Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 32, Number 3, Juillet/Septembre 2024
Dossier « L’évaluation des jeux sérieux sur les thématiques agro-environnementales, territoriales et alimentaires »
Page(s) 260 - 278
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2025002
Published online 17 March 2025

© J. Seck et al., Hosted by EDP Sciences

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La mise en œuvre de la transition agroécologique nécessite de renouveler non seulement les modes de construction et de production des connaissances, mais aussi les modalités de partage et de mise en œuvre de ces connaissances (Girard, 2014). Le développement de systèmes agri-alimentaires plus durables engage une diversité d’acteurs (agriculteurs, acteurs des filières, du développement agricole, chercheurs, conseillers, enseignants, etc.) afin qu’ils articulent leurs activités et leurs compétences dans ce sens (Meynard et al., 2013). Dans ce contexte d’incitation aux changements, le nombre de jeux produits pour sensibiliser et former aux questions de durabilité a augmenté ces dernières années. Ils intègrent des enjeux économiques, sociétaux et environnementaux et visent à contribuer à combler l’écart entre les connaissances et les comportements pour inciter les joueurs à devenir acteurs du changement (Haughey et Muirhead, 2005 ; Spanellis et al., 2024).

Dans le domaine de l’agriculture, les jeux sont utilisés pour faciliter les échanges entre agriculteurs et les accompagner vers l’identification de leviers d’action en lien avec leur situation et leur exploitation. L’une des plus-values du jeu est de permettre de simuler un changement technique et de tester ses effets potentiels avant de le mettre en œuvre. Cette fonction est particulièrement utile face à la complexité des interactions agronomiques et écologiques inhérentes aux agrosystèmes. L’agriculteur est amené à faire des choix avec cette complexité et à prendre des décisions, parfois dans l’incertitude des effets à long terme, à différentes échelles (parcelle, ferme, troupeau, territoire…) [Dernat et al., 2023].

Si de nombreux jeux ont été conçus récemment par des acteurs de la recherche agronomique et du développement agricole sur les thématiques agri-environnementales (Dernat et al., 2025), la plupart visent un usage par les chercheurs ou les agriculteurs plus que par les enseignants (Chrétien, 2016). Pour autant, ces outils rencontrent aussi un certain succès dans l’enseignement agricole pour lequel il n’existe pas de références instituées en matière de savoirs agroécologiques ni de savoirs de transition répertoriés dans des manuels scolaires (Chrétien, 2019). Le recours aux jeux dans l’enseignement n’est pas nouveau (Sanchez et Romero, 2020 ; Wilkinson, 2016) mais leur diffusion progresse fortement. Genevois et Leininger-Frézal (2010) indiquent cependant que leur portée didactique et leurs « potentialités » sont inégales du fait notamment du niveau de prise en compte de la complexité dans l’orientation de l’activité de l’usager. Certains travaux montrent des effets positifs sur le changement d’attitude des élèves vis-à-vis d’une notion à enseigner (Smith, 2017). D’autres études nuancent le potentiel intrinsèque du jeu pour mobiliser l’attention des élèves et susciter un changement d’attitude (Seaborn et Fels, 2015). Certains auteurs comme Zheng et al. (2021) montrent leur intérêt pour un public présentant un déficit de l’attention et de l’hyperactivité. Une littérature abondante existe notamment au sujet des effets des jeux numériques (Bado, 2022) sur le comportement des élèves. Notons cependant que si l’usage des jeux numériques et vidéos a fortement augmenté ces dernières années, l’utilisation de jeux de plateau est également en progression car ils permettent aussi d’aborder des questions et des systèmes complexes, et d’engager les joueurs dans l’action (Bayeck, 2020).

D’après Clark Abt (1970), précurseur du concept oxymorique de « serious game », le jeu sérieux ne vise pas le divertissement. En français, le jeu désigne à la fois l’artefact, la situation de jeu et l’action, le fait de jouer (Sanchez et Romero, 2020). Pour éviter l’ambiguïté, nous utiliserons dans cet article le terme « jeu éducatif » pour désigner une ressource qui croise « l’intention sérieuse du concepteur et l’intention ludique du destinataire final pour lequel il le conçoit » (Schmoll, 2011) et ce, indépendamment de la nature de son support, numérique ou physique. Les enseignants peuvent ainsi utiliser des jeux éducatifs pour concevoir et animer leurs cours. Cependant, pour que ces supports deviennent de véritables ressources pédagogiques pour l’enseignant, ils doivent être agencés avec d’autres supports et outils de façon à répondre à un objectif pédagogique (Bourda, 2001). Ainsi, face à la complexité de certains concepts à enseigner, les enseignants doivent adapter l’usage des jeux de manière à les intégrer dans un ensemble plus vaste de ressources et de modalités, ce qui engendre un besoin important d’appropriation, voire de reconception, pour répondre aux objectifs d’apprentissage qu’ils se donnent. Or, la façon dont ces derniers se les approprient et les mobilisent dans leurs pratiques n’est que très rarement examinée et échappe largement aux concepteurs et aux diffuseurs. Des travaux d’ergonomes montrent pourtant que l’appropriation d’un artefact est dépendante des usages potentiels qu’il permet aux utilisateurs (Béguin et Rabardel, 2000 ; Prost et al., 2009 ; Folcher, 2010).

