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Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 3, Juillet/Septembre 2023
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Page(s) | 267 - 268 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2024005 | |
Published online | 19 March 2024 |
Éditorial – Editorial
France 2030 : l’innovation, mantra de l’excellence dans la programmation de la recherche
France 2030 : c’est le nom donné au Programme d’investissements d’avenir (PIA), notamment sa quatrième vague, qui, comme les précédentes, modifie considérablement le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR).
Le PIA a été lancé par l’État, après la crise de 2008, pour soutenir l’investissement et l’innovation. Son constant renouvellement depuis montre que cette politique est transpartisane. L’ESR en est le premier bénéficiaire puisqu’il concentre environ la moitié des fonds engagés, l’autre moitié étant destinée à des thématiques prioritaires : filières industrielles et PME, développement durable, numérique, aéronautique, transition énergétique.
La première vague (PIA1, 2010‐2013), de loin la plus importante au vu des montants investis (près de 70 milliards d’euros), a visé les laboratoires et équipements de recherche : on lui doit les Labex1, les Équipex2 et différents instituts (instituts Carnot, instituts hospitalo-universitaires, instituts de recherche technologique). Les initiatives d’excellence (Idex et I-Site3), très fortement dotées, elles aussi, sont à cheval sur la première et la deuxième vague (PIA2, 2014-2015). Dans un précédent édito4, nous avons montré la façon dont cette action avait profondément redéfini la carte des universités françaises, en officialisant l’idée d’un système à deux vitesses. La troisième vague (PIA3, 2016-2019) a complété les deux premières, en proposant des programmes plus ciblés et en approfondissant la dynamique de création d’écosystèmes territoriaux d’innovation.
La vague actuelle (PIA4) a été annoncée en 2021. Outre la poursuite des transformations des établissements lauréats des précédentes vagues, elle vise à financer des investissements exceptionnels sur quelques filières industrielles ou technologies d’avenir. Les Programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) sont l’outil principal de cette ambition. Ils ont cinq caractéristiques.
La première, et la plus importante, est la concentration des financements sur un petit nombre de thématiques d’accélération et d’exploration. L’accélération porte sur des sujets choisis par le gouvernement, destinés à rattraper un retard ou à se positionner sur une question différenciante : on ne s’étonnera pas d’y retrouver les vaccins, le nucléaire, l’hydrogène, la décarbonation de l’économie, l’agroécologie et les technologies numériques, le recyclage des déchets. Les thématiques d’exploration sont proposées par les organismes de recherche – ce qui fait dire qu’elles sont bottom-up, là où l’accélération est top-down. Concrètement, un appel à manifestation d’intérêts a permis de faire émerger des idées et des « pilotes de projet », dont certains ont été considérés comme pertinents et invités à déposer des projets auprès de l’Agence nationale de la recherche (ANR5).
Une deuxième caractéristique des PEPR est l’accent mis sur l’innovation – notamment relative aux thématiques d’accélération, sous la forme de programmes de prématuration et de maturation. Dans un programme d’investissements d’avenir, c’est normal, dira-t-on, mais le lien avec l’innovation y est particulièrement fort.
L’interdisciplinarité est une autre caractéristique des PEPR qui va au-delà de la dissémination des innovations qui leur est traditionnellement dévolue.
Quatrième caractéristique, la manière dont la recherche est financée s’inscrit dans la continuité des précédents PIA : une fois qu’un programme est accepté, à la suite d’une évaluation par un jury international, il a une grande liberté pour affecter ses fonds. Le plus souvent, environ 10 % du montant global (en moyenne autour de 50 millions d’euros) sont consacrés à la coordination du programme ; deux tiers sont dédiés à des projets dont la thématique a été identifiée au moment du montage du programme ; le tiers restant étant distribué dans le cadre d’appels à propositions de recherche. Le montant minimum attribué à un projet est de l’ordre de 850 k€, mais il n’est pas rare qu’il atteigne plusieurs millions d’euros.
Dernière caractéristique, ce sont les organismes de recherche qui, sauf très rares exceptions, pilotent ces programmes, alors que les précédents PIA ciblaient les universités. Cela est cohérent avec le fait que les PEPR financent des thématiques, non des institutions : une thématique pouvant être traitée en différents lieux, les organismes sont, dès lors, les mieux placés pour coordonner les recherches. Les connaisseurs de l’ESR ne pourront cependant pas s’empêcher de voir là une revanche des grands organismes de recherche sur les universités.
