Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 2, Avril/Juin 2023
Dossier « Recherches sur la question animale : entre mobilisations sociétales et innovations technologiques »
Page(s) 210 - 219
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2023035
Published online 29 August 2023

© J. Sarrazin et al., Hosted by EDP Sciences, 2023

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

La médiation scientifique est au cœur des enjeux théoriques et méthodologiques de la démarche interdisciplinaire. Elle peut prendre la forme de la modélisation comme de la mise en récit. L’intérêt de ce texte est de proposer une autre voie, celle de la rencontre entre un projet scientifique original et un domaine a priori d’une autre nature, à savoir l’art du théâtre. En suivant les différentes étapes de cette hybridation, on saisit mieux en quoi la transition sociale et écologique mobilise deux ordres d’émotions appelées à être croisées : celles qui sont l’objet même du théâtre et celles qui sont implicitement à l’arrière-plan de l’activité scientifique elle-même. Les artistes et chercheurs nous content les étapes de cette hybridation et proposent une forme originale de médiation scientifique et de création artistique.

La Rédaction

Parce qu’il fait appel aux émotions, le théâtre amène les spectateurs à se laisser aller
et à s’emparer du propos presque à leur insu.

Les auteurs

Introduction

Le projet Donvor et ses prolongements questionnent l’importance d’une collaboration entre scientifiques et artistes pour susciter un dialogue entre science, art et société sur des sujets d’actualité : environnement, écologie, transition énergétique. Ce projet tentaculaire est le résultat d’une collaboration au long cours entre scientifiques et artistes autour d’une thématique commune : les écosystèmes marins profonds et les enjeux de l’exploitation de leurs ressources. Il s’est articulé autour d’immersions réciproques : des artistes embarqués à bord d’un navire de recherche et des scientifiques impliqués dans des résidences de création. De ces immersions sont nées deux formes théâtrales, Spluj et Donvor, mais aussi plusieurs autres objets (journal de bord, film documentaire, ateliers « art et science », livre) qui, petit à petit, sont venus diversifier et enrichir le projet1.

Un tel projet ne peut donc pas se résumer à la création d’un spectacle mais c’est bien l’ensemble des prolongements de cette création qui constitue un corpus de moyens permettant, par le biais de l’émerveillement, de sensibiliser aux enjeux environnementaux et sociétaux puis de susciter les questionnements et le débat entre scientifiques, artistes, citoyens, institutions, décideurs et générations futures.

Cet article traite de la genèse de ce projet, de sa méthodologie, des résultats obtenus et analyse l’approche toute particulière qui a été mise en œuvre. Enfin, il cherche à comprendre comment ces approches « art et science » sont de réels déclencheurs de dialogue et de ce fait, de puissants outils de médiation scientifique.

Genèse du projet

Débuté en 2016, le projet Donvor est né d’une collaboration à long terme sans précédent entre deux scientifiques du Laboratoire Environnement profond (LEP) de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), plusieurs artistes de Teatr Piba, une compagnie de théâtre professionnelle basée à Brest, et un auteur. Cette collaboration avait pour objectif commun de faire découvrir l’univers des écosystèmes marins profonds et de la recherche scientifique par le biais d’un voyage immersif et insolite.

L’océan profond est souvent défini par la limite de pénétration de l’énergie solaire, correspondant à des profondeurs supérieures à 200 m. Ce milieu représente 66 % de la surface de la Terre et plus de 93 % de la biosphère. Au XIXe siècle, les grands fonds océaniques étaient décrits comme une immense plaine désertique et certains scientifiques envisageaient même qu’ils soient dépourvus de vie. Il fallut attendre le développement des moyens d’accès et l’arrivée des sous-marins scientifiques, au début des années 1960 pour que cette vision des fonds marins change. En 1977, la découverte d’écosystèmes luxuriants associés aux dorsales océaniques révolutionne notre compréhension de la vie sur Terre. Les activités de recherche de Jozée Sarrazin et Pierre-Marie Sarradin se concentrent sur ces écosystèmes appelés sources hydrothermales. Véritables geysers sous-marins, ces sources expulsent leurs fluides chauds (jusqu’à 400 °C) sur le plancher océanique, dans des zones d’intenses activités tectoniques et volcaniques, sur les dorsales océaniques. Elles abritent une faune luxuriante soutenue par des communautés microbiennes qui utilisent l’énergie chimique de ces sources pour produire de la matière organique via un processus appelé chimiosynthèse. La vie est donc possible sans la lumière du soleil. Vivant librement ou en association avec des invertébrés, ces microorganismes sont à la base de la chaîne alimentaire. Plusieurs espèces – vers, gastéropodes, crevettes, crabes et autres crustacés – prospèrent dans ces milieux extrêmement productifs. Nombre d’entre elles ne se trouvent qu’au niveau des écosystèmes hydrothermaux – on les qualifie d’endémiques – en quantités exceptionnellement élevées. Comme ces écosystèmes contrastent fortement avec ceux des plaines abyssales environnantes, ils ont été baptisés « oasis des profondeurs ». Leur éloignement, à plusieurs kilomètres sous la surface des océans, les rend difficilement accessibles et relativement protégés des activités humaines. Mais cette situation pourrait bientôt changer car les ressources minérales générées par l’activité hydrothermale sont de plus en plus convoitées par les industries minières. Dans ce contexte, il nous a semblé urgent de toucher le grand public pour le sensibiliser aux enjeux environnementaux majeurs auxquels ces écosystèmes et les grands fonds marins en général sont confrontés. Nous considérons en effet que la prise de conscience est le seul moyen de faire bouger les choses.

