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Nat. Sci. Soc.
Volume 27, Number 2, Avril/Juin 2019
Dossier « Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité »
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Page(s) | 147 - 158 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2019033 | |
Published online | 02 September 2019 |
Dossier : Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité – L’économie au prisme du Groupe des Dix : d’une bioéconomie l’autre★
Economics approached through the prism of the Groupe des Dix: bioeconomy revisited
Économie, Université de Reims Champagne Ardenne, Laboratoire Regards,
EA6292,
Reims, France
* Auteur correspondant : fd.vivien@univ-reims.fr
Reçu :
2
Novembre
2017
Accepté :
4
Octobre
2018
De nombreux écrits des membres du Groupe des Dix portent sur des questions économiques. L’un des principaux thèmes de réflexion de ce collectif attaché à l’interdisciplinarité a été de repenser la notion de développement en l’inscrivant dans le prolongement de l’évolution biologique, en mettant en évidence sa multidimensionnalité ainsi que la nécessité de lier cet objectif avec celui de la sauvegarde de l’environnement. Certains de ces auteurs, comme René Passet et Joël de Rosnay, sont allés plus loin encore en proposant de redéfinir la discipline économique à la lumière des enseignements des sciences du vivant. S’ils appellent tous les deux de leurs vœux l’émergence d’une bioéconomie, nous montrons que celle-ci revêt des sens assez différents.
Abstract
The Groupe des Dix met from 1968 to 1976. Many of its members’ writings deal with economic issues. At the crossroads of science and politics, one of the main themes of reflection of this group attached to interdisciplinarity focused on rethinking the notion of development by including this socioeconomic dynamic in the prolongation of biological evolution, by highlighting its multidimensionality and the need to link this objective with that of environmental protection. Some of the members of the Groupe des Dix, such as René Passet and Joël de Rosnay, went even further by redefining economic science in the light of the teachings of life sciences. While they both call for the emergence of a bioeconomy, we show that it has quite different meanings in the writing of these authors.
Mots clés : Groupe des Dix / interdisciplinarité / développement / bioéconomie / René Passet / Joël de Rosnay
Key words: Groupe des Dix / interdisciplinarity / development / bioeconomy / René Passet / Joël de Rosnay
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2019
Entre 1968 et 1976, les membres du Groupe des Dix1 se sont réunis une fois par mois pour explorer les vertus de larges échanges interdisciplinaires et la possibilité d’utiliser ces connaissances pour éclairer la prise de décision dans le champ du politique. Très peu d’écrits collectifs ont été produits à la suite de ces discussions, dont la plupart de ceux qui y participèrent loue la qualité du fait de l’écoute et de la liberté de parole qu’ils y trouvaient. On relève toutefois de nombreuses traces de ce travail interdisciplinaire, au sujet duquel il est beaucoup question de systémique et de complexité, dans les ouvrages publiés par les membres du Groupe des Dix, durant et après sa période d’existence. Un nombre significatif de ces écrits porte sur l’économie. Nous nous y intéresserons en privilégiant leurs rapprochements et lectures croisées, afin de mettre en évidence les thématiques et objets économiques communs au Groupe des Dix, mais aussi leurs points de divergence2.
Ses membres sont, dans l’ensemble, des hommes de gauche, proches du Parti socialiste. Critiquant les doctrines économiques dominantes, libérale et marxiste, ils sont à la recherche d’une sorte de « troisième voie », d’un socialisme moderne (Buron et al., 1970, p. 210), original, non copié sur un modèle établi dans un autre pays, d’un socialisme qui adviendra pacifiquement, qui s’inscrit dans la perspective de la construction européenne3 et intègre les enjeux environnementaux, Joël de Rosnay (1975, p. 277) étant probablement l’un des premiers à parler d’« écosocialisme ». Autrement dit, comme nous allons le voir dans une première partie, c’est la problématique du développement qui intéresse au premier chef ces chercheurs et hommes politiques. Certains la travaillaient déjà avant leur entrée dans le Groupe des Dix ; ils vont continuer à le faire ensuite, mais d’une nouvelle manière. D’autres y viennent par les rapprochements originaux qui s’y opèrent entre biologie et société, entre économie et écologie.
Cette vision renouvelée de la perspective du développement amène certains des membres du Groupe des Dix à remettre en cause les fondements et concepts de la discipline économique et à en proposer de nouveaux en affirmant qu’elle est une science de la vie4, ce que nous étudierons dans une seconde partie, en nous centrant sur les écrits de René Passet et Joël de Rosnay. Nous verrons qu’ils partagent un certain nombre de constats, principes et références, tout en se séparant sur le sens à donner à ce qui est qualifié de « bioéconomie ». Ces débats, qui peuvent paraître anciens, permettent d’éclairer ceux qui entourent aujourd’hui le développement de l’usage industriel de la biomasse – on parle aussi à ce propos de bioéconomie (Pahun et al., 2018) – et la transition écologique qu’il est censé opérer.
Une interrogation générale sur le développement
Le développement est un thème de réflexion qui traverse une grande partie de la littérature économique produite par le Groupe des Dix. Cette question, il est vrai, est au carrefour de la science et de la politique, les deux domaines qu’il entendait rapprocher initialement. Par ailleurs, comme le note Edgar Morin5, le développement est une « notion nomade » qui a fait des allers et retours entre les sciences de la vie et les sciences de l’homme et de la société ; ce qui ne peut manquer d’intéresser le Groupe des Dix, dont les débats vont rapidement se concentrer autour des questions d’interdisciplinarité. Cette problématique du développement va aussi être questionnée et relancée par la controverse soulevée par la parution du premier rapport au Club de Rome.
Le développement entre science et politique
L’avenir des sociétés industrielles avancées, comme on les désigne alors, intéresse tout particulièrement les membres du Groupe des Dix. Cette question du développement est d’autant plus importante que, selon eux, la science est devenue, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une véritable force de production et qu’elle est appelée à le devenir plus encore dans un avenir proche. Ainsi, après avoir marqué les esprits, l’entrée dans l’ère atomique se traduit désormais par la promesse d’une énergie abondante (Buron et al., 1970) dont la croissance a bien besoin. Les progrès de l’automation sont aussi spectaculaires, au point où, Passet, qui les étudie au cours des années 1950, évoque le contexte révolutionnaire dans laquelle s’inscrit ce domaine de l’électronique6. Les spécialistes de la cybernétique et de l’informatique, tels Jacques Sauvan et Joël de Rosnay, sont aussi aux premières loges de ces formidables évolutions scientifiques et techniques. Mais le domaine qui semble le plus gros d’enjeux économiques et sociaux, aux yeux des membres du Groupe des Dix, est celui des sciences de la vie. Compte tenu des progrès qu’elles ont enregistrés depuis les années 1950, il est certain qu’elles vont bouleverser les conditions de vie sur Terre ; c’est un point sur lequel insiste Jacques Robin (1968), au moment où il s’apprête, avec Robert Buron, à créer le Groupe des Dix. Robin, qui est médecin et directeur du laboratoire pharmaceutique Midy, est convaincu qu’une nouvelle « révolution industrielle » est en cours et qu’il est urgent que les citoyens et les politiques en prennent la mesure.
