Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 29, Number 4, Octobre/Décembre 2021
Page(s) 423 - 438
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2022007
Published online 20 May 2022

© M. Requier-Desjardins et al., Hosted by EDP Sciences, 2022

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Les auteurs rendent compte d’un programme de recherche mené par un groupe de travail associant des scientifiques et des gestionnaires d’espaces protégés du pourtour méditerranéen entre 2010 et 2018 afin de fournir une assise à la notion de services écosystémiques culturels. En effet, à la suite du Millennium Ecosystem Assessment et du TEEB – voir à ce propos les articles de Méral (NSS, 2012, 20, 1) et Pesche (NSS, 2013, 21, 4) – celle-ci est désormais un référentiel important dans la gestion des espaces protégés et dans l’évaluation de leur contribution au bien-être collectif. Pour en rendre compte, un indicateur non monétaire multidimensionnel a été développé afin d’apprécier les perceptions des individus qui visitent les zones humides protégées, des ressentis qui vont dépendre des aménagements et des facilités d’accès qui leur sont proposés.

La Rédaction

La notion de services écosystémiques est issue d’un rapprochement entre l’économie et l’écologie et se base sur le fait que les écosystèmes délivrent des services et des avantages aux individus, ce qui contribue à leur bien-être (MEA, 2003b ; De Groot et al., 2010 ; Lele et al., 2013 cité par Winthrop, 2014). D’après le classement du Common International Classification of Ecosystem Services (CICES), trois grands niveaux de biens et services existent : services d’approvisionnement, services de régulation et services culturels (Haines-Young et Potschin, 2018). Les études sur les services écosystémiques culturels (SEC) font l’objet d’une attention croissante (Devaux et Helier, 2018). Parmi les travaux de recherche, deux constats s’imposent : d’une part, les services écosystémiques culturels ont un impact important sur le bien-être humain (Milcu et al., 2013 ; Thompson, 2011) ; aucune évaluation existante, qu’elle soit économique (Devaux et Helier, 2018) ou quelle relève d’autres approches, ne traduit correctement ces impacts sur le bien-être humain (La Rosa et al., 2016 ; Milcu et al., 2013 ; Hernández-Morcillo et al., 2013). Ces constats vont de pair avec celui d’une sous-estimation globale de la valeur de ces services écosystémiques culturels1.

La principale conséquence est la faible prise en compte de ces services dans les plans de développement et de gestion des aires protégées qui, en Méditerranée, continuent en majorité à privilégier une approche de conservation, sans y associer de stratégies et d’actions d’aménagement des sites en faveur de la découverte, de la sensibilisation et de l’éducation des visiteurs des zones protégées. Or, pour de nombreux parcs naturels protégés, la fourniture de services culturels est devenue un élément de justification important de leur financement. Pour ces sites, il y a donc un réel besoin de construire des indicateurs susceptibles d’informer sur les effets de ces services et leur contribution au bien-être humain. Les résultats de suivi de tels indicateurs devront d’autre part être mobilisés pour alimenter les plans de gestion et de développement des zones protégées.

L’objectif de cette recherche est d’élaborer un indicateur des services écosystémiques culturels dans les zones humides protégées méditerranéennes permettant de mesurer leurs impacts humains. Partant du cadre d’analyse des services écosystémiques (SE), nous faisons l’hypothèse que la visite d’une aire protégée en zone humide se traduit pour les visiteurs par un flux de services qui engendrent des impacts sur leur bien-être et participent au développement humain (MEA, 2005).

Dans une première partie, le contexte de la recherche est explicité du point de vue des enjeux de développement et de suivi des zones humides à l’échelle internationale et méditerranéenne. La deuxième partie montre en quoi une approche non monétaire multicritère avec une entrée sociale se justifie pour l’élaboration de l’indicateur. Elle présente les principales approches basées sur les capitaux qui en fondent les choix de construction. La troisième partie détaille la méthodologie d’élaboration de l’indicateur. La quatrième partie est une application sur 19 sites méditerranéens réalisée en 2017 dans 10 pays2. Enfin, la dernière partie présente quelques éléments de discussion.

Contexte et problématique

Les zones humides (ZH), dont un certain nombre est protégé à travers la Convention Ramsar3, sont reconnues comme des milieux extrêmement productifs, fournissant de nombreux services vitaux aux sociétés4. Le rapport 2013 du TEEB (The Economics of Ecosystems and Biodiversity) sur les zones humides (Russi et al., 2013) met l’accent sur ces bénéfices, la fourniture de services de régulation-support fondamentaux et de services culturels par les ZH. Les cycles de l’eau locaux et mondiaux dépendent fortement des ZH. La majorité d’entre elles agissent comme des puits de carbone et aident à réduire le changement climatique tout en atténuant les conséquences de ces changements lors d’inondation et de sécheresse. Elles régulent le transport des sédiments, les niveaux d’étiage, et leurs plantes et micro-organismes épurent l’eau. Leurs services de support sont nombreux, par exemple, pour la reproduction des poissons, des crustacés et des oiseaux d’eau. Elles figurent enfin parmi les zones les plus bio-diversifiées du monde et offrent des habitats essentiels à de nombreuses espèces. Pour ce qui est des SEC, elles offrent de nombreux avantages aux valeurs écologiques, sociales et économiques significatives : paysages remarquables et biodiversité spécifique, connaissances et apprentissages, contemplation, méditation, repos et détente, activités de plein air et enfin création artistique et identité culturelle.

Pour le suivi des SEC, les gestionnaires des zones humides protégées et les référents nationaux des parties contractantes à la convention Ramsar utilisent surtout les variables recensées dans les travaux internationaux du Millennium Ecosystem Assessment (MEA, 2003a) et des rapports du TEEB (Brink, 2011) [Tab. 1].