Bien que les activités de vulgarisation et de sensibilisation fassent partie de notre travail depuis de nombreuses années, nous avons compris au fil du temps que le public qui assistait à ces activités était composé de personnes naturellement attirées par la science et conscientes des enjeux majeurs. Il est donc devenu de plus en plus évident pour nous scientifiques qu’il fallait trouver des approches innovantes qui nous aideraient à toucher un public néophyte. Notre objectif : faire connaître les écosystèmes des grands fonds et les espèces qui y vivent, par une approche poétique, détachée de la traditionnelle « conférence scientifique ». De plus, ce partage, ce retour vers le grand public, nous semble presque obligatoire : financés par l’argent public, nous avons le privilège de pouvoir explorer l’ultime frontière de notre planète et d’avoir accès aux écosystèmes les plus vastes et les moins connus de la Terre. En effet, plus de 95 % des grandes profondeurs représentent encore une « terra incognita » et demeurent largement inaccessibles au commun des mortels. Les arts, et le théâtre en particulier, sont apparus comme une voie alternative intéressante.

En 2016, la rencontre avec Thomas Cloarec, le directeur artistique de la compagnie brestoise Teatr Piba, fut le point de départ d’une incroyable aventure qui allait durer plusieurs années. En effet, les premières représentations de la pièce de théâtre Donvor ont été jouées en janvier 2020, après 4 ans de recherche et de création2.

Méthodologie et chronologie

Après quelques réunions pour identifier nos objectifs respectifs, nous avons décidé de tenter le coup ! Pour les scientifiques, l’objectif était simplement que la future création évoque les écosystèmes des grands fonds et si possible, de manière poétique. Pour les artistes, il s’agissait d’élaborer une forme théâtrale inspirée de ce qu’ils allaient découvrir/expérimenter au contact de ceux qui gravitent autour de la recherche sur les grands fonds marins : chercheurs mais aussi techniciens, ingénieurs et marins. Il est également apparu évident que pour s’approprier nos activités de recherche, les artistes devaient faire l’expérience d’être à bord d’un navire océanographique, tel que ceux utilisés pour déployer des submersibles. Inversement, il est apparu tout aussi important que les scientifiques prennent part au processus de création et s’immergent à leur tour dans le monde artistique. Le processus créatif a donc bénéficié de trois étapes importantes de collaboration.

Transit à bord du navire océanographique Pourquoi pas ?

À l’automne 2016, nous avons exposé notre projet « un peu inhabituel » au directeur de la Flotte océanographique française ainsi qu’au responsable de Genavir, l’armateur des navires de cette flotte : nous souhaitions profiter du transit d’un navire océanographique pour embarquer l’équipe de notre projet « art et science » naissant. L’autorisation a été donnée d’embarquer, en avril 2017, à 5 artistes et 2 scientifiques à bord du Pourquoi pas ? pour un transit de 7 jours de Ponta Delgada (Açores) à Toulon : l’auteur et interprète David Wahl, alors pressenti pour l’écriture, le metteur en scène T. Cloarec, la comédienne Charlotte Heilmann, la scénographe Nadège Renard, le créateur sonore Pascal Rueff et les scientifiques P.-M. Sarradin et J. Sarrazin.

Avant cette campagne à la mer, T. Cloarec avait proposé d’apporter à bord du matériel « inspirant » pour alimenter les discussions : livres, films, bandes dessinées, textes, images. Le programme du transit a été assez chargé avec des conférences sur les écosystèmes des grands fonds, des séances de brainstorming, des lectures et visionnages de films, des entretiens, des séances de théâtre sur le pont, des rencontres avec les marins et le commandant ; ces activités nous ont permis de nous connaître, d’explorer nos univers respectifs et de développer une confiance mutuelle. Le créateur sonore a capturé des sons en 3D sur tout le navire, un matériau dont nous avons rapidement décidé qu’il serait au cœur du projet. Les artistes ont été plongés dans l’univers d’un navire de recherche et ont rapidement pris conscience que la vie à bord provoquait un déplacement des sens : un environnement de mouvements, d’odeurs et de sons permanents. C’est aussi un endroit où le temps prend une autre dimension. Cet embarquement aura permis aux scientifiques de mieux cerner les contours et enjeux d’une création artistique et d’expérimenter cette méthodologie où l’émotion et le ressenti sont au cœur de la démarche, expérience qui leur a semblé déstabilisante, pris dans l’habitude de travailler sur des protocoles bien établis. Pendant ce transit, D. Wahl a commencé à écrire un journal de bord3 dont une partie est ensuite devenue le texte narratif de la pièce de théâtre. Ce texte est désormais édité aux Éditions Arthaud sous le titre La vie profonde. Une expédition dans les abysses (2023).

