Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 29, Number 4, Octobre/Décembre 2021
Page(s) 458 - 468
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2022004
Published online 04 March 2022

© A.R. Koumi et al., Hosted by EDP Sciences, 2022

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Introduction

Les sciences participatives et l’intelligence collective permettent de bien définir un problème, de poser un diagnostic et de proposer des solutions innovantes (Pénin et al., 2013 ; Lefebvre, 2019). Ces méthodes ont été utilisées lors de marathons cocréatifs et technologiques portant sur le thème de l’océan ; d’une durée de 2 à 14 jours, ces événements ont été dénommés « Aquathons » en fusionnant les termes « aquatique », « hacker » et « marathon ». Ils consistent à réunir différentes parties prenantes concernées par l’océan et ses pollutions et à faire converger les compétences nécessaires au développement des idées et de solutions facilement expérimentables (Isckia et Lescop, 2011). L’Aquathon, dont il est question dans ce texte, s’est déroulé à Abidjan les 20 et 21 novembre 2019, et a abordé le problème des déchets plastiques qui polluent les océans et constituent un problème critique dans les pays en voie de développement (Kaza et al., 2018). La forte industrialisation du plastique, ses caractéristiques techniques, ses multiples applications et son faible coût en ont fait le produit le plus utilisé au monde. 359 millions de tonnes de plastique ont ainsi été produites dans le monde en 2018 (PlasticsEurope, 2019), tandis que 4 à 12 millions de tonnes de déchets plastiques se retrouvent dans l’océan chaque année (Jambeck et al., 2015) du fait de leur mauvaise gestion, voire de leur absence de gestion (Xanthos et Walker, 2017). Alors que les pays développés déploient de nombreuses initiatives de collecte, de tris, de recyclage et d’innovations autour des déchets plastiques (Kaza et al., 2018), les pays en développement sont encore trop peu impliqués (PNUE, 2015 ; Jambeck et al., 2018). C’est le cas pour les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, notamment la Côte d’Ivoire, d’où le choix du thème pour cet Aquathon.

La Côte d’Ivoire, pays côtier d’Afrique de l’Ouest d’environ 26,5 millions d’habitants (PopulationData.net, 2020), couvre 322 462 km2 (04°20−10°50 N ; 06°33−08°23 W) et est bordée de 566 km de littoral (Ministère de l’Environnement, 2004). Un vaste réseau de lagunes côtières ouvertes sur l’océan y occupe plus de 1 200 km2 (Le Lœuff et Marchal, 1993) et recueille les écoulements d’un réseau hydrographique dense, nourri par des précipitations abondantes (Fig. 1).

thumbnail Fig. 1

Vue d’ensemble du littoral ivoirien.

Problématique de la pollution par les déchets plastiques en Côte d’Ivoire

La pression démographique en Côte d’Ivoire est forte et l’essentiel des activités industrielles est concentré sur le littoral. Peu de données sont disponibles quant à l’ampleur de la pollution de l’environnement par les déchets plastiques et leurs impacts sur les écosystèmes littoraux et marins. Jambeck et al. (2018) estiment globalement que 100 000 tonnes de déchets plastiques étaient mal gérées en Côte d’Ivoire en 2010 – soit 0,80 kg/personne/jour– et prévoient qu’il y en aura 500 000 tonnes en 2025.

