de recherche d’une ferme, de développement d’un système d’élevage que l’on qualifierait volontiers au-delà du label bio, d’agroécologique « strong1 », même si le terme n’est jamais employé). Il s’appuie aussi sur une vision experte, nourrie de lectures approfondies − sur l’histoire des politiques et des lois agricoles – ainsi que de dialogues entre pairs, par exemple à propos du puçage électronique des chèvres. Le sens critique de l’auteur et la construction pas à pas de sa thèse d’une agriculture administrée se nourrissent de ces différentes rencontres et lectures ainsi que de son expérience chez Rhône-Poulenc, première confrontation aux enjeux et pratiques de qualité-traçabilité d’une activité.
Les différents chapitres s’enchaînent comme autant de briques démontrant la réalité d’une agriculture administrée au service d’un projet d’industrialisation d’État : le premier chapitre, sur la formation, rend compte de la distance entre un enseignement centré sur l’acquisition d’une compréhension et d’une expérience du travail quotidien dans une ferme (ce que l’auteur mais aussi d’autres apprenants attendaient) et ce que l’auteur a vécu : un enseignement qui prépare les futurs agriculteurs aux épreuves administratives et aux exigences de la rationalisation de la production, et qui les familiarise avec l’ensemble des organismes qui gravitent autour de l’agriculture « administrée », l’accompagnent et la matérialisent.
Le deuxième chapitre, sur l’installation, souligne comment ce projet de modernisation/rationalisation de l’agriculture, le système d’aides mais aussi les exigences réglementaires imprègnent le choix de la ferme, les discussions avec les cédants, mais aussi la configuration du système d’élevage. X. Noulhianne pointe la pression qui s’exerce sur le choix − central – de la taille de son troupeau, qu’il avait calibrée en relation avec la force de travail (le couple) et le circuit de transformation-commercialisation, taille prévisionnelle mise à mal par ce qui se dessine des emprunts de modernisation et de mise en conformité des bâtiments (notamment de la fromagerie) pour rentrer dans le moule industriel.
Le troisième chapitre, « Certifier », étaye avec force la visée d’industrialisation de l’agriculture. Il s’agit moins de la rationalisation des modes de production fondée sur les progrès de la physiologie et de la nutrition animale que de l’inclusion de la certification dans la vie paysanne. Là où l’on s’attendrait à une analyse de la lourdeur et de l’inadéquation, dans une fromagerie de petite taille, des processus de certification de conformité sanitaire conçue dans le secteur industriel (X. Noulhianne en parle un peu), c’est la certification en agriculture biologique qui est la plus commentée par l’auteur. Cet exemple illustre la distance croissante entre une façon de penser une agriculture agroécologique et les exigences d’un cahier des charges qui relève de plus en plus d’une stratégie de démarcation commerciale.
Le quatrième chapitre, « Systématiser », évoque « le grand récit », c’est-à-dire la mise en scène du soubassement idéologique, « la grande œuvre » dans laquelle l’industrialisation, y compris dans ses voies de normalisation et la certification, même en bio, prend place. Le développement durable joue ce rôle de grand récit. La certification bio (nationale, européenne) mais aussi bien d’autres certifications de bonnes pratiques contribuent à ce grand récit… et, pour cette raison, en affaiblissent la portée transformatrice du monde.
Le cinquième chapitre, « Identifier », revient sur la polémique et les mouvements de contestation à propos de l’obligation d’identifier chaque chèvre et brebis avec une boucle incrustée dans une puce RFID. Point d’orgue de la traçabilité qu’une bonne partie des éleveurs considèrent comme nécessaire à la différentiation des signes et des circuits de qualité ? Ou invitation non déguisée à des modalités de gestion plus « rationnelles », en l’occurrence individuelle des animaux, là où c’est le troupeau tout entier qui est l’entité opérationnelle de gestion de la production2 ? Plus généralement, la télédétection et son application aux contrôles parcellaires, les puces RFID et le repérage de chaque animal ouvrent la voie à un monde de contrôle mais aussi d’erreurs, de vérifications, de rectifications…
Le sixième chapitre conteste le système et les critères de sélection animale, dont l’organisation est aux mains de l’Inra, ainsi que les principes d’amélioration génétique du cheptel via l’indexation des reproducteurs mâles sur des listes nationales. X. Noulhianne s’intéresse, dans son exploitation, à la capacité de « faire avec3 » de hauts niveaux de parasitisme du fait d’un système très pâturant, mais conçoit qu’il puisse y avoir d’autres priorités pour d’autres systèmes ; ce qu’il réclame, c’est de l’autonomie dans le processus de sélection. Cette contestation assez radicale de l’organisation de la génétique est illustrée au septième chapitre, intitulé « Protéger », par la gestion de la tremblante du mouton dans les races ovines du Sud-Ouest. Elle a son pendant en sélection végétale, dans un système très corseté. Sous couvert de gestion de risques sanitaires, les choix génétiques se révèlent finalement très peu aux mains des agriculteurs eux-mêmes et sont peu adaptables aux particularités locales ou à celles de projets qui caractérisent les systèmes agroécologiques.
Les deux derniers chapitres reviennent sur la thèse générale de l’ouvrage. Organisateur de plans d’aménagement régionaux couplant projets industriels d’envergure, lieux de vie et de consommation comme le plan d’aménagement des étangs de Berre et des environs, l’État est bien une main visible dotée d’une visée dans laquelle le marché trouve à s’épanouir. Cette illustration sert le dessein de l’ouvrage : c’est bien l’État, et non la main invisible du marché, qui engage l’agriculture dans un processus d’industrialisation, de participation à l’industrialisation de l’ensemble du secteur. Le dernier chapitre, très pessimiste, annonce bien la « fin des paysans », de leur bon sens, la fin aussi d’un mythe de coexistence de différentes formes d’agriculture dont certaines pourraient rester à l’abri de ce mouvement d’industrialisation. Sauf à réagir vigoureusement et à porter ce conflit de visées, de valeurs sur la place publique.
Zootechnicien, chercheur à l’Inra, tenant d’une approche systémique des interactions entre dimensions humaines, techniques et écologiques des questions agricoles, notamment d’élevage4 et de développement durable de l’agriculture et des territoires5, je ne peux qu’être interpellé par la critique sévère qui est portée par X. Nouilhanne à la systémique ou au rôle de l’Inra ! Mais aussi ce qui serait la visée constante de l’État et de ses déclinaisons (formation, recherche, réglementations, qualité et traçabilité, organisation de la sélection) : l’industrialisation de l’agriculture que rien ne démentirait, et surtout pas des collectifs de recherche s’affichant sur « la transition agroécologique », « le partage d’expériences et de savoirs » entre chercheurs et acteurs ou « la coexistence et la confrontation des modèles agricoles6 ». On pourrait discuter de l’interprétation qu’il propose de la systémique au-delà de la notion de « boîte noire » ; du contexte d’émergence de la tremblante du mouton, des raisons et des effets de la sélection de béliers sur l’allèle résistant ; et approfondir le débat sur les fondements, les intérêts et les limites des certifications, notamment des signes officiels de qualité (AOP, labels rouges, AB) ; on pourrait enfin discuter des discours sur la multifonctionnalité de l’agriculture et de l’agroécologie et des regards décalés qu’ils révèlent vis-à-vis du mouvement d’agrandissement et d’intégration dans les filières qui caractérise l’agriculture de ces 50 dernières années.
Mais c’est sans doute le concept de système sociotechnique, de régime7 qui rend le mieux compte de ce que présentent les sept premiers chapitres : un ensemble convergent de règles, de normes, d’organisations au service d’une vision de la modernité agricole. Il faudrait, pour cette raison, y ajouter d’autres acteurs : les organisations professionnelles agricoles, le monde industriel et des grandes coopératives, qui ne font pas que se déployer dans le cadre préconisé par l’État, mais confortent et influencent les éléments structurants du régime dominant. Il faudrait alors introduire ce qui pourrait amener le régime dominant à changer : l’émergence d’alternatives ou les modifications de ce qui fait « paysage sociotechnique », notamment du côté de la puissance publique.
