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Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 3, Juillet/Septembre 2023
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Page(s) | 269 - 280 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2023044 | |
Published online | 19 January 2024 |
Franchir les frontières. Pratiques de l’interdisciplinarité et construction du chercheur
Crossing Boundaries. Practices in interdisciplinarity and the making of the scientist
1
Anthropologie, IRD, UMR G-EAU, Montpellier, France
2
Ethnoécologie, IRD, UMR SENS, Montpellier, France
3
Pédobiologie, IRD, UMR ECO&SOLS, Montpellier, France
4
Entomologie médicale, IRD, UMR MIVEGEC, Montpellier, France
* Auteur correspondant : jeanne.riaux@ird.fr
Reçu :
26
Novembre
2021
Accepté :
23
Janvier
2023
Ce texte contribue à un large ensemble de réflexions sur l’interdisciplinarité. Au travers des trajectoires personnelles des coauteurs, il vise à comprendre le rôle de l’interdisciplinarité « de l’intérieur », dans la construction des chercheuses et des chercheurs et, partant, de porter un regard positif sur cette pratique souvent présentée sous un angle négatif (difficultés, écueils, etc.). Les exemples concrets de franchissements des frontières disciplinaires, sont autant de témoignages de la diversité des trajectoires. Mais à travers cette diversité se dessinent des traits communs. L’interdisciplinarité s’est construite en même temps que l’identité scientifique de chacun s’est façonnée. Cette construction particulière n’est probablement pas sans lien avec une certaine proximité avec le « terrain », dans toutes ses composantes physiques ou sociales. Elle est aussi le propre d’une hybridation entre les parcours individuels et la diversité des expertises scientifiques et culturelles des collègues avec lesquels se nouent les collaborations. Ce retour d’expérience réflexif offre à l’analyse de la pratique interdisciplinaire quelques éléments d’objectivation, notamment sur la manière dont elle façonne les trajectoires individuelles et sur le rôle du décentrement et de la réflexivité dans ces trajectoires.
Abstract
This text is a contribution to the vast debate on interdisciplinary research that is unfolding with increasing intensity. Through the co-authors’ personal and original trajectories, it aims to understand “from the inside” the role of interdisciplinary practice in the scientific construction of researchers and, thus, to bring a more positive vision of this practice often portrayed in a negative light (difficulties, pitfalls, etc.). The concrete examples of crossing boundaries between the natural and social sciences demonstrate the diversity and the plurality of forms these interdisciplinary trajectories may take. Yet, through this diversity, some common features emerge. Interdisciplinarity developed simultaneously with the shaping of the scientific identity of each individual. This distinctive construction is probably linked to a certain closeness with the “field” in all its physical and social dimensions. It is also most certainly the result of a hybridization between individual backgrounds and the diversity of scientific and cultural experiences of the colleagues involved in the collaborations. This reflexive feedback provides some elements of objectivation for the analysis of interdisciplinary practice, particularly around the role of decentring and reflexivity in interdisciplinary trajectories.
Mots clés : recherche / dispositifs institutionnels / interdisciplinarité / identité / réflexivité
Key words: research / institutional frameworks / interdisciplinarity / identity / reflexivity
© J. Riaux et al., Hosted by EDP Sciences, 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
Au travers d’un échange d’expérience à quatre voix, informés de nombreux travaux portant sur l’interdisciplinarité, les auteurs esquissent les enjeux pratiques d’une interdisciplinarité qui fasse sens pour celles et ceux qui s’y engagent. Ils montrent combien la démarche implique les méthodes tout autant que les identités scientifiques, et a toujours quelque chose de spécifique au collectif qui la met en œuvre. Elle pose aussi la question du rapport à la décision qui se joue différemment suivant les spécialités ; et donc, indirectement, des vertus cardinales de neutralité, impartialité et objectivité. Et si pratiquer l’interdisciplinarité revenait, finalement, à s’autoriser à penser par soi-même ? Cette conclusion interroge ce qu’il en est de la science aujourd’hui : une activité d’évaluation, trop souvent, plus que de créativité et de découverte.
La Rédaction
« Toute connaissance acquise sur la connaissance devient un moyen de connaissance éclairant la connaissance qui a permis de l’acquérir. […] La connaissance élaborante essaie de se connaître à partir de la connaissance qu’elle élabore, et qui lui devient ainsi collaborante », Edgar Morin (1983).
Dans la littérature, l’interdisciplinarité est de plus en plus pensée comme une pratique. Depuis les textes fondateurs réunis dans l’ouvrage Sciences de la nature. Sciences de la société. Les passeurs de frontières (Jollivet, 1992), les témoignages et retours d’expérience se sont multipliés. Les grands programmes institutionnels incitant – à travers des critères de financement – à la construction de projets de recherche interdisciplinaires ont donné lieu à un abondant travail de bilan. Celui-ci est généralement organisé autour d’une enquête au sein des institutions (par exemple Darbellay et al., 2016 ; Li Vigni, 2021) ou d’une analyse bibliométrique (Barthel et Seidl, 2017). Certains proposent une réflexion sur ce qu’est l’interdisciplinarité, par exemple en établissant des typologies de profils de chercheurs (Sedooka et al., 2015) ou de pratiques (Li Vigni, 2021). D’autres s’intéressent aux implications de l’interdisciplinarité sur les disciplines (Vidal, 2011) ou encore à ses limites (MacMynowski, 2007). En parallèle, les retours d’expérience sur la pratique de l’interdisciplinarité au quotidien se sont multipliés (Mathieu et al., 1997). Plusieurs angles d’analyse apparaissent dans ces retours d’expérience. Il y a ceux qui travaillent sur la mise en pratique du dialogue interdisciplinaire, qu’il s’agisse de l’évaluer grâce à des outils innovants (Borderon et al., 2015) ou de le renforcer avec des canevas d’animation spécifiques (Collard et al., 2021). D’autres interrogent le processus scientifique lui-même, en analysant par exemple les étapes de construction de concepts partagés (Barrué-Pastor, 1992), la place du terrain dans le dispositif interdisciplinaire (Riaux et Massuel, 2014) ou de manière plus générale la place d’objets frontières pour le dialogue interdisciplinaire (Mollinga, 2010). D’autres encore proposent une analyse plus centrée sur l’expérience humaine, faisant référence à l’interculturalité (Lemay et Darbellay, 2014) ou à l’articulation des valeurs (Lemay et Giugnatico, 2017).
