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Nat. Sci. Soc.
Volume 27, Number 2, Avril/Juin 2019
Dossier « Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité »
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Page(s) | 178 - 190 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2019035 | |
Published online | 13 September 2019 |
Dossier : Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité – Des modèles pour comprendre la complexité des systèmes urbains. Apports et apories autour de l’ouvrage L’homme et la ville d’Henri Laborit★
Models to understand the complexity of urban systems. Contributions and aporia around the book The Man and the City of Henri Laborit
1
Philosophie, anthropologie, Université de Rennes, EHESP, CNRS, UMR6051 Arenes,
Rennes, France
2
Anthropologie, urbanisme, California Center for Sustainable communities, Institute of the Environment and Sustainability, UCLA,
Los Angeles, États-Unis
* Auteur correspondant : cyrille.harpet@ehesp.fr
Reçu :
2
Novembre
2017
Accepté :
6
Mai
2019
Henri Laborit, neurochirurgien spécialiste du stress organique et membre du Groupe des Dix, est l’auteur d’une expérience pédagogique et scientifique interdisciplinaire à l’université de Paris-Vincennes, auprès d’urbanistes. Son ouvrage L’homme et la ville (1971) présente la ville comme un écosystème complexe dans lequel l’homme exerce des relations de domination dans l’histoire (rapports de classes, de races, de nations, etc.) et ce sous la commande d’un cerveau archaïque. Mais la ville peut-elle être comparée à un organisme vivant ? À un cerveau ? À une machine ? L’approche systémique et la théorie cybernétique, partagées par d’autres membres du Groupe des Dix, permet une analyse des systèmes complexes, des sociétés cellulaires aux sociétés humaines (Edgar Morin), du microscope au macroscope (Joël de Rosnay). Mais le système ville reste une « production » humaine, un anthropo-écosystème, alors que son évolution dite « en tendance » compromet les équilibres sociaux, économiques et écologiques. Quels modèles d’organisation peuvent réguler un métabolisme urbain durable ?
Abstract
Henri Laborit, a neuro-biologist and surgeon specializing in stresses to organisms and a member of the Groupe des Dix, is the author of an interdisciplinary pedagogical and scientific experiment with urban planners at the University of Paris-Vincennes. His book L’Homme et la ville (1971) describes the city as a complex eco-system in which man exercises dominant relations in history (class, race, nation, etc. relationships) under the control of an archaic brain. But can the city be compared to a living organism? Does it have a brain? Is it a machine? The systemic approach and the cybernetic theory, shared by other members of the Groupe des Dix, allows an analysis of complex systems, from cellular societies to human societies (Edgar Morin), from the microscope to the macroscope (Joël de Rosnay). But the city system remains a human “production”, an anthropo-ecosystem, while its evolutionary “trend” is made up of social, economic and ecological equilibria. What organizational models are able to regulate a sustainable urban metabolism?
Mots clés : Groupe des Dix / Henri Laborit / ville / métabolisme urbain / systèmes complexes
Key words: Groupe des Dix / Henri Laborit / city / urban metabolism / complex systems
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2019
Laborit est reconnu par les membres du Groupe des Dix comme ayant introduit une interdisciplinarité audacieuse. Il aura en particulier contribué à inculquer ce que Joël de Rosnay nomme « la multidisciplinarité de l’approche, l’aspect très ouvert du groupe et l’absence de contraintes. Ce qui me plaisait le plus, c’était le côté “libéré des disciplines traditionnelles”. Nous n’arrivions pas en tant que chimiste, biologiste ou philosophe, mais en tant que membre du Groupe des Dix pour réfléchir à l’avenir » (Chamak, 1997, p. 146). Le plus grand saut épistémologique réalisé par Laborit est celui qu’il opère avec son ouvrage L’homme et la ville (1971). Résultat d’une série de séminaires d’enseignement qu’il anima entre 1968 et 1973 à l’Institut d’urbanisme de l’université de Vincennes, cet ouvrage démontre que l’approche systémique s’applique pour tout niveau d’organisation, depuis les structures cellulaires jusqu’aux sociétés humaines. Le saut de la neurobiologie vers l’urbanisme est un pari pédagogique autant que scientifique (Harpet, 20151). La richesse de L’homme et la ville sert ici de cadre d’analyse des modèles descriptifs et explicatifs usités pour comprendre le fonctionnement des systèmes urbains, lesquels répondent à des lois fondamentales que les membres du Groupe des Dix ont interrogées à l’échelle des sociétés humaines.
Cet article se propose ainsi de situer les acquis scientifiques puisés dans les sciences émergentes de la seconde moitié du XXe siècle par Laborit, et leur diffusion au sein du Groupe des Dix. Mais au-delà de ce bref historique des sciences, c’est toute la conception biologique des déterminismes sociaux qui positionne Laborit au regard des travaux de certains membres du Groupe des Dix. Réciproquement, dans quelle mesure Laborit aurait-il bénéficié des apports de ses membres ? Et en particulier de Joël de Rosnay et Edgar Morin ? L’idée de modèle et de ses applications à tous types de systèmes (vivants ou non) guide les discussions engagées par ces auteurs. La méthodologie des modèles sert de cadre de référence pour Laborit dans l’exercice d’une analyse cybernétique et systémique du fonctionnement et de l’évolution de la ville. Dans une première partie, nous aborderons le modèle dit organique à travers l’analogie de la ville établie avec les systèmes vivants. L’urbanisme et la biologie sont deux disciplines ayant connu dans l’histoire des sciences des correspondances inégales en termes conceptuels ou méthodologiques. C’est surtout par le truchement d’analogies entre organisme vivant et armature urbaine que l’urbanisme a recouru aux figures et modèles biologiques et physiologiques. Ce statut de l’analogie dans la conception scientifique interpelle les membres du Groupe des Dix et ouvre les controverses. Pourtant, nous observerons dans une deuxième partie que le recours à des systèmes techniques corrobore l’usage des analogies, mais cette fois dans un cadre théorique plus élaboré qu’est celui de la cybernétique et des systèmes d’information. La théorie des systèmes a permis de sortir des cloisonnements disciplinaires pour appréhender chacun des niveaux d’organisation des systèmes biologiques, sociaux, techniques et écologiques à l’aide d’une grille de lecture rendant possible la compréhension des mécanismes d’interactions et de régulations entre eux. Le système urbain, objet de l’ouvrage L’homme et la ville, est ainsi décortiqué dans sa complexité avec la mise en évidence des boucles de régulation entre effecteurs (les groupes humains), sans que toutefois les équilibres soient maintenus dans les civilisations urbaines. Laborit décrit un processus d’évolution « en tendance » (c’est-à-dire avec rétroaction positive)2 dans les termes de la cybernétique, où les phénomènes de ruptures conséquentes (sociales, économiques, politiques, écologiques, sanitaires) interdisent le maintien ou la restauration des équilibres. Quel modèle de fonctionnement pourrait assurer un tel équilibre urbain ? Celui, biologique, des organismes vivants, celui des systèmes techniques du pilotage cybernétique ou d’une écologie urbaine ? La troisième partie explore alors le modèle écologique comme servant désormais à définir des régulations d’un système urbain au nom de nouveaux équilibres entre l’homme et l’environnement local et global. Laborit a amorcé des débats au sein du Groupe des Dix sur les régulations à trouver quant au fonctionnement des systèmes urbains au regard des écosystèmes naturels. Ces régulations seraient essentiellement socio-politiques, ce sur quoi aboutit la dernière partie de cet article. Les comportements individuels et collectifs sont déterminés par une structure cérébrale de type archaïque, alors que la société informationnelle devrait ériger un nouveau modèle de connaissance à même d’assurer une évolution « en constance » (Laborit, 1973).