Les membres du Groupe des Dix s’intéressent aussi à la situation des pays pauvres. Buron est, en effet, un homme politique7, proche des milieux catholiques, et un économiste versé dans les questions de développement. Il a été, en outre, le premier président du Centre de développement de l’OCDE entre 1962 et 1966, à un moment où l’institution entend désormais encourager la croissance des pays non membres, ceux que l’on désigne alors comme « en voie de développement ». La « Première décennie du développement » a été décrétée par l’Assemblée générale des Nations unies au début des années 1960, avec l’espoir que les pays qui ont acquis leur indépendance politique vont rattraper rapidement les économies modernes. Mais le bilan de ces politiques n’est guère brillant, les écarts de richesse se creusent, comme le constatent Buron et al. (1970). C’est la raison pour laquelle « Objectif 72 », le groupe de réflexion socialiste qu’il a fondé en 1965, en marge duquel va être créé le Groupe des Dix, s’est engagé dans la lutte contre l’exploitation du Tiers-Monde8.
René Passet est aussi un économiste du développement. Au moment où il entre dans le Groupe des Dix, il vient de publier Politiques du développement (Passet, 1969), un ouvrage qui synthétise les recherches qu’il a menées au cours des années 1960. Il y critique les conceptions linéaires qui prévalent à l’époque en matière de développement économique. La théorie évolutionniste que propose l’historien économique américain Walt Rostow (1960) lie étroitement croissance et développement à travers différentes étapes par lesquelles doivent passer les sociétés humaines. Dans cette vision, une fois leur « décollage » effectué, elles connaissent une croissance autoentretenue qui modifie la structure économique à mesure que le progrès technique se diffuse dans les secteurs d’activité. C’est une véritable philosophie de l’histoire que présente ainsi Rostow9 qu’il oppose à celle du matérialisme historique marxiste. Dans ce schéma, une seule et même logique économique se déploie au cours du temps, sans rupture ni discontinuité. À l’inverse, les mesures statistiques opérées par Passet (1965, 1966) sur un grand nombre de pays l’amènent à mettre l’accent sur le franchissement de « seuils de mutation » structurelle et fonctionnelle que connaissent les économies au cours du temps10. C’est, explique Passet (1965, p. 267), la saturation des besoins successifs qui entraîne, au cours du processus de développement, une transformation profonde des mécanismes et des lois qui les régissent. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la logique à laquelle obéit l’offre de travail des individus. En deçà d’un certain seuil, quand la société est dans une « zone de survie » et destine l’essentiel de ses dépenses à des consommations indispensables à l’existence, une relation inverse s’établit entre le salaire et l’offre de travail11. Passé ce « seuil du minimum vital », l’offre de travail croît avec sa rémunération : chaque argent supplémentaire gagné par un individu lui permet d’améliorer ses conditions de vie matérielles. Mais, quand les sociétés passent un « seuil de confort » et consacrent une part importante de leurs dépenses à la santé, la culture et aux loisirs, la logique s’inverse : une rémunération plus forte de la force de travail induira une diminution du temps de travail, l’individu qui dispose d’un niveau de vie suffisant préférant utiliser son temps libre à d’autres occupations. Passet montre ainsi que les relations économiques que tissent l’avoir et l’être évoluent au cours du temps, en fonction du niveau de développement de la société. Cette dynamique devrait se poursuivre avec la montée en puissance des services et de l’immatériel dans les économies les plus techniquement avancées qu’a pointée Passet (1957). Il y a là un défi que l’économie doit relever, en tant que discipline à même de comprendre ces changements de logique et d’en déduire des recommandations en termes de politiques de développement.
Une science de l’homme pour une politique de développement ?
Dans son Introduction à une politique de l’homme, l’ouvrage dont la lecture décida Robin à entrer en contact avec lui et à créer ensuite le Groupe des Dix (Chamak, 1997, p. 30), Morin (1965) prend acte de l’importance contemporaine prise par la notion de développement, en en faisant à la fois le but et le problème d’une politique de l’Homme qui reste à élaborer. Cette notion, explique-t-il, ne va pas de soi, elle est largement impensée, avec le paradoxe d’être à la fois très riche, porteuse d’un vaste ensemble de signifiants (le progrès, l’épanouissement de l’homme…), et très pauvre, résumée le plus souvent à sa seule dimension économique, elle-même réduite à un chiffre (la variation du produit intérieur brut). En se référant à l’économiste François Perroux (1961), un auteur qui a aussi beaucoup compté pour Passet, qui définit le développement comme « la création de l’homme par l’homme », Morin appelle à ce qu’on pense cette notion de manière multidimensionnelle et totale. Il esquisse alors – maladroitement, reconnaîtra-t-il plus tard (Morin, 1973, p. 12) – une perspective « bio-anthropologique » à une échelle planétaire, qu’il ne cessera ensuite de retravailler. Il l’évoque à nouveau dans l’intervention12 qu’il fait lors du colloque « Sciences de la Vie, Sciences de l’Homme et Politique », organisé par Objectif 72 en décembre 1968. On la retrouve quelques années plus tard dans Le paradigme perdu : la nature humaine, qui témoigne du tournant qu’a connu sa réflexion durant les années 1968-1969 du fait de sa participation au Groupe des Dix13 et de son séjour au Salk Institute for Biological Studies en Californie. Dans ce livre, Morin opère un rapprochement fondamental entre sciences biologiques et sciences sociales, non en superposant « une couche de nature et une couche de culture », mais en montrant les interactions complexes entre une nature humaine particulière qui impose à l’homme de s’ouvrir à la culture et une culture qui intègre des contraintes liées à ses fondements biologiques. Même si le terme n’y figure pas, c’est l’idée de coévolution que travaille Morin pour rendre compte du processus d’hominisation (Fischler, 2006, p. 94). Cet ouvrage, qui va avoir une influence profonde sur les autres membres du Groupe des Dix, est aussi un point de départ puisqu’il débouche sur l’annonce de deux livres : le premier, La méthode, consacré à la réflexion sur la complexité, dont le premier tome sera publié quelques années plus tard (Morin, 1977) ; le second, consacré à l’anthropolitique, à la politique de l’homme… qui ne verra jamais le jour14.