Les revues scientifiques consacrées à la question des indicateurs des SEC (La Rosa et al., 2016 ; Hernández-Morcillo et al., 2013 ; Benayas et al., 2009) présentent des travaux qui utilisent des informations basiques pour qualifier les SEC dans leurs différentes dimensions :

  • Pour les aspects écologiques, ce sont les surfaces protégées, les espèces rares ou les sites sacrés naturels ;

  • Pour les aspects sociaux, ce sont le nombre de visiteurs ou de personnes pratiquant des activités de plein air dans un parc et le nombre de centres récréatifs ;

  • Pour les aspects économiques, ce sont les dons aux agences de conservation, les recettes touristiques ou les revenus provenant des licences de chasse ou de pêche.

D’autres indicateurs plus complexes, issus des évaluations économiques, permettent de déterminer la valeur monétaire de sites récréatifs et, par conséquent, des SEC.

Ces revues de littérature soulignent le manque de fonctionnalité des indicateurs existants (La Rosa et al., 2016), leur manque d’ancrage conceptuel et de robustesse (Hernández-Morcillo et al., 2013) ainsi que le manque de données permettant le calcul de leur valeur et la mesure de leurs impacts. Ces auteurs concluent à l’urgente nécessité de développer des indicateurs des SEC pour éclairer la prise de décision en faveur de la soutenabilité de ces services.

Ainsi, malgré l’inscription d’un objectif spécifique pour une meilleure prise en compte des SEC des zones humides dans les plans stratégiques 2009-2015 et 2016-2024 de la convention Ramsar (Ramsar, 2010 ; 2016), il n’existe aucun indicateur de suivi à l’échelle internationale ou méditerranéenne. Cette absence de référence nous conduit à préciser le contexte théorique de la recherche, les objectifs et les contraintes de construction de cet indicateur pour la région, ainsi qu’à définir la méthodologie de son élaboration.

Tab 1

Indicateurs des services écosystémiques culturels dans le MEA et le TEEB (source : MEA, 2003a ; Brink, 2011).

Revue de littérature et cadre d’analyse

Les services écosystémiques culturels, des vecteurs de bien-être humain

Le cadre d’analyse des SE stipule que les biens et services écosystémiques sont sources d’avantages socioéconomiques pour les humains : « La caractérisation d’un avantage est au cœur de la notion de service. Cependant, celui-ci n’est écosystémique que du fait de sa dépendance étroite au fonctionnement de l’écosystème » (Puydarrieux et al., 2016). Du point de vue de l’économie, les écosystèmes offrent des services écosystémiques aux sociétés, et les sociétés sont à l’origine d’une demande en SE : par exemple, les zones humides offrent de nombreux services récréatifs, comme des lieux de pêche et de baignade, et les sociétés ont une demande de loisirs de pleine nature.

Le Millennium Ecosystem Assessment (MEA, 2003a, p. 58) définit les SEC comme « les avantages non matériels que les humains obtiennent des écosystèmes » et différencie sept types de services culturels (Tab. 2). La définition distingue le support tangible du service culturel, comme le paysage, par exemple, ou les sites protégés, des flux de services qu’ils alimentent et qui se traduisent par un ensemble de bénéfices intangibles (Chevassus-au-Louis et al., 2009) tels que la détente ou la connaissance. De nombreux SEC, par exemple, l’esthétisme de certains paysages ou la relaxation qu’ils procurent, sont non marchands : ils ne font pas l’objet de transactions sur des marchés et sont fournis gratuitement par la nature.

Avant les années 2010, ce sont les interactions entre les SEC et les autres services qui sont principalement étudiées dans les travaux scientifiques (Milcu et al., 2013). Puis les SEC font l’objet d’une attention spécifique : de nombreux auteurs insistent alors sur leur contribution au bien-être humain (Yengué, 2017 ; Milcu et al., 2013 ; Ward Thompson, 2011). Sur l’examen de 107 contributions portant sur les SEC, Milcu et al. en dénombrent 55 qui attestent que ces services sont des vecteurs importants d’amélioration de la santé et de bénéfices psychologiques comme la réduction du stress. Ce constat partagé fait rarement l’objet de mesures (La Rosa et al., 2016 ; Milcu et al., 2013).

Tab 2

Types de services culturels (source : MEA, 2003a).

Limites de l’évaluation économique pour estimer la contribution des SEC au bien-être

Les SEC se caractérisent par la nature multidimensionnelle et non marchande de leur valeur qui repose à la fois sur des facteurs écologiques, sociaux et économiques (Yengué, 2017). Les économistes approchent traditionnellement la question de la valeur des biens naturels non marchands en se référant au cadre d’analyse néoclassique de la théorie du bien-être. Le terme de bien-être y renvoie à la notion d’utilité estimée en termes de revenus monétaires, de biens ou de consommation individuelle de biens et de services. L’évaluation économique donne une valeur aux services écosystémiques et aux biens naturels (Gómez-Baggethun et al., 2010) qui s’interprète comme une valeur théorique du bien-être lié à l’usage et à l’existence du service ou du bien. Cette valeur monétarisée dépend des préférences des individus bénéficiaires, usagers ou non du service, à travers leur comportement (le coût du déplacement dans un parc) ou de leur perception de cette valeur (attribution d’un prix fictif à une espèce emblématique, à un paysage), et non pas directement ou intrinsèquement des services en eux-mêmes ou de leur condition écologique. La démarche consiste à faire la somme des valeurs d’usage et de non-usage d’un SEC ainsi qu’à agréger l’ensemble des valeurs individuelles pour estimer une valeur monétaire globale.