La ville au regard des modèles organiques
L’analyse des systèmes urbains qu’établit Laborit dans L’homme et la ville s’appuie sur le principe que toute réalisation humaine est sous-tendue par les mêmes déterminismes neurophysiologiques. Autrement dit, la ville est une organisation ne mobilisant pas seulement des connaissances architecturales et urbanistiques, mais surtout requérant la connaissance du fonctionnement neurocérébral de l’homme et des interactions. Le défi relevé à l’université de Vincennes entre 1968 et 1973 dans ce séminaire insolite consiste à réunir un public d’architectes-urbanistes pour transférer des connaissances issues de la neurobiologie, des théories de l’information et de la cybernétique. L’écart entre les disciplines que sont l’urbanisme et la biologie est tel que le cheminement intellectuel pour y parvenir requiert un cadre théorique ou un schéma conceptuel suffisamment convaincant. Il est vrai que leurs objets se distinguent par leurs caractéristiques, l’urbanisme concernant l’édification des habitats humains collectifs et la biologie la connaissance des organismes vivants (des micro-organismes aux macro-organismes). Entre le domaine de « l’inerte » (la construction, l’aménagement des habitats) et celui du « vivant », des correspondances ont été établies et ce dès les modèles antiques puis modernes (Vitruve, Ildefonso Cerdà, Geddes, Le Corbusier). Ces emprunts de l’une à l’autre des sciences manquent de rigueur, mais signifient la recherche persistante d’un modèle de conception normative.
Ce manque de rigueur a été souligné par Michel Serres : les usages importés de termes scientifiques en provenance d’un champ scientifique et destinés à un autre champ étaient fréquents, voire intempestifs lors des discussions au sein du Groupe des Dix. « Ce qui me gênait dans le Groupe des Dix, c’était le manque de savants durs » et, surtout, l’extension indue de concepts scientifiques rigoureux : la notion de symbiose, par exemple, ne se manipule pas n’importe comment.
Mais, au-delà des exigences de rigueur scientifique, l’intérêt et l’apport des analogies utilisées, ou encore des métaphores, résident dans un schéma soit explicatif du fonctionnement d’un phénomène (par souci pédagogique), soit normatif pour en définir des conditions de fonctionnement (par intérêt pragmatique). Recourir à l’analogie présente une valeur heuristique, voire d’innovation, en rapprochant deux domaines de connaissances ou deux phénomènes séparés : cellule vivante et machine, atmosphère terrestre et serre de jardin, cerveau humain et ordinateur. Quel est le statut de l’analogie et de la métaphore parmi quelques membres du Groupe des Dix ?
La ville peut-elle être comparée à un organisme vivant, au sens de caractéristiques morphologiques, de propriétés biologiques et physiologiques ? Laborit refuse l’analogie de la ville avec toute forme d’organisme vivant, avec fonctions, organes et structures, considérant qu’il s’agit tout au plus d’une « sécrétion » (un effet) des sociétés humaines. Comparer l’objet « ville » à un organisme induirait une confusion entre « effecteur » (le groupe humain) et « effet » (le résultat) dans un schéma systémique. La ville est en outre le terrain d’expression des luttes sociales, l’« espace politique » sur lequel se révèlent les formes archaïques des comportements (de dominance), alors que le cerveau informationnel trouverait au sein des villes de quoi développer ses facultés imaginatives. De leur côté, Joël de Rosnay (1975) et Edgar Morin (1973) hésitent moins à se servir des analogies avec d’autres systèmes, tantôt « cérébral » (la ville comme un vaste cerveau), tantôt « écologique » (un écosystème complexe).
Sans conforter une vision « organique » de la ville, Laborit recentre son propos sur la ville comme résultat d’une projection de comportements collectifs quasi programmés par notre système cérébral. La structure du cerveau en oriente les modalités d’organisation par le fameux déterminisme de type reptilien et archaïque, dont l’héritage historique n’a cessé de reconduire les mêmes schémas de rapports de domination dans les sociétés humaines. Il en appelle à la structure imaginative et néocorticale pour établir un système de pilotage et d’évolution « en constance » et pour en réguler les actuels fourvoiements (une évolution « en tendance »). Sans assimiler la ville à un « super-organisme », ni même à un « super-cerveau », Laborit raisonne en termes de système de pilotage et de régulations par une structure de type « servomécanisme » extérieure au système ville. Autrement dit, le cerveau qui doit en guider l’organisation doit être informé de son propre fonctionnement (une connaissance neurobiologique) pour sortir des déterminismes acquis, ainsi que des grandes lois de régulation des systèmes sur chacun des plans d’organisation (de la cellule aux sociétés humaines et aux écosystèmes). Il est rejoint en partie par de Rosnay dans l’analyse cybernétique établie dans Le macroscope (1975) pour chacun des niveaux d’organisation, de la cellule à la ville. Le macroscope permit à de Rosnay de montrer « comment la société fonctionne comme une sorte d’organisme vivant avec toutes les parenthèses et les guillemets qu’il faut y mettre », puis jusqu’à la conception d’un macro-cerveau ou macro-ordinateur reliant l’ensemble des hommes entre eux (Le cerveau planétaire, 1988) et de recourir à la métaphore d’un organisme planétaire avec le « cybionte » (p. 154, de Rosnay, in Chamak, 1997) dans L’homme symbiotique (1995) (la symbionomie, réunissant la théorie des ensembles, la question du vivant et des lois du fonctionnement des écosystèmes).
