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Journal
Nat. Sci. Soc.
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2025033
Published online 14 July 2025

© J. Lenglet et S. Lardon, Hosted by EDP Sciences

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

Ces dernières années, le mouvement d’institutionnalisation des sciences et démarches participatives a notamment été marqué par la publication du rapport Houllier (Houllier et Merilhou-Goudard, 2016), reconnaissant à la fois l’actualité et la pertinence de ces approches. Signée par la suite par une trentaine d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, la Charte nationale des sciences et recherches participatives1 consacre un certain nombre de valeurs partagées et de principes déontologiques relatifs à leur mise en œuvre. Elle définit également plusieurs critères de réussite, parmi lesquels l’accompagnement des acteurs et l’ouverture à la société civile. Les acteurs, habitants et citoyens, n’ont néanmoins pas attendu cette reconnaissance pour s’engager auprès des équipes de recherche, comme en témoignent les nombreuses innovations sociales (Klein et Harrisson, 2006), projets et démarches participatives ayant vu le jour sur le terrain (Torre et Vollet, 2015). Dans certains domaines comme la gestion de l’eau, les chercheurs agrègent et synthétisent les apports de nombreuses expériences de participation conduites dans des contextes géographiques et méthodologiques variés, travaillant la place de l’acteur territorial dans les processus de conception et de décision (Hassenforder et Ferrand, 2021, Hassenforder et al., 2020, Barataud et al., 2018). Certains auteurs proposent de manière encore plus approfondie un cadre afin de mettre en œuvre une co-ingéniérie de la participation, en amenant les acteurs à s’impliquer plus en amont dans une réflexion sur la participation même (Hassenforder et al., 2021, Seguin et al., 2021, Daniell et al., 2010).

Ces démarches doivent néanmoins être adaptées aux contextes spécifiques de chaque territoire. Il est nécessaire de prendre en considération les dynamiques préexistantes, les ressources locales et les besoins des acteurs afin d’assurer la pertinence et la faisabilité des démarches. Chaque territoire présente des dynamiques propres et la conduite d’une démarche participative correspond à un temps spécifique où les acteurs sont à la fois parties prenantes et contributeurs à un collectif, souvent éphémère. Ils sont également bénéficiaires de ce dernier, lequel peut entraîner des effets d’apprentissage mais aussi des changements de posture (Zask, 2011) ou leur renforcement. Les démarches participatives contribuent à développer des compétences chez les habitants, à la fois d’ordre technique mais également civil, en renforçant leur capacité de compréhension et de positionnement sur les questions publiques. Ces apprentissages peuvent être réinvestis dans la création d’associations, d’initiatives collectives favorisant ainsi l’émancipation et la transformation des pratiques instituées. Par la mobilisation de ces différents leviers, la mise en œuvre d’une démarche participative peut favoriser les dynamiques de transition en façonnant des projets adaptés aux particularités locales et aux besoins des acteurs territoriaux ainsi qu’en renforçant les capacités d’action et d’émancipation de ces derniers.

Il est entendu que les territoires peuvent être des espaces privilégiés pour l’émergence de projets alternatifs et de dynamiques de transition ; la diversité des situations, des ressources et des modes d’organisation étant propice à l’expérimentation. Du point de vue de la recherche, accompagner ces processus et formaliser des trajectoires adaptées aux enjeux et aux capacités des acteurs à « faire ensemble » demandent un renouvellement ou une adaptation des démarches collectives (Baret et Antier, 2021). Ces dernières doivent être transversales et systémiques, multi-acteurs et multiniveaux, tout à la fois spécifiques aux territoires et génériques dans leur portée. Les démarches participatives sont des outils précieux pour initier ou accompagner les dynamiques de transition au niveau territorial en ce qu’elles « permettent tout à la fois de comprendre et d’accompagner des changements » (Amblard et al., 2018). La transition écologique comme processus de modification profonde des modes de production, de consommation et de gouvernance est amenée à générer un certain nombre de tensions entre parties prenantes (par exemple, Allen et al., 2017). C’est parce qu’elle mobilise de nombreuses formes de savoirs articulées – knowledge architecture, pour Oliver et al. (2021) – que la conduite de la transition trouve dans les démarches participatives un appareillage méthodologique propice, aujourd’hui reconnu (EEA, 2023).