En 1973, grâce au soutien de la Fondation Mendès, Morin organise aussi un colloque international consacré à la crise du développement à Figline-Valdarno en Italie, auquel participent Cornélius Castoriadis, Jacques Attali, René Dumont… Dans le chapitre figurant dans les actes de ce colloque, Morin (1977) pose à nouveau son diagnostic d’une crise multidimensionnelle, bio-anthropologico-sociale. Alors que le développement promettait le bonheur à portée de main, note-t-il, on constate en Occident un « nouveau malaise dans la civilisation », une insatisfaction diffuse, une montée de l’anxiété et de la frustration. Le processus d’intégration à la société bourgeoise que provoque le développement, s’il agit sur de larges pans de couches sociales rurales et prolétaires, fait aussi apparaître des pertes d’identité, des lignes de fracture culturelle, l’affirmation de cultures locales, régionales et ethniques. S’y ajoutent les mouvements d’autonomisation et de contestation portés par les jeunes et les femmes. Enfin, poursuit Morin, qui a aussi découvert le mouvement écologiste en Californie (Morin, 1970), on peut aussi parler d’une crise de l’espèce humaine dans son rapport au monde, aux écosystèmes et aux autres espèces. La croissance économique qui, selon Morin (1977, p. 254), était conçue comme le régulateur du développement, comme son principe d’ordre et de stabilité, comme son feed-back négatif, est en fait un amplificateur, un facteur de désordre et d’instabilité, un feed-back positif, une perspective qui est celle-là même de The limits to growth, le premier rapport au Club de Rome.
Controverse avec le Club de Rome : de la croissance au développement humain
Le Groupe des Dix ne se tient pas à l’écart du débat lancé par la parution du rapport Meadows (Meadows et al., 1972) qui oblige les instances officielles européennes et françaises à se positionner vis-à-vis des limites de la planète et de la « croissance zéro ». Une réunion de travail entre le Club de Rome et le Groupe des Dix est organisée par Jacques Robin et Aurelio Peccei à Paris, le 22 novembre 1972. À cette occasion, le premier élabore un document de travail à destination du Club de Rome15. Cette rencontre, ouverte à d’autres personnalités (Raymond Barre, Edmond Maire, Pierre Mendès France, Jacques Monod), est jugée instructive puisqu’elle a permis à chaque groupe de mieux comprendre le point de vue de l’autre et de mesurer la distance qui les sépare dans leurs approches et recommandations respectives :
« Nous avons pris conscience, explique Robin, des problèmes liés à une croissance quantitative excessive, à la démographie galopante, à la pollution industrielle […] De leur côté, les membres du Club de Rome ont paru surpris de l’importance que nous accordions à la nécessité de ne pas nous contenter d’une vision technocratique des problèmes mondiaux. Nous nous intéressions aux problèmes du sens, de la démocratie et aux questions relatives au vivant […] Ils parlaient [de politique], mais il s’agissait d’une politique dans le système économique en place […] Nous ne pouvions faire que quelques pas ensemble car, pour les responsables du Club de Rome, l’économie de marché était incontournable, et l’accroissement quantitatif des richesses devait être l’objectif final de toute société et de l’humanité » (Chamak, 1997, p. 54).
Robin (1975) va développer plus longuement ses critiques dans son ouvrage, De la croissance au développement humain, dont Passet (1974b) signe la préface. S’il y reconnaît « le mérite de tout premier ordre qu’a eu le Club de Rome, et particulièrement son animateur Aurelio Peccei, de faire comprendre avec le retentissement que l’on sait la nécessité d’établir une problématique mondiale liée à un modèle global de la croissance économique », Robin n’en souligne pas moins l’incomplétude de leurs diagnostics et l’insuffisance de leurs objectifs :
« La mentalité des principaux membres du Club de Rome, tout au moins jusqu’à présent, ne nous paraît pas façonnée pour appréhender avec succès des phénomènes complexes du vivant ; ces hommes sont avant tout des électroniciens, des physiciens, des économistes, des organisateurs, des mathématiciens, ils ont une vision encore limitée de la nature, envisagée trop souvent comme une mine ou une décharge ; leur Homo sapiens reste un Homo faber », un homme réduit à une seule dimension, « artisan d’un acte économique, le producteur d’une quantité croissante de biens qui ne parviendront jamais à satisfaire ses désirs de consommateur » (Robin, 1975, p. 37).
À cette vision jugée simpliste de la nature et de la nature humaine, Robin, qui se réfère au Paradigme perdu de Morin (1973), oppose la conception bio-anthropologique développée au sein du Groupe des Dix et reprend le diagnostic d’une triple crise : de l’espèce, de la société et de l’individu. Il critique aussi l’horizon temporel dessiné par Meadows et son équipe qui n’envisage « l’évolution des hommes et des sociétés […] qu’avec un faible recul : sur la seule période historique des deux derniers millénaires » (Robin, 1975, p. 37). La perspective temporelle que propose le Groupe des Dix est, au contraire, extrêmement longue puisqu’à image d’un André Leroi-Gourhan (1964) ou d’un François Meyer (1974)16, ils conçoivent le développement économique dans le prolongement de l’évolution biologique. L’idée qui transparaît sous la plume de Robin (1975, p. 95), mais aussi chez d’autres membres du Groupe des Dix, est l’avènement d’une nouvelle civilisation, d’une « société humaine post-néolithique ». La notion de « Révolution néolithique17 », proposée par l’archéo-écologue marxiste Vere Gordon Childe, correspond, à travers la domestication des animaux et des plantes, à l’instauration d’une « économie de production », que l’on peut opposer à l’économie de prédation des cueilleurs-chasseurs. Mais, avec le temps – et plus encore avec l’avènement du capitalisme et l’essor de ses formes contemporaines –, cette économie de production est devenue à son tour une « économie prédatrice18 ». Les penseurs du Groupe des Dix visent à définir les conditions du rétablissement de cette économie de (re)production et de son insertion dans des limites écologiques.
