Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 1, Janvier/Mars 2023
Page(s) 90 - 102
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2023027
Published online 30 June 2023

© M. Simon, Hosted by EDP Sciences, 2023

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La prise en compte des océans s’accélère au gré des conférences : Convention des Nations unies sur le droit de la mer avec les volets « biodiversité marine des zones situées au-delà des juridictions nationales (BBNJ) », « exploitation minière des grands fonds marins » ou « droits de la mer », congrès de l’UICN sur les aires marines protégées, accords de pêche, initiatives gouvernementales… Les enjeux sont conflictuels, économiques et géopolitiques car il s’agit de ménager la susceptibilité des uns et l’avidité économique des autres. Si les résultats de ces négociations peinent à satisfaire les attentes de justice environnementale, entre pays et avec l’océan, au moins promeuvent-ils les sciences océaniques. Le texte présenté ici revient sur la structuration des sciences océaniques à l’œuvre dans deux de ces grands sommets où les échanges semblent avoir été particulièrement apaisés.

La Rédaction

Introduction

Le One Ocean Summit ou « One Planet Summit pour l’océan » qui a eu lieu à Brest du 9 au 11 février 2022 a été le premier grand sommet international sur l’océan organisé depuis l’ouverture de la Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable. 41 pays y ont contribué.

Puis, en juin 2022, la conférence des Nations unies (ONU) sur les océans – initialement prévue en 2020 et reportée en raison de l’épidémie de Covid-19 – s’est tenue à Lisbonne avec l’ambition d’encourager et de favoriser la mise en œuvre de l’objectif de développement durable (ODD) n° 14 « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines ».

Ces deux grands rendez-vous internationaux ont constitué un ensemble inédit d’événements et d’engagements dans lesquels la connaissance, la science et l’innovation ont tenu une place importante. Nous en proposons ici un bilan critique qui s’attachera à dégager, d’une part, les grandes thématiques scientifiques qui ont été mises en avant et, d’autre part, les grands engagements ou programmes qui ont été annoncés lors de ces deux sommets et qui pourraient favoriser les activités scientifiques sur l’océan dans la décennie à venir.

L’océan constitue un des grands communs de l’humanité et ces deux conférences internationales se sont particulièrement attachées à cette dimension. L’océan est aussi un espace géopolitique et géostratégique ; il s’agit d’un aspect qui n’a pas été traité explicitement à Brest et à Lisbonne mais qui est resté à l’arrière-plan des échanges entre États. La dimension économique des activités humaines (transports maritimes, production d’énergie, pêches, aquaculture…) a été principalement abordée sous l’angle de l’impact de ces activités sur cet espace commun essentiel à l’équilibre planétaire ; même s’il a été question d’investissement dans l’économie bleue au service du bien commun, il ne s’agissait pas de sommets économiques.

L’océan a donc été abordé principalement sous deux angles : celui de l’espace commun à préserver et celui d’une frontière de la connaissance. On s’intéressera ici plus particulièrement à cette dernière dimension en analysant les grandes lignes de force qui se dessinent pour les sciences océaniques au niveau mondial.

Les sciences dites « océaniques » recouvrent un ensemble extrêmement large de domaines et thématiques qui ont toutes comme point commun d’avoir un objet d’étude qui se trouve sur, dans ou sous l’océan. Il s’avère donc bien souvent difficile d’en définir strictement le périmètre. Les rapports mondiaux de l’Unesco (IOC-Unesco 2017, 2020) sur les sciences océaniques permettent d’en rappeler quelques grandes caractéristiques. Les dépenses affectées aux sciences océaniques sont généralement inférieures aux dépenses allouées par les budgets nationaux aux autres domaines (en moyenne 1,7 % des budgets nationaux pour la recherche sont alloués aux sciences océaniques). À titre d’exemple, l’Irlande, la Norvège et le Portugal consacrent 5 à 6 % des dépenses de recherche à l’océan. La France est dans la moyenne en y consacrant entre 1 et 2 %. En Europe, il faut noter une contribution importante de certains pays européens proportionnellement à leur population. Ainsi, la Norvège et le Portugal sont les premiers pays en termes de ressources humaines consacrées à la recherche en sciences océaniques, avec plus de 300 chercheurs chacun par million d’habitants (la France est huitième de ce classement, l’Allemagne douzième et les États-Unis seizièmes).

Malgré un historique de collaboration internationale et de nombreuses politiques de science ouverte, l’accès aux données et aux zones d’étude (qui est fonction de la taille et de la disponibilité des flottes océanographiques) reste difficile et peut être considéré comme un frein au développement des sciences océaniques. De plus, et comme pour de nombreuses autres disciplines scientifiques, des inégalités importantes persistent au niveau mondial telles que celle de la contribution des femmes et des pays de l’hémisphère Sud.

Thématiques et grands enjeux scientifiques

Plusieurs sessions ou événements spécifiquement consacrés aux sciences ou technologies ont été organisés au cœur de ces conférences, afin de rassembler les acteurs de la recherche et de donner à voir les grands enjeux scientifiques. À Brest, le forum One Ocean Science1 a porté la voix de scientifiques du monde entier et rappelé le rôle essentiel des sciences océaniques pour protéger l’océan et ses écosystèmes. Grâce à son relais dans une trentaine de pays, la campagne One Ocean Science aura finalement touché environ 9 millions de personnes. Une session institutionnelle, « The science we need for the ocean we want », a rassemblé les ministres chargés de la recherche (France, Italie), la Commission européenne, la Commission océanographique intergouvernementale (COI) de l’Unesco et des représentants d’organismes de recherche.