Objectif et hypothèses de l’organisation de l’Aquathon

L’organisation de l’Aquathon est une idée du directeur de l’UBO Open Factory, le Laboratoire ouvert d’innovation multidisciplinaire de l’Université de Bretagne occidentale et de deux collaboratrices enseignantes-chercheuses en charge de la valorisation des résultats de la recherche et de l’innovation en Côte d’Ivoire. L’intention était de faire découvrir au système d’enseignement supérieur ivoirien les méthodes de travail collaboratif permettant d’optimiser les processus d’innovation. Cela permettait de mettre en regard, d’une part, le potentiel de l’innovation ouverte pour diagnostiquer un problème, proposer des solutions innovantes et susciter le succès dans leur mise en œuvre et, d’autre part, la mission de l’enseignement et de la recherche à contribuer à la résolution des enjeux de développement des sociétés. L’Aquathon a été organisé les 20 et 21 novembre 2019 sur le thème des déchets plastiques dans l’océan, au Centre de recherches océanologiques d’Abidjan (CRO). Il visait à poser les bases d’actions concertées de lutte contre la pollution de l’océan par les déchets plastiques en Côte d’Ivoire. L’objectif était de bien définir la problématique locale des déchets plastiques et de faire émerger des projets innovants centrés sur leur gestion, en suscitant une approche globale par la création d’une communauté transdisciplinaire autour du sujet.

Matériel et méthodes

Préparation de l’Aquathon

Les parties prenantes locales (ministères, enseignants-chercheurs et chercheurs, structures étatiques, professionnels et experts, entreprises, organisations, associations…) concernées par la thématique de la pollution par les déchets plastiques ont été conviées à une réunion de concertation au CRO, le 5 septembre 2019, pour : i) compléter la liste des parties prenantes, ii) identifier les côtes et localités du littoral les plus affectées, iii) stimuler une première réflexion collective autour du sujet. Un comité scientifique (CS) a été constitué pour réaliser une recension bibliographique, effectuer les visites des sites les plus touchés ainsi que des marchés et supermarchés afin d’établir un état des lieux de la problématique. Le CS a ensuite rédigé un premier document sur la pollution de l’environnement et de l’océan par les déchets plastiques qui a été mis à la disposition des participants deux jours avant l’Aquathon. Le CS a lancé un appel à communications sur la pollution des océans par les plastiques en Côte d’Ivoire à travers les sous-thèmes suivants : 1) Sites de pollution, sources de pollution, enjeux et initiatives de résolution ; 2) Circuit de rejet des déchets plastiques des ménages à l’océan, 3) Rejet des déchets plastiques de l’océan aux plages. Le CS a ensuite sélectionné les participants à l’Aquathon.

Méthodologie de l’Aquathon

La méthodologie de l’Aquathon a consisté en l’utilisation des outils et méthodes collaboratifs et participatifs de l’intelligence collective (Woolley et al., 2015) et du design thinking (UK Design Council, 2007) pour créer les équipes et définir les idées de projets (Pénin et al., 2013 ; Lefebvre, 2019). L’accompagnement méthodologique a été assuré par Yves Quéré, directeur de l’UBO Open Factory, et Yann Louault, cofondateur de l’association Astrolabe Expéditions, qui sont deux experts facilitateurs ayant expérimenté les marathons créatifs en milieu universitaire. 30 personnes provenant de 18 structures publiques et privées ont participé aux deux journées de marathon qui ont été organisées en une succession d’activités pour permettre aux participants de cocréer, de coconstruire et de codévelopper par la mise en commun de leurs idées. Ces activités ont été chronométrées avec des sabliers. Des « objets de prise de paroles1 » ont été utilisés pour demander et prendre la parole, facilitant l’écoute et les échanges selon les fondamentaux de l’intelligence collective définis par Servigne (2011). Seule la personne qui a l’objet en main, ou après demande auprès du facilitateur ou du responsable du groupe, peut parler et elle ne peut être interrompue. Pour l’Aquathon d’Abidjan, des balles en plastique de 10 cm de diamètre ont été utilisées.

Activités de l’Aquathon

Séance d’inclusion

Lors de la séance d’inclusion (Fig. 2), six mots-clés ont été identifiés par les facilitateurs pour permettre la présentation des compétences de chaque participant et favoriser la dynamique de groupe. Ces mots-clés étaient : « marathon créatif », « FabLab », « innovation », « pollution », « créativité » et « déchets plastiques ». Un dé en bois à six faces a été conçu, chaque face portant l’un des mots-clés identifiés. Ce dé a été lancé au sol par chacun des 30 participants pour un choix aléatoire du mot-clé sur lequel il devrait s’exprimer après une brève présentation.

thumbnail Fig. 2 Participants à l’Aquathon lors de la séance d’inclusion.