Robin dénonce aussi la focalisation du débat sur la croissance opérée par le Club de Rome19. Nombre d’auteurs ou de responsables politiques répondent, en effet, au « livre des limites », comme l’appelle Armand Petitjean (1974, p. 11), un penseur très proche de Robin, en parlant de la nécessité de mettre en œuvre une croissance plus humaine, plus équilibrée. Bien que Jacques Attali (1973) et Michel Rocard (1973) participent à un numéro spécial de La Nef consacré aux « objecteurs de croissance », dans lequel on trouve une des toutes premières occurrences du terme « décroissance » (Amar, 1973, p. 133), cette problématique n’est guère considérée par les membres du Groupe des Dix. Dans L’anti-économique, Attali et Guillaume (1974, p. 122) évoquent une « croissance consciente », parce que construite autour d’un consensus collectif, qui serait moins rapide, plus respectueuse de la nature et réductrice des inégalités sociales. Dans L’inflation au cœur, l’ouvrage qu’il signe avec Jacques Gallus, Rocard préfère parler d’une « croissance profonde », permettant « de donner aux individus et aux groupes le temps et la liberté d’esprit de créer leur vie et non plus de la subir » (Rocard et Gallus, 1975, p. 157).
Ainsi que l’indique le titre de son ouvrage, Robin (1975) met en avant la nécessité d’élargir ce débat et de réfléchir en termes de « développement humain » – avant d’être repris avec le succès que l’on sait par le Programme des Nations unies pour le développement dans les années 1990, le terme avait été utilisé dans les années 1930 par le mouvement personnaliste20 (Vernières, 2008). Robin désigne par là un développement multidimensionnel qui vise à « maintenir les conditions d’évolution des systèmes vivants et des systèmes écologiques, afin de permettre à la structure la plus complexe, l’espèce humaine, d’exercer toutes ses potentialités », en faisant émerger des structures encore plus complexes. Dans cette perspective, il s’agit, selon Robin (1975, p. 123), de maîtriser la croissance démographique, de viser à une diversification des environnements humains, à un « redéploiement contrôlé de l’économie », se traduisant par un ralentissement « accepté » de la croissance économique dans des pays industrialisés et des orientations nouvelles dans les pays en développement, avec le souci de l’intérêt des travailleurs. Il s’agit aussi de trouver de nouveaux relais de croissance et de développement dans l’information, et non plus dans l’énergie. Ce sont aussi d’autres rapports humains qu’il conviendrait d’instaurer, moins violents, moins dominateurs, et faisant plus de place à ce que Laborit (1970) appelle l’« homme imaginant ».
L’économie, une science du vivant ?
Les débats relatifs au développement amènent certains membres du Groupe des Dix à s’interroger sur les fondements et concepts de la discipline économique. Il est vrai que, comme ils le soulignent dans leurs écrits (Robin, 1975, p. 118 ; Rocard et Gallus, 1975, p. 133 ; Attali, 1975), le savoir économique est en crise au cours des années 1970, puisque les politiques keynésiennes qui ont été mises en œuvre pendant les Trente Glorieuses ne fonctionnent plus comme auparavant. La critique de la discipline est explicitement la raison d’être de L’anti-économique d’Attali et Guillaume (1974). C’est aussi l’objectif de Passet (1971) quand il publie un court article dans Le Monde, intitulé « Une science tronquée » : « Pollution, dégradation du milieu ambiant, violation des règles les plus élémentaires de la sécurité, exploitation abusive de ressources, insuffisance des équipements collectifs… cette jonction contemporaine de faits n’est pas le fruit capricieux du hasard. Elle constitue le résultat logique d’une série de décisions fondées sur le calcul économique où prédomine une certaine conception du rentable. L’économiste qui prend conscience de cette réalité s’aperçoit qu’il est au service d’une science tronquée dont les insuffisances, aujourd’hui éclatantes, l’invitent à un effort d’approfondissement et de remise en cause. » De fait, de nouvelles définitions de l’économie sont proposées par certains des membres du Groupe des Dix, qui trouvent leur source d’inspiration dans les sciences de la vie. Nous nous intéresserons ici aux propositions de René Passet et Joël de Rosnay21.
La bioéconomie de René Passet
Plusieurs textes de Passet (1974a, 1975a, 1979), publiés au cours de la décennie 1970, s’intitulent « L’économique et le vivant ». Ils témoignent que, de son point de vue, il y a clairement un « avant » et un « après » Groupe des Dix, qu’il y a, à la fois, rupture et continuité dans sa réflexion d’économiste du développement qu’il va inscrire dans un nouveau cadre, dans une « nouvelle grille », pour parler comme Laborit (1974), avec lequel il a noué une profonde amitié. Passet décrit, en effet, la « Révolution copernicienne » qu’il a connue, dans le sens où ce qui figurait jusqu’alors à la marge de ses travaux est venu se placer au centre de ses préoccupations. Ses écrits des années 1960 évoquent quelques références aux sciences de la vie, mais elles sont ponctuelles et indiquent seulement des pistes de recherche22. Les choses apparaissent tout autre dans « Une science tronquée », témoin des deux années passées au sein du Groupe des Dix, qui se conclut par l’affirmation suivante : « L’économie est d’abord une science de la vie » (Passet, 1971). La même phrase figure au tout début de L’économique et le vivant, l’opus magnum que Passet (1979) publie huit ans plus tard. L’affirmation est en filigrane des articles parus entre ces deux dates, qui ont pour point de départ, écrit Passet (1974a, p. 231 ; 1975a, p. 3), les « découvertes scientifiques effectuées depuis une vingtaine d’années dans les sciences du vivant ». La biologie23, l’écologie, mais aussi la neurologie – voir la note de lecture de Passet (1975b) sur La nouvelle grille de Laborit (1974) – vont nourrir sa réflexion, initiée dans ses travaux des années 1960, sur la rationalité économique et le champ de la discipline. Il y a toutefois un point important de divergence entre les deux hommes au sujet de ce que Passet (1975b, p. 859) appelle « le passage [de l’individuel] au social », en reprochant à Laborit de faire l’impasse sur les logiques et valeurs collectives à l’œuvre dans les comportements sociaux et les choix politiques, les réduisant, trop vite, à un jeu de mécanismes neuronaux24.