Un précédent dossier publié dans Natures Sciences Sociétés (Chlous et al., 2017) pose la question de la place des recherches participatives dans la production des savoirs liés à l’environnement. La diversité des expériences relatées et analysées permet de soulever de nombreuses questions quant à la « figure imposée » que peut revêtir la participation, à plus forte raison dans le champ environnemental. Si ce dossier pose des questions propres à la production des données et des connaissances naturalistes, les contributions permettent également d’éclairer plus largement la manière dont ces recherches sont conduites : les partenariats à construire entre les chercheurs et les acteurs ou communautés locales, la transparence méthodologique ou encore la posture du chercheur. Par exemple, sont interrogés les effets d’éviction de certains acteurs de projets de recherche participative (Contamin et al., 2017) ou encore la relation chercheur-acteur, parfois dans le cadre d’expérimentations de déconstruction radicale du processus de participation (D’Aquino et al., 2017). Le dossier présenté ici propose de prolonger la réflexion en élargissant l’horizon thématique, mais également en portant un regard plus spécifique sur les enjeux méthodologiques et la capacité transformative des démarches participatives. Il invite à un exercice réflexif faisant de la démarche participative elle-même un objet de recherche (Gillet et Tremblay, 2017).

Enfin, souvent absente dans la littérature scientifique, la formation peut également jouer un rôle clé dans la construction et la mise en œuvre de la participation. Les démarches participatives de recherche-formation-action peuvent notamment apparaître comme des leviers pour accompagner les transitions territoriales (Lardon et al., 2015). En croisant les savoirs locaux, scientifiques ou experts avec les enjeux de formation (académique ou professionnelle), ce type de démarche permet une montée en compétences collective et favorise une meilleure articulation entre initiatives locales et politiques publiques. L’implication d’une diversité d’acteurs, y compris les habitants, les institutions, mais aussi les étudiants, apparaît comme une force pour la coconstruction de projets de territoire.

Si le champ thématique et méthodologique de la participation dans le cadre de projets de recherche est aujourd’hui bien structuré, il continue néanmoins de soulever de nombreuses questions, en particulier sur la capacité de ces démarches à entraîner des changements mesurables sur le long terme. Comment les démarches à visée transformative sont-elles conçues et mises en œuvre collectivement dans la relation chercheur-acteur ? À quelles difficultés de mise en œuvre font-elles face ? Quelles sont les étapes obligées ? À quelles conditions peut-on dépasser les verrous ? Quels sont également les facteurs de réussite identifiés dans les projets ? Qui sont les acteurs clés qui contribuent à la cohérence des trajectoires ? Ainsi, nous proposons une lecture transversale des contributions de ce dossier au regard de trois hypothèses : 1) le recours à des objets spatiaux intégrateurs, tels que les forêts, les villages ou l’agriculture urbaine, constitue une stratégie efficace pour engager les acteurs locaux et rendre visibles les transformations territoriales, 2) la formalisation d’un itinéraire méthodologique spécifique et partagé entre les chercheurs et avec les acteurs est une clé d’appropriation et d’ajustement du processus et 3) la relation chercheur-acteur doit être explicitée pour garantir la légitimité de la démarche.

Récits d’expérimentations participatives et méthodologiques

Les articles qui composent ce dossier permettent d’appréhender ces questions par une mise en récit originale des expériences mises en œuvre par les chercheurs. Revenant sur des démarches participatives ou des projets de recherche-action conduits dans des contextes institutionnels, partenariaux et territoriaux très différents, les auteurs proposent un regard réflexif sur la place du chercheur dans le dispositif et sur les difficultés de mise en œuvre. L’analyse croisée de plusieurs de ces articles révèle aussi les enjeux et les diverses modalités de la coconstruction de démarches participatives comme levier pour accompagner les transitions territoriales. Ces contributions sont ancrées dans des réalités de terrain variées, mettent en lumière des aspects allant de la valorisation des produits locaux à l’aménagement du territoire, en passant par la gouvernance des transitions écologiques. Les expériences relatées, par la diversité de leurs méthodologies, de leurs approches critiques et comparatives, permettent de discuter les hypothèses évoquées ci-dessus et de mettre en évidence les nouveaux enjeux des démarches participatives dans un contexte de transition territoriale.