Cet article se propose de contribuer aux réflexions menées pour mieux observer et évaluer les conditions d’appropriation par les enseignants d’un jeu éducatif dont ils ne sont pas les concepteurs. Nous examinons le cas de l’utilisation en lycée agricole du jeu éducatif MYMYX (Mimic mycorrhizal networks).

Présentation de MYMYX

MYMYX est un jeu de plateau qui vise le partage de connaissances autour de la vie du sol. Il constitue un exemple permettant d’illustrer la complexité des enjeux agroécologiques à enseigner autour de la biodiversité du sol et de ses interactions avec les plantes, et plus particulièrement des mycorhizes. Les mycorhizes sont des associations symbiotiques entre la majorité des plantes – 80 % des espèces végétales – et certains champignons présents dans la plupart des sols, les champignons mycorhiziens à arbuscules. La mycorhization est un processus complexe, invisible à l’œil nu qui, pour être compris et mis en œuvre, nécessite d’intégrer différents aspects disciplinaires tels que la physicochimie d’un sol, son activité biologique et l’impact des pratiques agricoles sur ses interactions avec les plantes. MYMYX permet, d’une part, de comprendre ce que sont les mycorhizes et la manière dont les réseaux mycorhiziens se constituent dans le sol, et, d’autre part, d’aborder différentes connaissances essentielles, de la compréhension de l’importance du maintien de la biodiversité dans les sols pour la nutrition et la santé des plantes à la mobilisation de certaines pratiques agricoles qui favorisent ou non le maintien des réseaux mycorhiziens (Seck et al., 2021).

MYMYX a été conçu en 2015 par deux chercheuses INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) [Chave et al., 2019] dans le cadre d’un projet de recherche participatif avec des agriculteurs. MYMYX avait deux objectifs principaux : 1) amener les agriculteurs à prendre des décisions de changement de pratique en prenant en compte les incertitudes liées aux connaissances scientifiques autour des mycorhizes ; 2) favoriser la conception de systèmes de culture qui valorisent les mycorhizes. À l’origine, ce jeu éducatif était constitué de 5 séquences mises en œuvre dans le cadre d’ateliers d’une demi-journée : 1) un quiz ; 2) un temps de transfert des connaissances sur les mycorhizes ; 3) une identification des pratiques agricoles favorisant ou non le développement de réseaux mycorhiziens ; 4) un échange de points de vue sur les freins et leviers agronomiques qui pourraient être mis en place sur l’exploitation des agriculteurs participant à la formation ; 5) une séquence permettant la mise en œuvre d’une stratégie impliquant plusieurs cultures pour le développement de réseaux mycorhiziens grâce à un jeu de plateau.

MYMYX, à l’origine, se composait de différents supports matériels utilisés à chaque séquence (respectivement, un diaporama, des fiches supports A3, des cartes représentant des pratiques agricoles à positionner sur ces supports et un jeu de plateau en bois composés de plusieurs éléments mobiles à positionner (Fig. 1).

Suite à cette utilisation auprès d’agriculteurs, un prolongement du programme de recherche en 2017 a questionné l’appropriation et l’intégration de ce jeu par des enseignants de lycée agricole. Nous nous centrons ici sur une évaluation de l’activité de l’enseignant uniquement du point de vue de l’usage d’un jeu en nous appuyant sur deux approches théoriques. L’une permettant de comprendre l’usage et l’appropriation de MYMYX par les enseignants (Rabardel, 1995a), l’autre permettant une analyse de l’artefact à travers trois dimensions : son utilité, son utilisabilité et son acceptabilité (Tricot et al., 2003). Nous questionnerons in fine la capacité du jeu à être approprié par les enseignants selon l’usage qu’ils en font et en fonction de la manière dont les utilisateurs finaux le transforment pour qu’il puisse être « utile », « utilisable » et « acceptable » et constituer une véritable ressource pédagogique.

thumbnail Fig. 1

Différents supports pour l’utilisation de MYMYX. 1. et 3 : Fiches A3 de support (réalisation : M. Chave, V. Angeon) ; 2. Plateau de jeu (source : Chave et al., 2019) ; 4. Cartes de pratiques agricoles (réalisation : M. Chave, V. Angeon).

Cadre théorique

Genèse instrumentale

Nous avons mobilisé l’approche instrumentale proposée par Rabardel (1995a) pour comprendre l’appropriation d’un artefact (MYMYX) par les usagers, en l’occurrence des enseignants de l’enseignement agricole. L’artefact désigne l’outil qui est proposé à un utilisateur dans le but de réaliser une tâche. Le terme artefact est employé à la place d’outil, car il est « plus neutre » et ne suppose pas de « point de vue technologique » sur les objets utilisés (Rabardel, 1995b). Selon Rabardel (1995a), un artefact devient un instrument quand deux processus sont à l’œuvre : l’instrumentalisation et l’instrumentation.

