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Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 4, Octobre/Décembre 2023
Dossier « La recherche au défi de la crise des temporalités »
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Page(s) | 453 - 466 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2024021 | |
Published online | 18 July 2024 |
Dossier : « La recherche au défi de la crise des temporalités » : No Future. Les collectifs néopaysans et leur rapport à l’avenir : utopie, dystopie et présentisme★
No Future. Neo-farming communities and their relationship to the future: utopia, dystopia, and presentism
Anthropologie, CNRS, CSO, Paris, France
* Auteur correspondant : sallustiomadeleine@gmail.com
a Madeleine Sallustio est également collaboratrice scientifique au Laboratoire d’anthropologie des mondes contemporains (LAMC) de l’Université libre de Bruxelles
S’intéresser aux rapports que les individus entretiennent à l’égard du futur et à la façon dont ceux-ci façonnent des états émotionnels (individuels ou collectifs) est utile pour mieux comprendre ce qui motive les pratiques sociales. Cet article propose de s’intéresser aux théories de l’effondrement qui nourrissent l’imaginaire de certains protagonistes du phénomène du « retour à la terre ». Sur la base d’un travail de terrain de longue durée au sein d’une dizaine de collectifs néopaysans dans le Massif central, je mobiliserai le paradigme des temporalités multiples pour nuancer les effets des théories de l’effondrement sur le quotidien des individus. J’argumenterai que les projets visant le repli en monde rural et l’autonomie alimentaire s’inscrivent dans une temporalité présentiste paradoxale qui fait coexister des horizons temporels antinomiques, à la fois pessimistes et optimistes, vis-à-vis de l’avenir et de la lutte sociale. Le refus des acteurs d’adhérer aux grands récits linéaires et d’un mode de lutte organisé et cohérent à visée universelle me permettra ici d’alimenter les réflexions 1) sur l’action humaine dans son rapport à la crise environnementale et sociale et 2) sur des fondements épistémologiques plus généraux, relatifs à la manière d’appréhender les temporalités en sciences sociales.
Abstract
Focusing on people’s relationships to the future and how these shape individual or collective emotional states is useful for understanding what motivates social practices. This paper proposes to explore the future temporalities that feed the imagination of some protagonists of the ‘back to the land’ phenomenon. Based on long-term fieldwork among a dozen neo-farming communities in the Massif Central, I propose to mobilize the paradigm of multiple temporalities in an attempt to qualify the effects of collapse theories on the daily lives of its members. I argue that the projects aiming at rural withdrawal and food autonomy are part of a paradoxical presentist temporality that manifests itself in the existence of antinomic temporal horizons, both pessimistic and optimistic regarding the future and the social struggle. Refusal of the great linear narratives and of an organized and coherent mode of struggle with a universal aim will enable me here to feed reflections 1) on human action and the relationship to the social and environmental crisis and 2) on more general epistemological discussions, relating to the way of apprehending temporalities in social sciences.
Mots clés : temporalités / effondrement / néopaysannerie / anarchie / crise
Key words: eco-anxiety / temporalities / neo-farming / anarchy / crisis
Voir dans ce numéro le texte de présentation du dossier par P. Cornu et J. Theys, ainsi que les autres contributions qui le composent.
© M. Sallustio, Hosted by EDP Sciences, 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
S’intéresser aux rapports que les individus entretiennent à l’égard du futur permet à la fois d’appréhender les horizons temporels qui sous-tendent les pratiques sociales contemporaines et de réfléchir aux éléments culturels, biographiques et contextuels qui façonnent ces visions de l’avenir. Cet article propose de s’intéresser aux horizons temporels antagonistes qui entourent le quotidien des néopaysans français autogestionnaires. Ceux-ci valorisent le fait de penser le changement social « au présent ». Au cours de leur projet de vie et de travail en collectif, ils opèrent une restriction d’échelle, à la fois spatiale et temporelle qui leur permet de contrebalancer leur anxiété et leur attitude défaitiste à l’égard du futur. Ils embrassent ce faisant l’incertitude et abandonnent l’idée de « cohérence », ce qui se démarque des espoirs révolutionnaires linéaires classiques.
L’analyse du rapport que ces personnes entretiennent à l’égard de l’avenir s’intégrera ici à une réflexion plus générale sur la manière dont l’anthropologie fait du futur un objet social. Pour ce faire, je commencerai par faire un bref détour sur la manière dont l’anthropologie a pensé le temps. Nous verrons que la tendance à postuler une « unicité temporelle » au sein d’un groupe social donné (Grossin, 1996, p. 91-92) empêche d’étudier l’incohérence comme un produit du social à part entière. Dans un second temps, nous verrons plus en détail le contenu de la vision de l’avenir partagée par les personnes rencontrées. Nous verrons que leurs craintes touchent non seulement à la crise climatique, mais également à l’exercice de la démocratie et à l’insécurité économique. Dans un troisième temps, nous analyserons les divers rapports au futur qui entrent en jeu et comment de nombreuses personnes déploient une stratégie « présentiste » face à l’angoisse de l’avenir, à savoir l’effacement de la pensée du futur au profit d’un retranchement dans le présent perpétuel (Hartog, 2015). Nous verrons que l’ancrage au présent et la valorisation du plaisir à la tâche permettent à ces individus de faire coexister malgré tout des perspectives d’avenir utopiques fondées sur la mise en pratique de leur projet de vie et de travail collectif. Cette analyse nous amènera, enfin, à proposer une réflexion sur les tensions et interactions qui existent entre des « horizons temporels » (Koselleck, 2016, p. 357) a priori antagonistes et à argumenter en faveur de l’intérêt du paradigme des temporalités multiples pour l’anthropologie du futur.
Penser le temps en anthropologie
Le futur a longtemps peiné à s’imposer comme un objet de recherche en anthropologie (Persoon et van Est, 2000 ; Bryant et Knight, 2019 ; Appadurai, 2013 ; Pels, 2015). Cela s’explique notamment par le fait que cette discipline s’est construite sur la base d’une approche historiciste et nostalgique, privilégiant le passé comme source d’intelligibilité, dont elle ne s’est émancipée que tardivement. Étant donné son intrinsèque « mélancolie disciplinaire » (High, 2011, p. 217), l’anthropologie s’est ainsi distinguée comme une « science de la continuité » (Robbins, 2007, p. 6), de l’équilibre, comme la traductrice d’une cohérence fragile que rien n’était supposément venu compromettre auparavant (Berliner, 2015).
La tendance des anthropologues à valoriser la stabilité des traditions face aux transformations radicales des sociétés, notamment dans un contexte de domination coloniale, a donc longtemps perduré en anthropologie classique et s’est associée à une posture disciplinaire visant à défendre et à honorer les particularités culturelles des sociétés étudiées, considérées comme menacées « d’homogénéisation culturelle » face à la globalisation (Appadurai, 1990). À tant vouloir distinguer les peuples, l’anthropologie classique a alimenté un biais « particulariste » (Bensa, 2006, p. 133-143) des sociétés qu’elle étudiait, donnant lieu paradoxalement à une vision homogénéisante de la culture, pensée comme un système fixe, nécessairement stable, cohérent et unanimement partagé (Gell, 1992 ; Bloch, 1977 ; Bensa, 2006 ; Fabian, 2006).