Participation à une mission en mer

Si ce simple transit a été une expérience unique, celle d’une véritable mission scientifique est encore une autre histoire. J. Sarrazin et P.-M. Sarradin étant porteurs du projet EMSO-Açores4 et P.-M. Sarradin étant chef de mission de la campagne Momarsat 2017, ils ont pu obtenir une place pour D. Wahl à bord du Pourquoi pas ? avec le submersible Victor 6000 en juillet de la même année. L’objectif de cette mission était d’assurer la maintenance de l’observatoire EMSO-Açores, situé à 1 700 m de profondeur sur la dorsale médio-atlantique. Il y avait 75 personnes à bord : 35 membres d’équipage, 9 pilotes du submersible et 31 scientifiques, ingénieurs et techniciens de plusieurs disciplines. Cette mission a permis à D. Wahl de s’immerger dans le processus scientifique, de la direction des plongées au tri des échantillons de faune en laboratoire. Il a également rencontré plusieurs scientifiques pour comprendre leurs activités de recherche et recueillir leurs idées et réflexions ; il a aussi échangé avec l’équipage du navire et les pilotes du submersible. Une navette du navire portugais Archipelago a permis à T. Cloarec, Pablo Salun (ingénieur son) et Emmanuel Roy (réalisateur) de rejoindre la mission pour la dernière semaine. En plus du journal quotidien de D. Wahl, des sons et des séquences vidéo ont été enregistrés, pour alimenter la réalisation d’un film documentaire mais aussi comme matériau pour la conception du spectacle en gestation. Cette mission a vraiment renforcé notre confiance mutuelle. Elle a permis aux artistes de se rendre compte du travail en mer et de son intensité, d’entrer en dialogue avec les équipes, de questionner différemment les aspects quotidiens et scientifiques d’une mission que l’habitude avait peut-être rendus moins remarquables à nous scientifiques. La disparition de la notion de temps ainsi que plusieurs détails que nous n’aurions jamais pu verbaliser ont été soulevés dans le journal de D. Wahl, qui rend compte de l’émerveillement que de telles recherches font naître. Le quotidien se racontait différemment, les métiers prenaient d’autres dimensions, la routine s’effaçait :

« Sur notre bateau, on oublie très vite, il faut bien le reconnaître, qu’il existe un monde autre qu’océanique. La terre que nous avons laissée derrière nous n’existe plus vraiment. Le navire, puisqu’il est le seul endroit à abriter l’unique humanité du coin, prend les dimensions d’un pays. Ses frontières pourtant resserrées s’effacent. L’espace se dilate à l’infini. Peu à peu nous nous enfonçons, […] dans une dilatation du temps et de l’espace. Tous, nous nous laissons gagner par cette impression de nager dans un instant éternel que rien ne saurait arrêter. Moi ça m’aspire. Je suis fou de cette sensation. Je m’y abandonne avec délice. Je la savoure5 ».

Son écriture a suscité un véritable engouement à bord, puisqu’elle était affichée quotidiennement près de la cantine afin que tous les embarqués puissent la lire et la commenter, voire la discuter directement avec l’auteur.

Visite à Ocean Networks Canada

La troisième expérience vécue avec les artistes a été de partir à la découverte d’Ocean Networks Canada (ONC6), une entité qui gère plusieurs infrastructures d’observatoires de fond de mer dans les eaux canadiennes et avec qui nous collaborons depuis 2010. Ces observatoires représentent une approche innovante pour l’étude des fonds marins.

L’équipe qui a participé à cette expérience, en septembre 2017, était composée de J. Sarrazin pour la partie scientifique ainsi que D. Wahl, T. Cloarec, C. Heilmann, N. Renard ainsi que le réalisateur E. Roy. À l’instar de ce que nous avions fait à bord pendant le transit et la mission Momarsat, les artistes ont eu l’occasion de rencontrer plusieurs scientifiques impliqués dans les recherches menées grâce aux observatoires, ainsi que le Dr Kim Juniper, directeur scientifique d’ONC. Des entrevues ont été réalisées, des sons enregistrés et chaque activité a été filmée par le réalisateur. Nous y avons également organisé un premier atelier « art et science », réunissant des scientifiques et des étudiants de plusieurs disciplines, de la microbiologie à l’océanographie en passant par la littérature française. Le point de départ de cet atelier était une conférence scientifique sur les écosystèmes profonds et les défis auxquels ils sont confrontés. À partir de là, chaque participant était invité à écrire un texte inspiré par la conférence. Les séances d’écriture ont été ponctuées de séances de jeu d’acteurs, animées par les artistes. Les textes ont été retravaillés et assemblés pour créer une petite forme théâtrale, En eaux profondes/In deep waters, qui a été restituée devant public à l’issue de la semaine de travail. Le positionnement des spectateurs a été testé afin que la pièce ne soit pas frontale comme elle l’est normalement dans un théâtre mais que ces derniers soient immergés au cœur de la scène. Ce dispositif scénique avait pour objectif de faire ressentir aux spectateurs l’expérience unique et radicalement différente que représente une plongée en submersible. Le journal de bord quotidien poursuivi par D. Wahl reflétait les questions, les émotions et les points de vue que cet « être ensemble » a générés :

« Cette année d’immersion et d’échanges avec le monde scientifique a été riche et passionnante. Elle aura permis de lever le voile, pour les néophytes que nous sommes, sur l’univers fascinant de la recherche en « environnements profonds ». Un monde à la croisée des technologies de pointe, de la biologie, de la chimie ou de la géologie, et en même temps, de l’aventure et du romanesque. Un univers où se côtoient ingénieurs et chercheurs, en filiation directe avec les inventeurs du bathyscaphe et les pionniers de l’hydrographie marine, mais se réclamant également volontiers de l’héritage de Jacques-Yves Cousteau, ou même de celui de Jules Verne.