À Lisbonne, un dialogue interactif de haut niveau a été consacré au développement des sciences de l’océan « Increasing scientific knowledge and developing research capacity and transfer of marine technology2 ». Cette session était coprésidée par la ministre française (Amélie de Monchalin) et le ministre costaricain de l’Environnement (Franz Tattenbach). On retiendra également la session « Ocean observing for ocean sustainability » organisée par le Scripps Institution of Oceanography (SCRIPPS) et l’institut de recherche allemand Geomar, à laquelle a participé l’Ifremer, entièrement consacré aux enjeux mondiaux d’observation de l’océan. Un forum organisé par l’unité de coordination de la Décennie des sciences océaniques (cf. infra) s’est également tenu en marge de cette conférence onusienne, afin de mobiliser la communauté scientifique pour les objectifs du développement durable3.

Les sciences océaniques étaient donc bien positionnées dans l’agenda de ces deux sommets au travers de ces événements spécifiques. L’analyse des différentes sessions et prises de parole dites « de haut niveau4 » ainsi que des événements associés5 conduit à dégager des thématiques scientifiques qui ont été plus particulièrement traitées et de rappeler les grands enjeux scientifiques qui y sont associés.

Changements climatiques et océan

En absorbant environ un quart du CO2 issu de la combustion des énergies fossiles et une partie de la chaleur issue du rayonnement solaire, l’océan constitue un élément-clé de la régulation du climat. Ce rôle de régulateur s’accompagne de modifications profondes de l’océan et de la cryosphère. Ainsi, on estime que le niveau de l’océan augmente en moyenne de 3,6 mm par an (2006-2015), que ce rythme continue de s’accélérer, que la désoxygénation est visible jusqu’à 1 000 m de profondeur ou encore que la fréquence des vagues de chaleur marine a doublé depuis 1982 (IPCC, 2022).

Les sommets de Lisbonne et de Brest ont rappelé ces enjeux premiers pour la planète avec respectivement deux sessions de haut niveau : « Minimizing and addressing ocean acidification, deoxygenation and ocean warming » et « A sea of solutions to face climate change ». À l’issue de la conférence de Lisbonne, la déclaration politique commune appelle donc de nouveau à respecter les engagements de Paris pour limiter les effets du changement climatique.

Face à ces changements inédits pour le climat planétaire, la communauté scientifique s’efforce de comprendre les mécanismes à l’œuvre, notamment au niveau océanique, et de prédire les trajectoires et scénarios les plus vraisemblables. L’Organisation météorologique mondiale (OMM, World Meteorogical Organization [WMO] en anglais) a souligné à Lisbonne l’importance d’étendre les capacités d’observation de l’océan, rappelant que sa zone australe reste sous-échantillonnée, et a appelé les communautés scientifiques de l’atmosphère et de l’océan à se rapprocher pour travailler davantage ensemble. Les efforts de coordination et de partage des données se poursuivent sous l’égide de la COI et de l’OMM par le biais notamment du Global Ocean Observing System (GOOS) et de l’organisation OceanOPS.

La description et la compréhension des impacts de l’acidification et du réchauffement de l’océan sur la biodiversité sont l’autre thématique qui mobilise la communauté scientifique. À Lisbonne, Hans Otto-Pörtner, coprésident du groupe de travail « Impacts, adaptation and vulnerability » du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), a rappelé les changements d’habitats, les déplacements d’espèces et les pertes de biodiversité qui sont en train d’intervenir et l’importance de comprendre les impacts de la désoxygénation et de l’accumulation du CO2 dans la physiologie et le cycle de vie des espèces marines.

Par ailleurs, les questions posées par l’intervention humaine pour favoriser ou entretenir les processus d’absorption et de séquestration du carbone par l’océan ont été abordées à Lisbonne dans le cadre de deux événements associés : « Ocean-based carbon dioxide removal: code of conduct » et « How the ocean can help us solve our climate crisis – Putting science first ». Dans le contexte où plusieurs stratégies dites « carbone dioxide removal » (CDR) sont explorées, ces échanges ont permis de rappeler que l’évaluation des risques et bénéfices associés à ces technologies reste incertaine et que les recherches menées actuellement soulèvent des questions éthiques (Loomis et al., 2022 ; National Academics of Sciences, Engineering, and Medicine, 2022). Les participants ont appelé à la mise en place d’un code de conduite encadrant les développements et l’évaluation des stratégies CDR6.

Alimentation : ressources halieutiques et aquaculture

Le sommet de Lisbonne a largement mis en avant les problématiques halieutiques. D’abord dans le cadre d’une session plénière consacrée à la durabilité des pêcheries puis à l’occasion de la présentation du dernier rapport sur la situation mondiale de la pêche et de l’aquaculture (FAO, 2022). L’importance mondiale de l’alimentation issue de produits de la pêche et de l’aquaculture a été rappelée par l’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : la demande en produits de la mer atteint depuis 2019 plus de 20 kg par habitant et pour plus de 3 milliards d’humains, les protéines issues de la pêche ou de l’aquaculture représentent plus de 20 % de la ration alimentaire.

L’aquaculture continue de se développer de plus en plus rapidement. En 2020, la production aquacole a augmenté sur l’ensemble des continents à l’exception de l’Afrique. La FAO souligne le besoin critique de développer une aquaculture ayant moins d’impacts sur les ressources naturelles. Cette problématique a notamment fait l’objet de plusieurs événements associés au sommet de Lisbonne organisés par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (UNCTAD), l’Aquaculture Stewardship Council (ASC) ou encore la FAO.

Alors que l’état des ressources halieutiques a continué globalement de se dégrader, la FAO estime que l’amélioration de la gestion des ressources halieutiques pourrait significativement augmenter la production (16,5 millions de tonnes supplémentaires par rapport à environ 90 millions de tonnes extraites de l’océan en 2020). La régulation des pêcheries et de leurs impacts sur les écosystèmes a été abordée plus particulièrement au travers de sessions associées. Ainsi, le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni ont appelé les États à rejoindre une alliance d’États mobilisés contre la pêche illicite non déclarée et non réglementée, la Illegal, Unreported and Unregulated (IUU) Fishing Action Alliance.