La manière dont l’anthropologie a pensé le temps en est un exemple. De nombreux auteurs ont en effet démontré comment l’étude du rapport au temps en anthropologie a véhiculé un biais d’homogénéisation de l’« Autre », comme si tout le monde, au sein d’une société, faisait la même expérience du temps (Coser et Coser, 1990 ; Gell, 1992 ; Munn, 1992 ; Grossin, 1996 ; Bensa, 2006 ; Fabian, 2006). Cette tendance uniformisante est directement liée à l’ambition de créer un système théorique unique, universel et englobant. Elle s’est d’ailleurs incarnée dans la notion de « temps total » inaugurée par Émile Durkheim (1998, p. 731-732). Selon l’anthropologue Johannes Fabian (2006), dans son ouvrage intitulé Le temps et les autres, cette tendance « allochronique » est due à une mise à distance systématique des acteurs observés qui, encouragée par le relativisme culturel du moment, a joué un rôle de dichotomisation des sociétés sur la base du rapport au temps qu’elles entretiennent.
En bref, la manière dont l’anthropologie a pensé le temps s’inscrit dans la tendance disciplinaire à homogénéiser, à forcer la cohérence culturelle des rapports au temps et des formes traditionnelles de l’organisation sociale plutôt que les changements culturels (Angé et Berliner, 2014). De cette façon, des sujets de prédilection tels que les dynamiques qui entourent la mémoire, la transmission, la reproduction (des habitus, de la société de classe, des traditions) ont donné lieu à des corpus théoriques considérables en comparaison de celui des horizons temporels futurs. Et pourtant, s’intéresser aux rapports que les individus entretiennent à l’égard du futur et à la façon dont ces rapports façonnent les états émotionnels (individuels ou collectifs) revêt un intérêt heuristique pour saisir la configuration du monde social (Wallman, 1992 ; Appadurai, 2013, p. 286 ; Chateauraynaud, 2013).
Mais quel serait le programme d’une anthropologie du futur ? Comme le proposent les approches subjectiviste et compréhensive, il s’agit de s’intéresser aux temporalités futures comme nous le faisons déjà pour les études portant sur l’imaginaire ou la foi : d’étudier comment celles-ci affectent les pratiques, façonnent des rapports au monde et participent à la configuration du monde social dans le présent (Wallman, 1992 ; Persoon et van Est, 2000 ; Adam, 2009, p. 13 ; Appadurai, 2013, p. 286 ; Chateauraynaud, 2013 ; Pels, 2015). Un tel projet de recherche, comme l’argumente Peter Pels (2015) dans son article « Modern times. Seven steps toward an anthropology of the future », ne peut se concevoir autrement que dans une perspective théorique qui embrasse l’idée d’une multiplicité, et donc d’une coexistence, de temporalités au quotidien.
Des études éparses ont en effet déjà démontré comment la manière d’appréhender l’avenir est tributaire de l’âge des individus (Cook, 2016), de la situation de précarité dans laquelle ils se trouvent (Dubar, 2011 ; Mains, 2012 ; Coser et Coser, 1990), de leur genre (Bessin, 2014), des idéologies qu’ils défendent (Beckert et Bronk, 2016), de leur croyance religieuse (Aubin-Boltanski, 2014), ou des événements qui marquent leur trajectoire biographique (Knight, 2021 ; Berlant, 2011).
En conséquence, il est possible d’affirmer que non seulement les projections des individus vers les horizons temporels futurs cohabitent avec celles d’autres moments du temps (passé et présent), mais également, comme nous allons le voir, que les individus sont susceptibles d’évoquer des visions du futur qui peuvent être contradictoires et dont les interactions façonnent les pratiques sociales.
La fin des utopies ?
En s’intéressant à l’évolution de la pensée politique à travers le temps, ce sont tout particulièrement les historiens qui ont mis en évidence comment les imaginaires du futur, les contextes sociopolitiques et les pratiques sociales étaient liés. Ils ont notamment démontré comment la valorisation de la raison et du libre arbitre a diffusé une vision du futur qui cesse d’être une simple continuité du passé éclairée à la lumière de ce dernier. Portée par le courant des Lumières, la temporalité progressiste entretenait, par exemple, la conception d’un futur comme étant la conséquence directe des actions présentes (Adam, 2009, p. 9 ; Hartog, 2009, p. 52-53). Cela a marqué la naissance du « principe de responsabilité » qui ne porte plus sur ce qui « a été fait » mais surtout sur ce qui « est à faire » (Jonas, 2008).
Le futur gonflé d’espoir qui marque la rhétorique révolutionnaire et l’engouement politique sont, par exemple, révélateurs de l’existence d’un rapport optimiste, proactif et « jusqu’au-boutiste » vis-à-vis de l’avenir (Koselleck, 2016, p. 87-105). L’imagination, l’aspiration à l’émancipation et à la liberté que peuvent incarner ces périodes de l’histoire creusaient ainsi le sillon des projets utopiques, fondés sur la conviction qu’un avenir meilleur est à portée de main.
Pour de nombreux auteurs, cette temporalité optimiste et enthousiaste à l’égard du futur ne semble cependant plus trouver d’écho dans les mobilisations politiques contemporaines. Une approche du futur dominerait ainsi les représentations sociales de l’Occident : celle de la « crise de l’avenir » (Dubar, 2011, p. 2), de la « crise du futur » (Leccardi, 2011), de la « perte du futur » (Anderson, 2017, p. 466), des temps « apocalyptiques » (Foessel, 2012 ; Carey, 2019), « dystopiques » (Díaz, 2017, p. 5) ou encore « catastrophistes » (Dupuy, 2002 ; Chateauraynaud et Debaz, 2017 ; Semal, 2019). Tous ces travaux font référence à l’approche relativement pessimiste à l’égard des possibilités de voir advenir un monde plus juste et à l’effacement des temporalités futures à long terme dans les discours politiques progressistes. Il ne serait plus question de projeter dans un avenir lointain des aspirations rêveuses, tout particulièrement lorsqu’il est question du réchauffement climatique et de la dégradation de l’environnement (Theys, 2020). Pour le dire avec les mots du théoricien politique Frederic Jameson (1997, xii), il semblerait plus facile aujourd’hui d’imaginer la fin du monde que d’imaginer l’effondrement du capitalisme.
Ce dont l’avenir sera fait
Ces considérations théoriques méritent cependant d’être davantage ancrées sur le terrain. À cet effet, le cas des formes contemporaines du « retour à la terre » permettra de saisir les nuances et les dynamiques de cette temporalité dystopique. Si, en France, ce phénomène social ne date pas d’aujourd’hui et trouve des racines à la fois dans l’histoire des « milieux libres » anarchistes du XIXe et XXe siècles (Steiner, 2016) et dans les mouvements post-soixante-huitards des années 1970 (Léger et Hervieu, 1979 ; Clavairolle, 2013 ; Rouvière, 2016 ; Deléage, 2018), ses formes contemporaines font aujourd’hui l’objet d’un intérêt renouvelé pour les sciences sociales en France (Pruvost, 2013 ; Samak, 2017 ; Deléage, 2018 ; Dubertrand, 2020 ; Berthomière et al., 2021 ; Sallustio, 2022 ; Saumon et Tommasi, 2022).