Dans leur article, Sylvie Lardon, Jonathan Lenglet et leurs coauteurs examinent le rôle des démarches participatives dans les transitions territoriales sur la base d’une approche hybride, combinant deux dispositifs méthodologiques. À travers le récit d’une recherche-action, ils analysent la manière dont ces outils peuvent aider les acteurs territoriaux à initier des projets de transition écologique, économique et sociale en contexte forestier. La recherche relatée s’ancre sur trois terrains en France métropolitaine : le Pays d’Épinal Cœur des Vosges, le Parc national de forêts et le parc naturel régional du Haut-Languedoc. La comparaison de ces territoires, contrastés au niveau institutionnel, politique, climatique et géobiologique, permet une analyse croisée des ressorts de la participation au sein d’un même projet. L’originalité méthodologique repose sur l’hybridation de la démarche participative qui combine, d’une part, le jeu de territoire, visant à construire une vision partagée des dynamiques territoriales et à impliquer les acteurs dans des actions collectives, et, d’autre part, l’approche living lab, qui favorise la coconstruction de solutions innovantes en intégrant les futurs utilisateurs au début du processus de conception. Cette approche hybride permet notamment une spatialisation collective des besoins exprimés par les acteurs territoriaux à travers deux médiateurs : la carte et la forêt. En explicitant l’itinéraire méthodologique du projet, les auteurs mettent en évidence le rôle de la formation dans les interactions entre chercheurs et acteurs territoriaux, mais également le caractère incrémental de la démarche, adaptée chemin faisant. Ils soulignent que la démarche participative favorise l’engagement des acteurs, l’appropriation des enjeux et la formalisation d’actions partenariales concrètes. Néanmoins, la démarche rencontre des limites, notamment des difficultés à mobiliser les acteurs sur le long terme, la complexité de la transmission des résultats et de la pérennisation des actions, soulignant le besoin d’un accompagnement continu. Bien que les auteurs relèvent un effet facilitant sur les dynamiques territoriales et la capacité des acteurs à interroger les modalités de l’action publique, ils pointent également la difficulté à évaluer le potentiel transformateur de la démarche participative. L’article met ainsi en avant la nécessité d’expliciter la démarche, de l’articuler avec la formation et d’adapter les dispositifs institutionnels pour soutenir les transitions territoriales.

Dans leur contribution, Giulia Giacché et Christine Aubry formalisent l’accompagnement et l’outillage nécessaires au développement de projets d’agriculture urbaine. Elles testent la coproduction de connaissances partagées avec les acteurs du territoire comme levier pour déclencher des processus collectifs et concertés de développement territorial associé à cette pratique. L’étude s’appuie sur les expériences du bureau de recherche et d’expertise en agriculture urbaine (Exp’AU), créé en 2015 au sein de l’unité mixte de recherche SAD-APT (INRAE, AgroParisTech). Exp’AU intervient sur commande auprès des collectivités territoriales pour coconstruire des scénarios adaptés à leurs territoires. L’article propose une prise de recul sur les processus d’apprentissage mutuel dans le cadre de ces missions. À travers le développement d’une méthode d’accompagnement à la définition des projets en agriculture urbaine, METH-EXPAU, les autrices présentent et analysent un itinéraire méthodologique formalisé et réplicable, structuré en trois étapes : diagnostic territorial (étape de coconstruction des connaissances avec les acteurs territoriaux), définition de la gamme des possibles et sélection des procédures adaptées pour la mise en place des projets. Cette méthode est aujourd’hui synthétisée en un guide opérationnel à destination des porteurs de projet. Le récit de cette coconstruction est éclairant et souligne, par exemple, que la démarche favorise l’appropriation des enjeux par les acteurs, bien que les contextes puissent être très différents (métropole, petite ville, quartiers prioritaires de la politique de la ville, etc.). L’article rend également compte des difficultés rencontrées lors du déploiement de la méthode (recueil des données de diagnostic, existence de référentiels stables) mais également quant à la pérennité du dispositif, très largement dépendante de l’implication de l’équipe du bureau de recherche et d’expertise, et donc des moyens apportés via le dispositif Exp’AU.