Le One Ocean Summit a peu traité de l’aquaculture et les questions relatives à la gestion des pêches ont été principalement abordées sous l’angle de l’impact de la pêche sur les espèces protégées. Le cas des captures accidentelles de dauphins communs par des pêcheries du golfe de Gascogne a été évoqué par le président de la République française et lors d’une table ronde.

La communauté scientifique est donc face à de nombreuses attentes. D’une part, la recherche et l’innovation seront essentielles pour réduire l’impact environnemental de l’aquaculture (European Commission, DG Maritime Affairs and Fisheries, 2021). D’autre part, alors que la composition spécifique des captures est déjà modifiée par les effets du réchauffement de l’océan (IPCC, 2022), la compréhension et la prévision des conséquences des changements globaux sur la production alimentaire des écosystèmes marins sont des enjeux scientifiques à prendre en compte dans les modalités de régulation des pêcheries.

Les grands fonds océaniques

Les grands fonds océaniques sont définis par la zone au-delà de laquelle l’énergie solaire ne pénètre plus, soit une profondeur d’environ 200 m, et représentent plus de 65 % de la surface de la Terre. Par leur étendue en surface et en profondeur (la profondeur moyenne de l’océan est de 3 800 m), les grands fonds sont parmi les écosystèmes les moins décrits et connus. La connaissance de la biodiversité, de la biologie particulière des espèces présentes et des dynamiques de ces écosystèmes progresse, notamment grâce au déploiement d’observatoires sous-marins ces dernières décennies. Par ailleurs, la découverte de ressources minérales dès les années 1970 – nodules polymétalliques, encroûtements cobaltifères, sulfures – dans différentes zones de l’océan profond a posé la question d’une éventuelle exploitation de celles-ci (IPCC, 2022).

Le premier enjeu de connaissance pour cette vaste zone est d’en établir la cartographie détaillée, c’est-à-dire à une résolution de l’ordre de la centaine de mètres. Le One Ocean Summit et la conférence de Lisbonne ont promu le programme international Seabed20307 soutenu par l’Unesco. Ce programme vise à rassembler toutes les données bathymétriques disponibles afin de produire la carte précise des fonds marins. Les coordinateurs de Seabed2030 ont annoncé que désormais 23,4 % des fonds sont cartographiés et ont continué d’encourager l’ensemble des organismes à utiliser leurs moyens océanographiques pour acquérir des données bathymétriques. De plus, la directrice générale de l’Unesco a de nouveau relayé l’engagement que 80 % des fonds marins soient cartographiés en 2030.

Même si une grande variété d’écosystèmes profonds sont désormais décrits – plaines abyssales, sources hydrothermales, canyons –, les cycles de vie ou encore les voies métaboliques des organismes restent mal connus. L’exploration de ces écosystèmes constitue donc l’une des véritables « frontières de la connaissance ». La communauté scientifique s’est mobilisée lors de ces sommets internationaux, qui ont accueilli de nombreuses interventions sur les écosystèmes profonds. À Brest, la naissance de l’unité mixte de recherche Ifremer-CNRS-UBO « Biologie et écologie des écosystèmes marins profonds » (UMR BEEP) début 2022, coïncidait avec l’organisation du One Ocean Summit. Il s’agit, à présent, de l’un des seuls laboratoires pluridisciplinaires dédiés aux grands fonds en France.

Le débat autour d’une éventuelle exploitation des ressources minérales profondes s’est poursuivi à Brest et à Lisbonne. La table ronde au One Ocean Summit « Grands fonds marins, quelle gestion durable ? » a réuni des ONG (Greenpeace et WWF) et des représentants français pour échanger sur cette question. Le sommet de Lisbonne aura été marqué par le lancement d’une alliance pour un moratoire sur l’exploitation minière en haute mer (Alliance of Countries for a Deep Sea Mining Moratorium) et par la position exprimée par la France de faire primer l’exploration et le renforcement des connaissances sur l’exploitation des ressources minérales en haute mer.

Pollutions

Les pollutions marines sont à 80 % d’origine terrestre et se déversent via les fleuves et zones côtières. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (en anglais, Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services [IPBES]) note ainsi que le deuxième facteur de dégradation des écosystèmes océaniques est le changement d’usage des terres et de l’océan, particulièrement des zones côtières (IPBES, 2019). Pour les millions de personnes qui dépendent des écosystèmes littoraux, les pollutions, l’eutrophisation et les efflorescences algales toxiques ont des conséquences critiques sur la santé et l’alimentation (IOC-Unesco et Unep, 2016).

Le One Ocean Summit a mis l’accent sur la pollution par les plastiques notamment lors de la session « Fighting against pollution, especially plastic ». À Brest, plusieurs engagements ont été rappelés ou pris concernant la pollution par les plastiques qui représentent 85 % des déchets présents dans l’océan. Le sommet de Lisbonne a traité de l’ensemble des pollutions dans une perspective plus large. Lors du dialogue interactif de haut niveau « Addressing marine pollution », Alexander Turra, coordinateur de la chaire sur la durabilité de l’océan de l’Unesco, a souligné la multitude des types de pollution et des sources d’émissions. Plusieurs événements associés au sommet de Lisbonne ont traité des pollutions et notamment des plastiques, en particulier la conférence « Addressing marine plastic pollution » coorganisée par l’Agence internationale de l’énergie atomique et la fondation Prince-Albert-II-de-Monaco.

Dans ce contexte, l’un des grands enjeux pour la recherche est de coopérer pour quantifier et suivre les pollutions aux échelles mondiales et régionales. Le Integrated Marine Debris Observing System (IMDOS) propose d’établir un système d’observation mondial combinant plusieurs types d’observation (Maximenko et al., 2019). Concernant le cas des microplastiques, une étude récente a conduit à réévaluer leur quantité dans les océans à 24 400 milliards de fragments, représentant un poids estimé entre 82 000 t et 578 000 t (Isobe et al., 2021).