De Rosnay franchit ainsi le pas non assumé par Laborit de considérer le système urbain en tant que « super-organisme », en recourant toutefois aux théories de l’auto-organisation et de la dynamique des systèmes complexes. De Rosnay se prononce pour que cette loi de la nature qu’est la propriété de symbiose (une vie en partenariat et harmonie entre des systèmes incompatibles entre eux, avec mise en commun de moyens pour survivre) puisse s’appliquer dans l’organisation des sociétés humaines (Chamak, 1997, p. 157), sans pour autant réduire les comportements humains et donc la liberté et la responsabilité humaine à des mécanismes de nature biologique.
La limite de l’analogie entre ville et organisme vivant tient à ce que l’entité urbaine ne dispose pas de sa propre finalité, comme d’un seul tenant, et formant ainsi un seul corps collectif, qui aurait pour finalité le maintien de sa propre structure (Laborit, 1971, p. 22). La démonstration de Laborit repose sur le postulat que la ville est une « production », une fabrication, voire une « sécrétion » de l’homme, et ne peut être sous-tendue vers une finalité autre que ce que les hommes lui fixent (Laborit, 1971, p. 27). Ensuite, cela suppose qu’un système de guidage, de pilotage, soit circonscrit : quel serait le « cerveau urbain » ? De Rosnay n’hésite pas à développer ses idées sur les diverses fabrications de cerveaux similaires à ceux des humains, dans des machines, puis à l’échelle planétaire (le cerveau planétaire), non plus biologique ou humain, mais hybride, à la fois électronique, mécanique et biologique (Chamak, 1997, p. 154).
C’est à Edgar Morin que l’on doit reconnaître l’analyse du changement de paradigme dans la conception des systèmes complexes. La découverte et l’apprentissage de la cybernétique à travers les discussions avec Henri Laborit ouvrent l’auteur de Le paradigme perdu : la nature humaine (1973) à l’analyse de la complexité des systèmes et de toute organisation, vivante ou non. Morin rappelle que la théorie de l’information, avec Shannon (1949), et la cybernétique, avec Wiener (1948), permettent ce franchissement des cloisonnements disciplinaires (ou des strates des domaines scientifiques, classés en trois sphères non communicantes : homme-culture, vie-nature, physique-chimie).
L’auteur souligne ainsi que la nouvelle biologie pouvait à la fois recourir à des propriétés physico-chimiques (une « ouverture vers le bas »), mais aussi instaurer des liaisons avec « les formes d’organisation métabiologiques (la machine, la société, l’homme) » (une « ouverture vers le haut ») (Morin, 1973, p. 25-26). Cette position est celle du Morin de la première heure, acquis au cadre théorique de l’auteur majeur de la cybernétique, Norbert Wiener, mais aussi des neurophysiologistes (Rosenblueth, Mc Culloch, Lorente de Nô) pour définir des mécanismes communs de régulation et de contrôle dans les systèmes de communication du vivant ou des machines.
Le modèle « organique » de la ville, fondé sur des analogies entre formes et constituants ou fonctions des cités humaines, a vu une série de métaphores organicistes et même animistes comparer l’espace urbain à un organisme vivant et ce depuis l’Antiquité. Sont souvent adoptés les termes de tissu urbain, de cœur, d’artères, de centre névralgique en rapport avec l’anatomie humaine, ce qui renforce la thèse de Catalán (2011) sur les métaphores corporelles. La finalité première était le principe d’imitation de ce qui devait incarner équilibre et harmonie dans la nature et le divin (le célèbre dessin de De Vinci, L’homme de Vitruve, est une représentation de la Renaissance de la métrique des proportions idéales). Foucault en a qualifié l’importance dans la constitution des sciences, formant une épistémè, dans Les mots et les choses (1966), l’analogie étant l’une des quatre similitudes composant « la prose du monde ». Il y a bien une persistance de ces métaphores urbaines en littérature comme dans les discours scientifiques, mais les orientations prises depuis l’époque classique sont notablement technicistes, avec une finalité de rendement et de fonctionnalité. Enfin, les rapports de similitude portent sur des éléments trop hétérogènes pour être assimilables. Refusant l’analogie ville-organisme, Laborit use toutefois d’analogies physiologique et chimique avec les termes de « flux », de « signaux », à la manière des frères Odum et d’un Forrester. Enfin, l’urbanisme fonctionnel et physiologique de Laborit ignore la dimension spatiale, absente ou simple variable, oubli observé aussi chez Forrester (1969).
Le Groupe des Dix n’a pas manqué de se départir des limites des analogies, mais y a trouvé toutefois le ressort d’une pensée féconde. L’analogie autorise le transfert formaliste d’une relation entre éléments d’un registre connu à un registre nouveau, par abstraction des contenus des éléments et de leurs rapports, d’où ses usages pédagogique et heuristique. L’articulation entre deux entités que sont la cité humaine et l’organisme rapproche deux champs disciplinaires aussi éloignés, en termes d’objets et de méthodes (la ville comme objet de l’architecture et de l’urbanisme ; le système organique dans toutes ses composantes) et en termes de niveaux d’organisation (un méta-niveau des sociétés humaines pour la ville ; un méta-niveau pour le cerveau et le système nerveux central pour un organisme vivant). La même limite se posera avec les analogies technicistes et mécanistes, et, plus généralement, avec les nouveaux systèmes technologiques.