Cette dernière catégorie d’analyses a tout particulière- ment inspiré notre réflexion1. Notre propos est d’observer et de comprendre le rôle de l’interdisciplinarité « de l’intérieur », dans la construction des chercheuses et des chercheurs et notamment la manière dont cette pratique participe de leurs identités scientifiques. Ce texte vise donc à décrire, à travers des expériences concrètes de la pratique d’une interdisciplinarité « grand écart » (Jollivet et Legay, 2005), mettant en dialogue des sciences de la nature et des sciences de la société, la façon dont les évènements, les vécus, les interactions entre chercheurs, ont fait émerger cette approche de la recherche dans nos parcours respectifs. Nous analysons la façon dont l’interdisciplinarité façonne nos parcours scientifiques, nos relations, modes de pensée et postures dans un contexte de recherche orientée vers le développement.
L’originalité de ce travail est qu’il assemble, poursuit et approfondit le travail réflexif de trois chercheuses et un chercheur de l’Institut de Recherche pour le Développement, issus de disciplines, de terrains, de générations et d’équipes différentes, qui ne travaillent pas ensemble et se connaissent peu (Encadré 1). De fait, le discours sur l’interdisciplinarité n’est pas ici le fruit d’une construction collective dans le temps long, qui s’appuierait sur une expérience de recherche partagée (cf. par exemple Riaux et Massuel, 2014 ; Massuel et al., 2018). L’analyse présentée est elle-même le fruit d’un processus interdisciplinaire né dans la pratique collective de l’écriture et ancré dans un travail de réflexivité collective sur nos itinéraires respectifs.
Présentation des auteurs engagés dans l’auto-ethnographie réflexive et collective
Florence Fournet est entomologiste médicale de formation. À partir de son recrutement à l’IRD en 1993, au contact en particulier de géographes de la santé, elle a progressivement tendu vers une approche interdisciplinaire des maladies vectorielles qu’elle déploie aujourd’hui au sein de l’Unité Mixte de Recherche Maladies Infectieuses et Vecteurs : Écologie, Génétique, Évolution et Contrôle (UMR MIVEGEC). Son objectif était de sortir d’une conception strictement biomédicale de la santé en prenant en compte les différents facteurs de l’environnement qui peuvent l’influencer. Elle propose ainsi de comprendre comment l’espace participe de et à la production d’inégalités de santé. Les maladies à transmission vectorielle sont alors utilisées comme des marqueurs de la structuration sociospatiale des paysages.
Stéphanie Carrière est écologue de formation, actuellement membre de l’UMR Savoirs, Environnements, Sociétés (SENS), rassemblant principalement des chercheurs et chercheuses en sciences de la société. Recrutée à l’IRD en 2000 comme écologue tropicale, elle s’est progressivement réorientée vers l’ethnoécologie, sa discipline de doctorat. Lors d’un terrain long de deux ans en immersion chez les Ntumu du Sud Cameroun, elle a établi une ethnographie des modes de subsistance et d’interaction avec la forêt tropicale accompagnée d’une recherche en écologie pour tester le rôle tel que décrit par les populations, d’une pratique sur les dynamiques de biodiversité. Ensuite, plusieurs projets interdisciplinaires sur l’interface sociétés-environnement, autour des pratiques de gestion de la biodiversité et des pratiques agricoles, avec des géographes, des écologues, des agronomes, des généticiens, l’ont amenée à entreprendre une analyse réflexive de sa posture de recherche.
Jeanne Riaux est anthropologue spécialisée dans l’observation des liens qui se tissent entre l’eau et les sociétés (techniques, institutions, savoirs). Elle a été recrutée en 2008 à l’IRD pour travailler avec des hydrologues et des hydrogéologues2. Son premier terrain avec eux, en Tunisie, a été à l’origine de l’élaboration d’une démarche sociohydrologique. Cette expérience l’a amenée à adopter une attitude volontaire vis-à-vis du dialogue interdisciplinaire, qui s’est concrétisée par le montage de l’équipe SocioHydro (UMR Gestion de l’eau, acteurs, usages - G-eau) et le développement d’outils d’accompagnement et de renforcement du processus interdisciplinaire.
Jean-Luc Chotte, biologiste de formation, a été recruté par l’IRD en 1988 comme spécialiste des processus écologiques responsables des flux d’azote et de carbone dans les agrosystèmes tropicaux. Il a été confronté, dès ses premiers terrains d’études à la nécessité de situer ses questions de recherche dans un environnement d’acteurs plus large et plus diversifié que celui de ses propres compétences et partenariats scientifiques. Plus tard, un cadre institutionnel favorable à l’interdisciplinarité lui a permis d’établir des passerelles entre recherche « disciplinée » et interdisciplinaire, passant ainsi de l’individuel au collectif au sein de l’UMR Eco&Sols qu’il a dirigée. Ces passerelles l’ont conduit à assurer des responsabilités dans le déploiement de programmes vecteurs d’interdisciplinarité à l’IRD et dans le dialogue Science/Décideurs.
Nous avons cherché à comprendre ce qui, dans nos trajectoires vers l’interdisciplinarité, fait « commun », contribue à la construction de nos identités de chercheuses et chercheur et en quoi ces identités « dans l’interdisciplinarité » sont porteuses de renouvellements dans les approches de la science. Nous souhaitons donc dépasser le discours sur l’interdisciplinarité pour parler des rencontres et des pratiques entre scientifiques de disciplines différentes. Nous exposons d’abord la manière dont nous avons procédé pour constituer le matériau analytique de cette réflexion. Ensuite nous déployons nos témoignages respectifs. La troisième section analyse ce matériau sous l’angle de ce qui nous amène à l’interdisciplinarité et de ce que revêt ce processus. La pratique interdisciplinaire est alors pensée comme constitutive d’identités scientifiques adossées à des postures (comment je me positionne par rapport à mes objets de recherche ?), et des axiologies (comment je perçois mon rôle en tant que chercheuse ou chercheur ?) spécifiques.