Une autre perspective pour la recherche est de mieux comprendre et de différencier les différents facteurs de stress causés par ces pollutions dans les écosystèmes. En s’appuyant sur le concept d’exposome, le programme prioritaire de recherche « Océan et climat8 » (cf. ci-après) propose de s’attaquer à cette problématique et souligne que ces nouvelles connaissances pourraient faire évoluer les réglementations – notamment sur des pollutions dites émergentes – et contribuer à des mesures de réduction des pollutions.

L’océan polaire

Les régions polaires sont les régions du globe où la signature du changement climatique est la plus visible et la plus spectaculaire. La perte des glaces et les changements dans l’océan polaire sont en train de s’accélérer de manière irréversible (IPCC, 2022).

Les pôles constituent des cas particuliers de collaboration scientifique en raison de leur statut international et chaque sommet a abordé les questions de la recherche scientifique en zone polaire sous la forme d’événements associés. À Brest, la France a annoncé la publication de sa première stratégie nationale polaire (Poivre d’Arvor, 2022) et le lancement d’un programme scientifique de mesure de la contribution de l’Antarctique de l’Est à l’élévation du niveau des mers. À Lisbonne, l’Organisation météorologique mondiale et la Polar Initiative de la fondation Prince-Albert-II-de-Monaco ont réuni un grand nombre de scientifiques et parties prenantes (« Polar regions in a changing climate: ocean solutions through science to services » et « Polar oceans: engine to the global ocean – messages and messengers »).

Les participants ont notamment souligné l’importance d’augmenter les capacités d’observation des glaces et de l’océan polaire et de continuer de coordonner au niveau international les multiples moyens d’acquisition de données : campagnes océanographiques, capteurs in situ, satellites. Le caractère extrêmement rapide des changements qui sont en train d’intervenir dans les régions polaires nécessite d’intensifier le rythme d’acquisition des données et de développer des « early warning indicators ». À ce titre, l’extension du réseau Argo vers les zones polaires9 est importante pour récolter des données en dessous des zones couvertes par la banquise.

Aires marines protégées

L’Unep et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estiment que les aires marines protégées (AMP) s’étendent sur environ 8 % de l’océan mondial10. Le plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 et les objectifs d’Aichi avaient fixé une cible à 10 % des eaux marines et côtières. L’ensemble des États participant au One Ocean Summit se sont rejoints sur une ambition d’augmentation de la couverture de l’océan par les AMP. La France a annoncé avoir dépassé l’objectif de classer 30 % des espaces terrestres et maritimes sous juridiction française en aires protégées, avec notamment l’extension de la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises (1,7 million de km2).

Dans la continuité des engagements de Brest sur les AMP, le sommet de Lisbonne a vu d’autres États et parties prenantes prendre des engagements sur les AMP. Plusieurs coalitions autour de l’objectif 30×30 – c’est-à-dire la couverture de 30 % de l’océan par des AMP d’ici 2030 – se sont exprimées en prévision de la COP 15 sur la biodiversité d’octobre 2022. La déclaration politique à l’issue du sommet de Lisbonne « prend note » de l’engagement volontaire d’une centaine d’États à contribuer à cet objectif.

Les AMP sont devenues des outils incontournables de protection et de gestion des espaces marins. Plusieurs organisations et conventions internationales reconnaissent l’intérêt de ces outils et en promeuvent la mise en place. La communauté scientifique s’est emparée de cette problématique, d’abord sous l’aspect écologique des bénéfices pour la biodiversité (notion de réserves marines), puis en intégrant progressivement des questionnements et objets de nature économique et sociale (pêcheries) et enfin les questions de gouvernance (Picone et al., 2021).

La fixation de grands objectifs mondiaux pour la couverture de l’océan par des AMP s’accompagne de nombreux travaux de recherche pour concevoir et déployer le plus efficacement possible ces outils. S’il est établi que les AMP contribuent à préserver la biodiversité et les services écosystémiques de l’océan (IPCC, 2022), la quantification au niveau mondial des bénéfices globaux en matière de gestion des ressources halieutiques ou encore de séquestration du carbone reste un domaine de recherche très actif (Sala et al., 2021 ; Hilborn et Kaiser, 2022 ; Sala et al., 2022).

Il faut désormais faire face à l’immense défi de décrire les fonds marins et la biodiversité au sein des AMP. À titre d’exemple, l’ensemble du réseau actuel d’aires marines protégées de la ZEE française (sans l’AMP de Polynésie française Te Tainui Atea) s’étend à des profondeurs réparties à 7 % entre 0 et 200 m de profondeur, à 76 % entre 200 m et 4 000 m et à 17 % au-delà de 4 000 m (Bourillet et Tanguy, comm. pers.). L’exploration de ces zones requiert donc l’utilisation de moyens à la mer conséquents. Des programmes communs aux différents partenaires scientifiques et responsables de la gestion de ces aires marines protégées devront être envisagés.

Les données marines ou « l’océan numérique » : vers des jumeaux numériques de l’océan

L’observation de l’océan repose désormais sur un grand ensemble de moyens d’acquisition de données. Après des décennies d’observations océanographiques uniquement à bord de navires, l’utilisation des satellites pour l’océanographie dans les années 1970 est à l’origine de découvertes majeures (hausse du niveau de l’océan, circulation thermohaline…). À la fin des années 1990, la mise au point de flotteurs profileurs dérivants puis l’essor du réseau Argo ont révolutionné l’observation in situ. Les observatoires de fond de mer, les réseaux d’observation constitués de bouées instrumentées, constituent des moyens d’observation autonomes mis en place ces 20 dernières années. Enfin, la collecte de données d’ADN dans le milieu marin (cf. ci-dessous) et le suivi par balises d’animaux marins viennent encore augmenter le volume de données disponibles sur l’océan.