Cependant, cette valeur finale n’informe en rien sur la variation du bien-être humain des usagers des SEC (Islam et al., 2019 ; Milcu et al., 2013 ; Kumar et Kumar, 2008). Ces méthodes d’évaluation économique sont aussi critiquées car elles limitent la compréhension des SEC et de leurs interactions avec les sociétés à un langage unique monétaire (Kelemen et al., 2014) et peinent à prendre en compte la complexité des attitudes, des motivations et des comportements des individus vis-à-vis des SEC. Les recherches conduites dans les sciences sociales montrent en effet que ces SEC sont des biens relationnels (Kumar et Kumar, 2008), notion qui renvoie à des modèles différenciés de relation entre homme et nature (Muradian et Pascual, 2018) comme le détachement, la domination, la dévotion, l’intendance, la tutelle, l’échange ritualisé ou l’utilisation, cette dernière seulement se rattachant aux principes et hypothèses des modèles économiques traditionnels.

Les travaux récents sur l’évaluation des SE insistent sur l’importance croissante et la diversité des outils d’évaluation non monétaire et multicritère (Islam et al., 2019 ; Gómez-Baggethun et al., 2014). Ils mettent en évidence les décalages entre une valeur théorique de ces services généralement associée à l’offre existante et la valeur qui peut être perçue par les bénéficiaires des SEC (Kumar et Kumar, 2008). Du côté de l’évaluation de l’offre de SE, des cartographies réalisées par type de services et d’habitats fournissent des valeurs potentielles de SE territorialisés et sont construites à partir d’évaluations objectives des performances écologiques du milieu naturel (Lavorel et al., 2011) ou de confrontations à dire d’experts, ce qui permet d’établir une matrice des capacités territoriales (Campagne et al., 2016). Concernant l’estimation d’une demande pour ces services ou l’établissement d’une valeur perçue, ces approches non monétaires recourent à l’évaluation multicritère qui permet d’appréhender la valeur de différentes dimensions des SEC. Elles se caractérisent par l’importance des mesures qualitatives, des techniques de scoring et des narrations (Gómez-Baggethun et al., 2014 ; Kelemen et al., 2014). D’autres démarches évaluatives confrontant l’offre et la demande en SE combinent le recueil de perceptions à d’autres supports (cartographies ou simulations) afin de faciliter la concertation et la délibération entre acteurs (Jacobs et al., 2016). Dans ce cas, la valeur finale du SE est issue de ce processus collectif d’évaluation.

L’évaluation économique n’apportant pas de méthode appropriée permettant de construire un indicateur multidimensionnel des SEC susceptible de mesurer leur contribution au bien-être humain, la recherche s’oriente vers les approches en termes de capitaux qui s’appuient sur des évaluations qualitatives et multicritères.

Approches par les capitaux

Le concept de capital découle de la discipline économique selon laquelle les stocks ou les actifs fournissent un flux de biens et de services qui contribue au bien-être humain (Ekins et al., 2008). Pour Garrabé et Feschet (2013), les capitaux désignent les ressources mobilisables produites au cours d’une activité, qu’elle soit économique ou sociale, publique ou privée. L’approche en termes de capitaux retenue s’ancre dans les travaux d’Amartya Sen, où le bien-être des individus renvoie à leur liberté effective de choix ou « capabilité » (Dubois et Mahieu, 2009). Les ressources en différents capitaux et l’accès à ces ressources permettent d’augmenter la liberté de choix et le niveau du développement (Sen, 1981). Le « capital humain », composé principalement des connaissances et des qualifications, contribue au bien-être individuel, social et économique tandis que le « capital social », matérialisé par des institutions, des réseaux et des relations est le ciment qui lie les individus et les communautés (MEA, 2003b ; Healy et Côté, 2001).

L’approche sociale fondée sur les moyens d’existence (livelihood) est développée dans les années 1990. Les moyens d’existence de ménages ou de collectivités sont basés sur les différentes formes de capitaux dont ils disposent et à partir desquels ils peuvent développer des stratégies d’adaptation pour diminuer leur niveau de vulnérabilité à des chocs (Scoones, 1998 ; Chambers et Conway, 1991). À partir de 2001, cette approche est adoptée par de nombreux bailleurs de fonds dans leurs diagnostics, suivis et analyses de leur programme de lutte contre la pauvreté. Après 2005 et la publication du MEA, elle est reprise en lien avec le concept de services écosystémiques : en s’appuyant sur l’approche des moyens d’existence durable, la convention Ramsar (2012) a produit un cadre de réflexion sur les liens entre la protection des services des zones humides, la lutte contre la pauvreté et le bien-être humain.

Dans le modèle des capitaux multiples, « ce sont les différentes formes de capitaux, économique, humain, institutionnel, naturel et social qui sont articulées et qui caractérisent la nature contextuelle d’un processus particulier de développement » (Garrabé, 2012, p. 10). L’analyse sociale du cycle de vie basée sur ce modèle permet de mesurer l’impact de la responsabilité sociale et environnementale sur les « capacités potentielles effectives et réelles des acteurs5 » à travers la mesure de l’effet de ces variations sur différents capitaux (Garrabé et Feschet, 2013, p. 89). Par exemple, les capitaux humain et social sont déclinés en sous-classes de capital afin d’identifier et de classer les différents indicateurs permettant la mesure des impacts de capacités (Tab. 3).

Pour revenir à l’objectif d’élaboration d’un indicateur des SEC, les travaux sur les capitaux permettent de voir que l’indicateur peut préciser un capital naturel (KN) particulier, la zone humide protégée, et deux capitaux d’impact reconnus comme moteurs de développement humain, le capital humain (KH) et le capital social (KS) [Fig. 1].