Dans ce registre, le changement de paradigme opéré avec l’émergence des sciences de l’information et de la cybernétique est relevé par le Groupe des Dix à l’unanimité. Les premiers adeptes de cette « nouvelle grille » que sont de Rosnay, Morin et Atlan reconnaissent en Henri Laborit leur principal instigateur d’un réel changement de paradigme (Morin, 1973 ; de Rosnay, 1995a ; Passet, 1995 ; Chamak, 1997). Ce dernier avait entrepris de démontrer que l’apport de la théorie de l’information, de la cybernétique et de la théorie des systèmes rendait possible une compréhension globale des phénomènes complexes, depuis les niveaux d’organisation infracellulaire jusqu’à ceux des sociétés humaines, en passant par les régulations physiologiques des organismes vivants. Sans avoir à l’esprit les travaux de Herbert Simon, il en reprenait ainsi la thèse majeure (Simon, 1962), offrant les raisons non analogiques (sur des bases possiblement évolutionnaires) pour lesquelles les systèmes complexes vivants et sociaux seraient structurés par niveaux et ainsi décomposables en systèmes et sous-systèmes3. Chacun des membres du groupe reconnaît ainsi qu’il se situe le mieux au carrefour des disciplines par l’entremise de la théorie des systèmes. Les modèles biologiques peuvent ainsi servir dans la représentation des interfaces entre organismes vivants et composantes physiques des milieux (dans une ouverture vers le bas, pour reprendre le schéma d’Edgar Morin), puis dans la compréhension des interactions entre organismes vivants et organisations collectives. La ville, dans l’ouvrage de Laborit, constitue un système propice pour une telle modélisation des interactions complexes, si ce n’est que c’est la structure des comportements (et les déterminismes neurobiologiques) qui en guide l’analyse et non le fonctionnement urbain en tant que système physique et informationnel.
La ville au regard des modèles techniques : cybernétique et théorie de l’information
Les modèles dit organiques ont toutefois été contemporains d’autres modèles pour la représentation des formes et organisations des cités humaines. Les modèles mécaniques ou plus généralement techniques ont ainsi guidé nombre de conceptions et de systèmes d’intelligibilité du monde. Pour le philosophe Jean Ladrière (1984), trois générations successives de modèles de corps-machine seraient observables dans le processus de l’évolution cognitive : le premier modèle est celui associant une machine simple à un corps mécanique (treuils, leviers…) ; le deuxième est fondé sur la machine thermodynamique (machine à vapeur) ; le troisième sur les machines à traiter de l’information (machines cybernétiques). La ville, ou la cité urbaine, peut-elle ainsi être comparée à une machine ? En ne considérant que le premier modèle mécaniste, régi par des forces motrices humaines ou animales, il correspond à une organisation urbaine focalisée sur l’occupation spatiale, l’infrastructure matérielle des fondations et des circulations physiques (voirie, édifices, équipements). Ce pourrait être la ville « automate » animée d’une motricité sans autonomie machinique. En considérant le deuxième modèle, des énergies déployées, il a servi notamment pour explorer les conditions de développement des technologies remplaçant les activités mécaniques et l’augmentation des capacités de rendement. Le XIXe siècle aura ainsi vu naître les équipements de production (usines, centrales à charbon, véhicules motorisés) dont les capacités de rendement seront comptabilisées dans une nouvelle économie de la performance, celle d’une ville « thermodynamique ». Le troisième modèle, celui de la machine informationnelle, caractérise spécifiquement le XXe siècle, avec une refonte totale des méthodes scientifiques en traitant les signaux et informations inscrits dans de nouveaux systèmes de langage (en biologie, en physique, en sociologie, en psychologie, etc.). Il ne s’agit plus seulement de champs de forces, d’énergies, mais de signaux émis, transmis, échangés, traduits. C’est assurément sur ce modèle que porte l’attention des membres du Groupe des Dix et en particulier de Laborit. Armé de ses connaissances de la théorie de l’information de Shannon, de la cybernétique de Wiener, il engage une analyse systémique des régulations induites par l’effecteur principal qu’est l’homme. La cybernétique pour Laborit a l’intérêt de configurer des ensembles d’éléments relevant de niveaux d’organisation distincts, mais tous reliés et en interaction : « Quand j’ai eu observé des quantités d’ensembles, je me suis aperçu qu’ils s’emboîtaient les uns dans les autres », et l’auteur en vient à circonscrire des ensembles englobés et englobants (de la molécule à l’organisme, voire à une société d’organismes), un principe de régulation par feed-back, une évolution dans le temps (durée entre l’effet produit par un facteur et la durée de réaction sur le facteur)4. Cet exercice se concrétise à travers la formalisation « des schémas représentatifs des relations existant entre chaque niveau d’organisation, c’est-à-dire entre chaque ensemble régulé » (Laborit, 1963, p. 120). Laborit reprend ainsi la trajectoire d’un Herbert Simon, parcourant les niveaux d’organisation, de la molécule à la biosphère, mais en passant par la neurobiologie5. Leur point de divergence est celui pour lequel Simon doute de la néguentropie6 du soleil (Simon, 1962).
Le système urbain constitue une sorte de rupture dans ses travaux, puisqu’il applique cette fois à une organisation sociale les grands principes hérités de cette approche transversale. La ville, ou l’organisation des grandes cités urbaines, se présente comme un nouveau terrain d’exercice pour le neurophysiologiste. Système d’organisation complexe, la ville devient un éco-sociosystème prompt à être étudié à partir de la grille de lecture qu’offre la théorie des systèmes. Reprenant ainsi le cadre théorique qui guide ses travaux depuis les années 1970, Laborit tente l’expérience pédagogique et scientifique au sein de la toute récente unité d’enseignement « Biologie et urbanisme » de l’université de Paris-Vincennes (Harpet, 2015). L’exercice se veut didactique en premier lieu : appliquer les principes de l’approche cybernétique, considérant les trois éléments d’un processus vivant reliant effecteur, facteur et effet (fig. 1).