Par ailleurs, l’essor des capacités de calcul numérique et la mise au point des méthodes d’analyse de très grands jeux de données par apprentissage permettent d’envisager des progrès importants, par exemple dans l’estimation des conditions océanographiques en tout point de la planète ou encore dans la prévision de l’état des écosystèmes marins à long terme (Chapron, 2022).

L’expérience cumulée de ces dernières décennies sur les modèles océaniques conduit à mettre en chantier des jumeaux numériques de l’océan. Ce défi mobilise une importante communauté scientifique et notamment l’organisation Mercator Ocean International (cf. ci-après). Les sommets de Lisbonne et Brest ont mis en avant ce grand défi de l’océanographie. Au cours du One Ocean Summit, la Commission européenne a réaffirmé son soutien et son ambition pour un jumeau numérique de l’océan opérationnel dès 2024. À Lisbonne, la COI a rappelé que la mise en place d’un tel outil est une opportunité majeure pour mesurer l’ampleur des changements qui affectent l’océan et les activités humaines qui en dépendent.

Au-delà d’un premier jumeau numérique de l’océan opérationnel en 202411, cette dynamique emporte des enjeux majeurs de recherche et de développement d’infrastructures. L’utilisation des méthodes d’apprentissage automatique (deep learning, réseaux…) pour inférer les dynamiques des écosystèmes océaniques continue à se développer12. Les efforts de recherche pour mettre au point ce type de modèle pourraient conduire à une nouvelle génération de représentations mathématiques de l’océan plus performantes et capables d’intégrer des données nombreuses et variées.

Les moyens et infrastructures pour l’observation de l’océan continuent de s’étendre grâce à de nouveaux capteurs. Ainsi, le réseau Argo français va poursuivre son essor dans le cadre du programme One Argo13 et de nouveaux capteurs sont en développement pour recueillir des données jusqu’à 6 000 m de profondeur. Autre exemple de déploiement significatif de capacités d’observation de l’océan : le lancement de la mission SWOT (Surface Water and Ocean Topography) à l’automne 2022, qui est dédiée à l’étude de la topographie de l’océan et des masses d’eau continentale.

ADN environnemental

Les technologies de détection et d’identification de l’ADN environnemental (ADNe) dans les écosystèmes océaniques sont susceptibles de devenir des outils indispensables pour inventorier la biodiversité et détecter de nouvelles espèces, depuis les écosystèmes côtiers jusqu’aux grands fonds océaniques. À Brest, lors du forum One Ocean Science, Margaret Lienen, directrice du SCRIPPS, est revenue sur les opportunités offertes par ces outils, les qualifiant de « révolution biomoléculaire ». La communauté scientifique française s’est rassemblée autour d’un stand intitulé « Sur les traces de l’ADN environnemental en mer » organisé par Sorbonne Université, le CNRS, la fondation Tara Océan, avec l’appui de la Marine nationale et la participation de l’Ifremer.

À Lisbonne, l’ADNe a également été cité lors de la session « Ocean observing for ocean sustainability » comme l’un des nouvelles technologies à développer pour renforcer les observations biologiques à l’échelle planétaire.

L’ADN environnemental génère des nombreuses attentes : détection en temps réel de risques sanitaires liés à la consommation de produits de la mer, suivis automatisés de grande ampleur des écosystèmes, en particulier des ressources halieutiques. En France, de premières études ont montré le potentiel de ces technologies pour une surveillance opérationnelle, par exemple avec un réseau d’observatoires de microbiologie environnementale intégrée (ROME14). La communauté scientifique doit faire face à plusieurs enjeux de diverses natures : (a) se structurer au niveau européen et international pour partager des définitions, approches et protocoles communs ; (b) comprendre les dynamiques complexes depuis l’apparition jusqu’à la dégradation de l’ADNe (largage, transport, diffusion, stockage) ; (c) s’approprier les outils de la bio-informatique pour traiter des volumes de données de séquençage toujours plus importants, ainsi que pour les stocker et partager.

Initiatives et grands programmes structurants pour les sciences océaniques

Ces deux grandes conférences internationales ont lancé ou mis en avant les grandes initiatives internationales, européennes et nationales qui seront structurantes dans les 10 ans et qui devraient favoriser ou amplifier le développement des recherches en sciences océaniques.

Décennie des Nations unies pour les sciences océaniques au service du développement durable (2021-2030)

L’ONU a désigné la période 2021-2030 « Décennie internationale des sciences océaniques pour le développement durable ». Ce contexte aura contribué à mettre en avant les sciences océaniques dans ces deux sommets internationaux, aux côtés des autres grands enjeux pour l’océan.

Le principal outil de cette Décennie est la labellisation des activités, projets ou programmes de recherche globaux. En ce qui concerne la France, la communauté scientifique s’est engagée à plusieurs niveaux. Le programme prioritaire de recherche « Océan et climat » copiloté par le CNRS et l’Ifremer est labellisé comme une contribution à la Décennie (cf. ci-après). One Network for Deep Ocean Observation15 est actuellement l’unique action de la Décennie portée par un organisme de recherche français (Ifremer). Ce programme international s’attache à développer et mettre en réseau des observatoires sous-marins de l’océan profond et portera son effort sur la consolidation du réseau avec les partenaires japonais, canadiens et européens réunis au sein de l’infrastructure de recherche EMSO (European Multidisciplinary Seafloor and Water Column Observatory). De plus, la communauté scientifique française est impliquée dans un grand nombre d’actions labellisées ; sans viser l’exhaustivité, on peut citer les thématiques de l’observation de l’océan avec les projets Coastpredict (Observing and Predicting the Global Coastal Ocean) et OBON (Ocean Biomolecular Observation Network) ; l’approche écosystémique des pêches avec le projet SMARTNET (Sustainability of Marine Ecosystems Through Global Knowledge Networks) ; ou encore le partage des données marines avec le projet FAIROD (Fair Data in the UN Ocean Decade in Support of Integrated Ecosystem Assessment).