Autoréflexivité collective
Plutôt que de partir des pratiques d’autrui, nous faisons le choix d’observer la pratique interdisciplinaire « de l’intérieur », pour poser un regard anthropologique sur nos expériences vécues. Ce travail analytique s’inscrit dans une perspective d’auto-ethnographie, où l’observateur s’intéresse à ses propres manières d’être aux autres et au(x) monde(s) (Müller, 2015). Cette proposition méthodologique s’appuie sur l’idée que nos subjectivités peuvent être productrices d’un raisonnement « juste », à défaut d’être distancié. Pour cela, la réflexivité collective est un outil puissant qui se situe aussi au cœur du processus interdisciplinaire. Le travail de réflexivité impose en effet de traverser l’inconfort de certaines interrogations pour renouveler ses propres postulats sur une situation (Pillow, 2003) et même de le dépasser (Westling et al., 2014). Il s’agit de faire face à ses propres incohérences, contradictions et impensés, de les reconnaître puis de les analyser pour qu’ils deviennent eux-mêmes producteurs de sens. En interrogeant collectivement des inconforts que l’on croyait individuels, nous nous rendons compte qu’ils correspondent à des situations plus générales.
Lors de nos premières discussions, nous partagions avant tout un enthousiasme fort pour le dialogue interdisciplinaire dont procède la rencontre de l’autre ayant une épistémologie et des pratiques très différentes des nôtres. Cette posture est liée aux modalités de notre rencontre (cf. la note1). L’analyse rétrospective montre la difficulté de l’exercice d’écriture avec un large collectif, ralenti notamment par la diversité des approches et des postures vis-à-vis de l’interdisciplinarité. Cette expérience nous a permis de faire émerger des visions partagées de ce que représente le franchissement de frontières entre disciplines. Nous avons ainsi constaté la proximité de nos identités de chercheuses et de chercheur, construites dans et par l’interdisciplinarité. Nous avons aussi remarqué que nous partagions certaines frustrations à propos du regard que « les autres » peuvent porter sur ce que nous faisons. Nous partagions notamment l’impression que les qualités de notre travail scientifique peinaient à être reconnues par nos pairs plus disciplinés. Nous avons alors souhaité nous appuyer sur la mise en commun de nos expériences pour éclairer quelques aspects structurants de la construction des identités de chercheurs à travers la rencontre interdisciplinaire.
La réflexivité s’est incarnée tout au long du processus d’écriture, à la fois par la formalisation écrite, auto-ethnographique, de nos expériences respectives sous forme de témoignages, et par un travail collectif sur les textes ainsi obtenus. Le processus réflexif collectif a alors fait alterner discussions, écriture, questions sur chaque témoignage, puis production, révision et analyse de nos témoignages, etc. Ce processus nous a amenés à nous qualifier individuellement mais aussi collectivement, par rapport à nos pratiques de recherche, traversées voire structurées par l’interdisciplinarité. Nous avons alors pris conscience de ce que l’interdisciplinarité façonnait nos identités de scientifiques. Nous nous sommes aperçus en chemin que le « pourquoi » de l’interdisciplinarité était un préalable à l’explication du « comment ». Or, ce « pourquoi » n’est pas directement explicite dans nos trajectoires. La recherche du « pourquoi » est alors devenue une trame pour l’écriture de chaque témoignage, qui permettait de donner du sens au « comment », au processus par lequel nous en arrivons là. C’est seulement au terme du processus d’écriture que nous avons pris conscience que le besoin auquel répondait l’écriture de cet article (le « pourquoi » du témoignage et de l’analyse) était avant tout de dépasser certains inconforts ressentis pour porter un regard positif sur les trajectoires scientifiques en interdisciplinarité. L’idée sous-jacente est de donner à voir la cohérence scientifique de nos parcours, pratiques et postures, dans l’idée de promouvoir ces trajectoires de recherche atypiques et non linéaires.
À partir de témoignages qui s’appuient chacun sur l’un des aspects de nos trajectoires, chacun de nous éclaire un moment du processus interdisciplinaire. La discussion nous a ensuite permis de lire ensemble ces différents moments, comme des étapes de la progression en interdisciplinarité et d’éclairer notamment les « pourquoi » (axiologies) et les « comment » (postures) de la pratique interdisciplinaire à partir de nos propres expériences. Cette analyse repose sur une forme de conceptualisation minimaliste dans la mesure où les concepts issus des sciences sociales (postures, axiologies, épistémologies) sont traduits dans un format de discours partagé par l’ensemble des auteurs (les « pourquoi » et les « comment »), un passage par le sens commun autrement dit, qui permet d’avancer ensemble dans une analyse réellement partagée.
Pratiques du franchissement des frontières. Témoignages
Chacun a mobilisé son expérience vécue pour illustrer une facette du travail de construction interdisciplinaire identifiée au préalable dans la discussion.
Florence. Pourquoi et comment franchir les frontières et élargir la focale des disciplines ?
Les entomologistes médicaux s’intéressent aux insectes comme les mouches tsé-tsé ou les moustiques qui participent à la transmission des maladies vectorielles : maladie du sommeil, paludisme, fièvre jaune, pour citer les plus emblématiques. Mon regard était donc au départ naturellement tourné vers l’environnement de ces insectes, celui qui favorise plus ou moins directement leur développement (végétation, température, pluviométrie) et détermine leur niche écologique. La connaissance de cet environnement devait me permettre d’extraire les informations nécessaires à l’élaboration d’outils de lutte antivectorielle plus efficaces.
Cependant, au contact des géographes, à travers les kilomètres parcourus avec eux sur le terrain et des heures de discussion, j’ai pris conscience de l’importance d’acquérir d’autres clés de compréhension de la maladie. En effet une maladie vectorielle n’existe que si l’insecte vecteur, l’hôte et l’agent pathogène se retrouvent au même endroit au même moment. Une fois établi, ce constat invite à décaler l’échelle d’observation première, celle de l’insecte, vers l’ensemble du système pathogène tel que redéfini par Henri Picheral (1983) à la suite de Maximilien Sorre (1933), qui inclut l’homme, l’agent causal de la maladie, l’hôte et l’environnement. La rencontre des humains avec le vecteur ne se fait ni au hasard, ni de façon égale, dans l’espace et dans le temps. C’est en transformant l’espace (ouverture de voies de communication, aménagements hydro-agricoles, urbanisation) que les humains construisent le risque auquel ils s’exposent. Planter du cacao dans le centre ouest ivoirien peut par exemple engendrer le remplacement d’une espèce non vectrice de maladie du sommeil par une autre plus dangereuse (Laveissière et Hervouët, 1991). La construction d’une petite retenue d’eau visant à irriguer des cultures peut prolonger une période de transmission du paludisme (Kibret et al., 2021). Prendre en compte les pratiques spatiales et sociales des populations qui habitent un espace et le façonnent m’est dès lors apparu indispensable à la compréhension du fonctionnement du système pathogène.