L’émergence d’alternatives est plutôt présente en filigrane dans le texte, lorsque X. Noulhianne décrit sa propre exploitation au fil des chapitres : le principe d’autonomie décisionnelle, la façon de penser l’ancrage de son système au milieu, une configuration de ce système qui positionne l’effectif animal au cœur du débat8, la place de la santé animale dans la cohérence d’ensemble du système d’élevage ; sont aussi évoqués la façon de renforcer la robustesse de son troupeau face au parasitisme, les déterminants et les modalités de ce qui fait « amélioration génétique du troupeau », l’engagement dans des circuits courts, la mise au point progressive du système qui passe par l’apprentissage, les essai-erreurs et le dialogue avec les pairs. On retrouve ici, même s’ils ne font pas l’objet d’un chapitre, bien des sujets en débat dans la R&D à propos de l’accompagnement de processus de transition agroécologique9. L’ouvrage constitue une alerte à l’industrialisation par l’État. Il présente aussi des éléments de ce qui est en débat dans la transition, par exemple les conflits de valeurs et de visées, mais pas seulement ; il se fait aussi l’écho de changements techniques10 et décisionnels à négocier.
L’action du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll en faveur de l’agroécologie, dans les discours mais aussi dans divers plans (Ecophyto, EcoAntibio, etc.), dans les déclinaisons des mesures de la Pac (groupements d’intérêt économique et environnemental [GIEE]), dans la volonté de réformer l’enseignement, de soutenir une mobilisation de la R&D ouverte non seulement sur les instituts techniques, les chambres mais aussi sur les organismes nationaux à vocation agricole et rurale (Onvar) sont des éléments à prendre en compte. L’agroécologie, que promeut la FAO, devient un modèle reconnu à l’échelle internationale. Autrement dit, l’industrialisation de l’agriculture, cette fameuse continuité du projet de l’État, n’exclut pas des remises en cause, des inflexions, voire des remises en question. Pour X. Noulhianne la voie de lutte contre le développement de l’agriculture administrée est le conflit. L’analyse des verrouillages11, l’exploration de pistes de déverrouillage et l’analyse des conditions de développement des « niches alternatives » du système sont d’autres voies.
Benoît Dedieu
(Inra, département Sad, Saint-Genès-Champanelle, France)
benoit.dedieu@inra.fr
La naissance de l’écologie politique en France. Une nébuleuse au cœur des années 68
Alexis Vrignon
Presses universitaires de Rennes, 2017, 322 p.
Alexis Vrignon livre dans cet ouvrage de 314 pages les principaux résultats de sa thèse d’histoire12. L’objectif est de saisir les origines de l’émergence et les conditions de construction de la « nébuleuse des mouvements écologistes français, de la fin des années 1960 au milieu des années 1980 ». Le récit minutieux qu’il produit n’est pas sans rappeler le travail équivalent qu’avait commencé Marc Heurgon sur l’histoire du PSU13. À cette différence fondamentale près que le PSU s’inscrivait dans une tradition idéologique centenaire, alors que l’écologie, comme pensée politique, se structure lentement en cette fin des années 1960 et doit inventer ses propres référentiels.
Sa contribution se veut historique, à partir notamment de l’apport de l’histoire environnementale et de la science politique ; cette approche interdisciplinaire met l’accent sur une compréhension fine de cette phase bien particulière de la genèse de l’écologie politique. Le double cadre théorique de l’histoire environnementale et de la science politique mériterait pourtant quelques éclaircissements. Comme le rappellent Fabien Locher et Grégory Quenet14, cette approche originellement anglosaxonne traverse aujourd’hui les frontières pour commencer à questionner les historiens français. De son émergence nord-américaine au début des années 1970 à son développement indien et asiatique au cours des années 1980, jusqu’à sa réappropriation européenne à la fin des années 1990, l’histoire environnementale constitue aujourd’hui un champ légitime de la discipline historique. En dépassant l’opposition entre les éléments humains et non humains des sociétés, ses praticiens ont cherché à écrire une histoire où la matérialité, qui forme l’environnement, informe les hommes qui le modèlent et se le représentent, a toute sa place. Loin d’être un en-dehors des sociétés, l’environnement est devenu pour les historiens le produit d’assemblages historiquement et géographiquement situés15. Dans cette histoire coévolutive – moniste selon les anthropologues ou écocentriste selon les philosophes –, les objets et les terrains d’expertise se multiplient. L’histoire environnementale insiste par conséquent sur l’évolution historique conjointe des phénomènes environnementaux et des milieux sociaux. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer les différences épistémologiques parmi les historiens se revendiquant de ce courant. Certains considèrent qu’il est plus important de construire une historicisation des questions environnementales16, d’autres insistent davantage sur les conditions sociales de production de ce rapport avec l’environnement. Du côté de la science politique, l’approche se situe dans une dimension classique d’analyse des mobilisations politiques, qui sous-estime le poids théorique de courants plus récents permettant d’étudier différemment la politisation et l’institutionnalisation de la question environnementale17. A. Vrignon mobilise cependant assez peu ces deux courants pour structurer sa démonstration18. L’utilisation est davantage illustrative qu’explicative.
L’ouvrage s’appuie sur une importante bibliographie, citée en note de bas de page, qui s’apparente parfois à une simple compilation, sans toujours offrir une possibilité de restituer la complexité de ces approches théoriques ni leurs profondes oppositions parfois. Il faut toutefois souligner l’important travail d’analyse d’archive, qui constitue un apport considérable à la compréhension de ces diversités d’approches de l’écologie. Cette abondance de sources (auteurs et données factuelles) renforce la volonté d’aborder la diversité des points de vue, mais ne contribue pas pas à la visibilité de l’intention théorique centrale de l’ouvrage. On pourra ainsi regretter la brièveté de l’introduction qui n’expose pas suffisamment la problématique de A. Vrignon.
On peut être sensible à la volonté constante de l’auteur de se référer à certains textes originaux, à des archives ou à des entretiens, ce qui permet d’élargir la connaissance de cette histoire. On peut regretter qu’il n’ait pas davantage recours à des sources plus scientifiques issues de travaux portant sur l’écologie politique en France et qui ont déjà largement balisé l’émergence et l’institutionnalisation de ce mouvement. En tant que contribution historique détaillée, le livre permet de relier de nombreux éléments déjà publiés sur l’écologie politique française. Cette confrontation de références aurait sans nul doute permis de creuser plus en profondeur les racines structurelles de ce mouvement.
Mais l’enjeu central du livre n’est pas de produire une contribution épistémologique à l’analyse disciplinaire des mouvements écologistes. L’objectif est de construire un récit minutieux des « bricolages » (p. 16) militants, afin de comprendre le caractère imprécis de la doctrine écologiste de ces années-là et de présenter la soupe primitive qui a nourri l’écologie politique. À cette fin, l’ouvrage est découpé en trois grandes parties chronologiques. La première porte sur l’émergence de mouvements écologistes au cœur des années 1960. La deuxième est consacrée à ce que A. Vrignon nomme « la première phase d’apogée de la nébuleuse écologiste, entre 1974 et 1979 » (p. 17). Enfin, la dernière partie porte sur la réinvention d’une écologie « affaiblie » à la fin des années 1970.
Le livre met en évidence les différents registres qui influencent l’essor de ce mouvement de pensée. Il y a bien sûr le rôle décisif de l’écologie scientifique − qui mêle à la fois la biologie, les études naturalistes, que l’on peut regrouper sous la catégorie des sciences du vivant, auxquelles s’ajoutent quelques éléments de la géographie. Cette approche scientifique se construit comme un outil d’interpellation de la puissance publique et des citoyens, en insistant sur certains effets négatifs du développement industriel. À ce titre, il convient de préciser, ce que le livre ne fait pas suffisamment (p. 47), que cet appel souhaitait avant tout corriger et non transformer le sens du développement et de l’aménagement du territoire. Ces premiers cris d’alarme entendent dénoncer les excès de l’industrialisation, sans pour autant remettre en cause le principe même de la croissance économique. Les critiques d’un Dorst en France ou d’une Carson aux États-Unis s’inscrivent encore dans l’idée qu’une meilleure intégration de la connaissance scientifique pourrait conduire à un développement moins agressif à l’égard du vivant.
Le deuxième cercle d’influence est issu des mouvements de Mai 1968. Attrait disparate d’ailleurs puisque cette période témoigne d’une juxtaposition hétéroclite de courants de pensée (voir les rappels utiles p. 225-227). L’auteur insiste sur l’idée que la trace de ce mois de mai est perçue à l’aune du libéralisme culturel. Il ne faut cependant pas sous-estimer l’ambivalence à l’égard du dogmatisme idéologique de quelques courants d’extrême gauche19, source d’inspiration pour certains militants, repoussoir idéologique pour d’autres.