Une compréhension préalable approfondie des raisons pour lesquelles cet espace est visité, et des conditions dans lesquelles il l’est, est nécessaire pour valider cette structure et pour identifier, pour chaque capital, les indicateurs permettant leur mesure. Le travail d’élaboration de l’indicateur doit également prendre en compte les besoins de ses principaux utilisateurs et répondre à des objectifs ancrés dans le contexte méditerranéen de la gouvernance des zones humides protégées.

Tab 3

Sous-classes de capital pour le capital humain et le capital social dans l’analyse du cycle de vie sociale des capacités (d’après Garrabé et Feschet, 2013).

thumbnail Fig. 1

Structure préliminaire de l’indicateur.

Méthodologie du travail

Choix préalables et étapes de l’élaboration de l’indicateur

En 1991, la première initiative régionale Ramsar a été lancée en Méditerranée par la création du réseau scientifique MedWet afin d’aider les 27 pays du pourtour méditerranéen à mettre en œuvre les plans stratégiques de la convention. En 2008, le Comité méditerranéen des zones humides (MedWet/Com) a mandaté la Tour du Valat pour développer un Observatoire des zones humides méditerranéennes (OZHM) dans un cadre partenarial méditerranéen (Beltrame et al., 2012 ; Geijzendorffer et al., 2018 ; Perennou et al., 2012). En 2010, l’Observatoire et ses partenaires concluent qu’un indicateur sur les services culturels récréatifs et éducatifs des zones humides est nécessaire : un groupe de travail « indicateur » (représentants de la Convention sur la diversité biologique, Ramsar, CIHEAM-IAMM, le Plan Bleu, et les ONG Med Ina [Grèce] et EKBY [Turquie]) est mobilisé pour identifier et étudier la faisabilité d’un indicateur d’impact relatif aux biens et services écosystémiques culturels rendus par les zones humides aux sociétés humaines.

Ce groupe identifie les décideurs et les gestionnaires de site comme les principaux utilisateurs visés par la construction d’un indicateur mesurant la contribution des SEC au bien-être humain dans les zones humides protégées méditerranéennes. Pour les décideurs, l’analyse des résultats donnés par l’indicateur doit servir un argumentaire « culturel » à associer aux suivis écologiques des écosystèmes. L’hypothèse faite est que cette prise de conscience se traduira par une meilleure prise en compte des zones humides dans les options de développement et d’aménagement territorial et dans les stratégies publiques. Au niveau national, les résultats concernent les secteurs impactant les zones humides : agriculture, pêche, tourisme, urbanisation et énergie, tandis qu’à l’échelle locale, ils peuvent être transférés aux élus et aux représentants décentralisés de ces secteurs. Au niveau supranational, l’information est destinée à être relayée à travers les plateformes et les institutions partenaires de l’OZHM. L’indicateur doit permettre également aux gestionnaires de site d’adapter et d’améliorer localement les services fournis pour une meilleure satisfaction des visiteurs tout en respectant leurs stratégies de conservation.

Prenant en compte les caractéristiques des zones humides aménagées pour les visiteurs dans les pays concernés et les leçons apprises de leur suivi, le groupe de travail « indicateurs » établit plusieurs objectifs scientifiques et méthodologiques pour assurer une représentativité méditerranéenne et une durabilité du suivi de l’indicateur à construire. Cet indicateur doit :

  • Être déclinable dans tous les pays de la Méditerranée, quels que soient leur histoire, leur culture ou le contexte de leurs zones humides ;

  • Être facilement applicable et quantifiable pour permettre des comparaisons dans le temps et l’espace. En pratique, il sera défini pour des sites bénéficiant d’une structure d’accueil comme les centres de visiteurs ou les maisons des parcs, qui récoltent déjà les données de fréquentation et disposent d’une équipe pouvant participer au test et au suivi de l’indicateur ;

  • Prendre en compte deux éléments culturels distincts, la récréation et l’éducation, tous deux difficilement quantifiables ;

  • Être compris des décideurs, des gestionnaires et du grand public au-delà des réseaux de conservation ;

  • S’appuyer sur des données directement liées aux zones humides et faciles à collecter par les gestionnaires de site.

La construction de l’indicateur est basée sur trois hypothèses majeures : (i) les visites récréatives et éducatives dans les zones humides protégées offrent des SEC aux usagers avec des avantages immatériels ; (ii) il est possible de mesurer, même partiellement, l’impact des visites récréatives et éducatives sur le bien-être humain et d’analyser les relations entre le capital naturel, les conditions d’accès aux zones humides et la nature et l’importance des impacts identifiés ; (iii) il est nécessaire de rapprocher les perceptions sociales des visiteurs des informations techniques que peuvent fournir les gestionnaires de site pour organiser un suivi régulier dans le temps de l’indicateur (Rivière-Honegger et al., 2015). La perception sociale désigne la prise de conscience plus ou moins précise de la ZH par l’intermédiaire des sens et inclut des éléments de ressenti, des sensations physiques agréables ou désagréables ayant pour origine la visite de la ZH.

L’indicateur est élaboré selon six grandes étapes entre 2010 et 2018 (Encadré 1). Pour répondre aux objectifs et faciliter l’approche régionale, la réflexion méthodologique s’oriente finalement vers la possibilité de transformer l’indicateur en un indice.

Étapes d’élaboration de l’indicateur (2010-2018).

Elles sont définies selon deux périodes :

  • Période 2010-2015 : étapes définies par l’OZHM et son groupe de travail sur les indicateurs.