Le processus d’instrumentalisation concerne la transformation de l’artefact, ici MYMYX, tel qu’il a été conçu initialement. La transformation peut porter sur sa structure, son fonctionnement, etc. De ce fait, le processus d’instrumentalisation rend explicite la reconception d’un artefact à travers l’usage qui en est fait. Le processus d’instrumentation, quant à lui, est relatif au sujet qui s’approprie l’artefact et à l’éventuelle émergence ou transformation des « schèmes d’utilisation » que le sujet développe pour mobiliser, manipuler et orienter l’usage de l’artefact (Rabardel, 1995b). Les schèmes d’utilisation désignent « l’ensemble structuré des caractères généralisables des activités d’utilisation des instruments » (Rabardel, 1995b). Ils permettent ainsi aux sujets, les enseignants, de pouvoir « engendrer les activités nécessaires à la réalisation des fonctions qu’ils attendent de l’usage de l’instrument » (Rabardel, 1995b). L’artefact en tant qu’outil symbolique ou matériel et les schèmes d’utilisation constituent les deux parties d’un instrument. C’est le sujet qui élabore l’instrument.

Combinés, ces processus rendent compte de la façon dont l’usage d’un artefact peut transformer et modifier les représentations du sujet qui l’utilise. Il arrive aussi que l’utilisateur détourne l’artefact de la fonction première pour laquelle il a été conçu (on parle alors de catachrèse). L’étude de la genèse instrumentale d’un outil, c’est-à-dire son passage d’un artefact à un instrument, permet de rendre compte de l’appropriation qu’en font les utilisateurs.

Adaptation de la grille de Tricot pour l’évaluation de MYMYX suivant les trois dimensions : utilité, utilisabilité, acceptabilité

Afin de poursuivre l’observation de la reconception de MYMYX par les enseignants, nous avons mobilisé la grille d’évaluation de Tricot et al., qui propose d’analyser un artefact selon trois dimensions : son utilité, son utilisabilité et son acceptabilité. L’utilité questionne l’efficacité d’un artefact et relève du domaine de la pédagogie et de la didactique. Il s’agit d’évaluer s’il y a une « adéquation entre l’objectif d’apprentissage défini par l’enseignant (ou le concepteur) et l’atteinte de cet objectif » (Tricot et al., 2003). L’utilisabilité s’intéresse à la possibilité pour l’enseignant d’utiliser l’artefact. Il questionne sa maniabilité, c’est-à-dire si l’enseignant peut réutiliser l’artefact en l’état, s’il peut éventuellement le modifier et l’adapter à sa pédagogie et à ses objectifs d’enseignement. Cela concerne notamment son interface (si elle est lisible et claire pour les utilisateurs), sa cohérence vis-à-vis de l’objectif et du scénario pédagogique, et l’adéquation entre les objectifs imaginés par les concepteurs de l’artefact et ceux de l’utilisateur. L’acceptabilité d’un artefact concerne la représentation qu’en a l’utilisateur. L’acceptabilité est la valeur que l’on donne à cette représentation mentale (individuelle ou collective) et peut concerner une opinion ou un jugement plus ou moins positif sur l’artefact. L’acceptabilité mesure la décision prise ou non de l’utiliser et sa compatibilité avec les représentations que l’enseignant se fait a priori de l’artefact. Ces représentations peuvent être, par exemple, liées aux valeurs de l’enseignant, à la culture de l’institution à laquelle il est rattaché, ou encore à l’idée qu’il se fait de l’enseignement. Si l’artefact évalué est considéré comme utile, utilisable et acceptable par les enseignants, alors il pourra faire l’objet d’une appropriation et être mobilisé (Tricot et al., 2003).

Initialement, la grille de Tricot et al. a été pensée pour l’analyse des « environnements informatiques pour l’apprentissage humain » (EIAH). Dans notre étude, une adaptation de la grille a été nécessaire afin de la rendre plus compatible avec l’évaluation d’autres artefacts portant sur des thématiques agro-environnementales, qui ne sont pas des EIAH. Nous nous sommes appuyées pour cela sur la proposition de Chrétien (2019) qui reprend les trois dimensions et leur définition afin de faire correspondre la grille à l’artefact évalué dans notre expérimentation (Chrétien, 2019 ; 2023). La grille de Tricot fait référence à une évaluation chiffrée de chacune des dimensions et des critères qui leur sont associés. Notre approche étant qualitative, ce sont des verbatim et des observations qui sont utilisés, permettant de rendre compte de l’appréciation des critères par les enseignants.

Méthodologie

Expérimentations

Deux étapes distinctes ont eu lieu entre 2017 et 2022. La première (de 2017 à 2020) correspond à l’utilisation de MYMYX par quatre équipes enseignantes après une première formation à l’utilisation de MYMYX. Cette première expérimentation a permis de proposer une version modifiée de MYMYX (Seck, 2020 ; Seck et al., 2021). Afin de compléter les données et d’obtenir des retours sur la version modifiée de MYMYX, une seconde expérimentation (entre 2021 et 2022) a été mise en place impliquant 9 enseignants. La grille de Tricot, remodifiée par Chrétien (2019 ; 2023), a été mobilisée en complément de l’approche de Rabardel (1995a ; 1995b) lors de cette seconde expérimentation (Fig. 2). Ces expérimentations relèvent d’observations a posteriori (Tricot et al., 2003) puisque nous n’évaluons pas ici le processus de conception du jeu MYMYX.