Le premier modèle utilisé est celui du cerveau trilobé de Mac Lean, pour développer le schéma explicatif des comportements individuels et collectifs qui guideraient l’organisation des sociétés humaines et animales. À la différence près que toute société humaine dispose d’une caractéristique unique, la différenciant des autres sociétés, celle de voir tout individu être constitué d’un néocortex ou cerveau associatif particulièrement développé. Le modèle n’est plus organique à proprement parler, ni biologique, mais neurocérébral et cognitif. Ce cerveau des fonctions imaginatives et innovantes est le gage d’une capacité de s’extraire des comportements automatiques archaïques. Il se différencie du système limbique, dit aussi cerveau des automatismes créés par l’apprentissage et la mémorisation des habitudes. Or, la capacité imaginative et associative est peu mobilisée pour penser les organisations sociales autrement qu’en termes de relations de pouvoir, de rapports dominants-dominés, explique Laborit. Autrement dit, le fonctionnement des sociétés urbaines ressortit d’un schéma d’automatismes archaïques des comportements individuels et collectifs. Le caractère inédit du propos de l’ouvrage L’homme et la ville et de la réflexion de Laborit au sein du Groupe des Dix tient à ceci : l’évolution des sociétés humaines est abordée à travers le prisme des bases fondamentales en biologie des comportements individuels et collectifs.
Chacun des membres du Groupe des Dix reconnaît alors à Laborit d’avoir introduit les éléments de connaissance de la théorie de l’information et de la cybernétique dans la compréhension des mécanismes de régulation et d’interactions entre les niveaux d’organisation (de la molécule aux écosystèmes, de la cellule aux organisations sociales).
L’apport essentiel de Laborit consiste à s’emparer des notions de feed-back (rétroaction) et de système régulé au même titre qu’Edgar Morin, pour les appliquer à l’ensemble des systèmes vivants. Avec Grey Walters, Ross Ashby, Pierre de Latil, Albert Ducrocq, Louis Couffignal, Jacques Sauvan, il participe à l’émergence de la pensée cybernétique et à son application à la biologie. Les molécules dont il sera le découvreur7 servent de « régulateurs du métabolisme ou du fonctionnement du cerveau » (de Rosnay, 1995b). Ce point est fondamental pour comprendre le sens des recherches de Laborit et l’originalité de la cybernétique française par rapport à son homologue nord-américaine. Des chercheurs se sont investis dans cette voie originale, tels que Jean-Pierre Dupuy (1982) (notion d’auto-organisation), Ronan Le Roux (2010), Francisco Varela, Humberto Maturana (notion d’autopoïèse) et Henri Atlan (1972), étudiant comment les systèmes évoluent et créent de nouvelles structures. Laborit occupe une place très spécifique dans ce courant par une approche expérimentale en éthologie animale, d’une part, et dans la pratique médicale, d’autre part, avec le recours aux premiers neuroleptiques pour réguler les désordres psychosomatiques.
Le modèle informationnel sert de cadre conceptuel pour analyser la complexité des interactions et rétroactions entre les niveaux d’organisation, ouvrant une rupture majeure avec les modèles précédents : « L’information n’est qu’information, elle n’est ni masse ni énergie » (Wiener, 1948).
Laborit opte pour une ville en tant que grand pôle de centralisation des flux d’informations. La société informationnelle est au cœur du cercle de réflexion du Groupe des Dix. Avec son ouvrage, peu connu, La société informationnelle : idées pour l’autogestion (1973), Laborit participe au débat sur la crise du pétrole en prônant comme solution le remplacement de l’énergie de la force de travail par le traitement de l’information. La véritable « plus-value de pouvoir est la part informationnelle contenue dans le produit du travail humain », renforçant soit les structures hiérarchiques préexistantes, soit donnant à tous la plus grande autonomie dans la participation au projet commun. La posture de cybernéticien de Laborit auprès du Groupe des Dix s’inscrit dans cette détermination des forces et pouvoirs de contrôle et régulation par l’information. L’analogie entre machine informationnelle et structure neurobiologique du cerveau est bien établie, avec les possibles rétroactions et boucles de régulation des systèmes artificiels et vivants. Et c’est à l’effecteur humain, agissant et imaginant, qu’est adressée la capacité de réguler les orientations prises pour la conception et l’organisation urbaines. Edgar Morin reconnaît avoir appris de Laborit à considérer la cybernétique autrement que « comme une façon de mécaniser le vivant », mais plutôt comme une façon novatrice de concevoir l’organisation du vivant (Chamak, 1997, p. 225). Traitant de la grande ville dans les derniers chapitres de Le paradigme perdu, la comparant à un grand cerveau humain, Morin (1973) s’appuie lui aussi sur la théorie de Mac Lean d’un cerveau triadique pour entériner l’idée d’une hiérarchisation forte ou fixe entre les trois niveaux cérébraux. Sur ce point précis, il se démarque de Laborit, car il n’accorde pas à cette partie archaïque et reptilienne du cerveau la fonction majeure de pilotage de nos actions. Il défend plutôt d’emblée l’idée d’une « pensée complexe » qui s’émancipe avec la modernité. Enfin, Morin reprend la question de la lutte des classes dans l’histoire, sans l’ancrer spécifiquement sur les formes de ségrégations spatiales et sociales dans les centres urbains.
Mais, dans un second temps, Edgar Morin remettra en question cette légitimité de l’analogie entre organisme et machine, l’erreur fondamentale consistant, selon lui, à considérer comme identiques le vivant (et autres formes de physis) et les machines artificielles. Les organismes vivants ont cette propriété d’autoproduction, alors que les machines sont produites par les humains (alloproduction) (Morin, 2008, volume 1 de La méthode). Et l’homme conserve cette fonction imaginaire, chez Laborit comme chez Morin, qui le distingue des animaux.