    1. 2010 : Définition des objectifs et ciblage de l’indicateur, hypothèses de départ et principes à respecter pour que l’indicateur assure la mesure du ≪ service » ainsi que la durabilité du suivi au niveau des pays.

    2. 2011-2014 : Étude de faisabilité auprès de 9 sites sur la perception sociale des visiteurs des ZH (574 enquêtes).

    3. 2015 : Production d’un référentiel qualitatif des services récréatifs et éducatifs des zones humides.

  • Période 2016-2018 : étapes définies par l’OZHM et le CIHEAM-IAM Montpellier.

    • 4.

      2016 : Choix des variables (basé sur les résultats de la faisabilité), élaboration et test préliminaire de l’indicateur.

    • 5.

      2017 : Présentation et formation dans les pays partenaires, ajustement de l’indicateur selon un mode participatif ; mise en œuvre sur 27 sites dans 10 pays.

    • 6.

      2018 : Finalisation de l’indicateur, expression sous la forme d’un indice et automatisation du processus de calcul.

L’étude de faisabilité

Entre 2011 et 2014, des études pilotes à questionnement ouvert sont menées dans neuf sites méditerranéens (Fig. 2), en Algérie, en France, au Maroc et en Tunisie. Trois sites, Ichkeul en Tunisie, Taza et Chréa en Algérie renferment des zones humides au sein d’un cadre naturel comportant d’autres écosystèmes (montagnes et forêts en particulier). Les six autres sont essentiellement des zones humides : Pont de Gau, Scamandre et Vigueirat (France), Reghaia et Mezaia (Algérie) ainsi que Sidi Boughaba (Maroc).

Ces études combinent l’analyse quantitative des tendances de fréquentation sur 10 années, l’analyse qualitative des perceptions individuelles et des représentations sociales des visiteurs récréatifs et éducatifs, et font ressortir les effets de la visite. L’échantillonnage comprend 60 à 80 enquêtes par site6, en prenant en compte une diversité de profils de visiteurs récréatifs ainsi que des visiteurs éducatifs − écoliers et étudiants dans le cadre de contrats ou de projets d’école7. Dans chaque site, les entretiens ont une base commune de 35 questions et durent en moyenne 30 mn par visiteur. Le questionnaire privilégie des questions ouvertes visant à comprendre le processus décisionnel des visiteurs sur le choix de la zone humide à visiter, les niveaux de perception et de satisfaction lors de la visite ainsi que les intentions de changements d’attitude motivés par la visite. Cette entrée sociale privilégie les résultats d’impact, donc les flux de services vécus ou anticipés par les visiteurs. Au total, 574 enquêtes ont été réalisées.

Les résultats constituent le socle de faisabilité de l’indicateur : ils permettent de produire le référentiel qualitatif de perception individuelle et de représentation sociale des visiteurs et d’identifier la démarche sociale et psychologique des différents profils de visiteurs ainsi que leurs éléments de choix, d’appréciation et d’impact. Les résultats de ces enquêtes permettent de différencier les réponses qui reviennent le plus souvent de celles qui sont très spécifiques à certains sites ou à certains visiteurs. Seules 15 questions sur les 35 du questionnaire obtiennent des réponses partagées par plus de 10 % des visiteurs. Pour garder la logique de priorité de perception des visiteurs sur ces services dans la construction de l’indicateur, ces questions servent de base au choix de ses variables. Leur niveau de pondération dans le calcul de l’indicateur est choisi en lien avec le pourcentage de réponse similaire des visiteurs, qui varie de 10 % à 18 % dans l’échantillon. À l’échelle des neuf sites, la visite des zones humides est majoritairement vécue comme une activité de groupe ou sociale. Les tendances suivantes peuvent être observées entre les différents sites :

  • 80 % des visiteurs se rendent sur les sites à deux personnes et plus ;

  • Les sites sont visités principalement par des personnes de moins de 45 ans ;

  • Ils sont fréquentés presque autant par des femmes que par des hommes ; ce résultat masque une forte disparité entre les rives nord et sud de la Méditerranée puisque les tendances sont inversées : plus de 60 % de fréquentation féminine pour les sites français et moins de 40 % pour les sites maghrébins (Khechimi, 2015).

  • Le rayon moyen d’attractivité ne dépasse pas 35 km, les visiteurs sont principalement locaux ou des touristes en séjour dans la région.

  • Les visiteurs ont indiqué en moyenne trois raisons dans leur choix de visite, parmi lesquels les éléments « eau » et « zones humides » sont peu mentionnés comme critère spécifique et paraissent englobés dans la recherche d’une intégrité paysagère, d’un lieu calme favorable à la visite ou à la détente (Tab. 4).

    Tab 4

    Raisons de visites exprimées par les visiteurs sur les neuf sites (688 réponses) sur la base de deux questions ouvertes : « Quelle est la principale raison qui a motivé votre visite sur le site » et « Quelles sont les raisons secondaires ? » (source : Chazée et al., 2017).

  • Pour ces visiteurs, les services des zones humides proviennent aussi bien du patrimoine naturel que des aménagements développés par les gestionnaires pour rendre le site plus accessible et la visite plus compréhensible.

Les éléments communs à l’échelle des différents sites conduisent à identifier plusieurs variables-clés pour la construction de l’indicateur :

  • 1)

    Des variables portant sur la dimension paysagère et la qualité naturelle des sites, et sur le poids du contexte local, notamment la présence d’externalités négatives (pollutions…) liées au territoire ;

  • 2)

    D’autres variables relatives à l’accessibilité de la ZH, externe comme interne, c’est-à-dire aux aménagements ;

  • 3)

    Des variables sur l’acquis des visiteurs à l’issue de la visite et sur les supports de connaissance ;

  • 4)

    Une variable de satisfaction, à travers la promotion du site auprès d’amis, sur les réseaux sociaux.

