Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 25, 2017
Pour une recherche en appui à l'action publique : leçons de l'expérience du ministère de l'environnement (1990–2016)
Page(s) S45 - S49
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2017033
Publié en ligne 19 septembre 2017

En exergue à cette présentation du programme « Risques, décision et territoires » (RDT), il est bon de rappeler cette décision du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement du 9 mars 1998, qui explique très clairement que le pilotage et le fonctionnement des programmes de recherche ont comme objectif de fournir les fondements scientifiques et économiques des politiques menées en environnement et en développement durable par le ministère. Parmi l'ensemble des programmes de recherche financés par ce ministère depuis le début des années 1980, le programme RDT est sans doute l'un de ceux qui illustre le mieux l'ambition qu'exprime cette décision. C'est à montrer comment y a été mis en pratique l'objectif de concevoir une recherche publique finalisée venant en appui aux politiques publiques, que ce soit par la priorité donnée à l'interdisciplinarité ou par le souci d'associer les gestionnaires du risque à la recherche, que sont consacrées les lignes qui suivent.

En préambule encore, il est tout particulièrement indiqué de faire un bref retour en arrière pour rappeler que le programme RDT n'est pas né de rien. Il avait été précédé par deux programmes intitulés respectivement « Risque Inondation » (RIO) créé en 1997 et « Évaluation et prise en compte des risques » (EPR) créé en 1998. C'est parce qu'à l'expérience, il est apparu que ces deux programmes restaient trop confinés aux aspects techniques du risque qu'il a été décidé de leur substituer le programme RDT. Celui-ci ajoute deux ouvertures aux précédents. Toutes deux portent sur le rapport de la recherche à l'action : l'une en faisant appel aux sciences sociales, l'autre en visant l'association des acteurs à la recherche1.

Unité dans la diversité : deux exemples de projets de recherche financés

La présentation d'exemples peut être une bonne manière d'introduire à des considérations générales sur la façon dont le programme a procédé pour concevoir ses orientations de recherche en réponse au cahier des charges ministériel.

Le premier porte sur la gestion des territoires sensibles aux coulées boueuses. Un premier point à souligner est la durée dont ce projet a bénéficié, puisqu'il a porté sur deux campagnes d'APR. Un second trait à retenir est qu'il comportait trois volets, un volet technique, un volet économique et un volet sociologique. Ce qui a permis de mobiliser différentes disciplines d'horizons très différents (agronomie, hydraulique, économie, sociologie). Le projet a également permis la collaboration avec les partenaires institutionnels locaux (cf. Encadré). Il a produit des résultats opérationnels qui ont été mis à la disposition des acteurs de terrain. Et c'est là qu'intervient toute l'importance de la durée. C'est l'intérêt du programme que d'avoir pu l'assurer.

Le deuxième exemple se situe dans un domaine tout à fait différent, celui des risques sismiques auxquels est confrontée la ville de Grenoble. Les enjeux matériels et sociaux sont importants. Les enjeux de connaissance ne le sont pas moins. Surtout si, comme le voulait la ville, il s'agissait de lui donner des outils pour anticiper tant le risque et ses répercussions sur les constructions que les représentations qu'en ont les gens, afin de guider sa politique. Au besoin de connaissances scientifiques nouvelles s'ajoute alors l'ambition de vouloir les traduire dans le champ de la décision des acteurs non spécialistes. Ce qui a obligé là encore à mobiliser tout un ensemble de disciplines : la sociologie, la géographie, la géologie, la géomatique, la géophysique, et l'informatique. Là encore, également, comme cela est mentionnée dans les rapports d'évaluation de ces recherches, une collaboration étroite s'établit entre les équipes concernées ; puis avec le service de gestion des bâtiments de la ville de Grenoble. Il convient à nouveau de souligner que c'est à la faveur d'une durée assez longue de la recherche que se réalise la pratique de l'interdisciplinarité entre les chercheurs et la mobilisation des acteurs2.

On pourrait citer d'autres exemples. Autant de projets, autant de thèmes de recherche, tels la prolifération du moustique tigre (projet Adest) ou la submersion des îles marines suite à la hausse du niveau de la mer. À chaque fois, les disciplines mobilisées sont tout à fait diverses, et différentes. À chaque fois, l'objectif est de mobiliser dans le cadre des recherches des acteurs opérationnels, eux aussi différents.