Enfin, un troisième cercle est composé d’une palette de références composites. On y trouve ainsi l’influence controversée du personnalisme, mais plus encore celle d’un Jacques Ellul ou d’un Bernard Charbonneau. Si la puissance théorique de ces deux auteurs est incontestable, leur héritage est plus délicat à évaluer, notamment en raison de leurs positions morales et souvent chrétiennes, qui entraîneront la défiance de certains militants écologistes20…
Les fluctuations idéologiques ne se constatent pas seulement dans cette phase d’émergence. Les années 1970 témoignent de l’opposition entre un versant de l’écologie plus enclin à composer avec les bénéfices du progrès matériel (André Gorz, Brice Lalonde) et un autre plus sceptique sur ces conquêtes techniques et plus enclin à proposer un infléchissement de nos sociétés avant qu’il ne soit trop tard (René Dumont, Antoine Waechter).
L’originalité de cette approche tient cependant à l’attention que A. Vrignon porte à l’action même. Il propose une judicieuse théorisation des pratiques de l’activisme et de l’engagement dans les conflits environnementaux (chapitre II et chapitre V, p. 203-220). Cet investissement pratique va pouvoir, en partie, compenser le déficit d’un corpus théorique élaboré21. L’auteur accorde une importance méritée à la création de « médias » écolos (voir aussi p. 232 le passage consacré à leur disparation…). La démonstration aurait néanmoins gagné en intensité en s’appuyant sur les résultats de la thèse de Patrick Salmon22 qui avait largement analysé ces lieux d’initiatives, de relais, mais aussi de confusion dans la construction d’une offre idéologique. La presse militante ne se réduit pas à quelques revues nationales, mais tire sa richesse de petits journaux locaux, productions hétéroclites à la parution incertaine, largement alimentées par les actions locales. Autre apport important, celui que représente l’énorme investissement de militants locaux, figures souvent oubliées de la construction de ce mouvement. Nombreux sont ainsi les noms évoqués, mais cette accumulation nuit parfois à la compréhension de l’influence réelle de tel ou tel acteur. Le récit insiste parfois sur certains noms, sans que l’on saisisse l’utilité de cet éclairage particulier ou que l’on assiste à une présentation de parcours qui finalement participeraient de manière plus constitutive à l’installation politique d’un mouvement (par exemple, que deviennent Alain-Claude Galtié, Alain Hervé, l’héritage des Groupes d’action municipale, celui des Amis de la Terre… ?23).
L’action c’est aussi le combat des urnes (Chapitre V). A. Vrignon revient longuement dans son analyse sur les premiers pas électoraux des écologistes et leur lente maturation électoraliste. Leurs hésitations électorales (et ce dès la candidature surprise de René Dumont, qui n’était pas, tant s’en faut, leur candidat naturel24) ont été largement étudiées par, entre autres, Guillaume Sainteny25 ou Daniel Boy. L’analyse politique avait déjà montré la complexité des structurations militantes de ce « mouvement écologique français » au cours des années 1970 et sa lente institutionnalisation au début des années 198026. L’auteur complète ces approches avec de nouvelles sources (notamment issues d’archives inédites) et quelques cartes bienvenues sur les résultats électoraux. G. Sainteny avait insisté à juste titre sur le rôle des formations dominantes dans leur capacité à ouvrir ou pas l’espace politique et ainsi permettre l’émergence d’une nouvelle proposition. Cette structuration de l’espace partisan n’est pas centrale dans la thèse de A. Vrignon, qui met l’accent sur la « métamorphose du champ de l’environnement et [sur] la profonde transformation du champ politique et économique » (p. 224) pour expliquer le passage vers une formation politique plus classique (les Verts se créent en 1984). Les « sorties des années 68 » montrent que certaines questions cruciales sont envisagées sous un angle nouveau. Elles sont ainsi intégrées dans les propositions de l’écologie politique, lui offrant de nouvelles perspectives théoriques et militantes. Ce mouvement peut ainsi s’échapper d’une dépendance plus ou moins nostalgique aux propositions chaotiques de mai 1968 pour s’inscrire dans une version plus ajustée de l’écologie au monde qu’elle combat (expertise, négociation, coalition d’acteurs…). Ce nouvel éclairage conforte les explications déjà mobilisées par la littérature politique sur ce sujet ainsi que par une littérature plus militante27. L’action – encore elle, comme palliatif – se construit à partir de l’investissement électoral. L’unification fragile des Verts au cours de l’élection présidentielle de 1981 se fait avec certains compromis politiques, mais aussi avec beaucoup d’incertitudes sur leurs propres propositions (comme après l’élection de François Mitterrand en 1981, p. 284-289)…
Si l’on prend plaisir à lire les différents pôles d’influences, ce foisonnement ne permet pas de toujours saisir les sources les plus fécondes. Sans doute, à partir d’une telle précision dans l’origine des inspirations des écologistes, pouvait-on attendre une présentation synthétique des références significatives. Comment va donc s’opérer (ou pas d’ailleurs…) la délicate association de registres théoriques parfois en opposition (le naturisme et l’approche libertaire ? Le régionalisme et l’internationalisme ? Le catastrophisme et le convivialisme ? révolution/réformisme ?) Le chapitre IV rappelle ces oppositions, qui resteront non dépassées… et le dernier chapitre indique que l’activisme électoraliste se fait au détriment d’une harmonisation théorique. Il importe aussi de souligner combien les pensées de certains acteurs/théoriciens de cette écologie balbutiante peuvent évoluer (comme le montrent les très belles pages consacrées à Pierre Fournier, p. 69-7228, ou celles à Brice Lalonde, p. 272-274).
Comme le souligne l’auteur « Encore faut-il, pour évaluer pleinement la pertinence de cette filiation, saisir l’usage différencié de ces références et leur traduction en termes d’engagement politique. » (p. 63). La « fabrique de l’écologisme » (p. 168-180) que raconte Vrignon conforte les résultats quant à la faiblesse des sources intellectuelles qui ont servi à la construction de l’écologie. Les hésitations sur les choix idéologiques dépassent le phasage des différentes parties du livre et marquent, encore aujourd’hui, l’offre programmatique des écologistes. L’auteur insiste à juste titre (p. 159-162) sur la difficulté d’une « politisation de la nature » (mais avec des justifications tirées d’une approche classique de l’analyse politique), car il s’agit bien là d’un point central dans l’articulation des différentes propositions. Elle touche au cœur d’une vision anthropocentrique des rapports politiques dans notre société moderniste. Le récit des premiers pas de cette écologie montre la difficulté de politiser la question environnementale afin d’aboutir à un programme autonome qui pourrait être une écologie politique.
Bruno Villalba
(AgroParisTech, UMR8026, Ceraps)
Bruno.villalba@agroparistech.fr
Deux lectures d’un même ouvrage. Le champignon de la fin du monde. Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme
Anna Lowenhaupt Tsing
La Découverte, 2017, 416 p.
Le matsutaké (Tricholoma matsutake) est un champignon qui vit en symbiose avec les racines des arbres : son mycélium, souterrain et pérennant, se nourrit grâce aux racines des arbres qu’il aide à exploiter les ressources minérales du sol. Il engendre saisonnièrement des organes reproducteurs charnus, qui émergent à peine du sol sous la litière : pour le ramasseur, c’est un champignon à lamelles, discret, qui apparaît alors. De piètre valeur pour les palais occidentaux, c’est pour les Asiatiques, les Japonais en particulier, un comestible recherché et raffiné, un présent pour marquer son respect − en un mot, une marchandise qui s’acquiert au plus haut prix, et un équivalent oriental de nos truffes. Anna Tsing, une « Chinoise américaine » selon ses propres termes, professeur d’anthropologie à l’Université de Californie, tisse autour de ce champignon un livre complexe et doucement engagé. Un livre qui ne se résume pas, mais dont le sous-titre, « Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme », indique l’ambition anthropologique. Il est construit comme une série de séquences courtes, de chapitres entrecoupés ici et là par des « interludes », tous fort divergents en contenu, à l’indépendance revendiquée, comme des « chapelets de champignons après la pluie ».
Ce livre dense, riche mais profus, résulte d’une démarche de recherche exploratoire que j’apprécie beaucoup : les questions émergent des observations. Cependant, la rédaction m’a plus fait penser à un cahier d’observations, simplement organisées, qu’à une démonstration vraiment structurée : on divague de la guerre du Vietnam à des parcours individuels, en passant par de l’histoire régionale, celle de l’ère Meiji, ou encore par l’intégration des Asiatiques aux États-Unis, délicate pour certains durant la dernière guerre… et en croisant la biologie et l’écologie du matsutaké. Ethnologie, histoire, biologie, économie − tout concourt à l’ouvrage. Si on apprend beaucoup, je reste peu convaincu de ce que « écouter et raconter des histoires qui se bousculent est une méthode » : mais peut-être ne suis-je pas, de ce point de vue, la cible d’un tel livre ? En tout cas, la documentation et le corpus sont très étonnamment riches (notamment dans mon propre domaine, mycologique et écologique) et le livre est érudit au fond sans que cela ne paraisse jamais une façon d’être dans la forme : il est érudit avec naturel et dans l’intérêt du lecteur.