Presque 2 ans après le lancement de cette Décennie de l’ONU, on constate donc que la communauté scientifique nationale s’empare de cet outil et que cette mobilisation transnationale permet de mettre en avant les sciences dans les sommets internationaux sur l’océan.

Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de juridiction nationale

Ce processus de négociation désigné par l’acronyme BBNJ pour « biodiversity beyond national juridiction » s’attache à faire aboutir un traité international découlant de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et qui préciserait des mesures pour la conservation de la biodiversité au-delà des zones économiques exclusives.

Au sens strict, il ne s’agit pas d’un cadre ou d’une initiative qui favorisera les recherches en sciences océaniques. Cependant, l’aboutissement de ce processus pourrait emporter des enjeux pour les activités de recherche tels que l’accès et le partage des avantages des ressources génétiques de la haute mer ; les études d’impact environnemental et la création d’aires marines protégées internationales ; le principe de liberté de la recherche en haute mer ; ou encore la constitution d’un comité scientifique international dans le cadre de cet accord.

Les échanges à Brest puis à Lisbonne ont été l’occasion d’activer la mobilisation des États pour parvenir à conclure un accord avant 2023. À l’issue du One Ocean Summit, les 27 États membres de l’Union européenne et 16 pays tiers, ont lancé la Coalition de la haute ambition pour un traité de la haute mer afin d’œuvrer à la conclusion d’un accord. La Conférence intergouvernementale a finalement abouti à un accord en mars 202316.

Mission européenne « Restore our ocean and waters »

Les activités de recherche en sciences marines des États membres de l’Union européenne (UE) devraient bénéficier de l’une des cinq grandes missions thématiques lancées par la Commission européenne – l’une sur le cancer et quatre concernant les défis du pacte vert européen (Green Deal). La mission n° 3 « Régénérer notre océan et nos eaux pour 2030 » s’insère ainsi dans ce nouveau dispositif de la programmation européenne de la recherche et plus de 340 millions d’euros17 du programme Horizon Europe soutiendront sa mise en œuvre.

Les missions visent à créer les conditions nécessaires pour mettre en place des nouveaux modes de collaboration entre les chercheurs et les acteurs/décideurs de terrain. Il s’agit de mieux insérer les parties prenantes dans les projets de recherche à chaque étape du processus et de créer des synergies aux niveaux européen, national et local. Cette intégration est indispensable pour atteindre les Objectifs de développement durable, tels que définis par les Nations unies dans son agenda 2030.

La mission « Régénérer notre océan et nos eaux pour 2030 » est centrée sur l’étude, la restauration et la protection des eaux européennes d’ici 2030. Elle se décline en 3 objectifs majeurs : (1) protéger et restaurer les écosystèmes aquatiques et la biodiversité ; (2) prévenir et éliminer la pollution ; (3) rendre l’économie bleue de l’UE neutre en carbone et circulaire.

À Brest, la Commission européenne a donné le coup d’envoi de la cocréation de la charte d’engagement politique des États membres, des régions et des principales parties prenantes de cette mission. À Lisbonne, la Commission européenne a annoncé l’ouverture d’un portail qui permet la soumission des engagements à la charte.

Mercator Ocean International devient une organisation intergouvernementale de services numériques en océanographie

Basé à Toulouse, Mercator Ocean International (MOI) met en œuvre le service de surveillance de l’environnement marin de Copernicus (CMEMS) dans le cadre du programme européen d’observation de la Terre Copernicus. Mercator Ocean International coordonne les producteurs de données et fournit à plus de 450 000 utilisateurs dans le monde des produits de modélisation global de l’océan et de l’expertise

Le CMEMS fourni des informations-clés sur lesquelles s’appuient les politiques européennes et internationales dans de multiples domaines : réduction de la pollution, protection de l’océan, amélioration de la sécurité et de la navigation maritimes, utilisation durable des ressources océaniques, développement des ressources énergétiques marines, surveillance climatique, prévision météorologique, croissance bleue…

À Brest, dans une déclaration commune, l’Espagne, l’Italie, la Norvège, le Portugal, le Royaume-Uni et la France se sont engagés à transformer Mercator Ocean International en une « organisation intergouvernementale en charge du premier océan numérique du monde ». Il s’agit d’une nouvelle étape pour cette organisation, qui avait été fondée par 5 organismes français (CNRS, Ifremer, Météo France, IRD, SHOM), rejoints en 2017 par d’autres grands acteurs espagnols, italiens, norvégiens et portugais de l’océanographie opérationnelle.

Tandis que le processus de transformation de MOI en organisation intergouvernementale se poursuit, le sommet de Lisbonne a vu Mercator Ocean International s’impliquer dans plusieurs initiatives, notamment l’accueil du Centre de collaboration de la Décennie pour la prévision océanique18. La Commission européenne a également rappelé son engagement pour le développement d’un jumeau numérique de l’océan qui s’appuiera sur les services de cette future organisation intergouvernementale.

Structuration européenne et internationale des flottes océanographiques

Les flottes océanographiques sont des équipements scientifiques lourds capables de déployer des technologies dans les grandes profondeurs. Plus d’un tiers de ces capacités est entretenu par les États-Unis (IOC-Unesco, 2020). En Europe, les principales flottes océanographiques sont détenues par le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. En France, l’Ifremer est l’opérateur d’une flotte océanographique unifiée depuis 2018. Ainsi, les moyens océanographiques nationaux peuvent être utilisés par l’ensemble de la communauté scientifique dans le cadre d’une gouvernance collective interorganismes.