Passet (1975a) se réfère au Paradigme perdu de Morin (1973) et à la perspective unificatrice qu’elle trace entre les sciences de la nature et les sciences sociales, en vue de construire une véritable science de l’homme. Avec l’ouverture permise par les sciences du vivant, la question de l’être – qui est « la finalité évidente du vivant » (Passet, 1975a, p. 5) – est plus que jamais d’actualité. La rationalité économique, telle que la modélise l’économie standard, doit être confrontée à la conception du « cerveau triunique », décrite par Laborit, d’un cerveau humain « composé des trois éléments superposés dans l’ordre où ils se sont présentés dans l’évolution des espèces » (Passet, 1974b, p. 14), trois éléments – tronc cérébral, système limbique et néocortex25 – qui sont en interaction étroite, mais demeurent faiblement hiérarchisés entre eux. Dès lors, la prise de décision optimale de l’individu à l’aide de calculs des peines et des plaisirs, ainsi que la postule l’économie standard, ne peut être qu’un cas très particulier de ce qui guide nos modes de raisonnement et d’action. « L’économie telle que nous la connaissons, en conclut Passet (1975a, p. 9), n’est en définitive, pour l’essentiel, que la science de l’homme au cerveau limbique ; l’homme imaginant constitue pour elle une gêne au même titre que les pulsions primaires issues du cerveau reptilien. Elle nous apparaît comme une science mutilée. »
Il n’y a pas que le « rationnel » qui soit considéré par Passet au prisme des sciences du vivant, mais aussi le « relationnel » – une problématique, là encore, à laquelle il était déjà attentif dans ses travaux antérieurs d’économiste du développement. Dans le cas de l’homme, être n’a de sens que socialement, qu’en relation avec le groupe et ses valeurs (Passet, 1979, p. 113). C’est le social, « c’est “les autres”, écrit encore Passet (ibid.), les générations passées avec leur histoire et la société dans laquelle il vit », qui se trouvent dans l’individu, dans son code génétique, dans son système nerveux, son langage, ses comportements, son système de valeurs, etc.
Cela ne fait que confirmer, aux yeux de Passet, que les relations de l’être et de l’avoir, qui sont au fondement de l’économie, doivent être reconsidérées. Ce sont même, selon lui, les frontières de cette discipline qui doivent être redessinées. Cela, d’autant plus que l’impact des activités économiques sur la biosphère est tel, désormais, que toutes les ressources naturelles relèvent potentiellement de l’économique26. Ainsi, après avoir récusé la définition classique de la discipline proposée par Lionel Robbins, du fait qu’elle exclue une partie des objets sur lesquels l’économiste doit se pencher (le non-solvable, le non-reproductible, les « biens libres » constituant le milieu naturel), Passet (1975a, p. 11) en énonce une nouvelle : « Gérer un patrimoine énergétique, structurer, grâce au travail, de l’énergie par de l’information afin de la rendre utile à l’homme, telle nous semble être l’essence de l’acte économique. » Une telle perspective oblige l’économiste à s’intéresser à d’autres flux et stocks que ceux qu’il étudie habituellement. Passet en appelle à l’établissement de « comptes de l’écosphère », grâce notamment à des mesures énergétiques, qui seraient articulées avec les calculs monétaires réalisés dans le cadre de la comptabilité nationale27, une voie qui sera explorée par la suite en s’appuyant sur les travaux menés par des éco-énergéticiens nord-américains et français.
Le terme « bioéconomie », qui décrit cette approche, apparaît en 1979, dans L’économique et le vivant. Il n’est pas question, en effet, pour Passet de faire de l’économie de l’environnement : il préfère parler de « biosphère », au sens des écologues, et non, comme le font les économistes standards, d’environnement, qui ne se définit que par rapport à un système donné ; il entend, de plus, ne pas se cantonner à un champ de spécialisation, mais réfléchir à l’analyse économique dans son ensemble. De fait, suivant en cela l’argumentaire développé au sein du Groupe des Dix, au-delà de la biologie et des sciences du vivant, c’est la référence à la systémique qui lui importe avant tout. C’est ce qu’il précise dans la troisième partie de L’économique et le vivant où, au terme d’une discussion relative à l’intérêt et aux limites du recours à l’analogie biologique, Passet (1979, p. 211) revendique l’adoption d’un point de vue « organisationniste » et non « organiciste ». Cette perspective systémique, qui « dégage l’articulation des grandes fonctions qui permettent l’émergence d’une finalité globale, en interdépendance avec son environnement » (Passet, 1979, p. 15), transparaît pleinement à travers le célèbre schéma des trois sphères qui figure en introduction de L’économique et le vivant : la biosphère y apparaît comme un système englobant les systèmes sociaux, eux-mêmes englobant les systèmes économiques. Passet rejette la vision réductionniste de l’économie dominante qui privilégie la reproduction du capital et la rentabilité monétaire à court terme – ce que Passet va bientôt désigner comme la domination de « la logique des choses mortes » – et entend réguler la biosphère et la société par le sous-système économique et sa logique marchande. Passet en appelle, à l’inverse, à une « gestion normative sous contrainte » qui permette à la reproduction de la sphère économique d’être indissociable de la reproduction de la biosphère et des humains. L’organisation sociale et politique souhaitée par Passet (1979, p. 204) s’inspire, elle aussi, des enseignements de la systémique et du vivant. Après avoir reconnu le primat de l’utilité sociale, laquelle, selon lui, relève des valeurs et non de la science, il retient le principe de contrainte minimale avec une décentralisation par niveaux d’organisation et un bouclage de l’information et du contrôle allant du bas vers le haut.
La « bio-industrie » de Joël de Rosnay
« L’économie, une science de la vie » est une affirmation que l’on peut aussi lire sous la plume de Joël de Rosnay (1975, p. 148). Au moment où paraît Le macroscope, il vient de rentrer en France après avoir été, pendant de nombreuses années, enseignant-chercheur en biochimie et en informatique au Massachusetts Institute of Technology, une institution qui, comme il le rappelle dans son ouvrage, a joué un rôle central dans l’élaboration de la théorie des systèmes ; ce qui est aussi une façon d’inscrire ses travaux à la suite de ceux de Wiener, McCulloch et Forrester, qu’il a rencontré quand il était au MIT28. Au premier abord, Le macroscope, dont le titre reprend une expression de l’écologue Howard T. Odum (1971, p. 9), apparaît comme une introduction à l’approche systémique. De Rosnay, qui souligne l’extension progressive de la gamme des objets auxquels la systémique s’est intéressée, y passe en revue différents systèmes (cellule, organisme, écosystème, ville, entreprise…), dont il met en évidence les principes généraux d’organisation. Mais l’ouvrage fait aussi figure de manifeste managérial. Au-delà de la transdisciplinarité qui la caractérise, la systémique, telle que la conçoit de Rosnay (1975, p. 83), est une nouvelle méthodologie permettant de rassembler et d’organiser les connaissances en vue d’une plus grande efficacité d’action. Savoir, c’est pouvoir. L’auteur rappelle que l’étymologie du terme « cybernétique », inventé par Wiener, renvoie à l’art de conduire les hommes. Il faut avoir à l’esprit qu’en 1969 de Rosnay a été diplômé de la prestigieuse Sloan School of Management du MIT et qu’il a travaillé aux rapprochements entre science et industrie, à travers différentes responsabilités qu’il a occupées comme attaché scientifique auprès de l’Ambassade de France aux États-Unis entre 1968 et 1974 et au sein de l’Institut Pasteur au cours des années 1970 et 1980.