Enfin, la cybernétique permet de concevoir des systèmes techniques qui s’auto-organisent en fonction de leurs possibilités propres et de l’environnement dans lequel ils évoluent. Laborit n’a pas approfondi cet angle d’approche sur les rétroactions induites par le milieu urbain sur les populations. Si le système urbain modifie l’environnement, en toute logique, l’environnement modifié induit des effets en retour, des rétroactions sur le système urbain. Jacques Sauvan, autre membre du Groupe des Dix, avait expliqué que des systèmes techniques allaient jusqu’à modifier « leur perception de l’environnement en fonction des actions plus ou moins importantes que l’environnement avait sur eux, qui ne se contentaient pas d’annuler les informations, mais les traitaient d’une façon différente de manière à pouvoir se rééquilibrer » (Chamak, 1997, p. 112). La limite d’un tel système autonome est la répétition des mêmes réponses dans les conditions identiques, donc sans réelle capacité d’innovation et de surcroît d’émergence (propriété nouvelle dont rien ne permet de penser qu’elle existait séparément dans chacun des éléments d’un système. Définition reprise de Jacques Sauvan, in Chamak, 1997, p. 115). Toutefois, les systèmes urbains sont caractérisés par une évolution « en tendance » qui risque d’obérer les équilibres biologiques si aucune régulation n’est établie : en d’autres termes, le métabolisme urbain peut-il être pensé dans les mêmes termes qu’un système écologique ?
Fig. 1 Schéma d’un système régulé (inspiré de Pierre de Latil, 1953). |
La ville au regard du modèle écologique
Henri Laborit entreprend en outre d’inscrire le système urbain dans une échelle d’organisation globale, celle de la biosphère. Il intègre ainsi la dimension écologique au travers d’un inventaire des « facteurs » (dits facteurs écologiques) que sont essentiellement les pollutions générées par les activités industrielles et donc d’origine humaine. C’est une conception de « chimiste » qui le distingue des travaux de l’économiste Georgescu-Roegen (1971), lequel suggère que la destruction physique de l’information structurelle logée dans les matériaux à énergie fossile crée une forme d’irréversibilité radicale (entropie).
L’environnement naturel désigné par Laborit (nommé « nature ») est un système régulé dans lequel l’homme s’inscrit en tant qu’appartenant à ce système. Il devient alors un objet d’analyse des régulations et des dérégulations, ainsi que des régulations correctrices. Si Laborit n’entend pas s’appuyer sur le modèle organique et biologique, ni écologique, pour qualifier la ville, c’est, en se portant sur l’analyse cybernétique, pour en décoder les modalités de contrôle des processus vivants (Laborit, 1971, p. 108-109). Pour ne pas céder aux tentations anthropomorphiques, qualifiant ici la nature de « bonne » ou l’homme de « mauvais », Laborit rappelle la dynamique des rapports instables entre l’homme et le milieu, un équilibre instable et fragile à restaurer pour maintenir « notre autonomie motrice à l’égard du milieu ». Il rejoint en cela, dans un autre registre, la théorie du chimiste Ilya Prigogine (1947) sur les systèmes dits loin de l’équilibre. En outre, l’enjeu écologique se joue à l’échelle planétaire, poursuit Laborit, et oblige à considérer les rapports écologiques entre la société industrielle et la biosphère. Et donc de bien différencier écologie générale (planétaire et le processus d’urbanisation) et écologie locale (l’urbanisme).
Sans revendiquer un modèle écologique pour la ville, Laborit soulève dès 1971 le phénomène de l’élévation de la température globale (1971, p. 117) et donc de la capacité de l’homme d’altérer le climat global au cours du XXIe siècle. Pour Laborit, « parler d’écologie urbaine » revient à parler d’urbanisme, dans la mesure où l’environnement bâti, la ville, constitue l’environnement spécifiquement humain. Cet environnement urbain a de spécifique d’assurer une protection contre les formes d’agressions hostiles et de répondre à ses besoins premiers (en théorie), et de solliciter majoritairement les besoins gouvernés par le système limbique, le cerveau de l’apprentissage et de l’affectivité, celui des automatismes acquis (Laborit, 1971, p. 119).
Laborit n’explore pas l’environnement urbain au sens écologique, dans la déclinaison des éléments composant son environnement physique. C’est donc essentiellement sur le registre socio-économique et politique que se positionne Laborit, passant rapidement sur les effets écologiques générés par l’urbanisme. Il énonce seulement une perspective de recherche scientifique sur les écosystèmes et leur fonctionnement (exigeant « l’emploi de machines complexes et de modèles »), et souligne l’intérêt d’une valorisation énergétique des déchets des industries modernes. S’il ne revendique pas ainsi une écologie urbaine, ni même un métabolisme urbain au sens d’une analogie avec le fonctionnement d’un écosystème, Laborit a toutefois reconnu l’importance du bouclage des cycles matières-énergies. Ainsi, sans prononcer les termes, il promeut ici les prémices d’une écologie industrielle consistant « à découvrir comment les déchets d’une industrie pourraient être la matière première d’une autre industrie à initier » (p. 115), de telle façon que le travail humain sur la matière aboutisse en définitive à des corps simples, faciles à recycler dans les grands cycles de la biosphère : le cycle de l’eau, de l’oxygène, du carbone, de l’azote et des minéraux dont on connaît assez précisément aujourd’hui les mécanismes (Scientific American8 cité par Laborit, 1971, p. 171). Et d’interroger : « Le comportement thermodynamique de la biosphère n’est-il pas un exemple à suivre pour les industries humaines ? » (Laborit, 1971). Mais ne cède-t-il pas à une représentation déjà contestée par les travaux de l’économiste Georgescu-Roegen qui, dès 1971, démontre le caractère irréversible et entropique (consommateur d’énergie) pour ces pratiques de recyclage par décomposition vers les éléments simples puis recomposition ? Ainsi Laborit recourt-il implicitement à une série de modèles techniques que sont ceux de la thermodynamique, puis de la cybernétique pour les régulations urbaines.