Afin de réfléchir à ces interactions temporelles et de produire une analyse nuancée des effets des théories de l’effondrement sur les pratiques sociales, cet article mobilisera les données construites lors d’un terrain d’observation participante réalisé dans une dizaine de collectifs néopaysans autogérés1 du sud-est du Massif central français, des Cévennes aux monts du Vivarais, en passant par l’Aveyron, la Lozère, le Gard, l’Ardèche et la Haute-Loire, et ce, entre 2014 et 2019. Les collectifs agricoles sélectionnés pour cette recherche sont composés d’une population variant entre cinq et une vingtaine de personnes2. Ensemble, elles développent des activités de maraîchage, d’élevage (principalement chèvres et brebis) et/ou de transformation de produits tels que les crèmes de marrons, les confitures, le pain, le fromage ou la bière. Elles rénovent de vielles fermes et/ou construisent de petits habitats individuels (cabanes, yourtes, roulottes). On compte généralement parmi ces collectifs des personnes ayant un intérêt pour le travail du bois (menuiserie, charpente), pour la maçonnerie en pierres sèches ainsi que d’autres compétences annexes nécessaires à la vie néopaysanne telles que le bûcheronnage, la mécanique automobile ou l’électricité. Souvent, elles sont présentes sur les marchés de village et organisent des chantiers collectifs, de l’accueil (woofing, formations ou autre) ou des événements culturels en tout genre. Bien que les individus étudiés, âgés majoritairement de 20 à 35 ans pour les adultes, généralement blancs et issus de la classe moyenne3, ne soient pas tous originaires des villes, la majorité d’entre eux y a séjourné de manière plus ou moins longue pour les études ou le travail, et le développement de leur pratique agricole n’a pas été facilité par la reprise d’une activité familiale ou par leur milieu socioprofessionnel. Leur choix de s’installer dans une ferme collective s’appuie sur une volonté affirmée de tendre vers l’« autonomie ». En l’occurrence, cela concerne principalement le fait de produire (et d’apprendre à produire) un maximum de biens de première nécessité et de développer des sociabilités et des modes d’organisation directs et horizontaux qui permettent, en théorie, de s’émanciper de la dépendance à l’État et à l’économie de marché capitaliste. Dans cette veine, les néopaysans rencontrés expriment leur aversion envers le salariat, jugé comme une relation nécessairement aliénante, spécialisée et soumise à des logiques de contrôle capitalistes et autoritaires (Sallustio, 2020).
Lorsqu’on interroge les habitants des collectifs néopaysans sur leur vision de l’avenir, les réponses sont assez unanimes, sans distinction de classe, d’âge ou de genre significative. Une très grande majorité des personnes rencontrées dépeignent un avenir dystopique. L’extrait d’entretien suivant, réalisé avec Damien, 34 ans, habitant et cofondateur d’un collectif agricole cévenol, fait figure d’idéal-type.
« L’avenir ? [Tu veux savoir ce que j’envisage pour l’avenir ?] Oh ben tout ce qu’il se passe depuis 20 ans mais de manière un peu plus étendue : des murs entre les pauvres et les riches […], des inégalités encore plus grandes, plusieurs géographies parallèles, quoi. […] Et puis, des pauvres, parqués, [surveillés], utilisés comme main-d’œuvre, dans des conditions de vie atroces. Ce qui existe en fait depuis 300-400 ans, mais qui se polariserait de plus en plus. Une sorte de domination de groupes sociaux sur d’autres, des groupes qui ont des moyens militaires et d’autres pas. […] Voilà, récolter ce que l’Occident a semé depuis 400 ans. Et ce, évidemment, couplé à un désastre écologique absolu. Absolu. »
Les logiques d’adhésions à ce discours peuvent être sensiblement différentes selon les individus. Certains décrivent une impression de « débordement », une angoisse profonde, une détresse psychologique mêlée à un sentiment de culpabilité qui s’apparente à la notion clinique d’« éco-anxiété » telle qu’elle a pu être analysée par les psychologues (Panu, 2020). Ce sentiment précis suscite des angoisses bien réelles et dans plusieurs cas, il peut être lié à une crise existentielle ou à des épisodes dépressifs plus généraux. La majorité des autres acteurs rencontrés font toutefois référence à « l’effondrement » dans une perspective qui n’engage pas un investissement émotionnel qui les dépasserait et paralyserait leurs capacités d’action. Sensiblement similaires en termes de contenu, la plupart des discours « catastrophistes » font référence à l’effondrement pour objectiver leur impuissance politique vis-à-vis d’une situation de crise qui apparaît comme étant hors de contrôle4.
Le verrouillage climatique
Le contenu de cet avenir catastrophique dépeint quotidiennement par les habitants des collectifs néopaysans, et tel qu’on peut le lire dans le précédent extrait, concerne divers aspects de la réalité sociale. D’abord les risques environnementaux liés notamment au réchauffement climatique, à l’artificialisation des sols, à la pollution de l’eau et de l’air et à la dépendance à l’industrie pétrochimique. Face à cet état de fait, les néopaysans évoquent, avec autodérision ou cynisme, la dystopie d’un monde où les pressions environnementales sur la vie humaine, relatives notamment à la difficulté de se nourrir ou d’avoir accès à l’eau, feraient plonger les individus dans la « barbarie », comme continue ci-dessous Damien :
« Nous, on se dit tout le temps en rigolant que le jour où il n’y aura plus de bouffe et qu’on ne pourra plus retirer de l’argent dans les banques, les gens d’Alès, ils mettront combien ?… cinq jours à arriver ici ? Et là, quoi ? On va se défendre ? Tirer sur des gens ? (Rires). Je crois qu’en cas de sérieuse guerre civile, on ne représente absolument rien. »
La catastrophe écologique comporte également, selon les individus, une perspective malthusienne redoutant la surpopulation, l’amenuisement des ressources et l’impossibilité de nourrir l’ensemble de la planète. Cette pensée est souvent évoquée par les néopaysans comme l’une des motivations qui les a poussés à quitter la ville, vue comme un espace sujet à la surpopulation et où l’autosuffisance alimentaire est impossible à mettre en place.
La projection temporelle de l’effondrement de cet équilibre des écosystèmes et de leur viabilité diverge sensiblement selon les individus et les contextes discursifs (Cf. infra). Pour certains, l’insoutenable est « déjà là » (Foessel, 2014, p. 66) ; pour d’autres, il s’agit plutôt d’un avenir qu’ils sont plus ou moins sûrs de ne pas connaître de leur vivant. Pour Francis Chateauraynaud (2013, p. 296), le passage du « déjà là » au « pas encore » s’effectue généralement pour insister sur la certitude de ce scénario. Cet argumentaire peut alors soit accentuer la priorisation des efforts visant à l’empêcher, soit susciter une forme de désespoir et de fatalisme politique. Comme on peut le voir ci-dessous dans l’extrait d’un entretien réalisé avec John, 30 ans, habitant d’un collectif de l’Aveyron depuis 5 ans, l’insistance sur l’idée d’un « déjà là » s’articule à un désinvestissement militant. « Tout paraît déjà trop tard et perdu d’avance » (Claisse, 2010, p. 14).