J. de Rosnay entend féconder l’écologie et l’économie grâce aux méthodes et raisonnements employés en biologie. L’étude du métabolisme – qu’il a beaucoup pratiqué au niveau cellulaire quand il s’est interrogé sur l’origine de la vie (de Rosnay, 1966) – permet à la fois de saisir les interactions avec l’environnement du système, son fonctionnement interne et ses mécanismes de régulation. De ce point de vue, l’écologie est présentée dans Le macroscope comme une « économie de la nature » (de Rosnay, 1975, p. 24), les écosystèmes apparaissent dotés d’une « industrie » bien organisée qui produit, consomme, distribue, décompose et recycle des éléments énergétiques et matériels. Symétriquement, en écho à Passet que cite de Rosnay (1975, p. 34), l’économie est vue comme un écosystème qui produit des biens et des services, tout en maintenant sa structure, en métabolisant les flux de matière et d’énergie qui le traversent. Joël de Rosnay en appelle ainsi à un dépassement de l’approche macroéconomique traditionnelle, en appréhendant l’énergie et la matière transformées par l’économie. Il est particulièrement intéressé par l’analyse éco-énergétique – dont il présente dans La Recherche les principales études réalisées aux États-Unis au début des années 1970, dans le domaine de l’agro-alimentaire, notamment (de Rosnay, 1974). À terme, selon lui, elle devrait permettre l’élaboration d’une sorte de « diététique » des systèmes. Pour opérationnaliser cette approche fonctionnaliste qui unifie économie et écologie, de Rosnay (1975, p. 149) entend considérer la kilocalorie comme une monnaie, une idée alors soutenue par Odum (1971), vis-à-vis de laquelle Passet (1975a, 1979) a pris ses distances, entendant articuler les approches énergétiques et monétaires, et non substituer les premières aux secondes.
Le rapprochement entre économie et écologie ne s’arrête pas là. Le macroscope est aussi porteur d’une nouvelle perspective en matière de croissance économique, dont la dynamique repose sur ce que de Rosnay (1973 ; 1975, p. 157) appelle la « bio-industrie », un terme qui recouvre un ensemble de secteurs industriels portés par les biotechnologies et les avancées de la biologie. Il s’agit à la fois de faire de la cellule une usine – la métaphore qui figurait dans son petit ouvrage de vulgarisation sur Les origines de la vie, publié dix ans auparavant29, prend désormais une autre signification – et de mobiliser la biomasse pour produire de l’énergie, des produits chimiques et des nouveaux matériaux, ce qui est aussi désigné aujourd’hui par le terme de bioéconomie (OCDE, 2009), mais dans un sens différent de la conception dessinée par Passet. Cette nouvelle « révolution agricole et industrielle », prédite par l’auteur du Macroscope, doit permettre de résoudre la faim dans le monde – de Rosnay (1973) insistant ainsi sur les promesses de fixation d’azote –, tout en insérant l’économie dans la biosphère.
Dans Le macroscope, cette « révolution » s’inscrit, en effet, dans la « pensée des limites » du premier rapport au Club de Rome. Ainsi, dans le dernier chapitre de l’ouvrage, qui s’intitule « Scénario pour un monde, notes de voyage en écosocialisme », de Rosnay (1975, p. 277) imagine que les « écocitoyens » vivant en l’an 8 de l’après « grande crise des économies mondiales » ont choisi lors du premier référendum électronique organisé sur des terminaux individuels une longue citation de Dennis Meadows plutôt qu’un hymne national ! En accord avec ce dernier et son équipe du MIT, de Rosnay indique que le grand défi de toutes les disciplines traditionnelles – et cela s’adresse tout particulièrement à l’économie30 – est d’« élaborer le projet d’une société qui trouve ses ressorts matériels et son attrait dans l’état d’équilibre ». Une régulation en « temps réel » étant permise – entendons, un ajustement de la production aux besoins, un recyclage des déchets… – grâce aux systèmes d’information et de communication qui sont en train de se développer dans les économies modernes, dont de Rosnay (1975, p. 178) pense qu’ils constitueront bientôt de véritables « services publics ».
Mais, assez rapidement, ces perspectives d’« économie stationnaire », d’« économie d’équilibre » vont s’estomper. C’est ce qui apparaît clairement dans Biotechnologies et bio-industrie rédigé par de Rosnay (1979), qui est une annexe au rapport « Sciences de la vie et Société » de François Gros, François Jacob et Pierre Royer (1979), remis au Président de la République. Après l’élection de François Mitterrand à cette présidence, le Centre d’étude sur les systèmes et les technologiques avancées (Cesta) est créé, sous l’impulsion de Jacques Attali et de Joël de Rosnay. Si, à la suite d’une suggestion de Jacques Robin, cette institution accueille le groupe Science/Culture, qui entend continuer à faire vivre l’esprit des Dix, elle est surtout une institution au service de la réflexion stratégique et de la politique industrielle de l’État (Chamak, 1997, p. 255). Un de ses axes apparaît clairement dans le numéro spécial de la Revue d’économie industrielle consacré à la bio-industrie, dans lequel de Rosnay (1981) publie un article sur des recherches effectuées au sein de l’Institut Pasteur dans le domaine des biotechnologies. La préface de cette publication, signée par Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de la Recherche et de la Technologie, dont on sait qu’il se montre très critique vis-à-vis de l’obscurantisme que constituent à ses yeux les mouvements écologistes (Bonneuil et Thomas, 2009, p. 337), témoigne d’une mobilisation forte des moyens publics et privés autour du secteur des biotechnologies en vue de susciter un relais de croissance, dont on espère qu’il permettra de sortir de la crise qui frappe l’économie française depuis le milieu des années 1970. J. de Rosnay, qui a aussi inspiré à cette époque le virage biotechnologique de l’Inra31, s’affirme alors, pour reprendre l’expression de Alphandéry et al. (1993, p. 121), comme « le Fourastié du XXIe siècle ».
Conclusion
Même s’il semble passer rapidement au second plan, le questionnement initial du Groupe des Dix – relier heuristiquement les questions scientifiques et politiques – n’a jamais complètement disparu des préoccupations de certains de ses membres. Il est au cœur des interrogations relatives à la notion de développement qui occupent nombre de leurs écrits traitant d’économie. S’y exprime généralement l’idée qu’une mutation majeure de l’humanité est en cours, qu’une « société post-néolithique » est en train d’advenir, se traduisant par une dynamique économique qui ne repose plus sur l’énergie, comme cela a été le cas jusqu’à maintenant, mais sur l’information, grâce à l’essor des biotechnologies et de l’informatique ; ce qui devrait permettre une dématérialisation du métabolisme social, une thèse sur laquelle sont revenus depuis certains des membres du Groupe des Dix.