Crédit : Ahou Rachel Koumi, 2019.

Exploration des enjeux liés aux déchets plastiques

Trois questions introductives qui portaient sur les événements marquants du passé, du présent et du futur en matière de plastiques en Côte d’Ivoire ont été posées aux participants. Les participants ont répondu par écrit sur des post-it qui ont été lus en assemblée et affichés au mur. Des nuages de mots des réponses ont été générés grâce à l’outil « nuage de mots2 ». Ensuite, s’est déroulé un cycle de 7 communications orales (Encadré 1), suivi de la projection du documentaire Un voyage au Burkina Faso 3 réalisé par Plastic Odyssey4. Des séances d’échanges en groupe ont ensuite eu lieu et un jeu de rôle en équipe de cinq personnes s’est déroulé pour débattre des enjeux et problèmes liés aux déchets plastiques en Côte d’Ivoire.

Titre des communications lors de l’Aquathon

  1. Kamelan C.O.P (ministère de l’Assainissement et de la Salubrité, Côte d’Ivoire). Gestion des déchets plastiques : mesures d’interdiction des sachets plastiques et perspectives pour l’amorce d’une économie circulaire.

  2. Cecchi P. (Institut de recherche pour le développement), Aka N.M. (Centre de recherches océanologiques, Abidjan). Macro- et microplastiques dans la lagune Ébrié à Abidjan.

  3. Yao K.S., Saimon A.A. (Centre de recherches océanologiques, Abidjan). Répartition des déchets marins sur les plages du littoral ivoirien : cas de la zone touristique entre Abidjan et Grand-Bassam, Côte d’Ivoire.

  4. Timothée D. (SCE Aménagement et environnement, Abidjan). La pollution des océans par les plastiques en Côte d’Ivoire : circuit de rejet des déchets plastiques des ménages à l’Océan.

  5. Timothée D. (SCE Aménagement et environnement, Abidjan). Étude FASEP de définition d’un dispositif de collecte et de traitement des macrodéchets des rives et baies lagunaires d’Abidjan.

  6. Traoré C.L. (ONG 350 Côte d’Ivoire). Présentation des actions de l’ONG 350 Côte d’Ivoire.

  7. Yapo O.B. (Centre ivoirien antipollution). Circuit de rejet des déchets plastiques des ménages à l’océan en Côte d’Ivoire.

Choix du problème et constitution des groupes

Chaque participant a noté sur un nouveau post-it l’enjeu qu’il considérait comme majeur concernant la thématique de la pollution de l’océan par les déchets plastiques ; ces post-it ont été lus en assemblée et affichés au mur. Chaque participant a ensuite coché trois enjeux prioritaires. Au total, les quatre enjeux ayant récolté le plus de points ont été reconnus comme majeurs et prioritaires. Quatre groupes de personnes souhaitant travailler sur chacun de ces enjeux ont été constitués.

Proposition et exploration de la solution

Chaque groupe a ensuite listé les parties prenantes concernées par l’enjeu. Puis, chaque membre des groupes a proposé 10 solutions avec, parmi celles-ci, une « solution folle ». Ces solutions ont été soumises à six contraintes pour étudier leur faisabilité :

  • Si l’État décidait de ne plus gérer les déchets plastiques ?

  • Si c’était déjà trop tard pour appliquer la solution ?

  • Si la valorisation des déchets rendait riche ?

  • Si les déchets plastiques étaient intégrés à l’écosystème de vie ?

  • Si on laissait les enfants proposer des solutions, que proposeraient-ils ?

  • Si la Côte d’Ivoire devait être leader mondial de la valorisation des déchets plastiques ?