Alors, laissons-nous entraîner dans les cheminements de l’auteur : il est vrai que le matsutaké tisse un réseau complexe d’adjacences et d’histoires entrecroisées. Il est ramassé dans des forêts du Japon, les satoyama, perturbées par l’homme pour favoriser le champignon, dans des « forêts industrielles en ruines » américaines (ce terme peu heureux à l’écologiste désigne des forêts de pins qui repoussent après des coupes à blanc), mais aussi dans des forêts plus ou moins gérées de Chine ou de Finlande. À chaque fois, la sociologie des ramasseurs varie, leur histoire familiale et celle des forêts divergent grandement, ainsi que les chaînes commerciales d’intermédiaires et les motivations. Du point de vue humain, la description des ramasseurs de l’Oregon est particulièrement réussie : car s’il n’est guère consommé là, le matsutaké donne lieu à une cueillette pour l’exportation par une population en large partie d’origine asiatique, dont l’émigration au XXe siècle est faite d’histoires souvent tragiques, et par des Américains anglosaxons aux profils inhabituels. On trouve aussi − et je puis en attester l’exactitude globale – une très honnête revue de la biologie et de l’écologie, étonnante, du champignon. Bref, on ne s’ennuie pas dans l’enchaînement des chapitres, et les données présentées sont convaincantes et paraissent fidèles. Tout au plus peut-on regretter, çà et là, un flou dans certaines affirmations, un peu elliptiques pour le non-spécialiste (or, on ne peut être spécialiste de tout ce qu’aborde l’auteur) : par exemple, qui peut comprendre que « la vie multicellulaire a été rendue possible par la contamination mutuelle entre bactéries » ? Et chacun comprendra-t-il ces petits dessins au trait qui se glissent parfois entre les paragraphes : j’y ai reconnu, notamment, des mycorhizes − ces associations physiques entre le champignon et les racines des arbres. Mais combien d’autres allusions ou références n’ai-je moi-même pas comprises, finalement ?
Ce qui précède pourrait laisser penser que le livre ne porte pas de messages ou de concepts originaux : ce serait faux, car il y en a plusieurs, voire, là aussi, profusion. Il y a même parfois des aspects de la pensée théorique qui apparaissent en note infrapaginale ! Je voudrais revenir ici sur quelques-unes des grandes idées qui forment les leitmotivs du livre et que j’ai vraiment aimées. D’abord, une diatribe finement menée sur le capitalisme comme forme d’accumulation par captation, avec des allusions à la « sauvagerie » du processus : voilà l’aspect engagé (j’utilisais ce mot plus haut) du livre, bien souligné par son sous-titre. C’est ce qu’illustre un trait saillant du livre, le ramassage du matsutaké, dans les forêts de l’Oregon que le bûcheronnage a dévastées, par des cueilleurs souvent marginalisés par l’histoire ou dans leur société, qui ramassent un produit de luxe mais le vendent à des intermédiaires à relativement vil prix, faute d’accès direct au marché japonais. Ensuite, il y a les liens retrouvés entre l’homme et la nature, dont celui entre l’économie et l’écologie sans réduire (sic) l’une à l’autre. À mon sens, c’est un enjeu actuel majeur des sciences de l’homme et des sciences de la vie que de trouver une synthèse et d’apprendre à cheminer dans un contexte conceptuel commun. Par ses sensibilités, dans la diversité thématique de ce qu’elle a lu et rapporté, avec ce livre en un mot, A. Tsing fait les premiers pas vers cette réunification. Une convergence de pensées et de savoirs dont nous avons besoin pour mieux penser les problèmes de la modernité et leur trouver une solution dans une perspective biologique et naturelle.
J’ai aussi apprécié une vision moderne du vivant (et notamment de l’homme), conçu en réseau et en interactions, que ce soit entre individus ou organismes, entre populations, ou encore entre espèces. Le concept de « contamination » est introduit par l’auteur pour mieux signifier que les uns se construisent par des apports des autres. Cela commence par le lien du matsutaké aux arbres ; cela continue avec la construction de l’identité culturelle (par exemple des Asiatiques cueilleurs de matsutakés de l’Oregon). Peut-être la démonstration pourrait-elle être mieux formalisée, mais il y a là plein d’exemples propres à montrer l’interdépendance et la construction par interaction. Or, je suis persuadé que ce point de vue peut nous soustraire aux mythes de pureté, d’indépendance ou d’autonomie qui ont amené la pensée occidentale au point d’aujourd’hui, et en particulier à des formes de xénophobie ou d’individualisme peu compatibles avec ce qui nous a construits historiquement et biologiquement. Au sujet des interactions, toutefois, j’ai trouvé que la vision de la théorie du « gène égoïste » était perçue de façon un peu trop négative et trop lue au premier degré, en tout cas pas au sens moderne du concept. Il faudra, à mon sens, bien prendre en compte cette théorie dans une synthèse future, plutôt que de la marginaliser par principe.
À la traduction, fluide et très lisible, je reprocherai seulement d’avoir, ici et là, renoncé à traduire par un mot français au profit d’un anglicisme. Patch peut se traduire par fragment ou parcelle ; saprobic se traduit par saprophyte et ne signifie pas ce qu’en dit la note du traducteur. Surtout, le concept (majeur) de scalability n’a pas d’équivalent français exact à l’emploi qu’en fait A. Tsing, mais son utilisation, en anglais même, revisite le sens habituel, comme elle s’en explique. Pourquoi choisir l’anglicisme « scalabilité » quand cette propriété (la capacité d’un produit à s’adapter à un changement d’ordre de grandeur) peut être, par exemple, rendue par « invariance d’échelle » ou même « invariance », avec une note explicative du sens particulier choisi ? Ne baissons jamais pavillon, une langue de 60 000 mots en a toujours un à déléguer à une traduction… Et la traduction de Philippe Pignarre n’est, justement, pas limitée dans son lexique ni dans sa qualité.
Le livre se termine par un chapitre intitulé « Pour ne pas en finir », qui achève de désespérer celui qui attendait une synthèse finale, mais qui introduit une jolie note sensible, humaine et pleine d’espoir. Les dernières lignes sont consacrées à fondre avec humilité cet ouvrage parmi les productions présentes et à venir du « Groupe de recherche mondial sur les matsutakés », dont ce livre est un fragment qui se termine en résumant les autres. Une chose est sûre : A. Tsing ne pense pas, ne se construit pas de la même façon que moi et moult collègues, cette leçon valait bien un livre. D’une belle plume, elle sait aussi rendre avec émotion des aspects visuels, comme la récolte en forêt, par exemple, et olfactifs, donnant une place à l’odeur qui manque à notre civilisation occidentale. Une saine attention à l’homme, à l’autre, est perceptible tout au long de ce livre empreint d’humanisme. Cet ouvrage n’est décidément pas construit comme je l’aurais espéré ; je ne suis pas sûr de l’avoir aimé ; la richesse en reste parfois trop brute et profuse ; mais il n’en reste pas moins qu’en apprenant beaucoup, je ne me suis jamais vraiment ennuyé.
Marc-André Selosse
(Muséum national d’Histoire naturelle, UMR7205 Isyeb, Paris, France ; Université de Gdansk, Pologne)
marc-andre.selosse@mnhn.fr
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Non ce « champignon de la fin du monde » n’est pas le champignon d’une explosion nucléaire. Pas celui qui vous terroriserait, plutôt un champignon qui vous aidera à résister à cette peur paralysante du désastre que nous annonce l’Anthropocène. Il s’agit bien d’un vrai champignon (pas d’une métaphore), appelé matsutaké, qui pousse et fructifie dans les forêts de pin. Quels pins ? Quelle forêt ? Quels cueilleurs ? Quel champignon ?
Ce livre splendidement original est réellement polyphonique : il est fait de récits, d’analyses, d’observations ethnographiques, d’informations scientifiques, de témoignages oraux, d’impressions sensorielles, tout cela récolté dans une série de voyages entre l’Oregon (États-Unis), la Finlande, le Japon, la Chine que relie de manière imprévisible ce mycelium bizarre. Tout cela pour prévenir le lecteur qu’il n’aura pas affaire à un exposé linéaire enchaînant théorie, méthode, résultats, etc. L’ouvrage alterne descriptions et analyses empiriques, questionnements et interprétations au fil de rencontres multiples au long d’une enquête qui se veut attention à des situations particulières, précaires, à des connaissances partielles tantôt locales, tantôt globales, scientifiques autant que vernaculaires.