Les résultats de ces expérimentations ont permis de proposer une version définitive de MYMYX désormais commercialisée1. Au total, 11 équipes pédagogiques de l’enseignement agricole ont participé à l’étude entre 2017 et 2022 au sein de formations générales, techniques et professionnelles (Tab. 1).

thumbnail Fig. 2

Chronologie des expérimentations menées avec les cadres théoriques mobilisés (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Tab. 1

Synthèse des 2 expérimentations réalisées entre 2017 et 2022 (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Démarche et traitement des données

L’étude réalisée relève d’une approche empirique et ethnographique (Cefaï, 2010) sur plusieurs sites (Marcus, 1995) et rend compte de l’expérience d’utilisation du dispositif MYMYX par les enseignants. Dans les deux étapes de recueil des données, des entretiens qualitatifs compréhensifs et semi-directifs ont été menés sur la base de guides d’entretiens (Kaufmann, 1996). Une retranscription et une analyse de l’entretien ont ensuite eu lieu.

Lors des deux formations à l’utilisation de MYMYX (2017 et 2022), en présence de l’une des conceptrices du jeu, un premier temps visant à identifier les difficultés pédagogiques rencontrées par les enseignants dans l’enseignement du fonctionnement du sol a précédé la présentation du jeu (« mettre en œuvre un raisonnement agroécologique », « rendre visible l’invisible », « faire le lien entre les processus biologiques et les pratiques agricoles », etc.). Lors de la seconde formation (2022), un questionnaire a permis de repérer l’évolution des objectifs pédagogiques énoncés par les enseignants et celle de leurs perceptions des mycorhizes avant et après la formation à l’utilisation de la deuxième version de MYMYX. Le corpus de données s’est construit et enrichi entre 2017 et 2022. Afin de permettre une triangulation de ces données hétérogènes (Olivier de Sardan, 1995), chacune a été codée et rassemblée dans un tableur répertoriant les différents verbatim correspondant à une thématique de recherche : genèse instrumentale et/ou trois dimensions de l’évaluation de l’artefact (utilité, utilisabilité, acceptabilité).

Résultats

Effet de l’utilisation de MYMYX sur l’activité enseignante

Dans les paragraphes suivants, nous faisons la synthèse des résultats tirés de deux expérimentations menées entre 2017 (Seck, 2020 ; Seck et al., 2021) et 2022.

Reconception dans l’usage (instrumentalisation)

L’instrumentalisation concerne la transformation faite par les enseignants sur le design de MYMYX et sur les différents objectifs poursuivis par les enseignants dans leur usage. MYMYX était initialement conçu en 5 séquences. Lors de la première expérimentation, nous avons pu observer que les enseignants avaient complètement repensé et adapté les deux premières séquences (basées initialement sur un quiz visant à évaluer le niveau de connaissances des agriculteurs et sur un transfert de connaissances) selon leurs objectifs pédagogiques respectifs. Le design de MYMYX a alors été modifié, passant de 5 séquences de jeu à « deux phases » de jeu distinctes dans le temps (Fig. 3).

La première phase s’est appuyée sur une grande diversité de ressources (travaux pratiques, visionnage de vidéos, analyse d’articles techniques, etc.). La deuxième phase s’est appuyée sur les supports matériels présentés précédemment qui restent, quant à eux, inchangés. La reconception complète de la première phase de MYMYX témoigne de la manière dont les enseignants envisagent de traiter la question des mycorhizes en fonction de leurs objectifs et contraintes.

Par cette appropriation, MYMYX est devenu un support intégré dans un ruban pédagogique large et utilisé par les enseignants pour aborder la thématique de la biodiversité du sol à travers l’exemple des mycorhizes. C’est lors de la deuxième expérimentation que les enseignants ont testé MYMYX avec son nouveau design, en deux phases. On remarque que spontanément, dès la présentation de MYMYX, les enseignants ont imaginé différentes façons d’aborder le processus de mycorhization en l’adaptant à leurs publics (âge, formation) et à leurs contraintes, propres à chaque établissement. Chaque enseignant a ainsi développé son propre scénario pédagogique (Fig. 4) en se basant à la fois sur les difficultés qu’il rencontre pour aborder la vie du sol avec les élèves et sur les ressources qu’il utilisait déjà ou qu’il a conçues pour l’occasion. Une modification du design de la première phase du jeu est observée. Elle met en avant le fait que MYMYX est un artefact auquel on peut assigner plusieurs objectifs d’usage, qui se différencient plus ou moins des objectifs de conception initiaux. En effet, on observe une diversification des objectifs pédagogiques attribués à la phase 1 de MYMYX, qui ne sont pas forcément ceux imaginés lors de la conception. Cette extension de l’usage de MYMYX s’apparente à une catachrèse qui est donc permise par le jeu.

Ainsi les enseignants ne se positionnent pas de la même façon que les conceptrices dans l’utilisation temporelle de MYMYX. Là où, à l’origine, le jeu était utilisé sur une demi-journée, les scénarios pédagogiques mis en place par les enseignants sont plus diffus dans le temps. La plupart des enseignants utilisent MYMYX dans le moment particulier d’un ruban pédagogique qui est plus vaste qu’une seule séance de cours et qui peut parfois se dérouler sur plusieurs mois.