Les différents groupes ont ensuite identifié par consensus les solutions, proposé une stratégie de test, défini le caractère innovant, le cycle de vie et la durabilité, les besoins en ressources humaines, techniques et financières, les étapes à mettre en œuvre et les indicateurs de réussite des solutions.

Prototypage de la solution

Le terme « prototypage » a été défini par les facilitateurs comme étant une représentation simplifiée de la solution sous forme de maquette à partir de matériaux à portée de main. Puis des modèles de prototypes ont été présentés aux participants. Ceux-ci ont prototypé leurs solutions en utilisant des cartons, des déchets de bouteilles plastiques, de la colle, du scotch, du papier et tout autre matériel à disposition.

Restitution par un pitch dynamique

Chaque groupe a enfin présenté son projet de solution et son prototype avec un pitch dynamique et une théâtralisation.

Résultats

État des lieux sur les déchets plastiques en Côte d’Ivoire

Plus de 200 000 tonnes de sachets plastiques pour une valeur de 15 milliards de FCFA (environ 22,9 milliards d’euros) sont produites chaque année en Côte d’Ivoire (MINEDD, 2018). Selon le PNUE (2015), l’industrie du plastique finance environ 10 000 emplois dans plus de quarante entreprises en Côte d’Ivoire et plus de 20 000 emplois informels supplémentaires. L’utilisation de plastique pour les produits de consommation est de plus en plus répandue. Dans les supermarchés, tout est plastique (Fig. 3) ! La majorité des produits commercialisés sont emballés et suremballés avec du plastique.

Le cycle de conférences a permis de se rendre compte que les emballages et le matériel en plastique sont jetés dans les sacs-poubelles, dans les rues, sur les plages sans aucun tri. Ces déchets se retrouvent dans les canaux d’évacuation des eaux usées, dans les décharges, les baies, les lagunes et finalement dans l’océan (Fig. 4). Plus de 288 tonnes de ces déchets s’accumulent chaque mois dans l’environnement en Côte d’Ivoire (AfricWaste, 2019). Les bouteilles et les sachets en plastique en constituent la majorité.

Les lagunes ivoiriennes reçoivent les déchets plastiques par la voie des eaux usées domestiques et urbaines et des eaux de ruissellement qui s’y déversent sans traitement préalable (Fig. 5).

Les macrodéchets récoltés sur les bassins-versants de la ville d’Abidjan et dans les baies lagunaires en 2019 étaient constitués de plastique pour 81 % du volume, avec 72 % de macrodéchets plastiques (communication de D. Timothée [SCE] pendant l’Aquathon, voir encadré 1). Ces réceptacles temporaires charrient ensuite les déchets plastiques dans les lagunes, fleuves et rivières, et dans l’océan. Ces déchets se retrouvent ensuite le long du littoral ivoirien où ils sont ramenés au quotidien par la houle avant de s’échouer et de s’y accumuler.

Une étude en cours de l’IRD et du CRO (communication de P. Cecchi [IRD] et N.M. Aka [CRO] pendant l’Aquathon ; voir encadré 1) rapporte par ailleurs la contamination par les microplastiques (40 μm à 5 mm) des sédiments de la lagune Ébrié (baie des Ambassadeurs, Abobo-Doumé, baie de Biétry) et de la lagune de Mondoukou de l’ordre de 240 à plus de 30 000 items par kg de sédiment sec (Fig. 6).

Les zones marines et lagunaires de la Côte d’Ivoire soumises à une forte pollution des déchets plastiques sont la plage de Jacqueville, les stations PK23 et PK26 situées entre Abidjan et Grand-Bassam, le quartier Alladjan Port-Bouët à Abidjan, les plages de Grand-Bassam, de Mondoukou et d’Assinie pour la zone marine (Fig. 7). Pour la zone lagunaire, les baies d’Azito, du Banco, de la Carena, de Cocody (Indénié), de Biafra, de Biétry et les débarcadères de Vridi-Zimbaboué à Abidjan sont concernés. La pollution des eaux par les déchets plastiques est également observée massivement au niveau des embouchures des fleuves et lagunes (passes de Grand-Lahou et d’Assinie, canal de Vridi).