La première partie pose l’enjeu et la méthode. Considérant et parcourant les forêts ruinées par leur exploitation capitaliste, Anna Tsing se demande ce qu’il reste et comment l’observer. Ce qu’elle envisage n’est pas la fin du monde mais la fin d’un monde, le nôtre, conçu autour d’une vision linéaire du progrès et de projets généralisables, vision qui néglige toutes les histoires, tous les savoirs et toutes les pratiques qui ne comptent pas pour ce projet. Ce à quoi il faut alors porter attention, à quoi il faut exercer notre attention, ce sont toutes les relations entre humains et entre non-humains qui font histoires. C’est donc un art de l’observation, de la description qu’elle suggère.
Dans sa deuxième partie, l’ouvrage nous emmène dans les forêts d’Oregon. Les ruines du capitalisme dont il s’agit très concrètement sont des forêts de pins dévastées par une exploitation industrielle à grande échelle qui, après quelques décennies, les a abandonnées. Quels qu’aient été les efforts de « gestion » rationnelle ou les tentatives de « conservation », ces forêts de pin n’ont pu se reconstituer comme telles. Et c’est précisément dans ces écosystèmes dégradés qu’apparaît ce champignon qui fait les délices de gastronomes japonais qui sont prêts à y mettre le prix : s’est ainsi peu à peu constituée une chaîne d’approvisionnement à partir des forêts d’Oregon. La surprise est moins dans le développement de cette chaîne que dans la diversité des pratiques de cueillette qui voient se côtoyer vétérans de la guerre du Vietnam, chômeurs locaux et plusieurs communautés d’immigrés d’Asie du Sud-Est (Mien, Hmongs) ou d’Amérique centrale. Pour cette remarquable enquête sur les modes de cueillette et de commerce, A. Tsing mobilise aussi bien les ressources de l’anthropologie de l’ethnicité que celles de l’anthropologie économique (de l’échange), des trajectoires individuelles (récits de vie, si on veut) ou celles des communautés. Son analyse intéressera en outre plus d’un économiste s’interrogeant sur les raisons pour lesquelles un marché reste atomisé.
Pour l’auteur, cette chaîne d’approvisionnement est une forme particulière de capitalisme. Ce n’est plus ou pas le capitalisme de l’organisation disciplinée du travail ou de la rationalisation typique de la plantation coloniale. C’est un capitalisme de captation qui fait son profit en extrayant de la valeur à partir de formes de configurations de rapports humains et non humains qu’il ne se soucie ni de reproduire ni même de contrôler, mais qui ne sont pas non plus des résidus de l’histoire ni des formes de résistance. Plutôt des patches socioécologiques surgis de rencontres imprévisibles entre des entités humaines et naturelles, patches précaires issus de perturbations et de résurgences, bref d’histoires.
Une troisième partie raconte la quête de A. Tsing sur les traces du champignon, de son écologie. Cette recherche l’emmène en Chine, en Laponie, au Japon puis à nouveau en Oregon. Comment ce champignon a-t-il voyagé autour du globe, pourquoi réapparaît-il ici ou là, comment fait-il paysage ? Comment des pratiques aussi différentes que celles des forestiers américains ou finlandais, des paysans chinois, des restaurateurs écologiques japonais contribuent-elles à sa survie ? L’auteur enquête auprès de ces acteurs, interroge mycologues ou bactériologistes, scrute la géographie et l’histoire longue ou récente… Cette enquête confirme que le matsutaké conserve sa part de mystère, qu’il vit dans des milieux très différents, resurgit où on ne l’attend pas, suscite des projets de restauration au Japon et fait l’objet d’une exploitation quasi minière en Chine.
La quatrième partie est plus réflexive et introduit notamment l’idée de communs latents souvent ignorés et menacés : ils sont faits d’enchevêtrements fragiles, et seul un art de l’observation, de l’écoute peut permettre d’y trouver une manière de vivre dans ces ruines du capitalisme. A. Tsing y insiste aussi sur le concept de science comme traduction, ou plutôt comme traductions toujours inscrites dans des préoccupations situées : sans nier la possibilité de connaissances universalisables, elle montre que les sciences du matsutaké sont aussi constituées de patches, d’agencements spécifiés par la rencontre de savoirs scientifiques, de connaissances communes, de pratiques forestières ou paysannes. Et sa recherche est aussi une expérience de collaborations mutualistes entre ces diverses sciences du matsutaké qui le traduisent chacune à leur manière.
Un compte rendu ne peut pas raconter toutes les ramifications de cette enquête. Retenons en quelques éléments. Ainsi l’auteur introduit-elle le concept de contamination. Car le champignon ne vit pas sans le pin et le pin ne survit pas sans champignon. Et les deux apprécient des sols rocheux et pauvres en humus. A. Tsing développe tout un vocabulaire pour saisir ce qu’elle appelle tantôt contamination, tantôt collaboration et qui désigne finalement tous les mutualismes qui existent dans la nature. Si cela n’est pas vraiment neuf pour un écologue, l’auteur en fait le cœur de son analyse. D’une part, dit-elle, c’est un objet qui, après tout, mérite autant considération que les rapports de compétition (proie/prédateur) si souvent mobilisés. Mais, d’autre part, ces mutualismes sont − et c’est bien le cas du matsutaké – le fruit de rencontres imprévues, d’histoires qui se mêlent, ce sont des collaborations précaires, fragiles, à l’image de celles qui lient cueilleurs immigrés, intermédiaires américains et importateurs japonais.
L’idée de contamination implique aussi une autre lecture du monde. Comme d’autres auteurs l’ont souligné, les sciences dominantes (génétique, économie néoclassique) ont plus que des affinités : elles partagent une ontologie qui fait des individus autonomes (autorépliquants), donc dotés de leurs intérêts propres, l’unité d’analyse à partir de quoi ces entités stables composent entre elles selon des modèles mathématisables. L’idée de contamination donne plutôt à voir des symbioses qui font de la relation l’unité d’analyse et qui, fruit de rencontres et de collaborations locales, sont historiques. Le matsutaké s’est répandu dans l’Oregon précisément parce que ces forêts étaient dégradées, et les bandes de cueilleurs lao, cambodgiens ou autres résultent de la reformulation par ces populations de leur culture ethnique contaminée par l’esprit américain de liberté… Dans l’histoire, ce qui se sélectionne dès lors ce sont moins des espèces que des relations. Ce qui est caractérisé comme une catégorie − espèce, ethnie – ne l’est donc que d’un point de vue et à un moment. Il faudrait donc, d’après A. Tsing, voir tant les espèces (biologiques) que les ethnicités (sociales) non comme des entités dotées de propriétés mais comme des compositions en mouvement, des associations issues d’histoires et dont le nom, s’il importe par la force qu’il leur donne, désigne un agencement et non un être.
Pour l’auteur, l’intérêt de ce qui pourrait apparaître comme de simples curiosités dont on voit bien qu’elles ne peuvent être généralisées, c’est précisément qu’elles ne peuvent l’être. Car ces « systèmes » ne sont pas « scalables ». Ce concept est central : par scalabilité elle entend la capacité d’un projet, d’une organisation à changer d’échelle sans changer ses paramètres de fonctionnement, sans modifier les hypothèses sur lesquelles il est construit. L’hyperbole du projet scalable c’est la plantation de canne à sucre qui est installée en éliminant plantes et populations locales, en coupant la plantation de toutes les collaborations biologiques autant qu’humaines avec le milieu où elle est implantée. Car cette scalabilité, cette capacité à s’imposer partout en dépit des conditions locales, a un coût, elle suppose un immense travail et il y a toujours quelque chose qui échappe, qui entre (contaminants, maladies) ou qui sort (esclaves marrons)… et qui crée d’autres rencontres. L’hypothèse d’une fin du monde − et c’est tout l’argument de l’ouvrage – c’est l’hypothèse de la fin des projets scalables, transposables, et c’est alors que nous aurons à vivre dans ces ruines et que pour y vivre la seule chose à faire sera de prêter attention, et même d’aiguiser notre attention, à toutes les formes de vie qui s’y développeront.