« L’évolution du monde ? […] C’est simple. Il n’y a pas d’issue positive possible. C’est trop tard. […] [silence]. C’est foutu. […] Qu’est-ce qu’ils ont dit à la COP21, là ? Alors, il y a deux ans, le réchauffement climatique « +1 degré, c’est dramatique », mais à la COP21 d’il y a deux semaines, ils ont dit « oui bah +2 degrés, ça va, +4, ça commence à craindre, si on arrive à +4, c’est dangereux, il faut tirer la sonnette d’alarme et tout ». Et quoi ? Tous les ans ils vont augmenter d’un degré ? […] Imagine déjà sur vingt ans, deux degrés de plus, ce que ça donne comme conséquences ? […] On a accepté aujourd’hui comme quelque chose de normal ce qu’on présentait, il y a vingt ans, comme déjà une catastrophe. »
Un futur sans promesses politiques
L’extrait ci-dessus permet également d’introduire la deuxième composante des discours portés sur l’avenir : l’incapacité de transformer le monde via l’action politique institutionnalisée. John exprime le sentiment de décalage entre la temporalité dans laquelle s’inscrivent les néopaysans à l’égard du climat et celle des prises de décisions politiques nationales ou internationales, ce qui accentue une attitude défaitiste vis-à-vis de la participation à l’activité politique institutionnalisée. Sans être une exclusivité néopaysanne, ce rapport à la lutte sociale est prégnant au sein des réseaux catastrophistes qui, comme l’écrit le politiste Luc Semal (2019, p. 207), sont marqués par une « désillusion, nourrie du constat partagé de ne pas avoir su inventer à temps les voies politiques qui auraient permis d’éviter la précipitation des catastrophes écologiques tant annoncées ». De fait, les partis ou les syndicats sont perçus comme des structures « corrompues » qui agissent surtout dans le sens de leur reproduction par une complexification et un enracinement de l’appareil bureaucratique qui maçonne une organisation pyramidale du pouvoir (Carretero Pasín, 2003, p. 94). L’incapacité à renverser l’ordre social capitaliste et écocidaire s’accentue par ailleurs dans les discours lorsqu’il est fait référence à l’hégémonie de ce système économique à l’échelle mondiale.
Ajoutons que le désinvestissement des luttes sociales organisées prend également place dans le cadre d’un constat d’attaques croissantes des politiques néolibérales face à l’État social et d’une détérioration des droits des travailleurs. Le salariat et le statut social qu’il confère sont désertés au profit d’une vie « modeste » où le travail assurerait a minima sa vocation émancipatrice5, comme on peut le lire dans les mots de Benjamin, brasseur dans un collectif cévenol :
« Franchement, entre le minimum retraite et la retraite de certaines personnes qui ont travaillé toute leur vie… ils auraient mieux fait de moins travailler et prendre plus de temps peur eux, parce que ce n’est pas les 100 euros de plus qu’ils ont par mois qui cautionnent le temps qu’ils ont passé à travailler alors qu’ils n’avaient pas envie de le faire. »
Une certitude de voir advenir la fin de l’État social s’ajoute donc à une critique de principe visant la relation salariale. La plupart des individus sont également résignés par rapport à l’éventualité de toucher une retraite. Cela les incite à chercher des « portes de sortie », des espaces de solidarité alternatifs qu’ils pensent trouver au sein des collectifs agricoles, comme l’évoque ici Damien, précédemment cité :
« Si le système s’écroule, on sera tous dans la même merde de toute façon. Que tu aies travaillé ou pas. C’est-à-dire que s’il y a une espèce de crash de l’Occident, ce qui est fort probable, les assurances vieillesse des gens ne vaudront pas plus que ceux qui n’en ont pas, voilà. […] Nous, notre assurance vieillesse, on se le dit souvent avec des amis, c’est d’avoir créé des lieux. »
Cette observation rejoint les travaux de la géographe Kezia Barker (2020) qui, investiguant les « preppers6 » au Royaume-Uni, pointe que les pratiques survivalistes sont souvent liées à une méfiance envers l’État, jugé incapable de protéger les citoyens de la précarité en cas de crise. Le refus des acteurs rencontrés de « jouer le jeu de la prévoyance », souvent présenté comme étant une injonction extérieure émanant par exemple des parents ou des précédents employeurs, alimente ainsi la volonté de vivre « ici et maintenant » (Cf. infra).
Le futur tel qu’il est présenté par les néopaysans laisse donc peu de place à l’utopie révolutionnaire. Sans qu’elle ne soit une spécificité néopaysanne, la mobilisation collective organisée apparaît ainsi « en crise » (Zawadzki, 2002 ; Dubar, 2011 ; Leccardi, 2011) et intrinsèque à la « crise du futur » qui, selon Claude Dubar (2011, p. 3), s’incarne précisément dans « l’impuissance à élaborer de vrais projets collectifs, des perspectives mobilisatrices à long terme ». La dystopie souvent dépeinte par les néopaysans présente en effet un futur sans promesses politiques. Les discours relatifs au futur dont il est question ici évoquent, au contraire, la menace (Hartog, 2009, p. 63), un imaginaire non désiré qui inscrit le rapport au futur dans la continuité des critiques du présent.
Le resserrement des contrôles
Le sentiment de crise démocratique décrit par les acteurs s’accompagne, enfin, d’une défiance envers l’appareil étatique, la logique de la démocratie représentative via le principe électoral et la centralisation du pouvoir. L’idée selon laquelle les structures étatiques sont vouées à perpétuer d’intrinsèques inégalités sociales et des logiques d’oppressions systématisées s’explique entre autres par la culture anarchiste des acteurs rencontrés sur le terrain, qu’elle soit revendiquée ou non.
S’installer en collectif agricole autogéré revêt ainsi pour de nombreuses personnes à la fois la volonté d’expérimenter un mode de vie collectif et antiautoritaire, et le refus de participer à l’organisation d’une société qu’ils jugent intrinsèquement antidémocratique et inégalitaire.
Au moment de la réalisation de mon terrain, la crainte de voir se rigidifier un système totalitaire était souvent mise en relation avec les contextes politique et médiatique qui marquaient la France à cette époque, à savoir la mise en place d’un « état d’urgence » par le gouvernement français après les attentats de 2015, la montée de l’extrême droite dite « décomplexée » (qui s’est concrétisée par l’arrivée du Front National au second tour des élections présidentielles) ainsi que les violences policières croissantes à l’égard de différents mouvements sociaux tels que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et les mouvements opposés à la « Loi travail » en 2016 (Bigo, 2019 ; Codaccioni, 2021 ; Rocher et al., 2021).
Certains néopaysans, surtout ceux qui ont préalablement été actifs au sein de réseaux de squats, d’occupations ou des milieux anarchistes en ville, font usage des analyses de Michel Foucault et Gilles Deleuze sur les « sociétés de contrôle » (Deleuze, 1990, p. 1), « de surveillance » (Forest, 2009) ou « sécuritaires » (Foessel, 2010). Les néopaysans témoignent en effet du sentiment d’un contrôle de l’État toujours plus poussé, et ce, à partir du constat de la multiplication des dispositifs de surveillance, de la technologisation des mécanismes de contrôle (caméras de sécurité, cartes de transport électroniques, perte de contrôle de la confidentialité des données personnelles…) ainsi que des modes de gouvernance qui laisseraient de moins en moins de place à la contestation politique7. Dans les discours, la décision d’habiter et de travailler en collectif implique donc à la fois l’idée de s’approprier les conditions de production de certains biens de première nécessité (cf. infra) et celle d’un « repli » dans des zones où le contrôle de l’État serait moins omniprésent et rendrait possibles par là même des formes de « résistance » ou de « clandestinité ».