Si, dans ces écrits économiques des Dix, on note la nécessité de recourir au langage systémique et de mettre en dialogue les sciences de l’homme et de la société et les sciences de la nature pour appréhender cette dynamique socioéconomique mondiale, les perspectives dessinées par les uns et les autres divergent quelque peu. Une manière de les appréhender, qui fait écho avec des débats contemporains, est de s’intéresser aux différentes conceptions de la bioéconomie qui sont ainsi développées32.
La première est la bioéconomie, au sens de René Passet. Elle se présente comme un cadre d’analyse économique renouvelé qui découle d’une redéfinition de l’activité économique reposant sur la mise en forme – et Passet d’insister sur la racine latine (informare) du terme information – de la matière et de l’énergie pour répondre aux besoins humains. La nécessité de la reproduction des différents systèmes à considérer (biosphère, sphère des activités sociales et sphère économique) amène Passet à définir un jeu de contraintes emboîtées destinées à guider les trajectoires de développement des sociétés contemporaines. Cette vision, qui est considérée comme pionnière de l’économie écologique33, préfigure la perspective du développement durable34 qui émergera au sein des instances internationales, à la fin des années 1980, si ce n’est qu’elle indique clairement la nécessité de faire respecter une hiérarchie de normes et de valeurs encadrant le capitalisme, fort éloignée de l’approche en termes de « trois piliers », héritée du monde du management d’entreprise, qui a fini par s’imposer. Passet veille ainsi à ce que, tout en étant une science de la vie, l’économie demeure politique.
La seconde conception est la bioéconomie au sens de Joël de Rosnay. Au sein du Groupe des Dix, nul mieux que lui n’a annoncé avec des accents aussi prophétiques la perspective d’une révolution industrielle d’un nouveau genre, portée par l’essor et le déploiement, dans divers domaines, des biotechnologies. Dans les années 1970, elles sont vues comme étant susceptibles de réconcilier l’économie et l’écologie. Mais, bien vite, grâce à elles, fin des Trente Glorieuses et recherche de compétitivité de l’économie nationale obligent, il va s’agir, avant tout, d’enclencher un nouveau cycle long de croissance et de développement, ce qu’on appelle un cycle Kondratieff ; le cinquième, en l’occurrence, que l’on peut identifier depuis le début de la Révolution industrielle. Offrant la vision d’une société réconciliée avec la biosphère grâce à des évolutions techniques majeures, la bio-industrie que de Rosnay appelle de ses vœux ressemble ainsi fort à la bioéconomie au sens où la définit l’OCDE (2009) à l’horizon 2030, à savoir un avatar de la croissance verte qui repose sur la mobilisation et l’exploitation intensive de la ressource végétale par des grands groupes industriels et des macroacteurs du secteur des biotechnologies.
Remerciements
Je remercie Brigitte Chamak pour m’avoir donné accès à ses archives sur le Groupe des Dix. Je remercie Henry Dicks et Bruno Villalba pour leur lecture attentive et leurs conseils. Je remercie de même les évaluateurs anonymes. Cette recherche s’inscrit dans un des volets du programme BIOCA financé par le PSDR4 et la Région Grand Est.
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Le Groupe des Dix était composé initialement de : Robert Buron, Jacques Robin, Edgar Morin, Henri Laborit, Gérard Rosenthal, Jack Baillet, Jacques Sauvan, Jean-François Boissel, Françoise Coblence, Bernard Weber et Alain Laurent. René Passet, David Rousset et Jacques Piette les rejoignirent en 1969, Joël de Rosnay en 1971. En 1972, arriveront Henri Atlan, Jacques Attali et Henri Leroi-Gourhan et, en 1973, Michel Serres, Odette Thibault et Michel Rocard.
Ce n’est évidemment pas la première fois qu’une telle assertion est faite, comme le note Passet (1979, p. 7), en évoquant, par exemple, Alfred Marshall et ses Principles of economics publiés en 1890.
« La notion de développement fonde son évidence sur […] la notion biologique dont elle est l’extrapolation […] Mais chaque développement biologique est la répétition d’un développement précédent inscrit génétiquement, et ainsi de suite. C’est le retour cyclique d’un passé, et non la construction inédite d’un avenir » Morin (1977, p. 241).
« Évolution ou révolution ? Telle est la question qui se pose au vu de ces transformations », écrit Passet (1957, p. 20). Laborit (1968) parle aussi d’automation, en notant qu’elle peut favoriser, d’un côté, une existence humaine de plus en plus technicisée et, de l’autre, qu’elle porte la promesse d’une libération de l’individu grâce à la machine, ce qui lui permettrait d’utiliser toutes les possibilités de son imagination.
Proche des milieux royalistes dans sa jeunesse, il se rallie à la démocratie chrétienne à la fin des années 1930. Il est, après la guerre, un des fondateurs du MRP. Il est ministre de onze gouvernements gaullistes de 1949 à 1962. Engagé dans la décolonisation, il s’éloigne alors de la démocratie chrétienne pour se rapprocher de la mouvance socialiste. Voir le compte rendu de Lagrée (1994) de l’ouvrage de M. Launay, Robert Buron.
Voir « Objectif 72 et le Tiers-Monde », l’annexe 2 de l’ouvrage de Buron et al. (1970, p. 225-253).
« L’existence de telles discontinuités est générale. On les retrouve tout particulièrement dans les sciences physiques », écrit Passet (1965, p. 264).
Passet (1965, p. 289) précise que les raisons en sont différentes en France au XIXe siècle et dans les « pays les plus typiquement sous-développés actuellement ». Dans le premier cas, « le salaire étant proche du minimum vital, tout abaissement obligeait les ménages ouvriers à offrir plus de travail pour assurer leur survie ». Dans le second, « le salarié, habitué à gagner ce qui est strictement nécessaire à son existence, vit et pense au jour le jour. Les notions de confort, d’établissement des enfants, n’entrent pas dans son horizon temporel. En cas de hausse des salaires, il choisit le bien qui est le plus à sa portée : le loisir ».