On peut donner raison à l’auteur quand elle ironise à propos des modes d’évaluation de la recherche fondés sur des indicateurs chiffrés en Europe ou prenant pour critère la réussite entrepreneuriale aux États-Unis ; c’est que ces modes d’évaluation sont court-termistes alors que son ouvrage démontre le sens d’un travail long, sinueux, multisitué, suivant à la trace le parcours des champignons. C’est que ce travail a supposé une longue enquête dans des lieux dispersés sur la planète, ainsi que des analyses qui supposent une réelle culture de sa discipline. Il importe vraiment de souligner la longueur de l’enquête et la largeur de vue : A. Tsing parle autant aux ethnographes de l’ethnicité qu’aux anthropologues de l’économie, autant aux ethnologues des communautés qu’aux sociologues des sciences… Cette culture scientifique n’est jamais étalage de références, invocation des maîtres ou ésotérisme disciplinaire. Elle s’adresse à tous, à tous ceux que le champignon de la fin du monde peut faire penser.
Ce compte rendu appauvrit évidemment ce qu’on peut apprendre du livre. Disons que c’est une manière de traduire pour le lecteur de NSS quelques aspects de ce qui le rend si intéressant. Du point de vue de l’interdisciplinarité aussi, cet ouvrage est inspirant. D’une part, c’est un ouvrage d’anthropologie et qui ne revendique pas plus. Mais, d’autre part, A. Tsing interroge avec soin biologistes, mycologues et forestiers et elle se nourrit de leurs recherches autant qu’elle critique les approches dominantes de la biologie ou de l’économie pour mettre en évidence des recherches qui débordent ces approches. Mais ce qui est le plus original est, à mon avis, qu’elle tente avec succès de parler avec un même langage des processus sociaux et des processus biologiques : ce qui permet de penser la manière dont ils sont entremêlés, dont ils se rencontrent, se contaminent, se nourrissent et parfois se combattent et se détruisent. Jamais elle ne célèbre le local en l’opposant au global, jamais elle ne dénigre le scalable en l’opposant à ce qui ne l’est pas. C’est dans l’attention à des enchevêtrements précaires qu’elle cherche à discerner des manières de vivre dans ces ruines. On peut s’inquiéter de leur précarité, de la fragilité de leurs coexistences mais on peut aussi y trouver de la joie et du désir de survivre.
Concluons en disant que cet ouvrage a un caractère initiatique : l’ayant lu, ayant suivi l’auteur dans sa quête, dans ses pérégrinations, on ne peut plus voir le monde de la même manière. C’est un monde plus indéterminé, moins rassurant, mais qui appelle à ce qu’on le voie plein de rencontres possibles, à condition d’y exercer cet art de l’attention dont ce livre témoigne.
Marc Mormont
(Université de Liège, Liège, Belgique)
mmormont@ulg.ac.be
Rethinking nature.
Challenging disciplinary boundaries
Aurélie Choné, Isabelle Hajek, Philippe Hamman (Eds)
Routledge, 2017, 268 p.
Que l’idée de nature soit en crise, car peu susceptible de contribuer à la compréhension et à la résolution des problèmes écologiques actuels, est un thème récurrent dans les débats sur l’environnement et la durabilité. On sait que la catégorie de « nature » est une création de la pensée moderne occidentale qui, dans une perspective anthropocentriste et cornucopienne, l’a opposée et subordonnée à celle de « société ». Ce clivage profond a, d’une part, justifié l’exploitation inconditionnelle des écosystèmes à l’échelle globale, et, d’autre part, accentué la distance entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme. D’après Aurélie Choné (maître de conférences en études germaniques à l’Université de Strasbourg), Isabelle Hajek et Philippe Hamman (respectivement maître de conférences et professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg), repenser la nature et la relation nature-culture est devenu, à l’ère de l’Anthropocène, une démarche nécessaire et inévitable. Cette réflexion sur les limites, mais aussi sur les potentialités de l’idée de nature, fait l’objet de leur récent ouvrage publié par Routledge et intitulé Rethinking nature. Challenging disciplinary boundaries.
Rethinking nature constitue une démarche originale dont le principal objectif est de présenter comment la crise de l’idée de nature s’est articulée au sein des « humanités environnementales », un terme parapluie regroupant des approches disciplinaires s’intéressant à l’environnement qui se fondent sur la tradition humaniste, mais qui, en même temps, proposent de dépasser sa conception de l’homme au centre de l’univers et cherchent à instaurer un dialogue constructif avec les sciences naturelles. L’ouvrage réunit 21 contributions qui résument l’état des connaissances et des débats sur l’idée de nature dans des domaines tels que la littérature, l’anthropologie, la philosophie, la sociologie, l’urbanisme, la santé, la pensée féministe ou encore la psychologie. Loin de se présenter comme une collection de comptes rendus exhaustifs, chaque chapitre propose une généalogie de la pensée sur la nature dans une perspective historique, critique, interdisciplinaire et internationale. Plus concrètement, Rethinking nature montre comment, à partir de l’émergence de la question environnementale dans les années 1960, et parfois bien avant cette période, différents domaines académiques ont commencé à s’approprier l’idée de nature pour ensuite la mettre en cause et la dépasser, en donnant ainsi vie à des sous-disciplines ou perspectives qui se sont émancipées d’une vision figée de la nature et qui récusent la rigidité ontologique de la dichotomie nature-culture.
Ce qui motive l’ouvrage est une volonté de s’éloigner de l’approche technoscientifique léguée par les Lumières afin de se pencher sur la dimension humaine du changement environnemental global, voire sur ses aspects symboliques, sociaux, culturels et politiques. Il ne s’agit pas ici de refuser catégoriquement l’idée de nature, mais plutôt sa conception strictement technique et scientifique. Selon ce point de vue, l’idée de nature possède encore une utilité, mais dans la mesure où elle nous permet de mettre en discussion sa valeur politique et heuristique, et donc de la dépasser en reconnaissant son caractère construit et polysémique. En ce sens, Rethinking nature se concentre sur les « impacts épistémologiques » de la problématique environnementale. Les contributions montrent comment l’incorporation de l’idée de nature a, dans un premier temps, fourni de nouveaux objets de recherche et des perspectives d’analyse aux disciplines humanistes et sociales, contribuant ainsi au renouvellement de leurs appareillages épistémologiques et méthodologiques. Cette « écologisation » des connaissances a, dans un second temps, occasionné un processus réflexif de remise en cause de certains postulats, notamment l’idée de nature et son opposition avec l’idée de société, tenus jusque-là pour incontestables. Il s’agit d’un processus qui a favorisé l’hybridation et l’interdisciplinarité, ainsi que l’émergence de nouveaux champs de réflexion et de pratiques de recherche. La diffusion du préfixe « éco » et l’émergence de domaines comme l’écosociologie, l’écosophie, l’écoféminisme ou l’écospiritualité témoignent notamment de ce renouveau.
Le livre se divise en cinq parties. La première se penche sur les grandes valeurs associées au monde naturel. Si le domaine des valeurs a longtemps été relégué au second plan par la weltanschauung scientifique occidentale, il constitue cependant une porte d’entrée privilégiée pour comprendre les défis environnementaux actuels et surtout les actions mises en place pour y faire face. Cela, dans la mesure où les valeurs qu’on associe à l’idée de nature orientent les actions en faveur, ou en défaveur de l’environnement. Les contributions de cette partie mettent en évidence cet aspect et portent plus précisément sur l’éthique environnementale, l’écosophie (écologie profonde), l’écospiritualité et l’écopsychologie. La deuxième partie se penche sur les représentations de la nature et les écrits portant sur le monde naturel. Elle est axée sur la conviction que la frontière entre études littéraires et sciences de la nature n’est pas, comme on peut le penser, si tranchée et met en évidence leurs entrelacements réciproques. Cette partie présente les perspectives qui sont propres à l’esthétique, aux études littéraires et culturelles (écocritique et épistémocritique). La troisième partie examine les liens entre production des connaissances et action politique orientée vers la nature. Elle souligne une influence mutuelle entre les deux ainsi que la tension entre prise de distance et engagement à laquelle les chercheurs font souvent face. On y trouve des chapitres portant sur l’écologie politique, l’écoféminisme, l’écosociologie et l’ethnoécologie. La quatrième partie consacrée aux « écologies renouvelées » nous rappelle que, à l’instar de la division entre nature et culture, l’opposition ville-campagne n’est plus adéquate pour saisir les enjeux environnementaux du développement urbain. Elle nous montre comment différents domaines d’études ont délaissé ce clivage en faveur de perspectives interdisciplinaires et hybrides. Les thèmes abordés sont : la dichotomie urbain-rural, l’écologie urbaine, la santé environnementale, l’urbanisme durable, l’écologie industrielle et le paradigme des services écosystémiques. Le clivage nature-culture, sujet de la dernière partie du livre, se reflète également dans la distinction entre humain et animal. Les chapitres de cette partie portent sur l’écocide et l’ethnocide, les études animales et l’histoire animale, et ont l’objectif commun de montrer la nécessité de se distancier de la préconception selon laquelle il est possible de traiter de manière distincte les relations que les êtres humains ont entre eux et celles qu’ils entretiennent avec les animaux.