Les temporalités de l’effondrement
Un millénarisme dépolitisant ?
L’horizon temporel futur dépeint par les personnes rencontrées dans les collectifs agricoles autogérés présage donc, comme on vient de le voir, un avenir catastrophiste lié à une crise écologique, démocratique, sociale et militante. Sur de nombreux aspects, les discours rejoignent ainsi les propos tenus dans le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Servigne et Stevens, 2015), souvent lu par nos acteurs. Cet ouvrage est emblématique des théories dites de « l’effondrement », dont la médiatisation s’est accrue ces dernières années (Gadeau, 2019 ; Tasset, 2019). Celles-ci nous mettent en garde contre une possible extinction massive en cascade, entraînant une situation de pénurie alimentaire et énergétique, suivie d’un potentiel chaos. Comme l’ont déjà résumé plusieurs auteurs ([n.s.], 2009 ; Allard et al., 2019 ; Bidet, 2019), ces thèses ont soulevé de nombreuses critiques, notamment en raison de leur rhétorique dépolitisée et dépolitisante (Swyngedouw, 2013 ; Thoreau et Zitouni, 2018 ; Larrère et Larrère, 2020), voire survivaliste et millénariste (Charbonnier, 2019).
Faute de stratégie politique organisée allant dans le sens de plus de justice sociale, cette rhétorique apocalyptique aurait effectivement plutôt suscité une « angoisse » paralysante (Allouch et al., 2020), un « effet de sidération » (Theys, 2020, p. 1) qui, par la fermeture de tout horizon futur alternatif à la catastrophe rendrait caduque l’espoir de transformation sociétale (Theys, 2020) et, plus généralement, la lutte sociale quelle qu’elle soit. La dimension critique et l’ouverture des possibles jadis implicite dans la pensée de la crise se sont effacées, « perdant leur capacité à faire histoire » (Allard et al., 2019, p. 58). En faisant fi des rapports de force existants, de l’histoire des luttes sociales (et de leurs aboutissements) et sans proposition d’actions concrètes, ces « théories de l’effondrement » déposséderaient les acteurs sociaux de leur capacité propre à transformer le monde social (Thoreau et Zitouni, 2018 ; Allard et al., 2019).
Plutôt que de créer des mouvements de solidarité de masse, les acteurs qui défendent ou concourent à diffuser ces « théories de l’effondrement » procéderaient ainsi à un « sauve-qui-peut généralisé » aux conséquences individualistes survivalistes, encourageant à la fuite ou à des comportements moraux exemplaires et isolés8. Cela alimenterait ainsi la doctrine néolibérale, un appareil idéologique conservateur dont l’emprise empêche d’imaginer rationnellement des alternatives (Pignarre et Stengers, 2007).
Le repli « présentiste » des projets néopaysans
Lorsqu’il s’agit de porter un discours sur l’avenir, les personnes rencontrées pour cette recherche évoquent le fait de ne « croire en rien », de « refuser de penser à l’avenir », comme on peut le lire dans l’extrait ci-dessous (l’auteur, Chris, 33 ans, habite dans un collectif cévenol depuis moins d’un an).
« Mouais, je trouve ça trop angoissant le futur (Silence). C’est un truc que je ne pense pas trop. […] Si j’écoute les news, ça me déprime pour des jours… Je préfère vraiment ne pas y penser, me concentrer sur des projets à ma toute petite échelle. »
Cette idée, commune chez les interviewés, semblerait bien correspondre à l’horizon temporel dominant décrit par plusieurs auteurs contemporains : celui du « présentisme » (Hartog, 2015), d’un futur « replié sur le présent » (Leccardi, 2011, p. 4) où l’urgence (Dubar, 2011) deviendrait omniprésente. S’ensuivrait alors un rapport au temps piégé dans un présent perpétuel qui deviendrait « tyrannique » (Baschet, 2018), rendant impossible le fait de se projeter dans un avenir heureux et stable. La temporalité qui accompagne la crise induit en effet une « rupture de la temporalité d’engagement » (Mazade, 2011, p. 13) qui brise les possibilités de sens et de cohérence politique.
L’idée d’une révolution « perdue d’avance » face aux blocages démocratiques décrits plus haut, ajoutée à la perspective d’un effondrement climatique et social, conduit les acteurs à renoncer à la temporalité linéaire progressiste issue des Lumières (Cassegård et Thörn, 2018). Janoé, d’un collectif de l’Aveyron, exprime à la fois cette inéluctabilité d’un destin tragique et le refus de présenter son projet de vie néopaysan comme inscrit dans une trajectoire militante orientée vers un avenir meilleur :
« Moi, je me soulage en me disant ‘bon, je fais à peu près un truc bien, là, maintenant, c’est du concret, et en plus, ça va dans mon intérêt’. Mais le truc de dire ‘regardez, ce qu’on fait c’est mignon, ça va renverser l’ordre des choses, sauver la planète’, pff, ça, j’y crois pas. »
Dans ces cas de figure et comme l’illustre l’extrait ci-dessus, la perspective d’une mise en cohérence de la vie quotidienne avec ses idéaux et jugements moraux est remise en question. Ce type de propos, qui adopte une position à la fois de culpabilité à l’égard des logiques sacrificielles de l’engagement social (« je fais ça pour moi, pour mon bien-être, je sais que c’est individualiste ») et de résignation provocatrice faisant office de justification (« et puis de toute façon tout est foutu, ceux qui croient encore qu’on peut changer les choses sont naïfs9 ») n’est pas présent de manière aussi tranchée chez tout le monde. Les mêmes individus peuvent tenir des discours différents selon les conversations. Dans une discussion, par exemple, il n’est pas rare que lorsqu’une personne cherche à reculer l’horizon futur d’un effondrement, l’autre réancre dans le présent les effets de la crise pour en accentuer l’urgence. Ces propos sont donc souvent tenus pour contrebalancer un excès d’optimisme vis-à-vis des potentialités de changement social.
Souvent mise en avant dans les médias alternatifs à l’égard des démarches écologiques radicales, la quête de sens (dans l’idée d’une cohérence totale entre ses idéaux et son mode de vie) est donc ici considérée avec dépit et jugée illusoire. Il s’agit de prendre conscience de la futilité de sa tentative d’« échapper au système », de constater son impuissance et de faire face à l’absurde, « ce passage quotidien de l’espoir à la détresse et de la sagesse désespérée à l’aveuglement volontaire » (Camus, 1991, p. 185).
Former un monde
La conceptualisation philosophique que fait Albert Camus de l’absurde permet selon moi d’appréhender dans sa complexité la posture néopaysanne relative à l’avenir. Cette posture peut effectivement apparaître incohérente d’un point de vue existentiel et politique tant les actions mises en place sont systématiquement resituées dans une perspective d’impuissance. Pourtant, « cet univers désormais sans maître ne leur paraît ni stérile, ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. […] Il faut imaginer Sisyphe heureux » (Camus, 1991, p. 168). L’extrait ci-dessous, de l’entretien réalisé avec Damien précédemment cité, illustre cette posture, sans pour autant s’en revendiquer.