De Rosnay a bien intégré ces travaux dans l’approche systémique qu’il promeut avec Le macroscope, démontrant que la ville fonctionne comme un système ouvert, mais dont les organismes « décomposeurs » − d’une importance fondamentale dans les écosystèmes naturels − sont absents ou quasi absents (comme ils sont absents du système économique). En outre, il démontre les relations de dépendance qu’entretiennent les cités urbaines avec les territoires extérieurs quant à l’approvisionnement en matières et en énergie. C’est le point de différenciation entre systèmes urbains « hétérotrophes » et systèmes naturels dits « autotrophes » pour reprendre les termes de l’écologue américain Howard T. Odum (1953, 1967, 1971). Les analyses des écologues systémiques convergent sur cette analyse des « extrants » (déchets, effluents, sous-produits) et sur la pollution et l’entropie du système qui rompent les grands équilibres. La ville fonctionnerait comme « en dehors » des lois élémentaires de la thermodynamique et de l’écologie et loin des états d’équilibre (Allen et Sanglier, 1978). Le fonctionnement présenté par Laborit comme « en tendance » dans les termes de la cybernétique, pour toute organisation humaine, sans régulation par rétroaction négative, se retrouve dans la croissance exponentielle des systèmes urbains. Toute la difficulté reste dans la définition du seuil de croissance, interne au cycle urbain (la ville se reconstituant sur elle-même) ou externe (la ville en expansion). Dans les deux options, se pose à nouveaux frais la question de l’évolution d’un système telle qu’énoncée par Laborit : évolution « en tendance » (le but de l’effecteur est d’atteindre un niveau maximum d’effet) ou évolution « en constance » (le but de l’effecteur est d’atteindre une valeur fixe de l’effet). Comment établir un niveau ou seuil d’équilibre pour un système urbain ? Et quelle finalité viser ? Une littérature dédiée à la définition de seuils écologiques est désormais abondante (à titre d’exemple, la densité de consommation des ressources, d’émission de déchets, de pollutions dans les compartiments, dont notamment les émissions de gaz à effet de serre ; cf. Randall, 2003).
Il se trouve enfin un point de raccordement très net entre l’analyse d’une évolution « en tendance » signalée par Laborit et la notion de croissance exponentielle dans les sociétés modernes admise par les membres du Groupe des Dix et les membres du Club de Rome. En effet, rappelle Jacques Robin, les « problèmes liés à la croissance quantitative excessive, à la démographie galopante, à la pollution industrielle » sont observables à l’échelle globale et planétaire, mais aussi à l’échelle des systèmes urbains (Robin, 1975). L’ouvrage majeur du Club de Rome, « Halte à la croissance » (1972) reflétait l’avancée de l’écologie scientifique et des capacités de mesure des impacts afférents aux activités humaines en termes de pressions anthropiques sur l’environnement global. Les ouvrages de Laborit (L’homme et la ville), de de Rosnay (Le macroscope) et de Morin (Le paradigme perdu) portent sur les déterminants et les déterminismes qui guident les choix de société selon une évolution « en tendance ». Là où les membres du Groupe des Dix et du Club de Rome divergeaient, c’était, pour les premiers, la question du sens et des finalités du modèle de société industrielle, alors que, pour les seconds, il s’agissait d’une approche technocratique des problèmes mondiaux (Chamak, 1997, p. 54). Aussi, que ce soit à l’échelle planétaire ou à l’échelle locale d’une ville, se pose la question de la fixation des limites et des régulations. Celles observées par Laborit et ses comparses sont d’ordre socio-politique.
La ville et les régulations socio-politiques
C’est à l’auteur du Macroscope, de Rosnay, que l’on doit la description la plus appuyée d’un métabolisme urbain, mais limité aux activités économiques. En établissant le fonctionnement seulement en termes de flux, stocks et régulations matières-énergie, l’auteur n’opère pas de comparaison entre circulation et échange de ressources et pressions anthropiques sur les écosystèmes. Sans forger un modèle d’écologie urbaine, au sens des interactions entre organismes et milieux, il se situe entre une économétrie classique (promue par la Commission Cowles en 1951) et une bioéconomie naissante (Georgescu-Roegen, 1971). Cette économie des flux matières-énergie avait été développée par Wolman (1965) et Odum (1973) et servira de référence pour une déclinaison des futures conceptions d’écologie urbaine (ville durable, éco-cités, smart-cities), territoriale et industrielle.
Laborit ne s’en tient pas plus à une analyse précise du métabolisme matériel du système urbain, préférant y déceler les phénomènes socio-politiques qui en orientent les trajectoires, celles des disparités et segmentations, voire ségrégations urbaines entre populations. Il n’engage pas d’analyse systémique des flux et stocks de matières-énergie qui transitent et façonnent la ville, à la différence d’écologues urbains américains, pionniers et héritiers (Tansley, 1935 ; Lindeman, 1942 ; Newman, 1975 ; Boyden, 1979). La ville chez Laborit est surtout structurée par des rapports de force dont les effecteurs (acteurs sociaux) sont pris dans des relations de dominants-dominés. Certes, il a visé un horizon socio-politique, voire bio-politiques (1970), en rappelant les déterminismes biologiques de luttes qui orientent les actions individuelles et collectives. Mais le fonctionnement de la ville en tant qu’entité matérielle et énergétique, en tant que système doté d’un métabolisme est en partie subsumé sous la catégorie des régulations socio-politiques et non écologiques. Il oriente son propos sur une structure de concentration et de diffusion massive d’informations, structure socio-économique, « ville marchandise » (Laborit, 1971, p. 159). La ville est un moyen, non une fin, utilisé par la société humaine (l’effecteur social) pour maintenir sa structure socio-économique jusqu’à l’accroître, dans une régulation « en tendance », non « en constance ». L’expansion urbaine en est une conséquence, avec pour corrélats des segmentations socio-économiques et spatiales (des rapports de classes).
Une partie de l’analyse de L’homme et la ville porte sur la circulation et la distribution des ressources matérielles en ville, signant le fonctionnement des sociétés humaines avant d’être celle des écosystèmes. Les déséquilibres systémiques observés sur l’ensemble des mondes urbains risquent d’aboutir à des situations de ruptures (sociales, économiques, politiques, écologiques). La raison première en serait le mode de fonctionnement du premier effecteur, le cerveau archaïque humain, et l’évolution « en tendance » du processus de régulation (en termes cybernétiques) qui empêche la fixation d’autre finalité que le maintien des structures existantes par des rapports de domination. La ville, lue sous l’angle des relations de dominance entre individus, renforce la distribution des normes sociales et du maintien des hiérarchies. Laborit explique que le système cérébral limbique a cette propriété d’intégrer des règles pour maintenir la structure d’un ensemble. D’où ces structures urbaines qui reconduisent spatialement des ségrégations de classes, organisées par des minorités détentrices des pouvoirs (hérités, transmis) reconduisant des dominations de classes. Aussi ne doit-on pas s’étonner des inégales répartitions systématiques des ressources matérielles et désormais des ressources informationnelles.