En somme, Rethinking nature nous montre comment les humanités sont en train de repenser l’idée de nature afin de dévoiler la facticité de la dichotomie nature-culture et d’éviter ses limitations ontologiques, épistémologiques et politiques. En ce sens, c’est une invitation à reconnaître que penser la nature et vivre avec elle sont les deux faces d’une même médaille. Ce qui fait de cet ouvrage une référence importante dans les études sur l’environnement, c’est qu’il se penche sur l’écologisation des connaissances et qu’il met en évidence les effets réflexifs de cette écologisation sur les disciplines littéraires, humanistes et sociales. Ainsi que le précisent les auteurs, Rethinking nature résume, pour la première fois dans la littérature anglophone, les controverses et les débats contemporains entre spécialistes des humanités environnementales de différents contextes disciplinaires et géographiques, dans le but de dépasser les différences nationales et de stimuler de nouvelles manières de pratiquer les études sur l’environnement.
L’ouvrage se révèle un outil incontournable pour les étudiants qui s’intéressent aux enjeux écologiques et aux multiples idées, controverses et savoirs qui rendent la pensée environnementale si riche et diversifiée. Il peut également être consulté par des citoyens ou des professionnels désireux d’en connaître davantage sur la problématique environnementale dans une perspective cognitive ou pragmatique. De plus, Rethinking nature peut se révéler très utile aux spécialistes de l’environnement qui veulent sortir de leur clôture disciplinaire ou simplement rafraîchir leur mémoire. On pourrait reprocher aux auteurs de ne représenter que des perspectives disciplinaires et des traditions de recherches afférentes aux mondes francophone et anglophone. Il aurait par exemple été intéressant de savoir comment d’autres disciplines sont en train de repenser l’idée de nature dans des pays d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie. Toutefois, il s’agit d’une omission qui pourrait éventuellement être corrigée dans une prochaine édition et qui, pour l’instant, est éclipsée par la qualité, la variété ainsi que l’originalité dont l’ouvrage fait preuve.
Emiliano Scanu
(INRS, Centre Urbanisation culture société, Montréal, Canada)
emiliano.scanu.1@ulaval.ca
The Oxford handbook of animal studies
Linda Kalof (Ed.)
Oxford University Press, 2017, 621 p.
La parution d’un manuel est toujours un signe de reconnaissance pour le domaine ou la discipline concernée. Quand il s’agit d’une publication dans une maison d’édition renommée pour la qualité de ses « handbooks », comme ici les Oxford University Press, la reconnaissance est double. Ce Oxford handbook of animal studies marque donc l’avènement des animal studies en tant que domaine académique de premier ordre. Confier la direction de l’ouvrage à Linda Kalof, sociologue à la Michigan State University, fondatrice de l’un des premiers groupes de recherche sur les animal studies et créatrice du premier cursus universitaire sur la question, est à ce titre bien logique. Épaulée par une cinquantaine de contributeurs, majoritairement des universitaires anglosaxons, spécialisés dans les sciences humaines et sociales et la philosophie, l’auteur propose au lecteur un volume conséquent (quelque 600 pages), ambitionnant de donner un aperçu de ce que sont les animal studies. Mouvement académique apparu dans les années 1970, elles se veulent le lieu d’une réflexion interdisciplinaire sur les rapports entre humains et animaux ; réflexion explicitement guidée par le souci d’améliorer le sort des animaux. Ce souci se lit dès l’introduction de l’ouvrage où L. Kalof explique que le développement de ce domaine de recherches est à relier à la reconnaissance publique de la « commodification » des animaux, à savoir leur utilisation intensive par les humains en tant que ressources de production et biens de consommation ; mais également à la dégradation rapide de leurs habitats naturels, nécessitant donc de repenser la cohabitation entre humains et animaux dans des contextes aussi bien urbains que ruraux. Réformer d’urgence nos rapports aux animaux est donc l’objectif qui semble réunir les auteurs de l’ouvrage et, par-delà, les membres de la communauté animal studies. Ce point d’accord se retrouve tout autant dans le contenu des contributions que dans la construction de l’ouvrage. En effet, le manuel comprend 5 parties, très inégales en termes de répartition des articles. La première partie, « Animals in the landscape of law, politics, and public policy », est aussi celle qui compte le plus de contributions. Elle offre au lecteur une entrée en matière tout en philosophie et en éthique animale où les rapports aux animaux sont envisagés avant tout comme des problèmes moraux et politiques à résoudre. La place des animaux dans le droit est analysée et critiquée par Paul Waldau et David Favre, des pistes juridiques et politiques (dont la question des droits des animaux) sont évoquées par Gary Francione et Anna Charlton ; Sue Donaldson et Will Kymlicka s’intéressent, quant à eux, à la citoyenneté animale. Des cadres philosophiques destinés à mieux penser nos rapports aux animaux sont décrits : la philosophie « continentale » (Ralph R. Acampora), l’éthique du care (Josephine Donovan), les critical animal studies (Carol Gigliotti). Plusieurs textes de cette partie traitent également des problèmes concrets que connaissent les chiens : Arnold Arluke et Kate Nattrass Atema évoquent l’errance animale, James Mason, les mauvais traitements et Leslie Irvine l’euthanasie dans les refuges de protection animale. Ces contributions se veulent plus empiriques que les autres, à l’instar de celles de la seconde partie, intitulée « Animal intentionality, agency, and reflexive thinking ». Ici, il est question d’expliciter en quoi les obligations humaines envers les animaux, décrites dans la première partie, sont justifiées par le fait que ces derniers sont des êtres « sentient29 ayant des intérêts, des intentions et des désirs » (Kalof, p. 6). Les capacités cognitives, mentales et émotionnelles des animaux sont décrites longuement (Lori Marino, Mark J. Rowlands et Susana Monsó), mais également leur intentionnalité et la forme d’agentivité particulière qu’ils importent dans les interactions avec les humains (Chris Pearson). Outre une forme de considération morale, cette caractérisation impose une refonte épistémologique conséquente : puisque les animaux sont des agents sociaux (C. Pearson), il est important de rendre compte non seulement de la manière dont ils contribuent aux phénomènes sociaux, mais également de documenter leur propre perspective sur ces phénomènes (Erica Fudge). On retrouve la thématique du « point de vue animal », récemment popularisée en France par Éric Baratay (qui n’est étonnamment pas cité ici), et qui est au cœur de l’épistémologie actuelle des animal studies. « What was it like to be a cow? » s’interroge ainsi E. Fudge. Rhoda Wilkie et Jocelyne Porcher lui apportent deux réponses différentes : là où la première définit l’animal d’élevage comme une « sentient commodity », dans une perspective d’objectification, la seconde insiste au contraire sur la nécessité de penser son rapport au travail comme une possibilité de subjectivation. La troisième partie de l’ouvrage, « Animals as objects in science, food, spectacle, and sport », est exclusivement dédiée à l’examen des diverses formes de « commodification » des animaux. Cette partie est clairement abordée sous l’angle éthique bien plus que dans une approche descriptive des différentes pratiques dont il est question − l’expérimentation animale (Bernard Rollin), l’élevage et la consommation de produits animaux (Paul Thompson), les parcs zoologiques (Randy Malamud) et la chasse (John Vucetich et Michael P. Nelson). Sans surprise, ces pratiques sont toutes largement condamnées, ce qui questionne quelque peu sur la délimitation de l’objet de ce manuel. L. Kalof mentionne en introduction la parution en 2011 d’un Oxford handbook of animal ethics, coordonné par Tom L. Beauchamp et Raymond G. Frey, indiquant de potentielles zones de recoupement entre les deux ouvrages. La lecture de cette troisième partie (à l’exception de la contribution de Mike Michael, qui s’inscrit dans une approche plus descriptive) ne fait rien pour clarifier la distinction et renforce l’impression d’une intrication « évidente » entre éthique animale et animal studies. La quatrième partie, « Animals in cultural representations », ne contient que deux articles, dont l’un poursuit sur la lancée éthique en interrogeant la place des animaux dans l’art contemporain (Joe Zammit-Lucia). La seconde analyse la manière dont le folklore (fables, contes, populaires ou religieux) autorise de penser les rapports aux animaux sur un mode moins anthropocentré que la philosophie ou la science (Boria Sax). La cinquième et dernière partie, « Animals in ecosystems », traite de la coexistence entre humains et animaux en termes écologiques. Deux disciplines, l’archéozoologie (Juliet Clutton-Brock), et l’écologie scientifique (Anita Guerrini), sont présentées comme ayant apporté des contributions majeures à la compréhension des interactions complexes entre différentes espèces animales, leurs habitats et les activités humaines. L’impact de ces dernières sur les animaux est étudié à travers les exemples du tourisme animalier (Jane Desmond) ou de l’urbanisme (Marcus Owens et Jennifer Wolch). Dans les deux cas, les auteurs décrivent les possibilités concrètes de concilier les intérêts humains et ceux des animaux (le design et la planification urbaine interspécifique30 et le tourisme animalier « extrême »31). La notion de « commensalité » est mise en avant par Terry O’Connor pour illustrer ces situations de coexistence pacifiée entre humains et animaux. Une pacification dont Stephen Clark soutient qu’elle est l’horizon de toute pensée religieuse. Dans sa contribution conclusive, Clark examine les rapports entre animaux et religions et suggère que, si les religions sont bien des chevilles ouvrières de la distinction entre humains et animaux, la religiosité suppose néanmoins un décentrement de l’individu humain vis-à-vis de lui-même et invite à la considération fraternelle de toute forme d’altérité.