Au terme de trois résidences en immersion, nous entrevoyons que le parti pris même de cette collaboration scientifiques-artistes nous met sur la piste d’une forme théâtrale qui pourrait se décliner en « carnet de voyage fantastique et poétique ». Pas de fiction donc, mais bien plutôt une relation poétique et sensorielle de nos voyages aux confins. Dans ce prolongement, nous imaginons d’emblée un dispositif qui placerait le spectateur dans une situation analogue à celle que nous avons vécue durant cette année de découverte ; une situation « d’immersion sensorielle » inédite, en questionnant notamment l’ergonomie de son rapport au plateau et en lui offrant la sensation d’une expérience en temps réel. Cette expérience reposera notamment sur une narration en son 3D/binaural où chaque spectateur sera équipé d’un casque audio, ce qui lui permettra d’établir un rapport très intime avec le récit. Elle reposera également sur ce qui pourrait être donné à voir et ressentir aux spectateurs, une transposition de cet univers au caractère à la limite de l’imaginable, ce royaume de l’obscurité dans lequel s’invitent créatures fantastiques en suspension et formations géologiques extraordinaires7 ».

Étape de préproduction

Le matériel et les idées recueillis au cours de ces trois étapes fondamentales ont ensuite été utilisés pour poursuivre le processus de création, le journal de bord servant de base à l’élaboration de la future création. Ce dernier permet de rendre sensible à la fois l’émotion d’une épopée et l’émerveillement face à une exploration scientifique peu commune et ses découvertes encore confidentielles. Teatr Piba a, entre autres, été soutenu en 2018 par la Coopération Itinéraire d’artiste(s), ce qui lui a permis de travailler, en amont de la production, différentes pistes de recherches/scénographie immersives, documentation sonore et création de bruitages, travail et distribution des langues, sous forme de résidences « laboratoires » finalisées par des présentations publiques. Ces résidences ont également permis aux artistes qui n’avaient pas eu la chance d’embarquer de se familiariser avec ces écosystèmes. Cette année a permis à Teatr Piba de proposer une courte forme théâtrale « laboratoire » appelée Spluj (voir encadré 1). Elle a d’abord servi de banc d’expérimentation avant de devenir un spectacle à part entière.

Qu’est-ce que Spluj ?

En 2018, une partie du journal de D. Wahl a été extraite et la forme expérimentale « laboratoire » Spluj (signifiant « plongée » en langue bretonne) a été créée. Cette petite forme immersive est présentée dans des configurations « hors cadre », telles que festivals d’arts de rue et de musique, rencontres événementielles, congrès scientifiques, workshops pluridisciplinaires, et a été intégrée dans les « outils de médiation » développés par l’Ifremer. Elle invite les spectateurs à une plongée radiophonique et sensorielle, proposée en son spatialisé. Installés dans un confortable transat, coiffés d’un casque audio et d’un masque de sommeil, les spectateurs sont conviés à la première étape d’un voyage poétique et fantastique, sous forme d’une plongée au plus profond des abysses. Ils sont à l’écoute d’un extrait du journal de bord de D. Wahl, narré en direct par deux interprètes. Spluj raconte pendant 25 minutes l’expérience d’être embarqué dans une expédition en haute mer, apporte des détails sur la vie à bord et les sensations ressenties et parle aussi des questions scientifiques abordées. Créé à l’origine comme une « expérience », Spluj est désormais un spectacle à part entière. Son succès réside dans le fait qu’il représente une expérience unique dans laquelle notre sens de la vision est supprimé, laissant place à nos autres sens et à notre imaginaire. Deux comédiens assurent la narration et un ingénieur fait le mixage sons/musique. La forme est courte, facile à déployer et peut être jouée dans des lieux très différents. Son coût est également abordable. Fin 2022, Spluj avait été joué 318 fois et vu par plus de 16 870 spectateurs dans des parcs, des châteaux, des maisons de retraite, des bibliothèques et aussi au centre de découverte des océans, Océanopolis, à Brest.

J. Sarrazin et P.-M. Sarradin ont pris part à la plupart de ces restitutions, interagissant étroitement avec l’équipe artistique pour commenter, échanger et réajuster les points de vue afin que la pièce et la scénographie reflètent la réalité de l’expérience relatée par le journal de bord et que le contenu scientifique soit juste. Le projet a été officiellement présenté à François Jacq, PDG de l’Ifremer de l’époque et à la direction de la communication. Décision a été prise de le soutenir en tant que premier projet « art et science » de l’Institut. Depuis cette rencontre, l’Ifremer et la direction de son département Ressources et écosystèmes de fond de mer ont fortement soutenu le projet, assurant le salaire des scientifiques et les déplacements pour l’ensemble des médiations scientifiques.

Narration et mise en scène

Le journal de bord Donvor de D. Wahl se narre donc en deux parties : l’embarquement à bord du Pourquoi Pas ? et la résidence en Colombie-Britannique. Ces parties se distinguent tout d’abord sur le fond car elles ne répondent ni aux mêmes contextes « d’embarquement », ni aux mêmes contraintes d’écriture. À la forme sobre et exploratoire du carnet de bord scientifique, succède le récit d’un voyage initiatique dans le Nouveau Monde. La dimension anthropologique est essentielle aux deux parties de ce récit et l’on comprend finalement que beaucoup de résonances opèrent, tant sur un plan scientifique que sur un plan philosophique ou poétique. Chaque volet de ce diptyque finit par répondre à l’autre, en lui opposant une sorte de miroir, des abîmes océaniques aux forêts primaires où l’infinitésimale humanité tutoie les échelles de temps géologiques. Nous avons imaginé d’emblée un dispositif qui placerait le spectateur dans une situation d’« immersion » inédite, en questionnant l’ergonomie de son rapport au plateau, mais également en lui offrant la sensation d’une expérience en temps réel. Cette expérience repose notamment sur une narration en son 3D (binaural) où chaque spectateur est équipé d’un casque audio, ce qui lui permet d’établir un rapport très intime avec le récit.