Cinq principes de base

Cinq grandes caractéristiques du programme président à sa réussite tant dans la mobilisation des disciplines que dans celle des acteurs : la définition de son périmètre, son inscription dans la durée, la façon dont a été conçue sa gouvernance, le soin apporté à la valorisation de ses travaux et la place accordée à la communication tout au long de son déroulement. Derrière chacune de ces caractéristiques prévaut un principe.

Le premier consiste à inscrire les collaborations nécessaires dans le découpage même du champ à couvrir par le programme. De ce point de vue, l'acronyme R(isques), D(écision) et T(erritoire) est on ne peut plus parlant. On est clairement sur des problématiques de décision. Et la référence au « territoire » précise la nature des risques pris en considération : ils ont une dimension territoriale. Les conditions dans lesquelles se fait la gestion des risques contraignent à introduire les découpages administratifs dans la recherche et à tenir compte des relations qui lient les gestionnaires. Leur place dans l'action − et, donc, leur mobilisation en tant qu'acteurs – en dépendent ; le territoire apparaît comme une entité décisionnelle. Cette référence à la notion de territoire invite − pour ne pas dire oblige – à sortir d'une vision fragmentée du problème, car la complexité des éléments − à la fois physiques et sociaux – qui forment ensemble le périmètre géographique socialement organisé qu'est le territoire, induit nécessairement l'interdisciplinarité : c'est dans cet ensemble complexe que se situe et que doit être situé le risque et sa prise en charge. D'où la place centrale accordée dans le second APR à la notion de territoire : elle devient la notion fédératrice autour de laquelle il est attendu que se nouent les apports disciplinaires. À cette fin, un séminaire lui est consacré.

Le deuxième principe est, on l'a déjà souligné mais il faut y revenir, le respect de la durée qu'exige l'établissement du dialogue entre les chercheurs (surtout lorsqu'ils sont de disciplines différentes) et la mobilisation des acteurs. Cela passe par tout un ensemble de boucles de diffusion et de rétroaction entre les phases de recherche elles-mêmes et entre elles et les phases d'action, avec les problèmes d'appropriation des apports des uns et des autres que cela suppose. L'inscription dans la durée, c'est aussi la possibilité de réaliser des évaluations et d'en tirer les leçons. Cela a été le cas avec le passage d'un APR à l'autre. C'est ce qui a permis de réorienter les problématiques, de procéder aux approfondissements nécessaires pour promouvoir l'interdisciplinarité, de repenser les partenariats et de réfléchir à la façon de faire progresser la mobilisation des acteurs. Le temps est d'autant plus nécessaire que ce genre de programme conduit à des réflexions inédites. Un bon exemple est l'évaluation réalisée par l'Inspection générale de l'environnement des deux programmes (RIO et EVPR) ancêtres du programme RDT, dont sont sorties des préconisations procédant du constat que les résultats des recherches qui y étaient menées étaient peu appliquées et peu utiles aux gestionnaires des risques. En 2008, une nouvelle évaluation (de RDT cette fois) débouchait sur la nécessité d'introduire plus d'économie et de sociologie dans le programme. C'est ainsi que le troisième APR a été centré sur la notion de résilience.

La gouvernance est le troisième principe. Adossée à un conseil scientifique et un comité d'orientation, elle a également favorisé l'objectif de mobilisation des acteurs concernés. Le conseil scientifique a décidé par exemple, à l'occasion de l'APR de juin 2006, d'afficher la volonté d'une collaboration des disciplines des sciences de l'ingénieur et des sciences humaines. Autre exemple, le comité d'orientation de RDT a décidé, en octobre 2013, l'organisation d'une manifestation thématique sur les crues cévenoles (l'objectif premier étant de faciliter la rencontre entre les sciences humaines et sociales et les disciplines des sciences de l'ingénieur).

Le quatrième principe est de considérer que la valorisation des recherches fait partie du processus de recherche lui-même, car elle contribue tant à la dynamique de l'interdisciplinarité qu'à la mobilisation des acteurs. Dans le programme RDT, cela s'est traduit par l'organisation de séminaires avec des objectifs variés. L'animation est un des vecteurs majeurs du développement du programme. Certains séminaires illustrent la volonté de faire cohabiter des disciplines appartenant à des champs de recherche différents, par exemple les sciences de l'homme et de la société et les sciences de l'ingénieur (c'est ce que l'on a vu avec les deux notions de « territoire » et de « résilience »). D'autres ont comme finalité la restitution des résultats des recherches la plus large possible3.