L’étude de faisabilité ayant montré l’importance des infrastructures et des services sur le site pour la qualité de la visite, un quatrième capital, le « capital construit » résumant l’accessibilité au site et à l’intérieur du site, intervient dans la construction de l’indicateur. Ce capital construit vient compléter le capital naturel. L’ensemble de ces deux capitaux constitue les « capitaux de condition », par lesquels la visite du site peut engendrer une variation positive des niveaux de capital humain et social. Ils agissent en amont de la visite. Les capitaux humain et social sont les « capitaux d’impact ». Ils varient à l’issue de la visite.

Le tableau 5 présente l’indicateur élaboré. Les avantages culturels de la visite résultent d’éléments naturels ou capital naturel (KN) rendus accessibles (KC) qui impactent les dotations en capitaux humain (KH) et social (KS) et peuvent augmenter les capacités et le bien-être des visiteurs. Trois variables résument chaque capital. Les scores sont agrégés. Le total est ramené à une valeur indicielle comprise entre 0 et 1.

L’indicateur est proposé aux pays membres de l’Observatoire et ajusté selon les retours des équipes nationales mobilisées. Parmi les variables du capital social (KS), certaines, par exemple, les partenariats avec la société civile et le nombre d’événements annuels, sont discutées et validées lors de ces échanges participatifs8. Les trois variables du KS sont le reflet de la dimension sociale et intégratrice du site. Une première application a lieu avec 19 sites sur une base de 100 enquêtes auprès des visiteurs de chaque site. Les sites sont labellisés Ramsar et présentent une grande diversité de zones humides. Des analyses régionales, sous-régionales et par site sont privilégiées. Le calcul d’un indice moyen au niveau du pays présente peu de sens : il gomme la diversité interne des situations alors que le nombre de sites est hétérogène selon les pays.

thumbnail Fig. 2

Les neuf sites de l’étude de faisabilité et leur fréquentation [2012-2013] (source : Khechimi, 2015 ; réalisation : A. Guelmami, 2021).

Tab 5

Structure et calcul de l’indicateur des SEC.

Principaux résultats de l’indicateur sur 19 sites méditerranéens

L’indice moyen des zones humides méditerranéennes (calculé sur la base de 19 sites) est de l’ordre de 0,670. Cette valeur est similaire à celle calculée sur les neuf sites tests en 2014 (0,68)9 et au test intermédiaire réalisé sur 14 sites en 2017 (0,671). Ce résultat agrégé rassure sur la robustesse de l’indicateur construit (Anougmar, 2018). L’analyse sous-régionale (Fig. 3) montre que l’ensemble formé par les sites européens, à savoir Scamandre, Pont de Gau (France), Lonjskopolje, Vrana Lake (Croatie), Krajinskipark et Skocjanske (Slovénie), est au-dessus de la moyenne de l’indice en Méditerranée.

Ce résultat confirme l’hypothèse d’une politique européenne plus efficace au niveau des aires protégées grâce aux directives européennes (espèces et habitats), au réseau Natura 2000 et aux projets Life apportant aides et subventions pour la préservation du capital naturel.

La valeur de l’indice régional (0,670) est tirée vers le bas par l’indice moyen du capital humain [0,151] (Fig. 4). Le capital naturel (KN) est le plus élevé, les gestionnaires font des efforts pour le valoriser (KC), mais l’impact humain des visites (KH) reste limité. L’impact social (KS) est soutenu par un bon taux de satisfaction des visiteurs (effet multiplicateur).

Pour l’ensemble des sous-régions, le niveau des capitaux de condition, KN et KC, dépasse celui des capitaux d’impact, KH et KS : l’Union européenne dispose des indices KN et KC les plus élevés, cependant, l’effet sur le KH reste faible (Fig. 6). La visite n’a pas un grand effet sur les visiteurs européens : ils déclarent dans l’étude de faisabilité qu’ils disposent déjà de connaissances environnementales considérables grâce aux nombreux sites aménagés et à la forte mobilisation des gestionnaires et de la société civile pour promouvoir l’information.

Le Moyen-Orient dispose également d’un indice KN fort et d’un indice KC plutôt élevé, mais l’impact sur le KH est limité (Fig. 6). Ce résultat est dû à la fois aux choix stratégiques des deux sites jordaniens basés sur l’attraction de touristes récréatifs et au fait que la majorité de ces touristes est issue de pays développés (ce qui rejoint l’hypothèse émise sur les résultats des sites de l’Union européenne).

Par rapport à l’Union européenne et au Moyen-Orient, les pays des Balkans montrent un équilibre entre les capitaux de condition et d’impact (Fig. 5), un KN plutôt élevé et un KC comparativement bas et un bon effet sur les capitaux d’impact (humain et social) [Fig. 6].

À l’échelle des sites (Fig. 7), les capitaux d’impact dépassent les capitaux de condition pour les sites de Réghaïa en Algérie, de Lonsjkopolje en Croatie et de Nartal Lagoon en Albanie, qui sont caractérisés par un capital naturel dégradé ou faiblement aménagé (Fig. 8). À Reghaïa et à Lonsjkopolje, l’impact positif humain et social de la visite s’explique par une stratégie de gestion spécifique donnant une grande importance au volet éducatif (visites guidées, séminaires et conférences sur les sites).