Scénographie et dispositif

Pour le premier volet, le metteur en scène a tout d’abord souhaité que les balises sensorielles des spectateurs soient brouillées, en les plongeant pour plus d’une vingtaine de minutes dans l’obscurité totale. Cela permet d’évoquer émotionnellement et sensoriellement l’étirement du temps et de l’espace, une perte de repères propre aux embarquements au long cours. L’expérience proposée transpose la saveur des premières plongées, avec ce que cela peut avoir d’enivrant et d’angoissant à la fois. Comme pour les plongées du sous-marin robotisé Victor 6000, qui s’opèrent entièrement depuis la surface, les artistes ont travaillé à recréer le lien virtuel existant entre le chercheur (en surface) et son prolongement technologique : il n’y a donc pas de lien direct avec les interprètes. Les voix et la pensée sont bien là, au présent, et le récit se raconte en direct, mais les interprètes sont invisibles. Cette absence de « corps » permet de maximiser la perte de repères. L’ensemble des sons utilisés pour cette première partie ont été collectés au cours de la campagne de 2017. Ce premier volet offre au spectateur un espace d’imaginaire très fort et repose sur ce qui pourrait être donné à voir et ressentir, une transposition de cet univers à la limite de l’imaginable, ce royaume de l’obscurité dans lequel s’invitent créatures fantastiques en suspension ou formations géologiques extraordinaires. Apparitions de chimères, stimulations rétiniennes par un travail de création lumière subtile et des jeux d’écrans, d’ombres et de projections parachèvent ce premier volet « très sensoriel ».

Pour le second volet, le retour à une certaine théâtralité se fait progressivement, et par paliers, pour finalement nous déplacer des abysses atlantiques jusqu’aux côtes pacifiques de la Colombie-Britannique. La boîte noire « s’effeuille » progressivement et finit par entièrement dévoiler le plateau. Les trois interprètes et le créateur sonore évoluent alors dans un dispositif scénographique d’abord dédié à la captation radiophonique : microphones sur pieds girafe, appareillages pour la création sonore, consoles de mixage, sets de bruitage. Ce dispositif n’est pas sans rappeler les installations technologiques des observatoires de fonds de mers. Il permet une fabrication en direct du son. Bruitages radiophoniques, création musicale et sonore permettent de dérouler un récit où la poésie du son s’invente sous nos yeux, de transpositions des gratte-ciel de Vancouver aux forêts primaires de l’île de Vancouver, des incendies de forêts apocalyptiques aux « zombies » du downtown eastside. Sur la scène, quelques objets issus des environnements de travail des scientifiques viennent rappeler le point de départ de l’épopée de Donvor (voir encadré 2). Petit à petit, les interprètes reprennent le dessus sur les technologies pour se faire simples voix et corps (Fig. 1).

Qu’est-ce que Donvor ?

Véritable épopée d’une heure quinze qui raconte l’aventure vécue par les scientifiques de l’Ifremer et les artistes de Teatr Piba, Donvor (signifiant « mer profonde » en langue bretonne) est une immersion poétique dans les grands fonds, un voyage depuis les Açores jusqu’au Canada. Cette expérience sensorielle emmène les spectateurs à bord d’une expédition scientifique pour explorer et découvrir des écosystèmes marins profonds éloignés et inconnus, de plus en plus menacés par les activités humaines. Les spectateurs sont embarqués sur le navire océanographique Pourquoi pas ? et terminent leur voyage sur l’île de Vancouver, où les grandes forêts canadiennes bordent l’océan Pacifique, soulevant des questionnements existentiels qui vont au-delà de l’aventure vécue par l’équipe. Le spectacle Donvor se joue en deux actes : un premier acte dans le noir total entouré de sons et de voix entendus aux casques et un second acte, au cours duquel le rideau tombe laissant les spectateurs découvrir une scène où les interprètes jouent et fabriquent du son en direct avec des objets du quotidien.

Un geste poétique et fantastique, livrant le récit d’une exploration de l’auteur D. Wahl et de ses comparses, des grands fonds océaniques aux confins du monde occidental. Les spectateurs sont placés au centre d’un dispositif immersif et prennent part à une évocation tour à tour onirique et réaliste, en va-et-vient entre plongées dans les abysses, vie à bord et voyage initiatique. Trois comédiens jouent sur le plateau et un ingénieur fait le mixage sons/musique. Un technicien lumière et une scénographe complètent l’équipe. Donvor a reçu un grand succès malgré les exigences liées à son déploiement et à son coût, non négligeables pour de petites structures d’accueil. Depuis sa création en 2020, nous comptons 45 représentations de Donvor, pour un total de 4 108 spectateurs.

thumbnail Fig. 1

Les artistes Charlotte Heilmann et Christophe Le Menn lors d’une représentation de Donvor à la Maison du Théâtre à Brest en 2020 (crédit photographie : Sébastien Durand/Teatr Piba).