En Côte d’Ivoire, environ 20 à 40 % des déchets plastiques sont enfouis ou mélangés à d’autres déchets tandis que seulement 5 % d’entre eux sont recyclés (AfricWaste, 2019).

Les initiatives de réutilisation et de recyclage se résument à la collecte des déchets plastiques par catégories dans les quartiers par des femmes, qu’elles vendent à 150 FCFA (0,23 €) le kilo pour le recyclage dans les usines de la zone industrielle ; la réutilisation des bouteilles en plastique comme contenants alimentaires ou produits de santé, de cosmétiques, etc. ; le recyclage de tous types de déchets plastiques sous forme de pavés, de bâches, de granulés et de tuiles par des PME en zone industrielle depuis 2005 ; une usine de transformation des déchets plastiques en briques modulaires pour la construction de classes et d’écoles a commencé son activité en 2019.

Pour réduire la pollution, un site de collecte et de valorisation des déchets plastiques d’une capacité de 7 000 à 8 000 tonnes/mois a été installé à Attécoubé par le programme de formation des anciens combattants ; des points de collecte et de stockage de bouteilles en plastique (PET) ont été implantés dans la décharge d’Akouédo et dans la commune de Treichville (AfricWaste, 2019) ; une plateforme de géolocalisation des points de collecte des déchets plastiques a été mise en place ; diverses actions de ramassage des déchets plastiques ont été lancées par les structures étatiques, des ONG, des associations de jeunes et le secteur privé ; de nouveaux projets de recherche ou de gestion de la pollution des eaux par les déchets plastiques sont en cours de réalisation.

Les analyses des réponses des participants de l’Aquathon aux questions introductives (Fig. 8) permettent d’observer qu’ils ont bien conscience de la pollution de l’environnement et de l’océan par les déchets plastiques, de ses conséquences et des actions en cours. Toutefois, selon eux, le futur du plastique en Côte d’Ivoire (question introductive 3, Fig. 8 à droite) devrait être marqué par la valorisation des déchets plastiques, la sensibilisation à leur réduction et la protection de l’environnement.

thumbnail Fig. 3 Quelques illustrations de l’usage du plastique dans les industries de l’alimentation et de l’hygiène, ici dans un point de vente de détail en Côte d’Ivoire.

Crédit : Comité scientifique de l’Aquathon, 2019.

thumbnail Fig. 4 Accumulation de déchets dans les réseaux d’eau intra-urbains d’Abidjan, ici à Cocody Palmeraie.

Crédit : Ossey Bernard Yapo (Centre ivoirien antipollution) et David Timothée (SCE), 2019.

thumbnail Fig. 5 Accumulation de déchets dans les baies lagunaires d’Abidjan, ici à la baie des Ambassadeurs au printemps 2019.

Crédit : Philippe Cecchi, 2019.

thumbnail Fig. 6 Microplastiques extraits des sédiments de la lagune Ébrié à Abidjan. Barres d’échelle : 1 mm pour le cliché de gauche (fibres) et du centre (débris) ; 250 μm pour le cliché de droite (nœud de filet de pêche monofilament).

Crédit : Philippe Cecchi, 2019.

thumbnail Fig. 7 Déchets plastiques déversés par l’océan sur les plages du km 26 route de Bassam (cliché de gauche), d’Assinie France (cliché du centre) et de Port-Bouët, Abidjan (cliché de droite).

Crédit : Comité scientifique de l’Aquathon, 2019.

thumbnail Fig. 8 Nuages de mots-clés des réponses des participants à l’Aquathon aux questions introductives : « Les événements marquants du passé sur les plastiques en Côte d’Ivoire » (à gauche) ; « Les activités du présent en Côte d’Ivoire sur les plastiques » (au centre) ; « Les activités du futur en Côte d’Ivoire sur les plastiques » (à droite).