Dans son article, Sabine Girard évalue une expérimentation de mini-public délibératif pour la révision du plan local d’urbanisme de Saillans, une commune de la Drôme. Elle met en évidence l’intérêt du couplage de la sortition2 et de la délibération, pour gouverner de façon plus démocratique les transitions socioécologiques sur le territoire. Malgré des imperfections et des difficultés de mise en œuvre pointées par l’autrice, le dispositif a permis de créer des conditions favorables à une politisation à différentes échelles. Tout d’abord, S. Girard relève un effet de politisation au sein de la population, par le développement des compétences politiques d’une partie des participants : des groupes autonomes d’habitants se sont autosaisis de certains problèmes, proposant des solutions adaptées au contexte local. En donnant à voir le fonctionnement des arènes politico-administratives, le dispositif a permis aux participants de mieux appréhender le cadre normatif ainsi que les marges de manœuvre dans lesquels s’inscrivent les prises de décision locales. Les participants ont pu interroger les pratiques instituées – notamment exiger davantage de transparence en amont des processus de décision – et requérir des explications sur le bien-fondé de certaines règles. Le dispositif a permis une prise de conscience des rapports de force et des jeux de pouvoir entre la commune et l’État. Les intérêts et les enjeux ainsi révélés ont conduit à une reconfiguration des alliances entre groupes sociaux.

Enfin, Luciano Copello et Sylvie Lardon restituent une expérience où les chercheurs, par leur intervention, ont induit de nouvelles relations ville-village dans le district de Tandil, une province de Buenos Aires, en Argentine. Leur contribution met en récit une démarche prospective innovante entre société civile et acteurs institutionnels. En adoptant une posture risquée de chercheurs embarqués dans l’action, ils déploient une même démarche en la reproduisant dans les différents villages afin de faire émerger de nouveaux projets. Une des conditions mises en place pour les acteurs participants est d’opérer un changement d’échelle dans leurs réflexions, de leur village à l’ensemble du district, et ainsi de faire le pari d’intéresser tout autant les habitants des villages que les acteurs institutionnels du district, voire les acteurs nationaux et internationaux. Il s’agit de provoquer des interactions entre les villages et la ville, en mettant en relation des acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et qui découvrent à cette occasion une nouvelle façon de coopérer, notamment avec la recherche. Le travail de prospective constitue alors un premier apport au développement territorial. Les auteurs relèvent que l’expérience a bénéficié de deux conditions favorables. D’une part, elle s’inscrit dans une démarche de recherche-formation-action, où la formation est un élément central du processus, l’enrichissant par le double apport de la recherche et de l’action et par le partage des connaissances et des compétences entre les participants. D’autre part, elle contribue, au niveau international, aux regards croisés sur les processus d’apprentissage collectif, tant pour acquérir des connaissances sur les nouvelles dynamiques impulsées à l’échelle territoriale que pour produire une méthode réplicable pour les villes et leurs espaces ruraux proches.

L’intérêt de formaliser itinéraire méthodologique adapté

La diversité des acteurs parties prenantes, la pluralité des activités et l’hétérogénéité des espaces concernés rendent complexes les situations observées. Ceci demande d’articuler les processus de partenariat, de participation et d’observation au sein d’un appareillage méthodologique cohérent (Lardon et al., 2018). Ce cheminement ou « itinéraire méthodologique » (Houdart et Lardon, 2022) rend compte de la démarche de recherche-action et de son caractère itératif. Il en restitue sans pudeur les succès et les échecs. L’itinéraire « [articule] différentes méthodes de traitement des informations, mais aussi de mobilisation des acteurs, autour de la production de représentations spatiales, pour construire progressivement une vision partagée et stratégique du territoire » (Lardon et Piveteau, 2005, p. 77). Dans les quatre articles de ce dossier, la formalisation de la méthode opère une mise en récit réflexive des expériences participatives et apparaît autant comme un prérequis que comme une finalité de la recherche-action.