« – Moi : Mais si tu es complètement pessimiste, alors, à quoi bon faire ce que tu fais ? […]
– Damien : Parce que jusqu’au dernier moment, il faut que ça soit heureux. Que les gens gardent l’humour jusqu’au pied de l’échafaud. Je ne sais pas, on vit cette époque-là, ce n’est pas la première, je pense, qui peut être vécue de façon dramatique. Nous, on est encore hyper préservés. On est encore dans un confort absolu et une sécurité maximale. Je ne sais pas si ça va durer, mais on n’a pas le droit de baisser les bras ! C’est pas drôle en plus ! C’est pas marrant quoi ! […] En faisant des trucs avec les gens, chaque personne grandit. Tu essayes d’être plus malin, plus sensible. Je veux dire, dans tout ce bordel, tu peux quand même avoir un chemin individuel et collectif qui ressemble à quelque chose, avec de la joie, du plaisir à faire ce que tu fais. Ne pas devenir un fieffé con. »
Le projet d’installation en collectif autogéré participe donc, pour une majorité de ses protagonistes, à une modalité de rupture ou de transition, non seulement avec un mode de vie, mais également avec l’attitude de paralysie mélancolique qu’ils disent éprouver. La quête d’autonomie génère en ce sens un ensemble de pratiques qui réencapacite les acteurs et focalise leur attention sur d’autres types d’objectifs, plus modestes que celui d’une transformation radicale du monde telle qu’espérée par les théories révolutionnaires classiques.
Plutôt que de sombrer dans de l’inquiétude mélancolique, les néopaysans font donc tout un travail de restriction d’échelle. Celle-ci est à la fois spatiale (penser une économie localisée, produire et consommer des biens adaptés au territoire, s’investir potentiellement dans la politique communale, s’intégrer dans des réseaux d’entraide villageois, etc.) et temporelle (planifier du temps sur l’année agricole, faire ses semis au printemps pour une récolte automnale, faire son bois de chauffe pour dans deux ans, sélectionner des semences pour obtenir des variétés plus précoces, etc.).
Autrement dit, « retourner à la terre » devient un prétexte permettant d’agir dans le présent sur des aspects « concrets » (se nourrir, se loger, organiser un festival) où les effets des actions sont directement observables et où la maîtrise sur la production est augmentée grâce au refus de la spécialisation des tâches et à la relocalisation des activités dans la sphère quotidienne. D’un point de vue temporel, les activités qui sont déployées n’impliquent ni de lointaines projections (à moins qu’elles ne soient enracinées sur le lieu collectif même, comme le fait de planter des vergers ou d’améliorer la qualité des sols), ni d’ambitions profondément révolutionnaires.
Notons que la priorisation de la recherche du plaisir défendu dans les entretiens n’implique pas pour autant une indifférence par rapport au monde social englobant. Il n’est pas question de vivre, dès lors que la catastrophe semble inévitable, dans un luxe indécent ou se livrer à une consommation sans limites (ce qui pourrait, a priori, être une source de bonheur comme une autre). Ce qui procure du plaisir est en effet évalué au regard d’une « éthique de l’existence post-capitaliste » (Arnsperger, 2009) sur laquelle se construit tout un régime de valeurs telles que le respect de la vie animale et végétale, la valorisation de l’autoproduction et de la polyactivité ou le rejet de l’exploitation néocoloniale. Cette éthique se construit collectivement au gré des discussions, lectures partagées ou formations. Elle articule nécessairement l’imaginaire d’un monde que l’on souhaite voir advenir et un principe de réalisation individuelle.
Cela passe par la formation à différents savoir-faire, la maîtrise des étapes de la chaîne de production de biens de consommation de base (alimentation, habitat, artisanat), le plaisir à la tâche ainsi que le développement de connaissances liées à un écosystème « apaisé ». En quittant la ville, les néopaysans cherchent en effet à s’éloigner d’un contexte qui les confronte aux constats précédemment cités. Dans les discours, il peut s’agir des mouvements de masse des travailleurs dans les transports en commun, du « béton », des « embouteillages », « les barres d’immeubles », des inégalités sociales, de la présence affirmée de la police ou d’autres organismes de contrôle, ou de pollutions de toute sorte (de l’air, sonore, lumineuse).
La majorité des personnes que j’ai rencontrées se distinguent des militants qui sont présentés comme faisant l’erreur de sacrifier leur qualité de vie quotidienne au profit d’un plan stratégique orienté vers un horizon futur, quand bien même utopique. Certains interlocuteurs y opposent l’importance de vivre plutôt l’expérience incarnée du monde tel qu’il est souhaité, « ici et maintenant ». Cette approche rappelle la distinction que fait Michaël Foessel (2022) entre le « plaisir » et le « désir » : la tendance est à chercher des sources de satisfaction plus modestes et immédiates, à valoriser le chemin en train de se faire.
Les exemples cités pour attester de cette joie militante sont divers : la satisfaction à s’organiser de manière efficace et anti-autoritaire, la consommation de légumes de qualité, s’améliorer en confection du pain, tirer un revenu de ses fromages de chèvres ou encore construire sa propre cabane. Le quotidien de vie et de travail au sein de ces collectifs permet aux individus de renouer avec un sentiment « d’accroche », de constater leurs capacités d’actions sur le monde et donne l’impression d’une prise en main accrue de leur existence.
Le « retour à la terre », avec l’idéalisation de la paysannerie « traditionnelle » qu’il comporte, et le fait de se lancer dans des processus d’apprentissage de savoirs et savoir-faire nouveaux pour les individus, permettent aux acteurs de réenchanter leur quotidien, tout particulièrement en début d’installation (Sallustio, 2018). Ce n’est toutefois pas un processus de « guérison » d’une attitude mélancolique, mais bien l’ouverture d’horizons temporels parallèles, qui se mettent à cohabiter (Cf. infra). La passion, l’exaltation et la recherche du bonheur sont ainsi concomitantes à l’anxiété et à la mélancolie dépeintes ci-dessus.
Cette focalisation sur le plaisir, l’épanouissement, le bien-être, l’amusement, qui peut prendre la forme d’un « papillonnage » dans le travail agricole quotidien (Sallustio, 2020) et qui n’est rien d’autre que la formulation positive d’un processus de « prise en main » permettant d’éviter de faire référence exclusivement aux affects négatifs précédemment traités, est cruciale dans la décision de s’installer en collectif paysan autogéré, mais aussi d’y rester. Si ces dimensions de plaisir pur sont trop compromises par la lassitude du travail, par l’ajout de contraintes, du manque de reconnaissance ou de la dégradation des relations interpersonnelles, l’envie de continuer l’aventure s’amenuise considérablement. En cela, « l’ici et maintenant » et la recherche de satisfaction quotidienne que cette temporalité comporte ont sans doute une influence sur la difficulté de ces lieux à pérenniser les installations de leurs membres10.
La réouverture des perspectives d’avenir utopiques
Par leur restriction d’échelle temporelle et les activités qu’ils mettent en place, les néopaysans rencontrés posent les jalons d’une perspective d’avenir parallèle et antagoniste à celle de l’effondrement. L’ouverture du futur se situe, en effet, « au cœur de l’action » (Chateauraynaud, 2013, p. 302). La « logique du projet » devient ici la clef pour « se réapproprier son expérience vécue » (Boutinet, 2012, p. 365). En développant les projets d’agriculture collective, les néopaysans rouvrent des perspectives d’avenir, endossent un rôle d’exemplarité et se présentent comme des espaces d’expérimentations écologiques et sociales.