Interprétation, voix, langues

Le récit de voyage Donvor est porté par plusieurs « voix », quand bien même celui-ci se raconte à la première personne. Tout d’abord pour rendre compte de la dimension collective de l’aventure artistique et scientifique ainsi que de celle des campagnes scientifiques– aventures humaines. Il a été choisi de ne pas travailler à incarner une quelconque galerie de personnages qui auraient pris part à une mission océanographique, mais bien de porter et de donner à entendre avant tout « une pensée ». Le metteur en scène a proposé aux interprètes de ne pas s’approprier un segment particulier du texte mais plutôt de « faire tourner » celui-ci au fil des mois de création, afin d’éviter toute « accaparation » ou personnification. D’une polyphonie à une polyglossie, comme dans les précédentes créations du Teatr Piba, une large place au multilinguisme a été accordée dans l’écriture. Il s’agissait bien entendu de ne pas « perdre » le spectateur mais plutôt de le déplacer dans l’écoute et le décentrer d’emblée, en créant des formes d’« anomalies » sonores, chaque langue apportant une musicalité différente au texte et reflétant la pluralité des acteurs du projet. Une comédienne française francophone, une comédienne québécoise, un comédien brittophone portent le récit, ce qui nous a permis d’être en mesure d’offrir au spectateur, au gré des lieux de présentation, un réel choix de langues. Au début, il n’entend que la langue choisie et plus la pièce avance, plus les langues se mêlent et s’entrecroisent pour se terminer avec les 3 langues au plateau.

L’image

Une question majeure qui ne faisait pas consensus au départ concernait la place des images des écosystèmes marins profonds dans la pièce. Les scientifiques y étaient plus que favorables, le directeur artistique pas du tout. Après plusieurs discussions, nous sommes arrivés à la décision collégiale que le propos de la pièce serait beaucoup plus « puissant » sans la présence d’images. T. Cloarec a défendu le fait que l’imagination du public serait stimulée par la beauté et la complexité du texte et que la puissance du son l’emporterait sur les images. Rétrospectivement, nous pouvons dire que ce choix a été déterminant et apprécié, même si à chaque représentation, quelques spectateurs mentionnent que ces images leur ont manqué.

Les résidences de création de la pièce Donvor se sont enchaînées en 2019, en parallèle des représentations Spluj pour travailler différentes composantes de la future création incluant le son, le texte, la scénographie et la mise en scène. Plusieurs médiations autour de ces aspects ont été réalisées. L’année s’est clôturée avec une résidence et une restitution devant public à la Chapelle Dérézo à Brest en décembre 2019. Les premiers retours enthousiastes des invités (scientifiques et dirigeants de l’Ifremer et journalistes) nous ont confortés aussi bien sur le fond que sur la forme. Une deuxième résidence, quelques jours avant la véritable « première » a eu lieu en janvier 2020 à la Maison du Théâtre à Brest.

Rayonnement : médiations scientifiques et interventions devant les scolaires

Les représentations sont de véritables « outils de médiation » et non un simple objet de transmission puisqu’elles suscitent l’intérêt des spectateurs pour un sujet qui leur est souvent étranger et qu’elles favorisent un échange avec les artistes et les scientifiques. Ainsi, des « bords plateau » permettent de raconter le processus de création et de préciser les choix scéniques et techniques, de valider le propos auprès du public et de clarifier certains aspects scientifiques, ajoutant une réelle plus-value au projet. Nous avons même constaté que le fait que le message soit transmis via le théâtre « démystifie » la science, permettant aux gens de se sentir à l’aise pour poser leurs questions. De même, le témoignage de certains artistes, initialement intimidés par la science, a permis de leur rendre accessible « l’objet scientifique ». Les interventions de l’équipe devant les scolaires avant ou après le spectacle sont autant d’occasions de sensibiliser les jeunes non seulement sur la présence de vie dans les grands fonds et les enjeux de leur protection mais aussi sur les métiers de la mer, la démarche scientifique, l’ouverture « art et science ». Au-delà du support de médiation, le spectacle est aussi un objet fécond, générateur de débats et de prise de conscience.

Discussion générale

« Cette passionnante aventure partagée […] nous a permis de découvrir en cette recherche un domaine scientifique naissant, intimement lié à la technologie de pointe qu’elle requiert. Plus de 95 % des grands fonds restent inexplorés. Il en découle qu’ils ne parviennent que partiellement à s’affranchir de l’ensemble des mythologies et fantasmes des abysses. Toutes les fantaisies semblent encore permises. Cette “opposition” entre fantasme ou mythologie des grands fonds et un certain état de la recherche scientifique contemporaine auront permis à David Wahl de bâtir un récit d’exploration puissant, laissant constamment émerger le poétique et le fantastique. […] De fait, c’est peut-être ce qui aujourd’hui nous touche le plus réellement dans cette aventure artistique et scientifique, et que David parvient si puissamment à nous transmettre : ce déplacement de nos êtres au fil des semaines de nos “immersions”, nous a fait réaliser qu’en fait de sciences du profond, nous nous étions peut-être embarqués dans une épopée aux dimensions d’une initiation. Plus prosaïquement, nous osons croire que ce qui rend cette aventure si captivante, émouvante et drôle, c’est son hybridité et sa modernité, ce curieux “voyage” d’une bande d’artistes et de scientifiques en contrées inconnues, la science et la création, l’océan et ses profondeurs, le nouveau monde. Ce même voyage aux dimensions universelles qui nous oblige, en tout état de cause, à regarder avec lucidité, ce en quoi les travaux de nos scientifiques ont fort à voir avec les enjeux de l’exploitation et la surexploitation du vivant et des océans, avec les interactions océan-climat, et donc avec le réchauffement climatique. À l’avenir de notre planète et de l’humanité en somme8 ».