Les résultats obtenus montrent finalement qu’en dehors de l’Union européenne, c’est le type de gestion nationale, en particulier le niveau et la qualité des aménagements (KC), qui impacte le plus les résultats de l’indice (Fig. 8) : dans les Balkans, les sites serbes ont des résultats plutôt élevés alors que les sites albanais et du Monténégro se situent en dessous de la moyenne ; au Moyen-Orient, les sites jordaniens sont au-dessus de la moyenne alors que les sites libanais (Palm Island et Anjar Kfar Zabad) ont des résultats inférieurs, quoique contrastés. Au Liban, l’absence de politique environnementale est un frein à l’amélioration des services culturels des zones humides (Beltrame et al., 2012). En Jordanie, les sites protégés font partie de circuits touristiques haut de gamme et sont aménagés dans cet objectif.

thumbnail Fig. 3

Indice par sous-région.

thumbnail Fig. 4

Indices moyens par capital (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

thumbnail Fig. 5

Capitaux de conditions et d’impact à l’échelle sous-régionale.

thumbnail Fig. 6

Indice moyen par capital et par sous-région (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

thumbnail Fig. 7

Les capitaux de condition et d’impact à l’échelle des sites.

thumbnail Fig. 8

Indice moyen par capital et par site (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

Éléments de discussion

L’indice du capital humain est celui qui ressort le plus faiblement dans l’ensemble des quatre capitaux, aux différentes échelles. Seuls les sites ayant une stratégie éducative active ont une valeur du capital humain supérieure à celle du capital social. Le tableau 6 qui présente la contribution des trois variables de KH dans l’indice moyen du capital humain montre que la marge de manœuvre pour améliorer le KH au niveau des sites méditerranéens est élevée pour la production et les acquis de connaissance (55 % et 46 %).

Le niveau de transmission (70 % de la note maximale) s’établit à un niveau supérieur à celui des acquis de connaissance (64 %) et cette situation se retrouve au niveau sous-régional. À l’échelle des sites, pour Palm Island au Liban, Karavasta en Albanie et Ghar El Melh en Tunisie, c’est l’indice des acquis qui dépasse l’indice de transmission, résultat paradoxal qui renvoie à l’appréciation subjective de l’acquis par les visiteurs (perception).

Le tableau 7 montre la contribution des trois variables de KS dans l’indice moyen du capital social. En le comparant avec le tableau 6, nous pouvons observer la différence de pourcentage entre le niveau d’atteinte de l’objectif d’acquis de connaissance (64 %) et celui de l’effet multiplicateur (85 %). Selon l’étude de faisabilité, l’écart entre ces deux valeurs est lié au fait que certains visiteurs ne viennent pas nécessairement pour apprendre, mais plutôt pour se ressourcer, se promener, être entre amis.

De fait, le capital humain dans sa construction élude les variables de bien-être psychique et sensoriel (santé), ce qui peut expliquer la valeur globale obtenue. Dans la construction de l’indice, ces éléments se retrouvent partiellement dans les capitaux d’impact social et humain, mais aussi dans le capital naturel, au niveau des questions de perception adressées aux visiteurs. Dans l’appréciation du capital naturel, on constate, pour certains sites où les taux de pression sur le milieu sont élevés et engendrent de fortes pollutions, que les perceptions des visiteurs restent positives. C’est le cas de Palm Island au Liban, un des rares sites pour l’ensemble du pays ou de Lonjskopolje et de Vrana, en Croatie.

Ainsi, le recours à la perception des visiteurs pour chacun de ces trois capitaux dans l’évaluation multicritère permet la mise en lumière de plusieurs paradoxes : émotion liée au capital naturel malgré des externalités importantes, sentiment d’acquisition de connaissance alors que les moyens de transmission peuvent être limités, forte satisfaction globale alors que l’acquisition de connaissance reste modérée. Ce choix méthodologique est aussi une limite de cet indice des SEC dans la mesure où il contribue à une mesure partielle de l’effet de la visite sur le capital humain. Parmi d’autres limites dans l’évaluation du capital humain, certaines sous-dimensions, par exemple, l’impact sur la santé des visites récréatives, n’ont pas été traitées. Dans l’étude de faisabilité, les visiteurs ont cité indifféremment, dans les raisons de visite, des éléments de spiritualité, de détente, de récréation ou d’éducation. Enfin, les conditions de la visite ont été abordées sous l’angle de l’accessibilité des sites, notion ici considérée comme indépendante des caractéristiques des visiteurs. Or, l’échantillon des visiteurs enquêtés dans les sites n’est pas représentatif de l’ensemble des sociétés méditerranéennes, même locales. Les normes sociales, la pauvreté et le manque d’éducation affectent l’accessibilité aux SEC (Satz et al., 2013).

Tab 6

Contribution des variables KH dans l’indice moyen des ZH.

Tab 7

Contribution des variables KS dans l’indice des ZH.

Conclusion

L’indicateur élaboré dans ce travail est basé sur la perception des visiteurs de zones humides et intègre la multidimensionnalité du bien-être humain. Il propose une grille de lecture avec plusieurs capitaux qui structure l’analyse de la relation entre zones humides et sociétés. Elle ne prévoit pas de mesurer les interactions entre capitaux, mais plutôt d’estimer une valeur agrégée pour quantifier les SEC et leurs impacts, résumés par ces quatre capitaux.

L’application a permis d’établir la ligne de référence pour un suivi des sites à moyen terme. L’indicateur, souple et facile à mettre en place, offre la possibilité d’un suivi des zones humides protégées à l’échelle régionale comme à celle de chaque site et permet des comparaisons. Cette première étape montre sa pertinence au regard des attentes opérationnelles et dans le champ de recherche sur l’évaluation des SEC. L’indicateur a reçu un accueil favorable dans les pays et sur de nombreux sites : en 2018, 27 sites ont participé volontairement à une première évaluation globale : 3 717 interviews de visiteurs, soit 138 enquêtes par site en moyenne et 27 interviews de gestionnaire de site ont pu être réalisées.