On constate également qu’un temps de débriefing (Lederman, 1992 ; Thiagarajan, 1992) est pris avec les élèves à la fin de l’utilisation de la phase 2 de MYMYX. Ce temps a pour but de mettre en perspective l’expérience du jeu et d’expliciter différents concepts et notions apprises lors du jeu. Ces débriefings portent sur des enjeux importants suivant cinq dimensions :1) amener les élèves à exprimer leur ressenti sur l’expérience ; 2) conscientiser les savoirs en jeu ; 3) décontextualiser la situation de jeu pour faire des liens avec des concepts appris par ailleurs ; 4) légitimer les concepts, préciser leur domaine de validité et finalement monter en généralité ; 5) aider l’élève à se projeter et à imaginer d’autres situations dans lesquelles il pourrait remobiliser les savoirs appris (Plumettaz-Sieber et al., 2019).

thumbnail Fig. 3

Principales adaptations constatées dans l’utilisation de MYMYX par les enseignants (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

thumbnail Fig. 4

Exemples de scénarios pédagogiques imaginés et mis en œuvre par des enseignants (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Instrumentation

L’analyse du processus d’instrumentation, quant à lui, a permis de rendre visibles les changements à la fois au niveau des représentations mais aussi des pratiques pédagogiques développées par les enseignants.

Concernant le premier aspect, les enseignants indiquent avoir changé leur représentation et constaté pour certains une modification de leurs propres connaissances sur le sujet.

« Le début m’a … ça nous a bien secoués. Enfin, ça nous a bien remis les idées en place en fait sur le fait aussi qu’on ne savait pas grand-chose. Je me suis renseignée depuis mais entre-temps j’ai dit : “ Effectivement il y avait besoin de faire une p’tite remise à niveau sur les mycorhizes, donc ça a fait du bien ” ».
« Maintenant, je ne représente plus en cours de biologie végétale une plante sans mycorhizes […] même le dessin d’une plante n’est pas le même ».
« Les pratiques agricoles et leurs impacts sur l’activité mycorhizienne étaient assez flous pour moi, je n’abordais cette thématique que par un bref tableau récapitulatif des composantes organiques du sol. Mes connaissances ont évolué et surtout la manière de transmettre ces informations ».

Des changements s’opèrent également sur les modalités de mise en scène didactique des savoirs, les temps de débriefing avec les élèves sont plus épars et ont lieu en continu tout au long de l’utilisation de MYMYX : « La connaissance ne se transmet plus par des cours magistraux avec une information descendante, nous nous devons de faire réagir les élèves et étudiants et de capter leur attention pour susciter cette envie volontaire d’enrichir leurs connaissances et compétences ».

Dans cette mise en scène, le rôle de l’enseignant évolue (« en tant qu’enseignants, nous devenons animateurs »), il est amené à adapter son niveau d’intervention aux réactions des élèves. Un enseignant nous indique d’ailleurs qu’il est « intéressant d’écouter les discussions dans les binômes, quand ils choisissent les cartes. Être animateur, c’est plus intéressant que de faire un cours magistral. Mais ça demande d’être attentif et d’assez bien connaître le sujet. De pouvoir aller rechercher plus loin des questions ». Un enseignant nous met en garde à « ne pas se laisser dépasser par les événements ». En effet, « les élèves et étudiants apprécient ces temps d’échange, qui font réellement partie du cours mais qui passent plus vite, remobilisent des connaissances vues précédemment et apportent de nouvelles informations ». Il précise également que cela est « d’autant plus stimulant au quotidien dans notre métier. Certes, c’est un temps de préparation important, mais l’information transite davantage. Les élèves se remémorent le plateau, l’aspect visuel est important. Ce n’est plus un simple cours pris sur une feuille ». Cette utilisation demande pour les enseignants de recevoir des questions auxquelles ils ont potentiellement peu d’éléments de réponse. Certains enseignants expliquent qu’ils tentent de « repérer les erreurs les plus grossières, pour les guider dans leur recherche… et pas uniquement pour délivrer un message fixe et dogmatique ».

Évaluation selon la grille adaptée de Tricot

Utilité de MYMYX

L’utilité questionne l’efficacité d’un artefact et relève du domaine de la pédagogie et de la didactique. Les critères et indicateurs d’utilité sont repris ci-dessous (Tab. 2).

Comme précisé précédemment, les objectifs suivis par les enseignants diffèrent en partie de ceux des conceptrices. L’utilité de MYMYX n’a donc pas été totalement définie à l’avance mais créée par les usages qu’en ont eu les enseignants. De plus, on constate que MYMYX a été utilisé auprès d’un public d’élèves de différentes formations. Il permet de répondre à divers objectifs définis par les enseignants et adaptés à leur public. Ainsi, les enseignants, selon les filières de formation, ajustent l’utilisation des cartes de pratiques agricoles, les exigences de précision dans les réponses apportées, ainsi que le niveau d’argumentation attendu de la part des élèves et des étudiants lors des échanges et des débats.