Défis et analyse des clés de la réussite

Plusieurs défis ont été relevés en construisant ce projet. L’une des clés principales de sa réussite réside dans le fait que ce soit une réelle cocréation qui a pu se faire sur un « temps long », permettant une maturation. Nous avons dû apprendre à nous connaître, en tant que personnes mais aussi, dans un contexte transdisciplinaire, à découvrir de part et d’autre comment chacun, artiste ou scientifique, travaille au quotidien. Nous nous sommes vite rendu compte qu’entre une mission en mer et une résidence d’artistes, nous vivions d’une certaine façon des moments similaires : voyage, isolement de nos familles, travail intense en équipe, partage et interactions fortes. Ceux qui ont participé au projet s’accordent pour dire que ce dernier les a « déplacés » non seulement dans leur vision des choses mais aussi dans leur propre métier. L’importance de l’émotion dans le transfert des connaissances est apparue comme un élément-clé pour les scientifiques, apportant du sens à leurs travaux ainsi qu’un regain de motivation. Pour les artistes, c’est la prise de conscience de l’impact de leur art sur la sensibilisation du grand public et leur rôle de « passeurs de savoir » dans la société qui a pris une place prépondérante. De plus, le projet a eu un véritable effet levier pour la structuration de la compagnie Teatr Piba, sa visibilité au national et à l’international et sa montée en compétences. Il a permis l’embauche de nombreux artistes, techniciens et professionnels de la culture : plus de 25 salariés du monde artistique auront collaboré au projet.

La création des 2 formes Spluj et Donvor a grandement aidé à valoriser ce projet, en le rendant accessible à tous et en le « sortant » des lieux habituels culturels et scientifiques. Les représentations ont pu ainsi aller à la rencontre du grand public dans des espaces aussi diversifiés que des parcs, des Ehpad, des salles communautaires, des centres de culture scientifique, des médiathèques ou des théâtres, drainant à chaque fois un public différent, avec des attentes différentes (Fig. 2).

Les représentations ont également servi de vitrine aux travaux scientifiques de l’Ifremer lors de grands événements comme la Fête de la science à la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette à Paris en 2018, la mer XXL à Nantes en 2019 ou les festivals ExperienSea à Océanopolis en 2019 à Brest et Grand Océan au Musée de la mer à Cherbourg en 2022. Véritables vecteurs de sensibilisation, les représentations au Congrès mondial sur la nature à Marseille en septembre 2021 ont attiré plusieurs officiels dont Dominique Vidal, alors ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, accompagnée du PDG de l’Ifremer, François Houllier. Une soirée spéciale organisée par l’Ifremer au Théâtre de la Reine Blanche à Paris le 1er février 2022 a permis de convier les divers partenaires de l’Institut (politiques, scientifiques, ONG…). Il nous est apparu surprenant et motivant qu’une institution scientifique comme l’Ifremer puisse être bousculée, questionnée par une telle approche « art et science », l’intégrant même dans ses outils de médiation.

Le prolongement des représentations Spluj et Donvor par des « bords plateau » a vraiment contribué à favoriser de riches échanges avec le public. Plusieurs lieux programmateurs ont manifesté leur intérêt pour intégrer des rencontres avec le public ou les scolaires en amont ou en aval du projet. Ces rencontres ont permis de valoriser cette approche « art et science » inédite auprès des jeunes publics, de les sensibiliser aux grands enjeux scientifiques, environnementaux et sociétaux des grands fonds marins et de leur faire connaître les différents métiers qui gravitent autour de la recherche océanographique et du monde du spectacle.

Le choix du « sans » image a vite montré ses preuves suscitant de nombreuses réactions du public, même des adolescents, qui ont mis en avant la puissance du son et de l’absence d’images dans le spectacle. Ce choix a permis aux spectateurs de se plonger au plus profond d’eux-mêmes, de se concentrer sur un texte riche et sensible accompagné d’une création sonore très immersive qui a contribué à stimuler leurs imaginaires. Plusieurs ont d’ailleurs évoqué la sensation d’un état méditatif. Le son spatialisé au casque, renforcé par des enceintes d’ultra-basse, a exacerbé cette immersion sensorielle. Les scientifiques qui ont l’habitude d’embarquer étaient pour la plupart ravis, voire émus, et ont souligné la puissance du son pour se remémorer, avec nostalgie quelquefois, ces moments passés en mer.

Enfin, le film Me ‘zo ganet e-kreiz ar mor (Je suis né au milieu de la mer, en français) du réalisateur Emmanuel Roy relate cette fabuleuse aventure « art et science » (France 3 Bretagne, disponible à l’adresse https://youtu.be/suIdHbDqWV0).

thumbnail Fig. 2

Carte des représentations de Donvor et Spluj depuis 2018. Au-delà d’un fort rayonnement sur la région Bretagne, nous avons réussi à traverser la France jusqu’à Paris et Marseille. Ainsi, dépassant toutes nos attentes, fin 2022, plus de 16 870 spectateurs avaient assisté aux représentations de Spluj et 4 108 à celles de Donvor avec un relais important des médias et des réseaux sociaux (source : Laboratoire Environnement profond, Ifremer).

Difficultés rencontrées

Étonnamment et malgré la longue durée du projet, les phases de création et de production se sont déroulées sans écueil majeur. Hormis la pandémie de Covid qui a stoppé la diffusion du projet après les 11 premières représentations, nous avons identifié quelques verrous principaux. L’identification de guichets de financement spécifiques aux projets « art et science » a été un défi majeur, dans le contexte de leur émergence. Les fonds obtenus provenaient, soit du côté culturel, soit, plus rarement, du côté scientifique. Les budgets ne nous ont pas permis, par exemple, de sécuriser le financement de temps personnel afin d’assurer une plus large diffusion du projet, tant au niveau national qu’international. Le succès rencontré a nécessité de renforcer l’équipe artistique et a demandé aux scientifiques un effort important pour assurer les interactions avec le public au moment des représentations.