Plusieurs démarches européennes ou internationales s’attachent à mieux partager ces capacités d’exploration. En Europe, depuis 2009, les projets Eurofleets19 facilitent l’accès aux flottes océanographiques et contribuent à des recherches technologiques communes. Cette initiative a permis de réaliser 50 campagnes transnationales, et de former 170 jeunes scientifiques.

Enfin, au niveau international, plusieurs cadres ou accords permettent aux scientifiques de partager des possibilités d’embarquements ou du matériel océanographique – forum International Research Ship Operators (IRSO) ou encore Ocean Facilities Exchange Group (OFEG).

Durant le One Ocean Summit, les représentants des flottes océanographiques européennes se sont réunis pour poser les fondations d’une structure européenne permanente de coordination. Forts de l’expérience Eurofleets et de ses résultats, plusieurs représentants des opérateurs de ces flottes – Norvège, Italie, Belgique, Pays-Bas, France et Portugal – proposent la création d’une entité juridique pour la coordination des flottes européennes. Par ailleurs, une initiative bilatérale entre l’Ifremer et l’Université Laval (Québec) a abouti à la signature d’un accord à Brest, pour un accès réciproque des scientifiques aux navires de la flotte océanographique française, d’une part et au brise-glace de recherche canadien NGCC Amundsen, d’autre part.

Des investissements dédiés à l’innovation

Les sommets de Brest et de Lisbonne mettent aussi en évidence la multiplication des fonds d’investissement dédiés aux océans et notamment dirigés vers l’émergence de start-up.

À l’occasion du One Ocean Summit, le fonds Blue Ocean géré par SWEN Capital Partners a annoncé, d’une part un partenariat scientifique avec l’Ifremer, et d’autre part, de nouveaux investissements qui portent à 95 millions d’euros la capacité d’investissement de ce fonds (Ifremer, Bpifrance et autres investisseurs). À Brest et à Lisbonne, la banque européenne d’investissement, aux côtés d’autres banques publiques de développement, a rappelé sa stratégie de soutien à des projets contribuant à réduire les pollutions (Clean Oceans Initiative). Enfin, la conférence de Lisbonne a accueilli le lancement de l’événement « 1000 ocean startups » qui se définit comme une coalition ayant pour objectif de développer 1 000 start-up exploitant des innovations ayant des impacts positifs sur l’état de l’océan et de ses ressources20.

L’ensemble de ces initiatives s’adressent en premier lieu à des entrepreneurs susceptibles de valoriser des avancées scientifiques et technologiques mais interpellent également la communauté scientifique, car elles démontrent l’intérêt fort et croissant d’investisseurs privés et publics envers les applications des recherches sur l’océan.

En France, des programmes et investissements structurants pour les sciences océaniques

En France, des programmes et investissements structurants devraient porter les recherches en sciences marines dans les 5 à 10 ans à venir. Ainsi, le programme prioritaire de recherche « Océan et climat » piloté par l’Ifremer et le CNRS est prévu pour une période de 6 ans et pourvu de 40 millions d’euros. Les premiers projets financés par ce PPR ont débuté en 202221.

En ce qui concerne les infrastructures, le programme de développement des équipements structurants pour la recherche (Équipex +) a retenu trois projets pour acquérir des données sur l’océan : les flotteurs-profileurs Argo, un observatoire de fond de mer et de nouvelles technologies pour les engins sous-marins. Les travaux qui seront coordonnés par l’Ifremer en association avec de plusieurs organismes et universités (CNRS, IPGP, IRD, BRGM, Sorbonne Université, Université de Bretagne occidentale…) représenteront un budget total d’environ 15 millions d’euros. Le programme d’investissement scientifique exceptionnel de l’Ifremer, qui est notamment dirigé vers l’infrastructure Argo et les observatoires sous-marins, permettra de porter l’investissement envers l’ensemble de ces équipements à plus de 35 millions d’euros22 pour les 6 ans à venir.

De plus, l’exploration de l’espace et de l’océan a été consacrée comme le dixième objectif national du plan France 2030. Des missions d’exploration, le financement d’un PEPR (programmes et équipements prioritaires de recherche) et la construction d’engins d’exploration contribueront à augmenter significativement l’effort national en matière de sciences océaniques23.

L’ensemble de cette programmation a contribué à étayer un portage politique de la recherche française en matière de sciences océaniques. Le président de la République est intervenu à Brest24 puis à Lisbonne25, rappelant l’importance de mieux connaître l’océan et annonçant les missions d’exploration océanographique du plan France 2030 (conclusion de la session « Pour une gouvernance rénovée des océans » du One Ocean Summit). De même, le One Ocean Summit aura été marqué par les interventions conjointes des ministres chargées de la recherche et de la mer ; cette dernière identifiant un « défi de connaissance » que la France entend relever.

Conclusion

Dès le début de l’année, l’Unesco avait qualifié 2022 de « super year » pour l’océan, tant il est vrai que les discussions internationales sur les questions océaniques s’annonçaient nombreuses. Entre chacun des sommets de Brest et de Lisbonne, puis en août 2022, ont eu lieu des sessions de la Conférence intergouvernementale « BBNJ », et l’année 2022 s’est achevée sur la COP27 sur le changement climatique (novembre) et la COP15 de la convention sur la diversité biologique (décembre).

La recherche est concernée directement ou indirectement par l’ensemble des engagements de Brest26 et de Lisbonne27. Les activités de recherche, d’expertise ou d’innovation contribuent déjà à éclairer les conditions de réalisation de ces engagements. Concrètement, il faudra néanmoins enrichir et travailler le suivi national des indicateurs d’atteinte de l’ODD n° 1428.