Cela m’a convaincue de la pertinence de travailler en interdisciplinarité. Pour cela, je me suis associée avec des entomologistes, des épidémiologistes, des médecins, des géographes, des sociologues et des anthropologues de la santé d’instituts de recherche et d’universités du Nord et du Sud. Cette rencontre s’est faite dans des échanges permanents et réciproques au cours desquels chaque discipline interroge l’autre pour aller plus loin. Cette démarche engage dans des discussions notamment méthodologiques, au regard de la représentativité du phénomène mesuré (la présence du vecteur de la maladie par exemple, ou celle de la maladie). Il s’agit alors de trouver un compromis qui permette aux différentes disciplines impliquées de s’exprimer et au collectif de démontrer sa plus-value.
Cette construction personnelle dans le collectif n’est pas sans coût. Il ne suffit pas de chausser des baskets et d’arpenter un espace pour en comprendre l’impact sur l’émergence d’une maladie. Cette compréhension élargie passe par l’acquisition de nouvelles méthodes et connaissances tirées bien sûr de la littérature mais aussi des expériences renouvelées. Ce travail de fond repose nécessairement sur la curiosité et l’envie, mais aussi sur la sincérité des relations qui s’établissent dans le collectif. Il faut avoir envie de faire partager son savoir et envie de découvrir celui de l’autre. Il faut en quelque sorte savoir se dévoiler pour mieux percevoir ce que l’on ne connaît pas mais que l’on pressent comme essentiel dans la compréhension de la question posée. Pour cette raison, l’interdisciplinarité a été pour moi comme un outil méthodologique pour une meilleure applicabilité de mes recherches. En effet, ne pas intégrer les pratiques sociales des populations en ne les impliquant pas suffisamment dans le processus de l’intervention peut conduire à des échecs du contrôle de la maladie vectorielle ciblée.
Stéphanie. Franchir les frontières pour inverser le regard sur les interfaces Sociétés-Environnement
Écologue de formation, c’est sur les pas des ethnologues que j’ai construit mon interdisciplinarité. L’ethnologue observe le chasseur, le pêcheur et l’agriculteur pour comprendre leurs perceptions du milieu, leurs pratiques et savoirs. Je l’ai à mon tour observé pour me former et pour comprendre que l’écologie que je souhaitais développer ne pouvait se faire sans une ethnographie minutieuse, une compréhension fine des interrelations entre les humains et leur milieu naturel et entre les humains à propos de leur milieu. Au gré de la vie en immersion, ce sont les interactions humains-forêt-biodiversité, comme sujet d’étude, qui ont pris le dessus, au-delà de ma discipline initiale, des théories et des connaissances préalables. Alors, forte de bricolages méthodologiques, de lectures variées, de métissages et d’allers-retours entre approches inductives et hypothético-déductives, j’ai construit ma trajectoire de recherche autour de l’objet, mais aussi mon identité de chercheuse. Cet empirisme lié à la découverte d’un objet de recherche aux contours flous, s’est construit dans l’expérience, la solitude, l’observation, et l’interaction avec un milieu nouveau, la forêt tropicale, et une population humaine inconnue de moi. Empirisme et altérité ont attisé ma curiosité à l’extrême, pour la guider dans un sillage qui allait me façonner à une interdisciplinarité visant à comprendre le tout (la société et la forêt, les interactions entre les deux) et les parties (agriculture, cueillette, chasse, pêche, santé, gestion des ressources, représentations de la nature, des espèces, du fonctionnement des écosystèmes, etc.).
Cette expérience interdisciplinaire fondatrice, entre sciences naturelles et sciences sociales, a eu et aura encore pour effet de modeler ma posture de chercheuse. Elle guide mes choix d’objets de recherche à partir de la notion d’interactions, mes méthodes « proches des acteurs » (entretiens, observations participantes, co-construction), mes projets (interdisciplinaires, multiculturels et en partenariat avec les pays du sud) et ma posture. Ainsi, l’hypothèse générale qui structure mon approche et mes recherches établit que si les peuples des forêts tropicales vivent dans ces écosystèmes depuis des temps immémoriaux, les écosystèmes d’aujourd’hui sont le fruit d’une longue co-évolution humains-nature. Mon approche est résolument interdisciplinaire car je considère que les sociétés font partie intégrante des socioécosystèmes. Cette posture m’a amenée à être convoquée comme médiatrice polyglotte (écologie, sciences humaines et sociales) dans des arènes décisionnelles comme celles du monde de la conservation de la biodiversité ou des projets de recherche interdisciplinaires. Dans ces espaces ou projets, ne pas s’intéresser, comme une majorité des biologistes mainstream, aux effets délétères des pratiques humaines sur l’environnement est parfois très mal perçu. Cela me conduit à renforcer ma posture afin de contrebalancer leurs discours alarmistes et de travailler sur la base d’exemples d’interactions « positives » entre sociétés et environnement. D’autant plus que ces exemples d’interactions vertueuses sont tout aussi importants pour comprendre les dynamiques à l’œuvre, voire pour proposer des solutions inspirées des savoirs locaux sur la nature. C’est alors que ma posture devient engagement et je l’assume totalement.
Ces expériences de réflexions ou de projets interdisciplinaires ont parfois abouti à des résultats originaux quand la confiance et le respect mutuel amènent à caractériser divers processus sociaux et biologiques à la lueur de la discipline de l’autre. Cela permet ainsi de produire un résultat qui n’aurait pu émerger sans cette collaboration étroite. En revanche, lorsque ces expériences d’interdisciplinarité sont des échecs, elles m’ont conduite à vouloir identifier l’origine des divergences de postures, et donc de cette impossibilité à communiquer, d’échanger, de se comprendre et d’avancer. Forte d’une approche réflexive et collective avec d’autres collègues, j’ai voulu saisir en quoi nos représentations de la nature influent directement sur nos postures et nos pratiques de chercheurs ou d’experts. Ces représentations étant elles-mêmes formatées par nos origines, nos expériences et notre cursus, j’ai voulu voir, par exemple, en quoi être biologiste ou « biologiste proche des sciences sociales » ou en étant soi-même interdisciplinaire, comme peut l’être un ou une ethnoécologue, reconfigure ses représentations de la nature. Cette approche réflexive m’a elle-même conduite vers un autre chemin de traverse disciplinaire qu’est la political ecology, soit un vagabondage qui continue et s’arrime à des publications puis à une habilitation à diriger les recherches. Suivre des chemins parallèles, des chemins de traverse, pratiquer l’interdisciplinarité par choix et par envie de dialoguer avec les autres, franchir les frontières, élargit les horizons du chercheur, consolide la médiation entre les disciplines et exhausse le collectif.