Ces expérimentations peuvent concerner l’exercice de l’agriculture non motorisée, de modes de construction écologique à faible prix (récupérations, recyclage, Do it yourself [DIY]), la viabilité de modèles économiques qui prendraient en compte le bien-être animal, le bénéfice de la mise au vert sur la santé mentale ou le sevrage11, mais également le fait de développer des outils d’organisation et de communication, d’organiser des solidarités via la mutualisation d’outils ou d’espaces, d’ouvrir le cercle familial sur le collectif, d’accueillir et d’offrir des ressources humaines et matérielles à des personnes précaires en milieu rural où les services de proximité manquent, d’éprouver les logiques de gratuité, troc ou de prix libre ou encore de s’imposer comme des espaces de formation (en mécanique, construction, transformations de produits) qui vont dans le sens d’une lutte contre l’obsolescence programmée et dans celui d’un empowerment radical, notamment des femmes, comme en témoigne Lucille, d’un collectif de Haute-Loire :
« Quand je suis arrivée ici, je ne savais rien faire, rien. J’avais peur de tout, peur de me couper, peur de me blesser, je demandais toujours qu’on m’aide. Mais maintenant (elle imite le bruit du moteur de manière enthousiaste) ‘brambram !’ Je prends la tronçonneuse, je fais mon bois [pour me chauffer], je sais comment porter des trucs sans me faire mal, je suis en train de construire ma cabane, je me sens tellement puissante, si tu savais… »
L’espoir n’est donc pas absent de l’imaginaire néopaysan, contrairement à ce que les discours défaitistes laissent paraître. Ces individus espèrent construire des perspectives d’avenir dont pourraient s’inspirer d’autres personnes, sans qu’elles ne soient pour autant ciblées ou clairement identifiées. Sans que leur projet de société ne fasse l’objet d’une lutte sociale organisée à grande échelle ni d’une démarche de prosélytisme militant (dont la plupart des personnes rencontrées expliquent avoir horreur), les néopaysans estiment donc malgré tout qu’ils contribuent à un changement social. Il ne s’agit pas d’une stratégie politique planifiée. Leur démarche s’inscrit davantage dans la logique qu’Erik Olin Wright (2017) décrivait à propos des « utopies concrètes » et de leur potentiel de transformation sociétale à partir des interstices et des marges de la société : celle de la « tache d’huile », de la multiplication spontanée et du renforcement non centralisé de ces espaces et réseaux à visée autonome et libertaire. C’est par exemple ce qu’explique ici Xavier :
« Il y a tout un monde qui est en train de se créer en parallèle. […] Il y a plein de gens qui viennent d’une vie normale et qui se disent ‘mais moi, j’en ai marre d’être salarié, d’avoir 10 000 dettes pour vivre dans un appart pourri en ville, je devrais faire comme vous’. Je vois cette énergie-là comme un truc, vraiment, qui s’agrandit. Donc oui, à un moment, ça sera bien de se solidariser, discuter des solutions qu’on a trouvées, redéfinir des valeurs, mais c’est rien de défini, c’est juste un truc qui démarre là. Si on doit espérer une nouvelle révolution, je pense que ça va être une révolution un peu silencieuse. S’il y a une partie, même assez marginale, qui arrive à se passer de l’action de l’État… l’État est affaibli. […] Je me sens vraiment dans un mouvement d’expérimentation, qui cherche à voir comment le monde de demain pourrait être écrit. Je n’ai pas non plus une vision hyperprécise dans la tête. C’est pas un projet politique planifié. »
Implicite, cette vision politique guide donc une grande partie des pratiques néopaysannes et, ce faisant, fait exister une temporalité future optimiste qui se construit ainsi dans l’action. C’est toute la logique de la responsabilisation individuelle du changement social, une « biopolitique alternative » (Hajek, 2021) qui est alors prônée. Ce souci de réaliser ses idéaux politiques à travers son mode de vie n’est pas propre aux néopaysans et a été étudié par les sociologues sur divers terrains (Dubuisson-Quellier, 2016 ; Bidet, 2019 ; Bidet et Sarnowski, 2021 ; Hajek, 2021). L’extrait d’un entretien réalisé avec Laurine, 29 ans, membre d’un collectif cévenol, l’illustre bien :
« Moi, j’ai décidé d’arrêter de manger la bidoche. […] Je ne vais pas cracher sur l’industrie de la viande en continuant d’en manger, ça n’a pas de sens ! Il faut que ça commence par soi. Mais par contre, je ne vais pas […] frapper à toutes les portes pour dire ‘ouais, mangez pas de viande, c’est mal’. […] C’est pas pour ça qu’il faut imposer par la force, ce serait une dictature écologiste. (Rires) […] Il faut que ça vienne des gens, qu’ils prennent conscience, qu’on devienne de plus en plus nombreux. »
Une échappée temporelle se dessine alors dans le présent, une nouvelle diversification des possibles, la multiplication des horizons temporels. Le futur n’est pas exclusivement coincé dans l’idée de l’inéluctabilité de la catastrophe. En aménageant des projets tels que ceux décrits ici, les néopaysans créent les conditions qui leur permettent de faire malgré tout exister une temporalité future parallèle, cette fois utopique.
Dans cette idée, « l’horizon d’attente fusionne avec le champ d’expérience » (Foessel, 2006, p. 303), mais pas dans le sens négatif entendu par le concept de présentisme. Le présent n’est effectivement pas considéré ici comme un horizon temporel dévalué, simplement à cheval entre le passé et le futur qui, aussitôt réalisé serait déjà passé, ni comme un moment historique « imparfait » (Pels, 2015, p. 786) qu’il faudrait dépasser pour arriver, enfin, au futur auquel on aspire. Les horizons temporels qui entourent le quotidien néopaysan font gagner le présent en profondeur et en complexité ; il est pleinement vécu au point de devenir le « lieu de conjoncture de l’utopie », comme la philosophe Marie-Ange Cossette-Trudel (2010, p. 3) l’a argumenté avec brio dans un article consacré à une relecture des travaux de Charles Fourrier.
Toute l’ambivalence de cette approche du futur, « le paradoxe de l’espoir » (Cassegård et Thörn, 2018), réside ainsi dans le présent, qui devient à la fois une temporalité de repli qui, comme l’avaient déjà étudié François Hartog (2015) ou Jérôme Baschet (2018), permet d’éviter de se poser la question de l’avenir lorsque son évocation provoque un sentiment d’impuissance et une angoisse trop difficile à contourner, mais aussi une temporalité « créatrice » où prend racine l’utopie elle-même (Cossette-Trudel, 2010).
Comme l’ont suggéré les sociologues Carl Cassegård et Håkan Thörn (2018, p. 568), dans le cas du militantisme écologique, la « narration post-apocalyptique » semble donc être davantage un outil de mobilisation que la confiance en l’innovation technologique pour trouver des solutions à la crise environnementale, que l’on pourrait qualifier d’« optimisme cruel » (Berlant, 2011). L’angoisse suscitée par la perspective d’un effondrement peut ainsi être le tremplin vers une mobilisation décentralisée et des dynamiques politiques non urbaines qui constituent aujourd’hui une des formes contemporaines de l’engagement social en France.