Lors de ces grandes conférences s’est exprimé le besoin de lier davantage les politiques publiques relatives à l’océan et l’usage de ses ressources avec la connaissance scientifique. Les États ont fait un appel à la communauté scientifique pour adapter ses objectifs de recherche aux besoins économiques et sociétaux (solutions basées sur la science). La Commission européenne a rappelé à Lisbonne son souhait de constituer une instance intergouvernementale à l’interface science-politique (Intergovernemental Panel for Ocean Sustainability [IPOS]), afin de renforcer le cadre international pour une gouvernance mondiale de l’océan intégrant la communauté scientifique29.

Les attentes de la société dans son ensemble – États, entreprises, ONG, citoyens – sont donc très fortes envers les sciences océaniques et orientées vers des problématiques précises. La communauté scientifique a la responsabilité d’honorer ces attentes et a d’ailleurs mis en avant au cours de ces sommets internationaux des projets, méthodes et technologies pour y répondre. Un dialogue soutenu doit être entretenu pour que se rejoignent effort de recherche et questions sociétales.

À ce titre, certains grands enjeux scientifiques et technologiques ont probablement été insuffisamment présents à Brest et à Lisbonne. Les conditions d’un développement durable de l’aquaculture et les enjeux de recherche associés ont été traités à Lisbonne mais quasiment absents à Brest. D’autre part, la prévision et la gestion des risques liés aux événements extrêmes (tempêtes et cyclones) sont une problématique scientifique majeure de l’adaptation au changement climatique qui sera finalement restée peu visible, même si une conférence internationale a été consacrée exclusivement à ce défi en octobre 2022 à Venise. Dernier exemple, les récents développements des technologies d’exploration et d’échantillonnage sont un enjeu important pour les sciences océaniques mais également pour les acteurs économiques, qui mériteraient d’être mis en avant pour créer des dynamiques et collaborations internationales.

Globalement, il faut souligner le bilan positif pour les sciences océaniques à l’issue des conférences de Brest et Lisbonne. La recherche s’est organisée, par exemple en créant ou renforçant des partenariats entre instituts, et les deux sommets confirment que des moyens y seront consacrés. Les efforts pour organiser des partenariats doivent se poursuivre et s’intensifier tout au long de la Décennie. Les communautés scientifiques qui s’intéressent à l’océan doivent travailler ensemble et partager davantage les données et les moyens d’accès à cet espace vaste et difficile d’accès. Par exemple, l’ambition commune des opérateurs européens de flottes océanographiques de faciliter l’accès transnational aux navires de recherche et de concevoir de manière collective de nouveaux moyens d’exploration doit être soutenue plus fortement, en particulier par les États membres de l’UE, et devra trouver sa place dans les prochains grands rendez-vous internationaux.

La responsabilité du monde de la recherche ne s’est pas suffisamment exprimée quant à l’impact de ses activités. Le One Ocean Summit a été marqué par plusieurs engagements de réduction de l’impact des activités humaines sur les écosystèmes marins. Si on note bien une préoccupation environnementale et sociale de plus en plus importante du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche (Blanchard et al., 2022 ; Piovezan, 2022), ces engagements sont le fait d’entreprises et d’États et non pas d’instituts de recherche ou d’universités. Récemment, des initiatives ont pourtant été lancées : en France, l’armateur de la flotte océanographique, Genavir, est titulaire depuis 2020 du label « Green Marine Europe30 » et la diminution de l’impact environnemental de cette flotte est un axe important de son évolution31 ; au Royaume-Uni, le National Oceanography Centre (NOC) se met en état de répondre à un engagement de neutralité carbone en 2040 pour sa flotte océanographique (National Oceanography Centre, 2022).

Dans ce contexte, les organismes de recherche exerçant des activités à proximité, sur ou sous l’océan vont être de plus en plus interpellés quant à leurs actions pour diminuer l’impact environnemental de l’ensemble de leurs activités. Des engagements significatifs devront être pris.

Ces deux sommets mondiaux et la Décennie des Nations unies des sciences océaniques lancent une dynamique internationale qui devra permettre de progresser encore dans la reconnaissance du socle de connaissance existant sur le rôle critique de l’océan pour le système terre et pour nos sociétés ainsi que dans la prise de décisions concrètes. La France et le Costa Rica accueilleront la 3e conférence des Nations unies sur les océans en 2025.

Il appartient à la communauté scientifique de participer à ces rendez-vous pour y partager les connaissances et les solutions qu’elles suggèrent et y expliquer aussi les défis scientifiques immenses à venir. Il s’agira aussi d’utiliser ces grandes conférences pour faire avancer des initiatives internationales concrètes et structurantes pour les sciences océaniques. Il appartient aux organisateurs de ces événements – pays hôtes, secrétariat général des Nations unies – de donner une place importante aux sciences océaniques en veillant à ce que, d’une part, des engagements structurants et pérennes en faveur des sciences océaniques soient pris et, d’autre part, que ces engagements ne remplacent pas les décisions politiques qui s’imposent pour l’équilibre de la planète, de l’océan et des sociétés humaines.

Remerciements

Je remercie Natalia Martin-Palenzuela, Emmanuelle Platzgummer et Florence Coroner pour leur relecture attentive et leurs suggestions enrichissantes.

Références


12

Par exemple, la chaire de recherche et d’enseignement en intelligence artificielle Physics-Informed AI for Observation-Driven Ocean AnalytiX (OceaniX) portée par l’IMT Atlantique en partenariat avec l’Ifremer et l’INRIA.

22

cf. rapport d’autoévaluation 2016-2020 de l’Ifremer : IR Argo : Équipex + Argo 2030 : 6,2 M€ ; PIE Ifremer Argo (PIANO) : 5 M€ Observatoires : Équipex + Marmor : 15 M€ ; PIE Ifremer ScinObs 8,2 M€.

Citation de l’article : Simon M., 2023. Conférence des Nations unies sur les océans et One Ocean Summit : bilan et perspectives pour les sciences océaniques. Nat. Sci. Soc. 31, 1, 90-102.

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