Jeanne. Franchir les frontières pour penser collectivement les enjeux du savoir
Depuis mon arrivée à l’IRD, j’ai choisi de m’adapter aux pratiques des hydro(géo)logues pour travailler avec eux, plutôt que de militer d’emblée pour une prise en compte équilibrée du point de vue de l’anthropologue sur les espaces que nous investiguons ensemble. J’ai choisi de m’investir dans leurs activités, terrains et questions de recherche, plaçant leurs pratiques au cœur d’un « terrain » que j’ai progressivement étendu à la relation interdisciplinaire elle-même. Au fil des années, je me suis passionnée pour la relation avec les hydro(géo)logues. Les fruits du dialogue interdisciplinaire comme les écueils, les découvertes comme les frustrations, m’ont amenée à un double processus de réflexivité. L’un, personnel, m’amenait à me poser des questions nouvelles sur ce que ma posture d’anthropologue « chez » les hydro(géo)logues permet de dire et de faire (Riaux, 2022). L’autre, collectif, enrôlait les hydro(géo)logues dans ce processus réflexif pour penser ensemble notre rôle de chercheurs dans la société, les connaissances que nous souhaitons transmettre et comment, ainsi que la manière dont l’interdisciplinarité infléchit nos approches disciplinaires.
La constitution de l’équipe SocioHydro au sein de l’UMR G-eau, depuis le terrain avec des hydrologues et des hydrogéologues jusqu’à l’animation d’un collectif, est devenue un aspect central de mes activités scientifiques. Alors que j’étais initialement plutôt tournée vers les communautés d’irrigants, mes recherches sont désormais centrées sur la production de savoirs hydrologiques (scientifiques et vernaculaires) et sur les modalités du dialogue entre hydro(géo)logues et société. Cet infléchissement fort de ma trajectoire est non seulement le fruit de mon immersion auprès de ces hydro(géo)logues, mais aussi du choix de m’y investir pleinement.
J’ai d’abord été moteur du processus interdisciplinaire. Il a fallu me faire une place dans un groupe d’hydrogéologues puis d’hydrologues sur leurs terrains et dans leurs arènes sociales. Il a fallu argumenter, démontrer, pour les intéresser aux aspects anthropologiques de leurs terrains et de leurs pratiques de production de connaissances. Il a fallu les pousser à participer aux activités réflexives. Mais cet investissement est peu à peu devenu réciproque. Certains d’entre eux se sont appropriés le processus réflexif amenant eux-mêmes des questions épistémologiques qui se prêtent à la réflexivité interdisciplinaire, par exemple sur le rôle des modèles dans leurs recherches. Les chercheurs en sciences sociales proposent alors des analyses « critiques » pour nourrir la réflexion. La fécondité du dialogue interdisciplinaire se construit dans cette maïeutique croisée des sciences sociales et des sciences hydrologiques. Les interrogations des uns nourrissent celles des autres jusqu’à construire des axes de réflexion sociohydrologiques. Il n’est alors plus seulement question, pour moi, d’être moteur de la relation interdisciplinaire. Mon rôle est désormais de favoriser la construction de médiations interdisciplinaires, c’est-à-dire de compétences et d’appétences pour favoriser et fluidifier le dialogue et la coopération entre chercheurs. Médiations qui s’expriment aussi dans des arènes où des scientifiques sont sollicités pour dialoguer avec d’autres acteurs, comme c’est le cas dans certaines instances de gestion de l’eau.
Ce dernier aspect de la trajectoire collective rejoint un aspect plus personnel. Travailler sur les questions relatives à l’eau, en anthropologie, se traduit naturellement par une forme de militantisme. Ainsi les enjeux de justice sociale, de pouvoir et d’équité se situent-ils souvent au cœur des dispositifs de recherche des sciences sociales. Or, ces dimensions sont très peu présentes dans les recherches des hydro(géo)logues. La rencontre interdisciplinaire permet d’aborder ces enjeux, par exemple en documentant les questions d’évolutions d’accès à l’eau. L’interdisciplinarité sociohydrologique conduit alors à mobiliser les savoir-faire et les regards complémentaires des chercheurs en présence pour produire des savoirs hydrologiques mieux ajustés aux préoccupations des acteurs de l’eau, grâce à un ancrage fort dans des situations concrètes. Il s’agit alors d’amener les hydro(géo)logues à adopter une posture plus politique. Ils doivent pour cela sortir de leur zone de confort pour prendre en compte le rôle que leurs connaissances jouent dans la société.
Initier les hydro(géo)logues aux approches critiques portées par les sciences sociales, réfléchir avec eux aux implications politiques de leurs postures dans la société est un moyen de déplacer les regards, et – peut-être – de faire évoluer les discours. Dès lors, j’adopte moi-même une posture politique.
Jean-Luc. Franchir les frontières pour s’engager dans le dialogue science/décideurs
Reconstruire ex post le pourquoi et le comment de ma divagation entre disciplines, interdisciplinarité et transdisciplinarité s’apparente à l’assemblage d’un puzzle. Chaque pièce prise séparément est incomplète, semblant parfois peu aboutie. Or c’est bien l’ensemble qui importe. Le moment actuel du chemin éclaire mon parcours et donne du sens à ce parcours qui n’est certainement pas étrangère à la succession de mes affectations à l’IRD. De la Martinique au Sénégal, produire des données sur les flux et les stocks d’azote et de carbone a d’abord été l’objectif attendu de mes recherches : c’est la première pièce de mon puzzle. J’aurais pu faire le choix discipliné d’approfondir l’étude des déterminants de ces flux. Mais mon choix a été autre, motivé par le constat que la production de ces données devait se faire avec d’autres disciplines scientifiques, au risque d’avoir une image incomplète et donc inefficace des leviers d’action à préconiser pour la durabilité des systèmes de production. Ce constat, partagé par un petit groupe de collègues de différentes équipes de l’IRD nous a rassemblés dans une même unité de recherche : « Interactions biologiques dans les sols tropicaux ». L’approfondissement des connaissances des déterminants des flux d’azote et de carbone a été au cœur de la création de cette unité et ma première expérience d’une recherche en interdisciplinarité en tant que chercheur, puis comme directeur d’unité. C’est une autre pièce de mon puzzle. Cette expérience s’est prolongée par la création de l’unité mixte de recherche « Écologie fonctionnelle et bio-géochimie des sols et des agroécosystèmes tropicaux ». Il s’est agi alors d’acquérir des compétences dans la discipline de l’autre, pour mieux en comprendre le contenu, le périmètre et les verrous, afin de faire franchir au collectif la frontière entre discipline et interdisciplinarité, au service d’un objectif commun. En tant que directeur de cette unité, mon rôle a été de proposer, avec mes collègues de l’équipe de direction, les ingrédients nécessaires à une recherche en interdisciplinarité (écoute, confiance, reconnaissance des différences), et de stimuler le groupe pour adhérer à cette divagation devenue collective. Travailler et construire l’interdisciplinarité est un apprentissage quotidien, à la fois personnel et collectif. Je me suis enrichi de cet ensemble d’ingrédients et, ce faisant, j’ai participé à la transformation d’une injonction institutionnelle (la création d’unités mixtes de recherche) en un projet qui évolue toujours, plus de dix ans après sa naissance.