Conclusions et perspectives

Donvor et son journal de bord sont un projet « art et science » singulier : il ne s’agissait pas de vulgariser un savoir scientifique ou encore de décrire de manière factuelle une expédition. Il n’y a pas besoin d’artistes pour cela. Un travail documentaire ou journalistique peut tout aussi bien remplir ce cahier des charges. La finalité – et le désir – d’une telle collaboration entre artistes et scientifiques était plutôt de créer une forme écrite et visuelle permettant la communion autour d’un émerveillement, d’une aventure, d’une découverte. Sans rien concéder certes à l’exactitude des faits, elle visait à créer une poétique. Cette poétique permet au spectateur de ressentir des affects, une émotion à la découverte de ces écosystèmes autant que s’il les explorait lui-même et de le rendre ainsi plus proche, plus attentif et plus concerné face aux enjeux touchant à la préservation de ces mondes abyssaux. Une exploration et un étonnement partagés donc, un désir de connaître pour se laisser aller à aimer. Voilà pourquoi il était si important que des artistes viennent à bord, participent à une campagne scientifique et partagent le quotidien de chercheurs et de marins. Pour faire surgir une émotion et en rendre compte ensuite par son incarnation sur un plateau.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier tous ceux qui ont cru et contribué à ce projet. L’Ifremer et le LabexMER en premier lieu. Puis tous les financeurs, indiqués dans la première note de bas de page, qui ont subventionné les différentes étapes de création. Les commandants du Pourquoi pas ? et l’équipe du ROV Victor 6000 pour leur enthousiasme. Cette publication contribue au projet de recherche DEEP REST, dans le cadre du Cofund ERA-NET BiodivRestore (GA N°101003777) impliquant l’UE et plusieurs organismes de financement dont l’Agence nationale de la recherche (ANR-21-BIRE-0003), France. Ce projet a également été soutenu par le projet ISblue « Interdisciplinary graduate school for the blue planet », cofinancé par une aide de l’État gérée par l’ANR au titre du programme « Investissements d’avenir » intégré à France 2030, portant la référence ANR-17-EURE-0015.


1

Les différentes étapes de ce projet ont été soutenues par des financements ou des subventions, tant du côté culturel que du côté scientifique, témoignant de l’intérêt pour le projet. Les partenaires des différentes résidences incluent l’Ifremer, le LabexMER, ISblue (école universitaire de recherche interdisciplinaire spécialisée en sciences et technologies marines, https://www.isblue.fr/), Ocean Networks Canada et l’Université de Victoria (Colombie-Britannique, Canada). Plusieurs soutiens financiers ont été obtenus de la part de la région Bretagne, du département du Finistère, de la ville de Brest, de la Drac Bretagne (Direction régionale des Affaires culturelles Bretagne, ministère de la Culture et de la Communication), de la DGLFLF (délégation générale à la langue française et aux langues de France, ministère de la Culture), de la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (Adami), de la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (Spedidam), de l’Office français pour la biodiversité et du consulat de France à Vancouver.

2

On trouvera une présentation des 4 protagonistes de cette aventure « art et science » – 2 artistes (David Wahl et Thomas Cloarec) et 2 chercheurs (Pierre-Marie Sarradin et Jozée Sarrazin) – sur ces deux sites : https://www.umr-beep.fr/Grand-Public/Arts-et-Sciences/DONVOR-une-immersion-poetique-dans-les-abysses (en français) et https://deep-rest.ifremer.fr/Outreach-activities/DONVOR-a-poetic-immersion-in-the-abyss (en anglais).

4

EMSO-Açores est un observatoire multidisciplinaire non câblé consacré à l’étude intégrée à long terme des processus hydrothermaux sur la dorsale médio-atlantique, du plancher sous-marin à la colonne d’eau : https://www.emso-fr.org/EMSO-Azores.

5

Extrait du journal de bord de D. Wahl, La vie profonde. Une expédition dans les abysses, Paris, Arthaud, 2023.

6

Les observatoires des fonds océaniques de calibre mondial d’Ocean Networks Canada (ONC) font remonter les données à la surface, accélérant la découverte scientifique et offrant des solutions qui participent à la pérennité de l’océan et de la planète pour les générations futures : https://www.oceannetworks.ca/.

7

Extrait de la note d’intention du metteur en scène T. Cloarec, rapport annuel Teatr Piba, 2017.

8

Témoignage du metteur en scène T. Cloarec, rapport annuel Teatr Piba, 2018.

Citation de l’article : Sarrazin J., Cloarec T., Wahl D., Sarradin P.-M., 2023. Les projets « art et science », de puissants outils de médiation scientifique : Donvor, une immersion poétique dans les abysses. Nat. Sci. Soc. 31, 2, 210-219.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Les artistes Charlotte Heilmann et Christophe Le Menn lors d’une représentation de Donvor à la Maison du Théâtre à Brest en 2020 (crédit photographie : Sébastien Durand/Teatr Piba).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Carte des représentations de Donvor et Spluj depuis 2018. Au-delà d’un fort rayonnement sur la région Bretagne, nous avons réussi à traverser la France jusqu’à Paris et Marseille. Ainsi, dépassant toutes nos attentes, fin 2022, plus de 16 870 spectateurs avaient assisté aux représentations de Spluj et 4 108 à celles de Donvor avec un relais important des médias et des réseaux sociaux (source : Laboratoire Environnement profond, Ifremer).

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