Crédit : Yves Quéré, 2019.

Solutions innovantes à la gestion des déchets plastiques

Quatre prototypes de solutions innovantes ont émergé de l’Aquathon :

  1. « Plastic Solutions » propose des outils et des processus pour réduire les rejets de plastiques dans l’environnement. Ce prototype vise à la conception et à la mise à disposition d’outils ludiques de gestion et de collecte des déchets plastiques tels que des sacs de course à poches multiples et spécifiques, lavables et réutilisables et des banques plastiques à usage simple pour la collecte des déchets plastiques à usage unique. Ce prototype vise aussi à installer dans les villes côtières des fabriques et matériaux de transformation de déchets plastiques, en pavés, bâches, tuiles, poubelles, containers, etc. L’objectif étant « zéro plastique dans l’océan ».

  2. « Transfo Plastic » propose une unité de valorisation des déchets plastiques en mobilisant les ressources humaines et techniques, ainsi que les équipements, matériaux et outils localement disponibles. La solution a été inspirée par la projection du documentaire Un voyage au Burkina Faso relatif à la transformation des déchets plastiques en sacs, tissus et chaussures par des femmes du Burkina Faso organisées en association et accompagnées et équipées par Plastic Odyssey (voir plus haut). Le prototype vise ainsi à la valorisation des déchets plastiques par l’installation d’une unité de transformation de ces déchets en produits utilisables par l’homme tels que vêtements, sacs et sandales made in Côte d’Ivoire. Le fonctionnement de l’unité est basé sur la mobilisation de compétences locales en matière de tri, sélection et transformation du plastique et sur la fabrication locale d’outils et équipements de transformation selon le modèle déployé par Plastic Odyssey au Burkina Faso.

  3. « CETD Plastic » propose un prototype de ville durable et intelligente organisant la collecte des déchets plastiques et favorisant la création d’emplois dans le secteur du tri des déchets. Cette solution est basée sur la mise à disposition de poubelles et de camions de ramassage « spécial plastique » et d’un centre de collecte et de tri des déchets plastiques qui sont ensuite acheminés auprès des structures de valorisation. Ce prototype intègre la sensibilisation de proximité et l’entretien régulier des rues. Les principaux acteurs et bénéficiaires sont les jeunes et les femmes qui sont éduqués, formés et employés à la collecte.

  4. « Robot Dreamers » propose un outil de suivi de la qualité biogéochimique des eaux. Cette solution a été inspirée par la communication de P. Cecchi et N.M. Aka (Encadré 1) relative à la forte pollution plastique des sédiments des lagunes avec le risque de leur dégradation en microplastiques nocifs pour la chaîne alimentaire. D’où la proposition de l’utilisation d’un robot sous-marin qui explore, photographie et filme les fonds des lagunes, identifie et localise les déchets plastiques et relève les données biologiques, écologiques et chimiques de qualité de l’eau. Cette solution a été suggérée grâce aux compétences du groupe composé d’un ingénieur en robotique, qui a à son actif la fabrication de plusieurs robots et drones déjà utilisés en agriculture en Côte d’Ivoire, et de chercheurs spécialisés en écotoxicologie, phytoplancton, zooplancton, microbiologie, biologie et écologie.

La présentation par chacun des groupes des différents prototypes de solutions a permis de comprendre les motivations, la viabilité, la faisabilité et les spécificités de ces solutions proposées. Il est apparu clair en fin d’atelier que leur développement ne pourra se faire sans l’accompagnement de partenaires techniques et la recherche de financements.

Analyse SWOT de l’Aquathon

L’analyse SWOT (Learned et al., 1969) de la méthodologie de l’Aquathon a été réalisée grâce aux données de l’enquête réalisée auprès des participants (Tab. 1).

Tab 1

Analyse SWOT de l’Aquathon.