Conclusion : temporalités paradoxales, temporalités multiples
Comme le constate Matthew Beaumont (2012, p. 12) à propos de l’utopie anglaise à la fin du XIXe siècle, l’utopie néopaysanne revêt « un assemblage délicat d’optimisme et de pessimisme ». Ces deux visions du futur antinomiques cohabitent et portent avec elles des contradictions quant au sens dont est investi le quotidien. Analyser ces pratiques et ces discours à partir du paradigme des temporalités multiples permet de dépasser le simple constat d’incohérence existentielle et politique et de prêter attention à la façon dont ces rapports au temps interagissent et s’influencent l’un l’autre au point de devenir interdépendants.
Le paradigme des temporalités multiples permet d’apporter de la nuance au « diagnostic de temps post-moderne » émanant d’un milieu intellectuel, trop prompt à considérer son propre nihilisme comme une temporalité unique dominant toutes les sphères de l’existence (Pels, 2015, p. 783). Si les néopaysans se font discrets à l’égard de leur espoir en un avenir meilleur d’un point de vue écologique, social ou politique, le rapport optimiste au futur n’est pourtant pas absent de leur démarche. À l’instar de ce que la prise en considération d’une « écologie des futurs » suppose (Michael, 2017), les deux rapports à l’avenir, optimiste et pessimiste, que les néopaysans conçoivent conjointement, et qu’ils évoquent à des degrés divers selon les interactions en présence et leur état émotionnel, ne se contentent pas de coexister. Ils interagissent. L’espoir de poser les bases d’un projet de société proposant une alternative à un état anticipé comme désastreux est souvent désavoué de la part des acteurs sur le terrain mais joue pourtant un rôle dans la construction de ces projets à visée autonome qui, sans l’acceptation d’une vision catastrophique du futur, n’auraient peut-être pas lieu d’être. En parallèle, les pratiques déployées façonnent à leur tour un imaginaire du temps alternatif.
Si la rhétorique de l’effondrement « fixe les futurs » (Chateauraynaud et Debaz, 2019, p. 128), prend « en otage le présent » (Hendrickx, 2019, p. 125) et monopolise l’imaginaire politique contemporain en ne laissant pas de doute sur la réalisation d’une catastrophe écologique sans précédent, les critiques qui lui sont adressées sous-estiment la capacité des acteurs sociaux à faire coexister des temporalités antinomiques et à jongler avec l’absurde, les tensions, les incohérences, les dissonances. « La disparition [et la] survie étant les deux extrêmes de la rhétorique apocalyptique, [il s’agit dès lors] de se recomposer autrement, de manière à la fois inquiète et joyeuse » (Noël, 2019, p. 149). Chez les néopaysans, ces contradictions temporelles semblent se réconcilier autour d’une attitude cynique provocatrice, mais également s’effacer dans le cours de l’action concrète en train de se mener.
Le travail empirique détaillé ici propose des clefs d’analyse d’un imaginaire particulier : celui du rapport au futur. Pour l’anthropologue Peter Pels (2015), le projet de développer une « anthropologie du futur » qui aurait une volonté de systématisation paradigmatique ne peut se concevoir autrement que dans une perspective théorique qui embrasse l’idée d’une multiplicité des temporalités. Il s’agirait non seulement de reconnaître le fait que les individus mobilisent des rapports au futur qui sont pluriels, évoluent au gré des expériences et peuvent être antinomiques, mais aussi de comprendre les répercussions de ces interactions temporelles dans le présent. En cela, l’étude des « utopies interstitielles » (Wright, 2017, p. 513) revêt des enjeux théoriques fondamentaux pour la socioanthropologie des temporalités.
Partir de l’idée que les individus évoluent nécessairement dans des temporalités multiples (Grossin, 1996) et « prendre au sérieux » les agencements idéologiques et temporels contradictoires qu’ils déploient pour continuer d’avancer peut alimenter une posture paradigmatique permettant aux sciences sociales d’appréhender avec nuance les débats de sociétés auxquels nous sommes confrontés tout en rejetant les postulats d’uniformité des représentations du temps au sein des groupes sociaux.
Remerciements
Je remercie chaleureusement Cyprien Tasset pour son travail minutieux de relecture. Ses critiques et conseils ont fortement contribué à l’amélioration de ce texte.
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Entendu ici comme la volonté affirmée de rejeter toute forme d’organisation pyramidale du travail agricole, d’éviter la propriété privée en privilégiant la propriété collective et associative, et en œuvrant dans le sens d’une autogestion des moyens de production. Notons que le caractère collectif et autogestionnaire des lieux de vie privilégiés lors de mon travail de terrain sur-visibilisera ici les tendances anarchistes et libertaires de ces initiatives par rapport à d’autres travaux portant sur des projets d’installation agricole individuels ou familiaux ou à vocation davantage artistique ou spirituelle.
Il est important de noter que cette dernière n’est pas l’unique, ou même principale, raison qui les pousse à investir des fermes collectives autogérées. Entre autres, la possibilité de développer une activité qui se régit selon les temps choisis (Sallustio, 2022) et le fait de pouvoir expérimenter un mode de vie fondé sur l’ « unité du travail et de la vie » (Gorz, 1988, p. 97) occupent une part belle dans les discours.
Cette utopie du « travail libéré » est toutefois à nuancer dans la pratique, mais c’est une autre histoire (Sallustio, 2022).
Terme qualifiant les personnes se « préparant » à une situation à venir catastrophiste (guerre, cataclysme, pandémie…). Cette sous-culture survivaliste se manifeste par le fait de faire des réserves (nourriture, énergie, médicaments…), d’apprendre des savoir-faire identifiés comme permettant la survie et/ou de rassembler un équipement spécifique (armes, bunker, groupe électrogène…).
Lors d’un travail de recherche plus récent réalisé en France et en Italie au sein de collectifs similaires à ceux présentés ici, j’observe que les réactions vis-à-vis de la gestion de la pandémie du Covid-19 ont exacerbé ces craintes, rapprochant ainsi l’échéance de l’effondrement dans les discours.
Il me semble important de noter que les critiques militantes et scientifiques portées à l’encontre des « théories de l’effondrement » n’avaient pas encore fait l’objet d’une forte médiatisation et des débats que nous avons connus après 2019. Sur un terrain plus récent, j’ai rencontré de nombreux acteurs qui intégraient ces critiques pour nuancer les solutions survivaliste et individualiste qui peuvent découler de ces théories.
Lors de mon travail de terrain, j’ai rarement rencontré des personnes installées depuis plus de 10 ans dans le même collectif. La sous-représentation des personnes âgées de plus de 50 ans est également à signaler. Notons toutefois que les raisons des départs demeurent multiples (manque de confort, précarité économique, usure au travail, ambitions professionnelles individuelles, installation en noyau familial, conflits interpersonnels, etc.).
Il n’est pas rare que les collectifs agricoles, tout particulièrement ceux qui ont une politique d’ouverture inconditionnelle, soient des points de chute ou des espaces de ressources humaines et matérielles pour des personnes précarisées, parents célibataires, sans domicile fixe ou victimes d’addictions sévères. Cela n’est que très rarement officialisé. Lorsque le travail social est revendiqué, il concerne alors plutôt l’accueil de jeunes publics ou de personnes en situation de migration.
Citation de l’article : Sallustio M. No Future. Les collectifs néopaysans et leur rapport à l’avenir : utopie, dystopie et présentisme. Nat. Sci. Soc. 31, 4, 453-466.
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