Concernant les raisonnements agronomiques, les enseignants abordent plusieurs notions telles que les systèmes de culture, l’agriculture durable sous différentes dimensions (agriculture biologique, agroécologie, etc.). En ce sens, MYMYX peut prendre en charge des raisonnements agronomiques et développer la capacité de l’élève à argumenter et à débattre « autour du sujet en mobilisant les connaissances de la phase 1 ». Cependant, certains enseignants apportent des précisions et des points de vigilance à « ne pas avoir un discours partisan, mais d’avoir un discours très clair sur le fonctionnement du sol et les actions par les pratiques agricoles » ; pour eux, il est important de « déconstruire des visions archétypales » que certains élèves pourraient avoir sur le sol et son fonctionnement. Il est important de ne pas perdre de vue que les mycorhizes « sont une composante d’un système plus global » et qu’il faut inciter les élèves à ne pas avoir un discours trop prescriptif, qu’« “il y a qu’à…”, “Il faut qu’on…” ». L’échelle de temps est alors importante à prendre en compte pour apporter plus de nuances. Par exemple, lors de l’échange sur les freins et les leviers agronomiques permettant aux élèves de se positionner par rapport à ce qu’ils se sentent ou non capables de mettre en place comme pratique agricole, certains élèves ont précisé s’ils se sentaient prêts ou non à changer dans leurs pratiques. Ils indiquaient alors que la première année, les changements n’étaient pas possibles pour eux, mais que dans les années suivantes des changements pourraient être envisagés. Ils ajoutent également qu’il faut « “être prêt psychologiquement et prêt techniquement”, “ça dépend de l’environnement où on est” ».

Selon les enseignants, les savoirs en jeu sont des savoirs scientifiques concernant les services rendus par la symbiose mycorhizienne et renvoyant à la compréhension de ce qu’est cette symbiose. D’après eux, MYMYX permet de rendre visibles des éléments du sol qui sont invisibles à l’œil nu et difficilement observables en laboratoire, tout en amenant les élèves à intégrer « des notions pas forcément intuitives pour eux », ainsi, « Les jeunes vont se souvenir des filaments », « le mot mycorhize “tilte”, “l’image est hyper visuelle” ».

Tab. 2

Grille d’utilité : Caractérisation de l’artefact MYMYX du point de vue de la conception, confronté au point de vue des enseignants. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Utilisabilité de MYMYX

L’utilisabilité s’intéresse à la possibilité pour l’enseignant d’utiliser MYMYX. Elle se caractérise notamment par la diversité de modalités d’enseignements possibles intégrant le dispositif. Les critères et indicateurs d’utilisabilité sont repris ci-dessous (Tab. 3).

MYMYX a été testé dans différentes formations agricoles. Le niveau d’argumentation attendu par la personne en charge d’animer MYMYX lors de la phase 2 ne sera pas le même selon les publics et leur proximité avec le milieu agricole. De même, il peut être difficile pour des élèves de se mettre dans la peau d’un agriculteur s’ils ont peu d’expériences antérieures ou n’ont pas de projet de reprise d’exploitation.

MYMYX autorise les détournements d’usage (catachrèses). Bien que cela puisse être un atout car chaque enseignant peut concevoir ses propres objectifs, la prise en main du dispositif n’est pas évidente et nécessite un temps d’appropriation : « Il faut bien avoir compris les intentions du jeu pour pouvoir le reconcevoir […] Reconcevoir le jeu pour l’adapter à ses usages nécessite de bien le connaître avant ». Certains enseignants n’ayant pas participé à la formation et venant en aide à leur collègue pour l’animation d’une séance admettent manquer de préparation « “j’étais parfois paumée”, “paumée sur le nombre de filaments à donner”, “pas assez préparée”, “carte mentale pas évidente à prendre en main en temps réel, difficile de s’y retrouver quand on la découvre” ».

Des enseignants rapportent aussi les difficultés à comprendre les règles et à se les rappeler lors de l’animation car « il y a beaucoup de règles », notamment lors de l’intégration du jeu de plateau, « il faut avoir bien préparé en amont ».

Tab. 3

Grille d’utilisabilité : Conditions de mise en ressource de l’artefact pour l’enseignement. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Acceptabilité de MYMYX

L’acceptabilité d’un artefact concerne la représentation qu’en a l’enseignant et l’opinion ou jugement qu’il peut en avoir. Les critères et indicateurs d’acceptabilité sont repris ci-dessous (Tab. 4).

À l’unanimité, les enseignants mentionnent le caractère ludique du jeu de plateau : « Dernière partie plus ludique de MYMYX. Sans cette dernière partie […], on ne pourrait pas trop qualifier ça de jeu ». Cet aspect ludique permet un enrôlement des apprenants, bien que les jeux éducatifs ne fassent pas nécessairement partie de la culture éducative de certaines équipes pédagogiques. Le support est qualifié de « marquant » et « attractif ». Une enseignante insiste d’ailleurs sur le jeu de plateau en expliquant : « J’étais et je reste persuadée aujourd’hui que cette maquette est très visuelle, les filaments marquent la mémoire visuelle des élèves. Je pense que si on devait leur demander d’ici quelques mois souvenez-vous de la séance sur les mycorhizes, ils feront le lien avec le jeu, les filaments, relations et services écosystémiques ».

On remarque également que les enseignants ont su mettre en lien l’utilisation du jeu avec des compétences attendues et notées dans les référentiels de chaque formation, correspondant à des modules particuliers.

Pour pouvoir exprimer tout le potentiel de l’artefact, certains enseignants ont opté pour des séances en pluridisciplinarité, par exemple agronomie et biologie-écologie. Des enseignants indiquent que cela permet non seulement un meilleur ancrage des connaissances mais aussi de pouvoir passer de la théorie vers la pratique agronomique. Bien que les enseignants indiquent qu’il est possible de rattacher son utilisation à un module particulier du référentiel, l’insertion d’un nouveau dispositif impliquant la conception d’un scénario pédagogique n’est pas évidente et le temps de réflexion apporté lors des formations est jugé important : « Utiliser un jeu lors d’une formation, c’est bien, mais avoir le temps de l’insérer dans un calendrier de formation, à l’échelle de l’année scolaire, ce n’est pas évident. Le travail que nous avions fourni lors de la formation a été plus qu’utile ». Il s’agit là d’un point de vigilance sur le caractère acceptable de MYMYX si le temps d’appropriation et de conception d’un scénario pédagogique s’avère trop important.