Discussion

L’utilisation de plastiques à usage unique est fortement ancrée dans les habitudes des Ivoiriens, malgré le décret no 2013-327, du 22 mai 2013, qui interdit la production, l’importation, la commercialisation, la détention et l’utilisation des sachets plastiques en Côte d’Ivoire. Cette situation est due à la culture locale du commerce de détail, à la restauration de rue mal organisée et au fort potentiel économique du secteur du plastique en Côte d’Ivoire (PNUE, 2015). La pollution de l’océan par les déchets plastiques est réelle sur les côtes ivoiriennes, notamment par de gros déchets plastiques identifiés parmi les plus nocifs pour le biotope marin et plusieurs espèces marines (Hardesty et al., 2015). La contamination de l’environnement et de la lagune Ébrié par les microplastiques représente une menace pour la biodiversité animale, végétale et la chaîne alimentaire (Thompson, 2015). Cette pollution fait aussi peser des risques sur les secteurs de la pêche et du tourisme, la santé humaine et la production d’énergie (Hardesty et al., 2015). Toutefois, la mise en œuvre de nouveaux projets de grande envergure en Côte d’Ivoire traduit une volonté nationale et internationale de lutter contre cette pollution.

Comparativement à l’expérience interdisciplinaire exploratoire rapportée par Riaux et al. (2017), l’Aquathon a permis de faire émerger en exploration pluridisciplinaire et multi-acteurs quatre prototypes d’innovation. Ces résultats confirment que l’innovation ouverte contribue à l’empathie, à la réflexion et à la proposition de solutions innovantes en réponse aux enjeux de société, y compris en contexte universitaire, comme cela a déjà été relaté par plusieurs auteurs (Isckia et Lescop, 2011 ; AUF-DRAO, 2019). La collaboration a représenté un pilier essentiel pour le succès de cet événement car ces outils et méthodes sont pratiqués majoritairement dans les laboratoires et ateliers d’innovation (Coblence et al., 2019) mais rarement dans les enceintes académiques. La collaboration des facilitateurs (Nord-Sud) et des acteurs publics et privés a ainsi permis de pratiquer l’innovation ouverte en milieu universitaire et d’expérimenter la coconstruction. Ainsi, les participants, après avoir pris conscience de l’ampleur des pollutions par les déchets plastiques, que ce soit dans l’océan, sur les côtes, dans les lagunes, sur les plages ou dans les rues, en sont venus à proposer quatre solutions innovantes coconstruites faisant appel à la collecte, au tri, à la transformation, à la valorisation et à la surveillance. Toutefois, selon le processus de conception d’une solution relaté par Mougenot (2008), les prototypes de solutions proposés pendant l’Aquathon doivent être approfondis, orientés et confrontés aux industriels et aux utilisateurs afin de susciter leur adoption et leur succès (Füller, 2006). La continuité de la collaboration avec les laboratoires d’innovation et les incubateurs facilitera la maturation des prototypes, le transfert de technologies, la diffusion et l’entrepreneuriat.

Conclusion

L’Aquathon réalisé au CRO à Abidjan, en novembre 2019, a permis d’innover en matière de pratique scientifique. La constitution d’un panel de participants académiques, institutionnels, privés ou issus de la société civile a permis de recueillir un très large éventail de données liées à la pollution par le plastique en Côte d’Ivoire, d’en mesurer la gravité des conséquences et de comprendre les raisons des échecs rencontrés par les nombreuses actions de lutte qui ont été engagées jusqu’alors. La méthodologie déployée auprès des participants a abouti à la présentation de quatre prototypes qui traduisent les besoins de transformer les déchets en ressources génératrices d’emplois et de revenus, de contrôler la pollution aux déchets plastiques et de dépolluer le littoral et l’océan. Leur concrétisation repose nécessairement sur des financements et l’implication des concepteurs et des utilisateurs.