Le dernier principe va dans le même sens que le précédent, mais avec des outils différents : il consiste à considérer que donner au programme la plus large visibilité possible fait partie de sa dynamique propre, puisque c'est une façon de faire connaître ce que sa démarche originale apporte et de susciter l'attention des acteurs qui sont intrinsèquement considérés comme des partenaires. La communication est au même titre que l'animation considérée comme un vecteur d'orientation du programme4.

En conclusion, il est important de souligner que ces interactions entre chercheurs de disciplines différentes et entre chercheurs et gestionnaires des risques reposent sur un imposant travail collectif aussi essentiel qu'invisible qui suppose une volonté continue de suivi sur le long terme. Leur simple maintien, avec leurs apports aussi multiples et fragiles que difficiles à apprécier dépend totalement de leur pérennité. Lors des dernières Assises nationales des risques naturels, ce besoin d'information, de connaissances, de précisions sur l'utilisation possible des résultats et de témoignages d'acteurs opérationnels a été vigoureusement exprimé en écho à la participation du programme RDT aux débats et en appui au genre de programme de recherche qu'il illustrait par sa présence.

Encadré. Caractéristiques du Programme Risques, décision et territoire (RDT) parmi les vingt-deux programmes analysés

Antécédents et filiations selon les programmes

Le programme RDT est issu de la prise de conscience des limites de deux programmes antérieurs : « Risque Inondation » (RIO) lancé en 1997 et « Évaluation et prise en compte des risques » (EVPR), lancé en 1998. C'est le constat de la coupure entre recherche strictement technique et action publique qui a conduit à l'idée d'un programme associant chercheurs de toutes disciplines et acteurs.

Classement des programmes selon leur positionnement initial

Trois cas de figure sont distingués :

  • le programme se positionne au moment de la conception d'une politique : il mène des recherches de base qui se situent en amont de l'action ;

  • il accompagne les évolutions d'une politique : il mène des recherches croisant les compétences nécessaires pour les comprendre ;

  • il contribue en parallèle à l'évaluation de cette politique : il utilise les mêmes ouvertures disciplinaires que dans le cas précédent.

Le programme RDT se situe dans la troisième catégorie. Il réalise donc un processus de va-et-vient entre la recherche et l'action.

Les raisons d'ordre politique de la création des programmes

Le programme RDT est mis en place en référence à la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, portant création des Commissions départementales et des schémas de prévention des risques naturels majeurs.

La composition des Comités d'orientation

Celle du programme RDT est une des plus complètes. Sont représentés : des ministères autres que celui de l'environnement, des représentants de l'Enseignement supérieur et de la recherche, des acteurs publics, des professionnels, des associations, des collectivités locales, des élus.

Les profils disciplinaires initiaux des programmes

Trois cas de figure sont distingués :

  • le programme donne une exclusivité à un champ disciplinaire ;

  • il donne une place dominante à une discipline ;

  • il opère une véritable mixité et réflexivité entre différentes disciplines.

Le programme RDT se situe dans la troisième catégorie avec une ouverture des plus complètes incluant des disciplines du domaine des sciences physiques, des sciences de l'ingénieur et des sciences sociales.

Position des programmes sur l'ouverture entre les disciplines

L'objectif que le programme RDT se donne : faire évoluer les notions de gestion et de gouvernance des risques naturels et industriels locaux en un véritable objet de recherche pluri/interdisciplinaire le conduit à viser une large interdisciplinarité.

Les formes de l'ouverture entre disciplines dans les programmes

Ces formes d'ouverture transparaissent dans la structure des APR. On peut en distinguer trois formes :

  • l'APR est constitué d'un seul volet (en sciences de l'homme et de la société : l'ouverture est seulement entre ces disciplines) ;

  • il comporte deux volets autonomes : un sciences de le vie et de la Terre/sciences de l'ingénieur et un sciences de l'homme et de la société (deux types d'ouvertures internes à chacun des volets avec, dans certains cas, une invitation à des regards croisés entre ces deux champs) ;

  • une liste de thèmes transversaux aux sciences de le vie et de la Terre/sciences de l'ingénieur et aux sciences de l'homme et de la société (une interdisciplinarité élargie à ces deux champs).

Le programme RDT se situe dans la troisième catégorie. Il associe interdisciplinarité de proximité et interdisciplinarité élargie.