Une sollicitation pour participer à l’interface Science-Politique de la Convention des Nations unies de lutte contre la désertification est à l’origine d’une autre pièce de mon puzzle : nouvelle arène, nouvelle posture ! Dans cette arène, le décideur attend du scientifique qu’il soit le garant de la véracité des faits qui doivent l’aider à répondre aux enjeux de la dégradation des terres. Aussi, mon expertise scientifique sur le cycle du carbone m’a permis, sans peine, de défendre le stock de carbone des sols comme l’un des indicateurs permettant de mesurer l’impact de la politique de lutte contre la dégradation des terres mise en œuvre. Par ailleurs, j’ai aussi compris la nécessité que la science puisse, sur la base de connaissances, élargir l’éventail des alternatives politiques proposées en réponse à un problème de développement. J’ai alors quitté l’habit de « garant scientifique » pour celui de « honest broker » (Coreau et al., 2013 ; Crouzat et al., 2018). Contribuer à l’élargissement des possibles par une fertilisation croisée des savoirs a donné du sens à mes allers-retours inter et transdisciplinaires, et constitue une autre pièce du puzzle qui fait le lien avec toutes les autres. Favoriser ces franchissements au sein de la communauté IRD, animer et diriger la construction d’une vision commune et d’une méthode permettant d’unir la diversité des expertises pour un objectif commun a guidé mes actions au cours des deux dernières années. Cela s’est traduit par la production d’une collection d’ingrédients pour aider pas à pas à l’émergence des possibles (Ricaud et al., 2021).
Ces franchissements des frontières science/décideurs ont consolidé mon parcours entre chercheur discipliné et chercheur travaillant en interdisciplinarité et transdisciplinarité. Ils contribuent désormais à mon identité.
Objectiver la singularité des récits personnels pour valoriser la pratique interdisciplinaire : du « comment ? » au « pourquoi ? »
Chaque témoignage éclaire une facette de nos parcours interdisciplinaires, dans laquelle chacun de nous reconnaît des éléments de sa propre trajectoire. Les témoignages individuels dessinent ainsi des itinéraires singuliers, mais qui laissent apparaître des éléments communs. En nous appuyant sur nos récits personnels, cette partie met en lumière des éléments qui, après discussions, nous semblent caractéristiques du processus de construction des identités de chercheurs dans l’interdisciplinarité. Cette tentative d’objectivation des récits personnels est structurée par deux entrées. La première s’intéresse à la chronologie des parcours et aux étapes que l’on peut y discerner. La seconde insiste sur la manière dont la pratique interdisciplinaire façonne les identités scientifiques des chercheurs engagés dans le processus et inversement, comment ces identités participent de la construction interdisciplinaire.
Quand l’interdisciplinarité façonne les trajectoires et les identités des chercheurs
L’interdisciplinarité est manifestement le fruit d’un cheminement. Nos récits, font état d’un début de carrière discipliné, suivi d’un évènement qui entraîne une forme de décentrement, accepté et assumé, vis-à-vis de la discipline de départ. Une direction nouvelle émerge alors et se renforce, faite d’évolutions successives, d’ouvertures, de vagabondages, de recentrements, voire de divagations. Une forme d’aboutissement est affirmée dans des réalisations de plus en plus revendiquées, une posture affirmée voire critique, un engagement renforcé par une envie grandissante de frottement avec le réel et les autres, avec toute la richesse que cela apporte. Plusieurs étapes peuvent ainsi se succéder au fil des trajectoires.
La première provient d’une rencontre opportune ou imposée (autre discipline, chercheurs), d’une expérience nouvelle (terrain, évènement), laquelle, par le biais de l’attirance pour l’altérité, de l’envie, de l’émotion, entraîne le chercheur dans un changement de trajectoire. La deuxième étape, faite de vagabondages et de libertés prises par rapport aux académismes des disciplines en présence, correspond à un nouveau cheminement de la pensée, une divagation disciplinaire et thématique, des évolutions, des hybridations (empirisme, construction par la preuve/l’épreuve), une progression dans l’envie, la nouveauté, le contournement. Cette étape fait écho à la manière dont Rivoal et Salazar (2013) envisagent le travail ethnographique et qu’ils traduisent grâce au concept de sérendipité. Catellin et Loty (2013) mettent cette notion au cœur même du cheminement en interdisciplinarité, insistant sur ce que la rencontre interdisciplinaire a de subjectif et sur le besoin de liberté auquel elle peut répondre. Cependant, cette étape de la trajectoire se traduit aussi par l’obligation d’assumer des choix, sans que le retour en arrière ne soit toujours possible. Nous entrons ici au cœur de l’interculturalité, du franchissement des frontières culturelles (Bourgeault, 2014). C’est probablement la partie la plus instable du cheminement, où naissent des sentiments de marginalité, des questions de légitimité, des doutes face à de potentielles voies sans issues. La troisième étape, non stabilisée dans nos parcours respectifs, conduit à une forme d’aboutissement où les projets et réalisations émergent de prises de conscience diverses et d’un changement de regards et de postures désormais plus politiques. Ces changements correspondent souvent à une forme d’engagement en lien avec des valeurs nouvelles, qu’elles soient morales ou scientifiques. Ces valeurs s’appuient sur la conviction de la pertinence de travailler en interdisciplinarité, sur l’envie d’adopter une posture plus critique, un rôle de « poil à gratter », d’esprit de contradiction de mieux en mieux assumé. Il peut également ressortir de ces changements une volonté de proposer d’autres points de vue, d’autres pratiques. Les détours pris pour parvenir aux aboutissements présentés dans les témoignages permettent tout à la fois un apprentissage des autres et par les autres, et la fabrique de soi-même, de la singularité de son identité scientifique. Les quatre cheminements en interdisciplinarité exposés dans les témoignages sont en effet caractérisés par le fait que nous ne cherchons en aucun cas à « devenir l’autre ». Il