Un inconvénient pointé par certains enseignants concernait les règles lors de l’utilisation du jeu de plateau, jugées parfois trop simplistes par rapport à la réalité professionnelle : « Un agriculteur, il ne va pas mettre une alliacée sous prétexte que c’est quelque chose qui mycorhize bien. S’il n’en cultive pas, il n’en cultive pas. S’il cultive du colza, il cultive du colza même si ça ne mycorhize pas ». Ce dernier aspect pointe les limites de projection de MYMYX et plus largement des jeux éducatifs dans lesquels il s’agit de modéliser des raisonnements agronomiques dans une situation singulière.

Tab. 4

Grille d’acceptabilité : Conditions de mises en usage de l’artefact du point de vue de l’enseignant. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Discussion

Évaluer l’usage d’un artefact par un utilisateur permet non seulement de comprendre les potentielles reconceptions qu’il en fait, mais également d’observer les conséquences qu’a cette utilisation sur ses représentations. En ce sens, la catachrèse autorisée par MYMYX est nécessaire tant les objectifs lors de l’usage peuvent être différents des objectifs lors de la conception. Cependant, ce n’est pas la totalité de l’artefact qui subit une genèse instrumentale, mais une partie de celui-ci. Dans la continuité de Rabardel, nous constatons que l’instrument est une « entité mixte ». Il comprend l’artefact physique et également des schèmes d’utilisation dans lesquels s’expriment les compétences que déploient les enseignants pour pouvoir utiliser MYMYX.

La combinaison des deux approches théoriques que nous avons mobilisées permet d’enrichir la dimension de l’évaluation des artefacts proposés à des enseignants, en ce sens qu’elle observe à la fois l’usage qu’ont les enseignants de cet artefact, les schèmes d’utilisation qu’ils développent dans leur usage (genèse instrumentale) et l’artefact lui-même (grille selon les trois dimensions : utilité, utilisabilité, acceptabilité). L’évaluation finale que nous proposons est au service des enseignants, utilisateurs de la ressource, mais également des conceptrices, qui observent l’appropriation faite par des utilisateurs autres que ceux imaginés lors de la conception, et orientent le design de MYMYX pour qu’il s’adapte à un nouveau public. Cette démarche évaluative va dans le sens proposé par Hadji (2012), d’une évaluation démocratique, « qui se mettrait vraiment au service de tous ». Les enseignants, en soulignant le faible « niveau d’authenticité » (Gonçalves et al., 2011) de MYMYX, c’est-à-dire le manque de cohérence par rapport à la réalité du terrain, ont permis une modification du livret pédagogique et l’introduction de nouveaux éléments. Ils deviennent dans ce cas-là des concepteurs intermédiaires d’artefacts qui fournissent un système « d’instruments pédagogiques » (Chrétien 2019). Ainsi, le livret pédagogique et le design ont été réadaptés suite aux résultats obtenus pendant les deux expérimentations en 2017 et 2022 pour être au plus proche des usages qu’en ont eus les enseignants expérimentateurs. Des cartes « profils agriculteurs » dont l’utilisation est optionnelle ont pu être intégrées à la version de MYMYX commercialisée, amenant à un niveau de complexité supplémentaire et permettant aux élèves de se projeter dans une réalité professionnelle. Si des recommandations de conceptions adressées à des concepteurs de jeu existent depuis plusieurs années (Duke, 1980), cette étude montre que l’appropriation d’une ressource par des usagers différents des concepteurs initiaux amène à une reconception de cette même ressource qui échappe aux concepteurs.

Ainsi, les évaluations a posteriori de la conception rendent visible la reconception des enseignants, ce qui a conduit à une clarification de certaines règles du jeu de MYMYX, mieux adaptées aux utilisateurs, et une évolution de son design dans la version commercialisée permettant une utilisation autonome. MYMYX est désormais commercialisé en deux versions : une est commercialisée par les éditions Éducagri, une autre, 100 % print and play, est gratuite. Dans la version print and play, le plateau en bois encombrant à transporter et onéreux à fabriquer a été remplacé par un plateau à imprimer sur lequel les filaments sont dessinés par les joueurs (Fig. 5). Dans les deux versions, un livret pédagogique intégrant les remarques soulevées par les enseignants (Fig. 5) a été créé. Il contient les règles du jeu, des fiches de témoignage et des exemples de scénarios pédagogiques.

De même, la complémentarité de ces approches permet de prendre en compte, au moins en partie, le contexte d’usage de l’artefact évalué (Noël et Mahé, 2006). L’adaptation des règles et du design améliore la dimension de l’utilisabilité par un élargissement des marges de manœuvre pédagogique. En effet, MYMYX, dans sa version finale, est délibérément présenté comme un jeu dans lequel la conception de la phase 1 est laissée à la discrétion des enseignants. Cependant, des scénarios pédagogiques mis en place par les enseignants testeurs sont donnés en exemple dans le livret pédagogique afin de guider les enseignants qui auraient besoin de plus d’indications.