L’approche par les capitaux ouvre des perspectives en termes d’amélioration de l’indicateur : dans la construction, par la prise en compte de nouvelles dimensions au sein de chaque capital et dans l’analyse, par une comparaison fine des sous-dimensions des différents capitaux. Elle facilite l’analyse du niveau d’intégration de chaque site dans un ensemble territorial plus vaste.

Les résultats obtenus démontrent l’existence d’un lien entre les SEC offerts par les zones humides, la visite et le bien-être des visiteurs : avec un indice moyen de 0,68 obtenu sur les 19 sites, l’impact de la visite sur les capitaux social et humain est indéniable. En Méditerranée, l’amélioration de la valeur de l’indice passera par un renforcement de l’impact humain des visites. Aménager des services construits au sein des sites est une condition importante de ces effets : les services naturels et construits dans un écosystème doivent se renforcer mutuellement pour créer des impacts sur le bien-être des visiteurs. Pour les sous-régions des Balkans et du Maghreb, l’effort doit ainsi être porté sur le capital construit.

Références


1

Cet article rend compte d’une recherche menée entre 2010 et 2018 dans le cadre d’un partenariat entre le CIHEAM-IAMM et la Tour du Valat et visant à produire un indicateur des SEC des zones humides protégées méditerranéennes. Ce travail a été présenté en 2016 lors de la conférence internationale « Monitoring and Management of Visitors in Recreational and Protected Areas: Cooperation Across Borders and Scales », qui s’est tenue du 26 au 30 juin 2016 à Novi Sad (Serbie) [Chazée et al., 2016].

2

Albanie, Algérie, Croatie, France, Jordanie, Liban, Monténégro, Serbie, Slovénie et Tunisie.

3

Depuis 1971, ces zones humides sont prises en compte dans le cadre de la convention internationale Ramsar. En 2020, les 171 pays parties contractantes à la convention ont inscrit un total de 2 375 zones humides pour une surface de près de 254 millions d’ha (253 614 951 ha). La convention intègre, depuis 2002, la dimension culturelle des zones humides dans ses programmes à travers ses résolutions (VIII.19 et IX.21).

4

Ces zones ont longtemps souffert d’une image négative, associées aux maladies, aux mauvais génies ainsi qu’à d’autres nuisances comme les moustiques. Au cours du siècle dernier, de nombreuses ZH ont été asséchées, converties en terres de cultures ou utilisées pour servir de réceptacle aux eaux usées des agglomérations. En Méditerranée, si ces utilisations sont aujourd’hui mieux contrôlées dans les zones protégées, elles perdurent en dehors de celles-ci, en particulier dans les pays hors Union européenne.

5

Pour ces auteurs, le terme de « capacités » est dérivé de la notion de « capabilités » de Sen, et quoique moins directement associé au capital humain (santé, éducation notamment) que celui de capabilités.

6

Ce nombre minimal est basé sur l’expérience du fait, qu’au-delà de 50 enquêtes ouvertes, aucune information nouvelle significative n’est obtenue.

7

80 % de profils récréatifs (grande diversité de profils) et 20 % de profils éducatifs (diversité plus restreinte, au moins 10 élèves et 1 professeur accompagnateur interviewés par site) composent l’échantillon.

8

Pour des raisons d’efficacité et de durabilité du suivi, l’OZHM et ses partenaires ont décidé, pour la collecte des données matérielles, de passer par le gestionnaire. C’est lui qui envoie ces données et celles recueillies auprès des visiteurs (quatre questions de perception) à l’OZHM qui a mis en place un protocole automatisé de saisie et de traitement.

9

Les résultats sur les 9 sites tests ont été soumis à une analyse de sensibilité : les changements de pondérations des différents capitaux ont eu peu d’effet sur le classement des sites.

Citation de l’article : Requier-Desjardins M., Chazée L., Khechimi W., Anougmar S., Garrabé M. Les services écosystémiques culturels rendus par les zones humides protégées en Méditerranée : élaboration d’un indicateur de suivi. Nat. Sci. Soc., 29, 4, 423-438.

Liste des tableaux

Tab 1

Indicateurs des services écosystémiques culturels dans le MEA et le TEEB (source : MEA, 2003a ; Brink, 2011).

Tab 2

Types de services culturels (source : MEA, 2003a).

Tab 3

Sous-classes de capital pour le capital humain et le capital social dans l’analyse du cycle de vie sociale des capacités (d’après Garrabé et Feschet, 2013).

Tab 4

Raisons de visites exprimées par les visiteurs sur les neuf sites (688 réponses) sur la base de deux questions ouvertes : « Quelle est la principale raison qui a motivé votre visite sur le site » et « Quelles sont les raisons secondaires ? » (source : Chazée et al., 2017).

Tab 5

Structure et calcul de l’indicateur des SEC.

Tab 6

Contribution des variables KH dans l’indice moyen des ZH.

Tab 7

Contribution des variables KS dans l’indice des ZH.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Structure préliminaire de l’indicateur.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Les neuf sites de l’étude de faisabilité et leur fréquentation [2012-2013] (source : Khechimi, 2015 ; réalisation : A. Guelmami, 2021).

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Indice par sous-région.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Indices moyens par capital (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Capitaux de conditions et d’impact à l’échelle sous-régionale.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Indice moyen par capital et par sous-région (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Les capitaux de condition et d’impact à l’échelle des sites.

Dans le texte
thumbnail Fig. 8

Indice moyen par capital et par site (KN ou capital naturel, KC ou capital construit, KH ou capital humain et KS ou capital social).

Dans le texte

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