La démarche relatée par Sylvie Lardon, Jonathan Lenglet et leurs collègues pour accompagner les territoires forestiers rend compte, par exemple, des effets de synergie ou des contraintes et blocages qui ont contribué à modeler l’itinéraire méthodologique. Le récit témoigne également de l’importance de la formalisation de la méthode, chemin faisant, et du recours à des outils de visualisation afin de mettre cette dernière en débat au sein du collectif de recherche. Cette formalisation permet en outre d’éviter le biais courant consistant à ne pas relater les échecs, voire les errances, pourtant consubstantiels à la conduite de projets de recherche-action et qui concourent à l’adaptation des outils, méthodes et postures. D’une autre manière, pour accompagner des projets d’agriculture urbaine, G. Giacché et C. Aubry expliquent comment la formalisation de l’itinéraire méthodologique a permis d’initier des étapes clés dans le déroulement de la démarche, en particulier lors de la phase de diagnostic de territoire. Celui-ci est structuré en trois thématiques prioritaires associées à trois échelles géographiques : évaluation agronomique et technique à l’échelle de la parcelle, analyse du contexte sociospatial à l’échelle du quartier, étude des dynamiques agri-alimentaires à l’échelle du territoire. Le diagnostic débouche sur la production de cartographies sur la base desquelles les acteurs peuvent exprimer des besoins et faire ressortir leur dimension spatiale. C’est à la fois le travail de coconstruction avec les acteurs et l’articulation des différentes étapes de la méthode a posteriori qui permettent le transfert, lequel se matérialise au sein du guide METH-EXPAU, accompagné de sa boîte à outils. Dans ce cas également, l’itinéraire méthodologique et le récit de son élaboration enrichissent la démarche. L’itinéraire méthodologique explicité par L. Coppello et S. Lardon a, quant à lui, fait l’objet de plusieurs innovations pour s’adapter aux spécificités du terrain argentin (culture, dynamique des acteurs, esprit d’entreprise…) afin de provoquer de nouvelles relations entre la ville de Tandil et ses villages périphériques. À l’occasion d’événements villageois associant une importante diversité de participants (habitants, producteurs, élus), les ateliers participatifs ont permis d’identifier les projets de chaque village, qui ont ensuite été repris au sein de fiches de synthèse. En mobilisant de nombreux outils et représentations (jeu de territoire, carte sociale, chorématique), les participants ont été amenés à dessiner collectivement des cartes reflétant la vision actuelle et future de leur territoire, ainsi que les changements en cours. Les productions ont mis en évidence l’importance de certains liens à l’échelle du district, comme l’amélioration des accès aux villages et la création d’un corridor touristique. Le recours à ces outils visuels rend préhensibles des questions complexes comme celle de l’intégration urbain-rural. Il permet d’identifier collectivement les principes organisateurs de l’espace et de structurer un diagnostic territorial à travers quatre registres de questionnements systémiques : les champs thématiques, les échelles et leur articulation, les interactions spatiales entre sous-systèmes et les dynamiques temporelles (Lardon et Piveteau, 2005). Les quatre articles du dossier mettent en évidence l’importance de combiner différentes méthodes de traitement des informations et de mobilisation des acteurs pour construire une vision partagée et stratégique du territoire, à la fois dans le cadre de projets de recherche à visée technique et dans le cas d’expérimentations citoyennes délibératives. Un itinéraire méthodologique formalisé ou une mise en récit de ce dernier peut ainsi constituer un « objet intermédiaire » (Vinck, 2009), tantôt objet, tantôt sujet de la démarche participative. Il permet également un travail réflexif a posteriori.