Exemples d'appels à propositions constitués d'une liste de thèmes transversaux

Dans le programme RDT, ces thèmes sont nombreux et divers : connaissance des vulnérabilités, évaluation et hiérarchie des risques, réduction des risques, etc.

La terminologie employée pour qualifier les modes d'ouverture entre les disciplines

Le dispositif de recherche prôné au sein du programme RDT crée de facto les conditions d'une interdisciplinarité réelle, bien que non revendiquée en tant que telle.

La façon d'aborder la question du rapport à l'action

Quatre cas de figure sont distingués :

  • le rapport à l'action va de soi (les disciplines concernées l'incluent) ;

  • il se réduit à la valorisation de la recherche ;

  • les modalités du rapport à l'action sont l'objet d'une attention particulière ;

  • les modalités du rapport à l'action sont l'objet même de la recherche.

Le programme RDT se situe dans la troisième catégorie.

Le partenariat en recherche selon les programmes

Les APR du programme RDT donnent des directives précises et contraignantes aux équipes de recherche concernant les modalités de l'association entre les chercheurs et les gestionnaires locaux des risques tant naturels qu'industriels.

Les « outils » de la construction de démarches interdisciplinaires et de recherches en partenariats

Les APR du programme RDT introduisent toute une terminologie destinée à guider les équipes de recherche vers des démarches convergentes : notions de « vulnérabilité », de « territoire », de « scène locale », de « situation post-crise ». Le dernier APR est placé sous le signe de la notion de « résilience ». Par ailleurs, sur un plan plus instrumental, invitation est faite aux équipes de créer des structures locales pérennes de recherche travaillant en liaison étroite avec les acteurs locaux, et de se constituer en réseau permanent de recherche.

Les raisons du découpage des programmes en phases

La création du programme RDT résulte du constat que les deux programmes antérieurs (cf. ci-dessus) ont le défaut de ne pas tenir compte des caractéristiques territoriales des risques. L'objectif du premier APR (2003) est d'ancrer les recherches sur la notion de territoire, laquelle introduit les acteurs − et la population dans son ensemble – dans le processus de gestion du risque. Il faut donc ouvrir le champ des recherches en y impliquant les sciences de la société. C'est sur cette base que le programme construit progressivement sa démarche en s'appuyant sur des notions visant à intégrer les démarches des différents champs de recherche (cf. ci-dessus). Le second APR introduit la notion de « résilience » sur laquelle débouchent les recherches antérieures.

Source : Rapport NSS-Dialogues, 2014, « Expertise sur les formes d'ouverture entre disciplines et de partenariat en recherche dans les programmes de recherche du MEEDD », document consultable sur le site de l'association www.nss-dialogues.fr.


1

Le programme RDT est créé en 2003 après une préparation qui a pris deux années. Le premier appel à propositions de recherche date de la même année. Il sera suivi de deux autres (2006 et 2013). Au total, il a financé 34 projets pour un budget de 3,76 millions d'euros.

2

Un séminaire organisé en novembre 2015 a réuni des médecins du travail, le Secrétariat permanent pour la prévention des pollutions et des risques industriels de la Presqu'île d'Ambès (S3PI), et des gestionnaires des digues de Grenoble.

3

C'est le cas de celui de janvier 2008, qui réunit quelque 200 participants. Certes, un peu plus de la moitié (57 % exactement) étaient des chercheurs, mais cela veut dire que la quasi autre moitié ne l'était pas : il s'agissait de représentants des services de l'État, d'établissements publics, de collectivités territoriales, et d'entreprises. La même mixité chercheurs/acteurs opérationnels s'est retrouvée dans le dernier séminaire RDT des 2 et 3 novembre 2015.

4

Le compte Twitter du programme RDT a aujourd'hui 273 abonnés. Ce n'est pas rien si l'on tient compte de l'audience possible qu'au travers des liens, cette toile crée. Un tweet qui a été réalisé lors des Assises nationales des risques naturels, les 22 et 23 mars derniers a touché 2179 personnes. On ne peut certes rien mesurer de manière précise, mais cela donne une idée. Et, le fait mérite d'être souligné, parmi les abonnés figurent aujourd'hui des journalistes, des assureurs, des pompiers, des bureaux d'études, la liste ne s'arrête pas là.

Citation de l'article : Bolo P., 2017. Un cas de figure modèle : le programme « Risques, décision et territoires » (RDT). Nat. Sci. Soc. 25, S45-S49.


© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2017

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