Pour former des acteurs capables de travailler avec le vivant (Mayen et Lainé, 2014) et introduire des raisonnements systémiques et adaptatifs, les enseignants doivent élargir les « objets » d’enseignement et les compétences visées (Chrétien et Veillard, 2022) et aussi repenser les formats pédagogiques et les manières d’enseigner (Mayen, 2013). Comme l’indiquent certains auteurs, l’utilisation du jeu décale le rôle de l’enseignant (Boocock et Coleman, 1966 ; Greenblat, 1973). Dans ce cadre, le jeu est jugé potentiellement opportun pour aborder les approches agroécologiques (Dernat et al., 2023). Aussi, rendre visible le processus d’appropriation que font les enseignants de ressources qui leur sont proposées et laisser une marge d’autonomie dans leur reconception sont importants alors même que les enseignants doivent réussir le défi d’une double transposition (Chrétien, 2021) : transposer des savoirs non stabilisés pour certains et controversés pour d’autres et rendre ces savoirs pragmatiques et actionnables afin d’outiller les élèves pour leur futur professionnel.

thumbnail Fig. 5

MYMYX commercialisé en 2 versions : une version 100 % print & play gratuite et une version commercialisée par les éditions Éducagri. 1. Nouvet livret pédagogique (© éditions Éducagri. 2. Dessin des filaments mycorhiziens sur le plateau de jeu (© M. Chave et F.  Joigny).

Conclusion

Cette étude met en avant que la conception d’un jeu sérieux dans un objectif de recherche peut devenir un jeu éducatif dès lors qu’est pensée sa reconception pour de futurs usagers.

Nous illustrons dans cet article la question de la reconception dans l’usage. Nous montrons non seulement que les enseignants s’approprient l’artefact qui leur est proposé en l’adaptant à leurs propres contraintes, besoins et projets pédagogiques, mais aussi que MYMYX continue de se développer dans l’usage qu’en ont les enseignants. Couplée à la grille de Tricot, l’approche de Rabardel permet de compléter l’évaluation des artefacts du point de vue de l’activité et ainsi de mieux comprendre les usages qui en sont faits. Pour un même artefact, les formes d’instrumentalisation sont diverses et varient suivant l’intention didactique et pédagogique de l’enseignant, la formation dans laquelle il enseigne et le public d’élèves auquel il s’adresse. Dans un contexte d’accumulation de ressources proposées aux enseignants, la question d’une réflexion avec les concepteurs de jeux éducatifs se pose afin d’intégrer la reconception dans l’usage de ces jeux en fonction des objectifs et des publics ciblés.

Remerciements

Ces travaux ont été menés dans le cadre du projet MYMYX Formation soutenu par INRAE au sein du métaprogramme SuMCrop (gestion durable de la santé des cultures) et du projet pré-maturation de la direction Partenariat et transfert pour l’innovation. Nous remercions l’ensemble des équipes pédagogiques qui ont contribué à cette démarche lors des sessions d’animation de MYMYX ainsi que Magali Benoît et Jean-Robert Moronval, inspecteurs de la direction générale de l’Enseignement et de la Recherche.

Références


1

Jeu disponible gratuitement en 100 % print & play ou à la vente sur le site internet des éditions Éducagri, https://educagri-editions.fr/notice?id=T_P22JEU014&queryId=94bb3655-352c-4058-9b1f-bda37b67c920&posInSet=2.

Citation de l’article : Seck J., Schott R., Auricoste C., Chave M., Terrier-Gesbert M., Chrétien F., 2024. Appropriation et reconception d’un jeu éducatif par les acteurs de la formation agricole. L’exemple de MYMYX. Nat. Sci. Soc. 32, 3, 260-278. https://doi.org/10.1051/nss/2025002

Liste des tableaux

Tab. 1

Synthèse des 2 expérimentations réalisées entre 2017 et 2022 (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Tab. 2

Grille d’utilité : Caractérisation de l’artefact MYMYX du point de vue de la conception, confronté au point de vue des enseignants. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Tab. 3

Grille d’utilisabilité : Conditions de mise en ressource de l’artefact pour l’enseignement. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Tab. 4

Grille d’acceptabilité : Conditions de mises en usage de l’artefact du point de vue de l’enseignant. Sur la base des critères énoncés par Tricot et al. (2003) modifiée par Chrétien [2019 ; 2023] (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Différents supports pour l’utilisation de MYMYX. 1. et 3 : Fiches A3 de support (réalisation : M. Chave, V. Angeon) ; 2. Plateau de jeu (source : Chave et al., 2019) ; 4. Cartes de pratiques agricoles (réalisation : M. Chave, V. Angeon).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Chronologie des expérimentations menées avec les cadres théoriques mobilisés (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Principales adaptations constatées dans l’utilisation de MYMYX par les enseignants (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Exemples de scénarios pédagogiques imaginés et mis en œuvre par des enseignants (réalisation : J. Seck, R. Schott, C. Auricoste, M. Chave, M. Terrier-Gesbert, F. Chrétien).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

MYMYX commercialisé en 2 versions : une version 100 % print & play gratuite et une version commercialisée par les éditions Éducagri. 1. Nouvet livret pédagogique (© éditions Éducagri. 2. Dessin des filaments mycorhiziens sur le plateau de jeu (© M. Chave et F.  Joigny).

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