Des objets spatiaux intégrateurs

La démarche participative doit avant tout avoir du sens pour chacun des acteurs concernés. Des objets spatiaux, tels que la forêt, les villages, l’eau ou l’agriculture urbaine, peuvent jouer le rôle « d’intégrateurs ». À travers eux, les transformations des territoires sont rendues visibles (Caron et al., 2017) pour les habitants, les citoyens, les acteurs institutionnels et les décideurs publics (Lardon, 2020 ; Lardon, 2024). Ces objets jouent un rôle de médiation entre les participants et aident à combiner les dimensions matérielles, immatérielles (identité) et organisationnelles (réseaux) du développement territorial (Di Méo, 1998). Ils concrétisent les modalités d’intervention sur le terrain autour d’objets qui ont du sens pour les acteurs : s’appuyer sur des objets spatiaux intégrateurs facilite ainsi leur engagement Ces objets déplacent le questionnement vers des réalités concrètes et identifiables, favorisant ainsi la convergence des préoccupations et la coconstruction de nouveaux communs territoriaux. Articulant un ensemble de pratiques et de techniques spécifiques, ils revêtent une matérialité propre et permettent d’aborder des questions complexes comme l’adaptation des territoires aux mutations socioéconomiques et climatiques. Ils favorisent l’articulation entre le local et le global dans des territoires de vie (Latour, 2017), qui sont autant de lieux de mise en œuvre de projets permettant d’hybrider les mondes (Gwiazdzinski, 2016). La forêt, par exemple, déplace le questionnement vers des réalités observables par les acteurs (mortalité des arbres, changement des paysages). Elle se révèle être un vecteur pour créer de nouveaux communs3 (Lenglet et al., 2023), même dans un territoire où les dynamiques forestières sont contrastées voire controversées, en impliquant une large diversité d’acteurs autour de la question de l’évolution de leurs forêts. L’agriculture urbaine apparaît également comme un objet intégrateur, levier de la transition écologique et alimentaire des villes, mais également outil d’éducation et de sensibilisation.

Il ressort de l’ensemble des contributions que le territoire lui-même tient lieu d’objet intégrateur, à la fois cadre d’action, d’intervention et objet d’investigation. C’est, par exemple, le cas du district de Tandil qui incarne un territoire avec une organisation sociospatiale spécifique (une ville centrale entourée de villages périphériques) et une volonté politique de renforcer les liens entre la ville et les villages, ces derniers étant considérés comme des centres principaux de sociabilité. Pour les projets d’agriculture urbaine présentés par G. Giacchè et C. Aubry, ce sont trois types d’objets à trois échelles différentes, la parcelle, le quartier et le territoire, qui sont les supports de la collecte des données et qui cristallisent « la participation des acteurs tout au long de la phase du diagnostic, depuis le partage des informations jusqu’à la définition des priorités d’action, permettant une meilleure acceptabilité de ces projets, voire, une meilleure pérennité de ces projets ». Pour S. Girard, ce sont les attachements territoriaux à certains paysages, patrimoines bâtis ou faits culturels qui jouent un rôle central dans les processus de définition de l’intérêt général et comme source de motivation et de savoirs expérientiels. Ceci prend corps à travers la démarche de révision du plan local d’urbanisme de la commune de Saillans qui tient lieu d’objet de médiation entre les élus, le mini-public délibératif et le grand public. Le détour par les conséquences concrètes du projet sur la vie et les activités des habitants permet de nourrir des questionnements éthiques et politiques plus larges.

Une articulation chercheur-acteur

Aux côtés des acteurs du territoire, le chercheur joue un rôle central dans les démarches participatives, en apportant des ressources, une expertise et une capacité d’accompagnement sur le long terme. Il ne se limite pas à une fonction d’observateur neutre, car il peut aussi agir comme facilitateur ou acteur de la transition (Barataud et al., 2018 ; Blondiaux et al., 2017). Cette posture n’est, bien sûr, pas sans soulever la délicate question de la légitimité des démarches en raison de la place et du parti pris – du moins de l’effet correctif – du chercheur sur les asymétries de pouvoir (Barnaud, 2013). Ainsi, le rôle du chercheur dans les démarches participatives s’avère multiple : il peut être traducteur, synthétiseur ou médiateur. Il assume une diversité de postures, de l’auto-ethnographie à l’innovation managériale (David, 2013), prenant plus ou moins de risques dans son engagement et impliquant plus ou moins son institution (Fragnière, 2022). Rémi Barré et Marcel Jollivet (2023) formalisent, par exemple, les risques de l’interdisciplinarité et de la recherche participative pour répondre aux enjeux de transition écologique et sociale, notamment à travers la prise en compte explicite de la complexité et, dans le même temps, le besoin de contribuer à des actions finalisées. Ils appellent à une réflexion sur ses fondements pratiques et épistémiques de la participation.