s’agit donc bien d’un « style interdisciplinaire » spécifique fondé sur la rencontre de l’autre, le dialogue et l’engagement dans et vis-à-vis du collectif. Dans cette perspective, la pratique interdisciplinaire présentée ici relève du travail de « passeurs » entre communautés épistémiques, ou « d’ambassadeurs » pour reprendre l’une des catégories proposées par Fabrizio Li Vigni (2021) ; il s’agit en effet d’œuvrer en tant qu’intermédiaires pour mettre en dialogue des approches relevant de disciplines qui communiquent habituellement peu entre elles. La fabrique collective de cet article récapitule notre parcours vers l’interdisciplinarité. À notre point d’arrivée, nous constatons une meilleure compréhension de nos propres problématiques de recherche, une vision sans doute plus holistique et plus assumée que ce que nous envisagions au départ de l’écriture. Le chemin de l’interdisciplinarité est en effet fait d’allers-retours, d’avancées et de stagnations, de forces directrices et d’aléas multiples. Chacun construit ainsi sa propre vision de l’interdisciplinarité en fonction de sa trajectoire. Avons-nous cherché ces changements, ces points d’inflexion, ceux que nous avons faits nôtres pour évoluer, une ficelle tirée au moment opportun, une porte ouverte dans laquelle nous nous sommes engouffrés ? Cette recherche d’altérité venait-elle d’une insuffisance particulière, nous empêchant d’être pleinement nous-même ? Avec le temps nécessaire à la construction interdisciplinaire, lorsque la voie empruntée est « la bonne », celle qui tient sur le long terme, alors nous réalisons que le chercheur a changé, qu’une transformation s’est produite dans sa manière d’aborder les choses et qu’une nouvelle cohérence scientifique est apparue. Légère ou profonde, la transformation demande à son tour une adaptation, de nouvelles rencontres, l’hybridation des savoirs, des connaissances, des pratiques et des méthodes. Le trajet scientifique se construit chemin faisant vers plus de diversité des points de vue, de liberté de pensée, etc. Les flux d’idées traversent les identités, de nous vers les autres, mais aussi des autres vers nous. L’adaptation au nouvel environnement opérée, le chercheur change et en retour ce changement percole dans son environnement, le chercheur coévolue avec ses collègues et évolue dans sa communauté. L’interdisciplinarité crée de l’interaction, et réciproquement. L’interdisciplinarité est-elle en train de se propager pour façonner à son tour la formation universitaire, l’évaluation des chercheurs, la demande des étudiants, les profils de poste dans la recherche ? Ces trajectoires, ces façonnages mis en lumière dans notre approche réflexive, font ressortir le rôle et l’importance de ce que nous pourrions appeler de manière métaphorique – et pour reprendre les termes de l’écologue – une « écologie de l’interdisciplinarité », c’est-à-dire une analyse des milieux (sociaux, académiques, politiques, naturels) où vivent et travaillent les chercheurs, ainsi que les rapports de ces chercheurs avec ce même milieu. Cette analyse pourrait permettre de nourrir la réflexion de nos institutions pour un accompagnement plus juste des trajectoires en interdisciplinarité.
Vagabondage, décentrement et réflexivité
Au cours de l’écriture, nous nous sommes aperçus d’un certain flou dans le champ lexical mobilisé pour parler de nos pratiques. Les termes « vagabondage », « bricolage », « divagation » reviennent dans chaque témoignage et nous éprouvons de la difficulté à les remplacer par d’autres, plus précis, moins ambigus. Si la notion de bricolage, a été largement réhabilitée par Claude Lévi-Strauss (1962), les autres termes ont une consonance plus péjorative – si l’on se situe dans un format d’écriture académique. L’usage spontané de ces termes dans chaque témoignage donne alors des clés pour penser la pratique de l’interdisciplinarité, et notamment la forme de « sous-théorisation » ou de « conceptualisation minimaliste » qui rend possible l’analyse proposée.
À travers nos expériences, l’interdisciplinarité se présente d’abord comme un travail sur la relation à l’autre et à soi-même. Il s’agit d’abord de s’approcher d’autrui, pour travailler avec lui, d’essayer de comprendre ce qu’il fait, de faire comprendre ce que nous faisons. Dans les témoignages surgissent ainsi des affirmations sur la nécessaire proximité à travers l’idée de collaboration étroite, d’échanges permanents et réciproques, de partage des expériences sur le terrain. Nous notons également l’importance d’une forme de curiosité et d’ouverture, avec l’idée d’élargir les horizons, le choix et l’envie de dialoguer comme ceux de la sincérité dans les relations. Écoute, dialogue, débat, patience, respect mutuel, sensibilisation, sont les pratiques concrètes qui sous-tendent la construction interdisciplinaire et les cheminements individuels sur lesquels elle repose.
Mais l’interdisciplinarité n’est pas seulement un travail de rencontre et de dialogue. Les trajectoires interdisciplinaires sont aussi des itinéraires de solitude, des « chemins de traverse » et des « chemins parallèles », pour reprendre les mots utilisés dans les témoignages individuels. Il semble falloir accepter que les trajectoires interdisciplinaires nécessitent des temps de tâtonnement, d’incertitude sur la direction à prendre, sur la manière d’avancer. Ces chemins peuvent aussi receler un réel pouvoir de renouvellement de la pensée. Sylvie Cattelin et Laurent Loty (2013) constatent en effet qu’aujourd’hui les sciences de la société adoptent de plus en plus le « carcan » des sciences de la nature et se plient à des normes (de publication et de financement, notamment) qui restreignent le mouvement de la pensée scientifique. Cette situation nourrit l’intérêt des scientifiques pour se situer hors des sentiers balisés, pour retrouver de l’originalité dans leurs manières de penser le monde. Dans cette perspective, Cattelin et Loty (op. cit.) louent les vertus de pensées incidentes, « ces idées non cherchées qui révèlent le sens même de ce que l’on découvre », ces pensées qui naissent d’un dialogue entre raison et imaginaire. Le « vagabondage » interdisciplinaire prend alors tout son sens. Il s’agit de laisser mûrir ce que la rencontre de deux formes de pensée produit.