Le lecteur averti souhaitant être au fait de l’état actuel des animal studies trouvera son compte dans ce handbook, qui donne à voir les valeurs partagées par cette communauté, ses centres d’intérêt, ses implicites et les controverses qui l’agitent. Pour autant, ce portrait est bel et bien un instantané, pris sur le vif, avec trop peu de distance critique et de réflexivité. On regrettera, par exemple, que l’ouvrage ne retrace pas l’histoire des animal studies en tant que domaine, et encore moins de cartographie institutionnelle (les cursus existants) et éditoriale (les revues majeures du domaine). Une telle mise en perspective aurait eu l’intérêt de montrer que l’association entre animal studies et éthique animale s’est construite progressivement (la revue Anthrozoös, un des premiers sites éditoriaux dédiés à ce domaine de recherches, n’affiche pas d’objectif normatif) et aussi qu’elle n’est pas nécessairement partagée actuellement par tous les chercheurs qui travaillent sur les rapports humains-animaux. De plus, cette prévalence de la dimension éthique amène à rendre peu visible une part importante des travaux des animal studies, très largement empiriques, et qui informent sur la réalité des rapports humains-animaux. Or, l’originalité des animal studies repose aussi sur ces nouvelles recherches qui tentent de rendre compte de la coexistence actuelle entre l’espèce humaine et les autres. Il faut dire que les animal studies se sont nommées un temps « human-animal studies », et que depuis quelques années, la terminologie ne retient que la dimension « animale » de l’objet. Cette évolution est explicitement liée à une volonté morale de comprendre ce que sont les animaux pour mieux les respecter. La deuxième partie de l’ouvrage est symptomatique de cette évolution puisqu’il y est question de caractériser les animaux, leurs capacités, indépendamment de leurs rapports aux humains. Cette focale exclusive sur les animaux surprend le lecteur, d’autant qu’elle s’accompagne d’une absence de réflexion sur les humains en relation avec les animaux. La critique de l’anthropocentrisme, qui structure l’ouvrage, justifie-t-elle de s’affranchir d’une interrogation sur l’anthropos ? À ce titre, la quasi-absence d’approches anthropologiques apparaît problématique, alors même que l’anthropologie n’a pas attendu le développement des animal studies pour produire quantité de recherches sur les rapports aux animaux dans différentes cultures. Le caractère ethnocentré de l’ensemble de l’ouvrage saute par ailleurs aux yeux : on ne parle que de contextes occidentaux et on fait de la gestion des chiens errants, des zoos, de l’élevage industriel et de l’expérimentation animale les archétypes des problèmes moraux et politiques relatifs à la condition animale. Ce manque de dimension comparative et de contextualisation étonne, à nouveau. De la même façon, que penser de la place si faible réservée aux animaux dans les représentations culturelles (troisième partie), alors que les recherches sur la question sont nombreuses ? En définitive, ce manuel n’atteint que partiellement ses objectifs. Reflétant la fragilité identitaire d’un domaine qui cherche à se consolider, il donne une vision partielle de ce que sont les animal studies. Sur le plan formel, le volume ressemble plus à un ouvrage collectif, où chaque contributeur défend une approche particulière, qu’à un manuel à destination d’un public non initié.
Jérôme Michalon
(CNRS, UMR5206 Triangle, Lyon France)
jerome.michalon@ens-lyon.fr
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Derrière l’effectif, c’est le travail des éleveurs mais aussi la dynamique d’agrandissement, bien souvent méconnue, qui déterminent des choix techniques, des simplifications. Voir Dedieu et Servière, 2012. Vingt ans de recherche-développement sur le travail en élevage : acquis et perspectives, Inra Productions animales, 25, 2, 85-100.
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Guichard L., Dedieu F., Jeuffroy M.-H., Meynard J.-M., Reau R., Savini I., 2017. Le plan Ecophyto de réduction d’usage des pesticides en France : décryptage d’un échec et raisons d’espérer, Cahiers Agricultures, 26, 1, 1-12, https://doi.org/10.1051/cagri/2017004. Fares M., Magrini M.B., Triboulet P., 2012. Transition agroécologique, innovation et effets de verrouillage : le rôle de la structure organisationnelle des filières, Cahiers Agricultures, 21, 1, 34-45, https://doi.org/10.1684/agr.2012.0539.
Richard White et William Cronon écrivent l’histoire de certaines régions américaines sous l’angle du changement écologique avec une narration qui rend impossible la séparation entre l’homme et son environnement. Voir Cronon W., 1983. Changes in the land: Indians, colonists and the ecology in New England, New York, Hill and Wang. White R., 1983. The roots of dependency. Subsistence, environment, and social change among the Choctaws, Pawnees and Navajos, Lincoln, University of Nebraska Press.
Il peut s’agir de la political ecology, qui provenant de la géographie, ne cesse d’influencer les approches de science politique (Gautier D., Benjaminsen T. [Eds], 2012. Environnement, discours et pouvoir. L’approche Political Ecology, Versailles/Paris, Quæ/Cirad ; Castro-Larrañaga M.V., 2009. Nouvelles questions, nouveaux défis : réponses de la « political ecology », Natures Sciences Sociétés, 17, 1, 12-17) et plus encore de la Green political theory qui permet de reconfigurer les enjeux politiques à partir de la question environnementale (Dobson A., Eckersley R. [Eds], 2006. Political theory and the ecological challenge, Cambridge, Cambridge University Press ; Dobson A., Semal L., Szuba M., Petit O., 2014. Andrew Dobson: trajectories of green political theory. Interview by Luc Semal, Mathilde Szuba and Olivier Petit, Natures Sciences Sociétés, 22, 2, 132-141, doi:10.1051/nss/2014021)
Pour l’histoire environnementale, voir Quenet G., 2014. Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Paris, Champ Vallon, qui n’est étrangement pas cité dans cette thèse, pas plus que Blanc G., 2015. Une histoire environnementale de la nation. Regards croisés sur les parcs nationaux du Canada, d’Éthiopie et de France, Paris, Publications de la Sorbonne. Quenet et Blanc représentent ce courant plus sociopolitique de l’approche environnementale.
Dans sa thèse de doctorat, qui alimentera ses livres, G. Sainteny avait méticuleusement reconstruit les évolutions, successions, ruptures, de ces protopartis écologistes. Voir Sainteny G., 1992. La constitution de l’écologisme comme enjeu politique en France. Mobilisation des ressources et stratégie des acteurs. Thèse de doctorat en science politique, Paris, Université Paris I. Et aussi Bennahmias J.-L., Roche A., 1992. Des Verts de toutes les couleurs. Histoire et sociologie du mouvement écolo, Paris, Albin Michel.
Encore faut-il insister sur la critique radicale qu’il professe, un peu seul, contre la société moderne, en s’appuyant sur les exemples les plus criants des impasses de notre développement, comme la question nucléaire. Voir Fournier P., Fournier D., 2003. Carnets d’avant la fin du monde, Paris, Buchet-Chastel.
Il s’agit d’un urbanisme qui intégrerait la présence animale dans la planification urbaine, en prenant en compte les exigences biologiques et éthologiques des espèces animales, et en leur reconnaissant un rôle écologique fort dans le fonctionnement de la ville, vue comme un écosystème. Cet urbanisme permettrait également des occasions d’interactions entre humains et animaux.
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018
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