Nul doute que ces programmes répondent aux vœux formulés depuis longtemps par NSS : de la recherche interdisciplinaire orientée vers des problèmes, portant sur des questions souvent à forte résonance environnementale, associée à de l’innovation… Certes. Mais les défis à relever sont nombreux. Le premier réside dans la définition de l’innovation. Il y a fort à faire pour que celle-ci ne soit pas uniquement technologique. Dans les PEPR, la transition énergétique est une question de substitution des énergies fossiles, d’efficacité technique, de réseaux électriques, mais pas de réduction des consommations… alors même que c’est là un très important levier pour atteindre la neutralité carbone.
À ce risque en est associé un deuxième, celui que la science mise au service de l’innovation se réduise à un rôle d’auxiliaire de stratégies définies hors d’elle. Comme on l’a souligné, la différence avec les précédents PIA est importante. Le caractère finalisé de la recherche que ces derniers promouvaient était moins prononcé : en finançant des infrastructures ou des institutions, ils soutenaient toutes les formes de recherche. Les PEPR marquent, de ce point de vue, une rupture. Même si les financements accordés par des appels à propositions de recherche (eux-mêmes thématisés) de l’ANR augmentent, même si les PEPR financent aussi de la recherche fondamentale, dite à bas TRL6, proportionnellement, la part de la recherche non finalisée continue à se réduire.
Troisième défi, celui de l’instrumentalisation des SHS. Si l’appel qui leur est fait est fort, et pour des montants élevés, le danger est grand qu’elles soient appelées à produire de l’« acceptabilité sociale ». Piloter l’innovation, c’est prendre le risque que le dispositif mis en place ne rencontre pas les aspirations de la « société ». De là à penser qu’il faille lui expliquer pourquoi l’innovation est bonne, voire qu’elle n’a pas d’autres choix que de l’accepter, il n’y a qu’un pas que certains scientifiques, souvent persuadés d’agir pour le bien de la « société », seront tentés de franchir.
Il n’y a pourtant pas de fatalité. Même si les PEPR déséquilibrent encore un peu plus les rapports entre science et innovation, au bénéfice de cette dernière, les marges de manœuvre laissées, dans ces dispositifs, aux scientifiques qui les ont proposés et construits, qui les pilotent et les mettent en œuvre, sont importantes. Encore faudrait-il se défaire de ce culte béat de l’excellence et de l’innovation, dont les politiques publiques, dans le domaine de l’ESR comme dans d’autres, témoignent avec insistance. Dans son dernier ouvrage, Franck Aggeri avance que le mythe de l’innovation a remplacé celui du progrès7, en réduisant celle-ci à la technologie, en invisibilisant certains de ses impacts délétères et en disqualifiant systématiquement les luttes et conflits sociaux qui visent à analyser les modes actuels de consommation et de production. Les travaux scientifiques ne manquent pas – notamment dans le domaine des science and technology studies (STS) – pour, d’une part, s’interroger sur ce régime dominant de production de connaissances et d’activités économiques et, d’autre part, nourrir le débat sur les orientations à donner à l’ESR. NSS s’est fait l’écho des questions qui se font jour sur l’enseignement supérieur8, elle continuera à le faire sur la recherche.
Les « Laboratoires d’excellence » (Labex) sont destinés à soutenir la recherche d’équipes à visée internationale sur une thématique scientifique donnée. cf. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/annonce-des-103-laboratoires-d-excellence-labex-prolonges-pour-une-duree-de-5-ans-46910.
Les « Initiatives d’excellence » (Idex) visent à créer des universités de recherche de rang mondial. Les « Initiatives Science-innovation-territoires-économie » (I-Site) sont positionnées sur des universités ayant des compétences scientifiques plus concentrées. cf. https://www.gouvernement.fr/idex-isite.
Arnauld de Sartre X., Petit O., 2018. Une nouvelle géographie de l’enseignement supérieur et de la recherche : rapprochements, concentrations, tensions… et opportunités ? NSS, 26, 3, 255-256, https://doi.org/10.1051/nss/2018049.
Pinton F., Frascaria-Lacoste N., 2022. Bifurcation à AgroParisTech : quelle voie pour une formation résolument interdisciplinaire ?, NSS, 30, 2, 122-123, https://doi.org/10.1051/nss/2022031.
© X. Arnauld de Sartre, Hosted by EDP Sciences, 2023
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