« Si nous disposions d’une science générale de l’homme ou anthropologie, je ne dis pas qu’une politique, qu’une morale pourrait être déduite de cette connaissance […], mais au moins, les choix et les décisions pourraient être éclairés. Si cette anthropologie existait, on aurait très certainement conscience que les problèmes de l’homme sont ceux d’un être qui vit sur plusieurs dimensions à la fois. « L’homme » signifie en réalité trois choses apparemment dissociées : l’individu, la société, l’espèce », Morin (1968, p. 7).
« En 1968, le docteur Jacques Robin forme un groupe d’échanges et de discussions, constitué principalement par des biologistes et des cybernéticiens, auquel il me convie. Là, tandis que Robin m’oriente inlassablement vers de nouvelles lectures, Jacques Sauvan et Henri Laborit me font découvrir que la cybernétique, loin d’être une réduction simpliste à des schèmes mécanistes (comme je le croyais), constitue au contraire une introduction à la complexité », Morin (1973, p. 12).
Sur l’origine et le sens de cette notion, voir l’article « Néolithique » dans le Dictionnaire de la préhistoire dirigé par Leroi-Gourhan (1988).
À propos de l’homme, Leroi-Gourhan (1964, p. 260) écrit : « Son économie reste celle d’un Mammifère hautement prédateur même après le passage à l’agriculture et à l’élevage. À partir de ce point, […] l’homme devient l’instrument d’une ascension technico-économique à laquelle il prête ses idées et ses bras […] L’homme y gagne d’assurer progressivement une prise de possession du monde naturel qui doit […] se terminer par une victoire totale, la dernière poche de pétrole vidée pour cuire la dernière poignée d’herbe mangée avec le dernier rat. Une telle perspective est moins une utopie que la constatation des propriétés singulières de l’économie humaine. »
On peut toutefois noter que Meadows et al. (1972, p. 295) écrivent : « Développement et environnement doivent absolument être traités comme un seul et même problème. »
Bartoli (2007, p. 12) rappelle que, dans le « Manifeste » d’Emmanuel Mounier, est jugée personnaliste « toute doctrine, toute civilisation affirmant le primat de la personne humaine sur les nécessités matérielles et sur les appareils collectifs qui soutiennent son développement ». La nécessité de « mettre l’économie au service de l’homme » est omniprésente dans ce mouvement, auquel participa François Perroux à partir du milieu des années 1930.
« Il serait intéressant de rechercher dans quelle mesure certaines caractéristiques psychologiques analysées par les économistes s’expliquent par les facteurs purement physiologiques mis en évidence par les biologistes » (Passet, 1965, note 3, p. 266).
Passet (1975a) cite La logique du vivant de François Jacob (1970). Passet (1979, p. 255) se réfère à nouveau à cet ouvrage, ainsi qu’à ceux de Laborit, Leroi-Gourhan, Lwoff, Monod, Robin, de Rosnay, Ruffié, etc.
En se référant à La nouvelle grille de Laborit (1974), Passet (1975b, p. 860-861) écrit : « Si on admet avec lui qu’une société, comme tout organisme, a pour finalité de maintenir et de reproduire sa structure, on insistera peut-être un peu plus sur le fait que – contrairement à ce qui se passe au niveau de la cellule – la façon d’affirmer cette finalité ouvre le débat sur de multiples conceptions de l’utilité sociale dont aucune ne peut entièrement découler d’une démonstration scientifique stricte. »
Passet (1974b, p. 14) les décrit ainsi : le tronc cérébral, héritage du cerveau reptilien, assure la coordination entre pulsion de survie et milieu environnant ; le système limbique, héritage des cerveaux des mammifères, siège principal de la mémoire et des automatismes ; le cortex associatif (ou néo-cortex), propre aux mammifères supérieurs, siège de l’imagination, de la création, de l’innovation.
« Il n’y a, peut-on dire sans paradoxe, que des biens économiques », écrit Passet (1975a, p. 11), ajoutant dans une note en bas de page : « Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a que des activités économiques ».
Passet (1975a, p. 15) évoque à ce propos les travaux de Leontief (1971). Par la suite, Passet (1979) fait aussi référence aux travaux éco-énergétiques de Pimentel et Hurd (1975), Deléage et al. (1978), ainsi qu’aux bilans-matière dressés par Ayres et Kneese (1969). Passet évoque l’échange entre Marx et Engels au sujet des propositions éco-énergétiques de Sergueï Podolinsky, une question à laquelle il consacrera un article (Passet, 1985). Rappelons que la Commission interministérielle des comptes du patrimoine naturel sera créée en France en 1979 et rendra son rapport en 1986.
De Rosnay (1975, p. 86) en résume ainsi les grandes étapes : les recherches cybernétiques de Norbert Wiener et Arthur Rosenblueth dans les années 1940 ouvrent la voie à l’automation et à l’informatique ; les études de bionique de Warren McCulloch dans les années 1950 ; la dynamique des systèmes développée par Jay Forrester, dans le domaine des entreprises et des villes, dans les années 1960-1970, qui servira de base au modèle utilisé par l’équipe de Dennis Meadows pour le premier rapport au Club de Rome.
« Nous avons vu que le métabolisme – cette “micro-industrie cellulaire” – s’effectuait par l’intermédiaire d’enzymes » de Rosnay (1966, p. 82).
Dans la citation de Meadows, reprise par de Rosnay (1975, p. 277), on peut lire notamment : « Il n’y a pas actuellement de théorie économique d’une société fondée sur la technologie où les taux d’intérêt se ramènent à zéro, où le capital productif ne tende pas à l’accumulation, et où le principal souci soit celui de l’égalité, plutôt que de la croissance. »
Bonneuil et Thomas (2009, p. 335) soulignent l’importance des rencontres entre Joël de Rosnay et Jacques Poly, qui dirige l’Inra à la fin des années 1970, au sujet notamment de l’idée d’« agriculture à valeur ajoutée biologique optimale » qui permet de présenter les biotechnologies comme la solution aux problèmes environnementaux et énergétiques. Elle a surtout permis à l’Inra de se repositionner, au cours des années 1970-1980, dans le mouvement porteur des biotechnologies.
Martinez-Alier (2008, p. 115) déclare : « Je crois que Passet a été le premier à montrer de façon graphique l’économie comme sous-système d’un système plus ample. »
Passet rééditera L’économique et le vivant en 1996 en le présentant comme un ouvrage précurseur du développement durable. Passet (1996, p. X) précise toutefois : « Le développement durable n’est pas une question comme les autres, à côté des autres. Il exprime un passage aux limites à travers lequel se transforme le jeu des lois économiques. »
Citation de l’article : Vivien F.-D., 2019. L’économie au prisme du Groupe des Dix : d’une bioéconomie l’autre. Nat. Sci. Soc. 27, 2, 147-158.
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