Remerciements

Les auteurs expriment leurs sincères gratitudes au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique de Côte d’Ivoire, au président de l’Université de Bretagne occidentale et aux fondateurs d’Astrolabe Expéditions (Brest, France) pour leur collaboration à la réalisation de cet événement. Les auteurs remercient également les responsables du Centre d’excellence africain sur les changements climatiques, la biodiversité et l’agriculture durable, de l’Institut de recherche pour le développement, du Centre de recherches océanologiques, de l’Association ivoirienne des sciences agronomiques, du Centre suisse de recherches scientifiques, de l’Association des femmes chercheurs de Côte d’Ivoire et du Réseau des écoles supérieures et universités professionnelles de Côte d’Ivoire qui ont financé l’activité et/ou contribué à sa réalisation. Nos remerciements vont également à l’endroit des responsables des structures parties prenantes, de tous les participants et de toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cet événement.

Références


1

La prise de parole dans les ateliers d’intelligence collective est matérialisée par un objet. L’objet de prise de parole oblige celui qui a la parole difficile à faire un effort pour s’exprimer, il lui permet de laisser mûrir sa pensée et d’augmenter la qualité de ce qu’il aurait dit de façon trop rapide ; l’objet permet aussi de s’adresser au groupe en « donnant » sa parole au centre pour renforcer le sentiment collectif.

4

Plastic Odyssey est un projet d’envergure mondiale qui a pour but de lutter contre la pollution plastique dans le monde, en particulier celle qui touche l’océan par sa réduction – repenser l’usage du plastique pour construire un futur durable – et sa valorisation – donner une seconde vie aux déchets plastiques et lutter contre la pauvreté. En savoir plus : https://plasticodyssey.org.

Citation de l’article: Koumi A.R., Ouattara-Soro F.S., Quéré Y., Louault Y., Yayo N’Cho A.J., Coulibaly S., Yao K.M., Atsé B.C., Sankare Y., Cecchi P. Les déchets plastiques dans l’océan au cœur de l’Aquathon d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Nat. Sci. Soc., 29, 4, 458-468.

Liste des tableaux

Tab 1

Analyse SWOT de l’Aquathon.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Vue d’ensemble du littoral ivoirien.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2 Participants à l’Aquathon lors de la séance d’inclusion.

Crédit : Ahou Rachel Koumi, 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3 Quelques illustrations de l’usage du plastique dans les industries de l’alimentation et de l’hygiène, ici dans un point de vente de détail en Côte d’Ivoire.

Crédit : Comité scientifique de l’Aquathon, 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4 Accumulation de déchets dans les réseaux d’eau intra-urbains d’Abidjan, ici à Cocody Palmeraie.

Crédit : Ossey Bernard Yapo (Centre ivoirien antipollution) et David Timothée (SCE), 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5 Accumulation de déchets dans les baies lagunaires d’Abidjan, ici à la baie des Ambassadeurs au printemps 2019.

Crédit : Philippe Cecchi, 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6 Microplastiques extraits des sédiments de la lagune Ébrié à Abidjan. Barres d’échelle : 1 mm pour le cliché de gauche (fibres) et du centre (débris) ; 250 μm pour le cliché de droite (nœud de filet de pêche monofilament).

Crédit : Philippe Cecchi, 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 7 Déchets plastiques déversés par l’océan sur les plages du km 26 route de Bassam (cliché de gauche), d’Assinie France (cliché du centre) et de Port-Bouët, Abidjan (cliché de droite).

Crédit : Comité scientifique de l’Aquathon, 2019.

Dans le texte
thumbnail Fig. 8 Nuages de mots-clés des réponses des participants à l’Aquathon aux questions introductives : « Les événements marquants du passé sur les plastiques en Côte d’Ivoire » (à gauche) ; « Les activités du présent en Côte d’Ivoire sur les plastiques » (au centre) ; « Les activités du futur en Côte d’Ivoire sur les plastiques » (à droite).

Crédit : Yves Quéré, 2019.

Dans le texte

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