Dès lors, si l’engagement interdisciplinaire est pleinement assumé, son « coût » en temps et en énergie pour démêler les quiproquos et autres mécompréhensions, pour négocier la construction partagée de sens, est compensé par ce que les scientifiques engagés dans cette pratique peuvent y gagner : en particulier un élargissement des connaissances et des champs de questionnement, une émergence de nouvelles questions, méthodes, résultats, une originalité des approches développées et une plus grande proximité des recherches avec les problématiques de développement rencontrées sur le terrain. En acceptant de s’engager sérieusement dans un travail de dialogue qui passe tour à tour par des moments de négociation, de consensus, de concessions et de compromis, chaque scientifique en présence participe de l’élaboration de constructions individuelles dans le collectif. C’est dans ce mouvement que les identités scientifiques individuelles se structurent et c’est dans la réflexivité sur ce mouvement que le vagabondage se fait décentrement. S’interroger sur sa propre manière de penser, interroger la manière dont autrui façonne ses réflexions, invite à prendre du recul par rapport aux automatismes scientifiques que l’on peut avoir, sans les interroger à l’aune de sa propre discipline.
L’adoption d’une posture réflexive, partagée par les auteurs de ce texte indépendamment de leurs disciplines de rattachement, apparaît alors comme un des résultats de ce décentrement, qui est lui-même le fruit du vagabondage auquel nous pousse l’interdisciplinarité. Elle correspond aussi à une forme d’urgence, collectivement ressentie, de justifier la légitimité de ce que l’on fait dans un monde organisé autour des disciplines.
Conclusion. S’autoriser à devenir soi-même
Le point de départ de cet article est la rencontre de quatre chercheurs qui éprouvent le besoin de proposer un discours positif sur des trajectoires scientifiques « en interdisciplinarité » qu’ils jugent parfois insuffisamment ou mal valorisées. Pour cela, les expériences personnelles sont passées au filtre d’une autoethnographie individuelle et d’une réflexivité collective qui aboutit à la construction d’un discours interdisciplinaire sur l’interdisciplinarité.
L’interdisciplinarité est ici vue comme une expérience de construction scientifique s’appuyant sur la rencontre et la mise en dialogue d’altérités épistémiques fortes. Cette forme d’interdisciplinarité se construit en même temps que se façonne l’identité du scientifique qui s’y consacre. Cette identité inscrit le scientifique dans l’interdisciplinarité, tout en le consolidant dans sa propre discipline, grâce au travail réflexif qui accompagne la pratique interdisciplinaire. En pratiquant l’interdisciplinarité, le scientifique ne devient pas un autre, mais il s’enrichit lui-même. Il acquiert au cours du temps la capacité à s’ouvrir à d’autres questionnements mais aussi à d’autres pratiques. Cet apprentissage prend parfois des chemins sinueux. Mais l’ouverture ainsi acquise lui permet de poser un regard plus large mais aussi plus critique sur son objet de recherche. Le scientifique devient alors plus exigeant envers lui-même, ce qui se traduit par une sorte de dépassement de « soi » pour incorporer des éléments « autres ». Le scientifique est alors nécessairement plus enclin à un dialogue avec l’autre qu’il espère réellement comprendre. Nous faisons alors l’hypothèse que l’interdisciplinarité encourage automatiquement une profonde réflexivité, parce qu’elle repose sur un travail exigeant de rencontre, de négociation et d’enrôlement d’autrui. Le « comment » (posture réflexive) apparaît alors intimement lié au « pourquoi » (axiologie de l’engagement) ; le scientifique se construit avec une réflexivité forte que lui impose sa propre volonté d’avancer vers, puis avec autrui.
Cette construction particulière de l’individu dans le collectif est probablement à mettre en lumière avec une certaine proximité vis-à-vis du terrain, dans toutes ses composantes physiques ou sociales, que nous avons relevée dans tous nos témoignages. À l’issue de cette réflexion, il nous est en effet apparu que nos parcours et nos engagements pour le développement, nourris par les particularités de la recherche au Sud telle que pratiquée à l’IRD (soit un renouvellement régulier de nos terrains et partenariats, voir Vidal, 2014), ont facilité ces franchissements des frontières. Ainsi, plutôt que de s’ancrer dans une vie de laboratoire relativement stable dans le temps et disciplinée, ces particularités imposent de s’adapter continuellement à de nouvelles configurations de recherche dans des équipes dont nous ne maîtrisons ni la composition ni le fonctionnement à l’avance. La diversité des personnes avec lesquelles nous avons collaboré dans différents pays, nous enrichit de questionnements venant d’autres horizons. Cela explique-t-il notre désir de croiser les regards pour mieux comprendre, en allant en quelque sorte chercher l’information par toutes les entrées possibles ? La diversité des objets de recherche qui caractérise nos itinéraires de recherche laisse penser que ce n’est pas l’objet de recherche lui-même qui guide l’interdisciplinarité. La finalité des recherches pourrait en revanche être interrogée : est-ce qu’une recherche tournée vers des questions de développement invite ou requiert plus d’interdisciplinarité qu’une autre recherche ? Nos prismes respectifs ne nous permettent pas de répondre à cette question.
Le fait est qu’à travers les regards rassemblés dans cet article, il nous apparaît comme une évidence que se lancer « en interdisciplinarité », nous permet de construire une identité qui nous ressemble et qui nous rassemble. Ainsi, tout en nous aidant à assumer nos postures et à dépasser certains inconforts, l’explicitation de nos singularités nous permet-elle d’affirmer l’originalité et la valeur de nos contributions, interdisciplinaires, à la science.
Remerciements
Nous remercions très sincèrement les personnes qui ont relu et commenté anonymement les premières versions de ce texte, participant de fait à l’approfondissement de notre démarche réflexive.
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Cet article prend ses origines dans les réflexions d’un groupe de chercheurs engagés dans les activités de la Mission pour l’interdisciplinarité et l’intersectorialité (MP2I) constituée en 2018 à l’Institut de recherche pour le Développement (IRD) et portée par Jean-Luc Chotte. À l’issue de plusieurs ateliers, la MP2I a souhaité produire un article de positionnement en sciences de la durabilité. La réflexion portée ici a été rédigée en marge de ce projet d’article, par un collectif plus restreint pour qui la question de l’interdisciplinarité devait être clarifiée en amont de celle des sciences de la durabilité.
Citation de l’article : Riaux J., Carrière S.M., Chotte J.-L., Fournet F., 2023. Franchir les frontières. Pratiques de l’interdisciplinarité et construction du chercheur. Nat. Sci. Soc. 31, 3, 269-280.
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