Le chercheur peut aider à initier de nouvelles dynamiques territoriales, faciliter le dialogue, stimuler la réflexivité et assurer la pérennité du projet. Il aide les acteurs à naviguer entre les échelles, à identifier les participants clés et à transformer les connaissances en actions concrètes. Le dispositif de jeu de territoire, mis en œuvre à plusieurs reprises dans le cadre des terrains présentés dans ce dossier (voir dans ce numéro Lardon, Lenglet et al. ; Copello et Lardon), intervient comme un espace de réflexion collective auquel participent à la fois élus et acteurs locaux, accompagnés par les chercheurs. Il arrive que le jeu se prolonge par une prise de décision politique comme cela a été le cas dans le district de Tandil. La méthode METH-EXPAU met en évidence le rôle triple du chercheur-formateur-acteur et l’illustre en affichant clairement les objectifs scientifiques avec les acteurs de l’agriculture urbaine. Cette clarification favorise une meilleure implication des acteurs et facilite le dialogue entre chercheurs et décideurs. Le dispositif de mini-public délibératif testé à Saillans, étudié par S. Girard, formalise, quant à lui, plus concrètement la participation conjointe des élus et des citoyens, accompagnés par un chercheur avec la posture inédite de « chercheur-élu », à une instance de décision, avec les limites qui ont été précisées, dans le portage d’un projet politique. Ainsi, la participation est assurée dans sa double dimension, participation des acteurs « politiques » au sens large, porteurs du projet, et participation des acteurs locaux, directement mobilisables au sein des territoires de projet (Barnaud et al., 2016).

Les partenariats associant chercheurs et acteurs territoriaux décrits dans ce dossier permettent la coproduction de connaissances scientifiques, « actionnables » aussi bien à l’étape du diagnostic que de la mise en œuvre d’actions ou la révision de documents de planification. Les récits démontrent que le rôle des équipes de recherche ne se résume pas à un apport de connaissances scientifiques, mais également de pratiques de la transversalité. Le mode du partenariat, plutôt que du contrat, offre une approche plus flexible et innovante, favorisant l’expérimentation et la réflexivité des acteurs. Enfin et plus pragmatiquement, la présence d’un chercheur sur le terrain apporte des ressources financières pour expérimenter et confère une forme de légitimité (à double tranchant) aux projets locaux. Cela permet un apport de financements (pas toujours sollicités) et offre une expertise (acceptée ou non) en facilitant l’intervention de spécialistes, notamment en milieu rural.

Le dossier illustre le fait que l’articulation chercheur-acteur se fonde sur une collaboration active et une coconstruction des démarches de participation. Le chercheur, loin d’être un simple observateur, intervient dans le processus, facilitant le dialogue, stimulant la réflexivité et assurant la pérennité du projet. Toutefois, la question de son positionnement demeure essentielle. Le chercheur est-il facilitateur ou acteur de la transition ? Son impartialité est souvent discutée, notamment dans le cadre des sciences transformatives qui assument une visée engagée. Afin d’éviter les malentendus et les erreurs de posture, il semble néanmoins essentiel d’expliciter les objectifs de la recherche et les attentes des parties prenantes très en amont. Si la présence des chercheurs sur le terrain ou dans les processus de coconstruction permet d’anticiper certains besoins des acteurs et de structurer les projets, elle peut aussi générer des tensions, par exemple, si les résultats attendus tardent à se concrétiser. Il s’agit d’inventer conjointement les territoires de demain (Lardon et Vergnaud, 2019), dans un partenariat fort entre chercheurs et acteurs (Torre et Vollet, 2015), pour construire un monde commun et mettre en place les conditions d’une meilleure intégration des connaissances (Béguin et Cerf, 2009).

Références


2

Tirage au sort de groupes restreints de citoyens ordinaires qui s’informent et collaborent pour produire une opinion publique éclairée, à l’intention de décideurs publics.

3

Voir, par exemple, l’atelier « Faire monde commun » qui s’est tenu lors des 14es Entretiens de Bibracte en 2019 (https://grandsite-bibracte-morvan.fr/index.php/fr/une-demarche-partenariale) ou le programme Tronc Commun porté par la 27e région (https://tronc-commun.la27eregion.fr).

Citation de l’article : Lenglet J., Lardon S., 2025. Introduction. Accompagner les transitions territoriales par des démarches participatives : spécificités et enjeux méthodologiques. Nat. Sci. Soc., https://doi.org/10.1051/nss/2025033

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