Laborit retient le terme de « ville » du fait de la fonction politique de cet espace. Certes, il a pour socle d’analyse les comportements humains à travers une lecture neurobiologique, dont il fait varier les mécanismes pour expliquer l’édification des villes par des rapports de force entre groupes humains. Délaissant l’approche spatiale d’un système urbain, il focalise sur les politiques qui en régulent les rapports socio-économiques. En cela, il se rapproche d’une lecture anthropologique à la manière d’Edgar Morin (Le paradigme perdu) avec la dimension symbolique, sensible et mémorielle en moins (le système limbique). De Rosnay, de son côté, est orienté vers une approche du métabolisme urbain plus fortement prononcée, dont Le macroscope marquera l’aboutissement. Mais il manque, à notre sens, le fait urbain en tant que système d’organisation « méso » dont les pressions écologiques s’amplifient par l’urbanisation expansive et les modes de vie et de consommation. Aucun des membres ne s’en remet à une approche géographique des systèmes urbains, alors qu’elle émerge dans les années 1970 (Brunet, 1979).
Il ressort que l’une des facettes du Groupe des Dix, réunissant surtout des biologistes et spécialistes des systèmes d’informations, soit la faiblesse d’une vision historique et géographique de l’histoire urbaine. Ceci vaut aussi pour les membres du Club de Rome, alors contemporain, puisqu’en dehors de la profondeur historique de l’anthropologue Leroi-Gourhan, peu sont enclins à en explorer les processus évolutifs. Essentiellement, tous ont accepté la ville comme un état de fait de société. Alors qu’ils montraient une curiosité pour comprendre comment fonctionne la ville, puis pour remonter à l’organisation sociale humaine qui résulte de la structure cérébrale de l’homme, chacun semble avoir minimisé l’impact de la Révolution industrielle sur la capacité de créer des villes très différentes et plus complexes que ce qui avait été créé auparavant. Pourtant, il est avéré que la révolution technologique et urbaine, rendue possible par l’exploitation des combustibles fossiles, a profondément et radicalement transformé les milieux pour approvisionner des villes (McNeill, 2000).
Par contre, il faut reconnaître à ces groupes de réflexion soit une vision prospective, construite sur des approches contrastées scientifiquement (une transdisciplinarité) pour le Groupe des Dix et au fait des avancées dans des domaines émergents, soit sur une méthode de modélisation élaborée pour des scénarios du futur avec le rapport du Club de Rome (Forrester, 1969 ; Meadows et al., 1972).
Il est notable aussi que le Groupe des Dix ne se penche pas sur les conditions et l’organisation d’approvisionnement et des modes de production, en dehors des travaux de de Rosnay, plus au fait des activités énergétiques et économiques, ou encore de René Passet. Les membres du Groupe des Dix reconnaissent l’importance de la situation socio-politique, mais sans nécessairement insister sur la poussée démographique, sur la montée du capitalisme et des capacités des entreprises à traiter, transporter des marchandises vers les villes en pleine croissance. Aujourd’hui, avec la concentration croissante de la population dans les villes, il devient essentiel de comprendre comment les villes s’approvisionnent sur des distances de plus en plus éloignées et génèrent des impacts plus conséquents sur l’environnement (la mondialisation). En outre, la façon dont les ressources sont utilisées à travers les villes révèle d’importantes inégalités. Le recours à des systèmes d’information géographique (SIG) pour cartographier l’utilisation des ressources adaptée aux caractéristiques de l’environnement construit (âge, taille, utilisation des bâtiments) et aux caractéristiques sociodémographiques des populations (niveau de vie, origine ethnique) révèle comment les villes contemporaines distribuent et consomment ces ressources. Souvent, cette distribution est directement liée à la richesse. Si Laborit et quelques membres du Groupe des Dix signalaient un certain intérêt pour les questions d’inégalité de fonctionnement des villes, c’était en somme parce qu’elles reflétaient une certaine structure de comportement (cérébral ici, cognitif là). En substance, Laborit et Morin auront d’une certaine façon « naturalisé » la ville industrielle comme un reflet des structures neuronales humaines plutôt que comme le résultat d’un phénomène politique et économique, tiré par les organisations sociales, les morphologies urbaines (Mandelbrot, 1977 ; Batty et Longley, 1986), les systèmes politiques et les règles économiques. Les fertilisations croisées entre domaines d’analyse scientifique prendront forme dans les groupes de discussion, donnant lieu à des publications ultérieures parmi lesquelles celles de Jacques Robin (1975 ; 1989) et de René Passet (1979 ; 1996) sur la gestion des ressources naturelles et l’économie de l’environnement.
Conclusion
À travers l’ouvrage L’homme et la ville de Laborit, nous avons tenté de mettre en exergue les points de discussion et de diffusion des idées engagés avec certains membres du Groupe des Dix. Cet ouvrage marque un tournant dans les travaux du neurobiologiste, réunissant les apports de différentes disciplines et de cadres théoriques émergents autour du système « ville ». À quels modèles peuvent se rattacher les tentatives de description, de compréhension et de conception des cités urbaines ? L’un de ces modèles est-il préférentiellement adapté pour orienter les décisions vers un système stable, en équilibre, voire de durabilité ? Les modèles recourant aux flux matières-énergie, signaux et informations ont été largement adoptés dans une logique de formalisation par équations et avec des régimes transitoires vers un équilibre (Eugene Odum ; Jay Wright Forrester ; Dennis Meadows ; Henri Laborit). Nous sommes proches de modèles mécanistes, énergétiques et informationnels pour représenter le fonctionnement du système « ville ». Pour autant, le modèle organique aura servi les premières tentatives d’une mise aux normes des formes urbaines imitant des proportions dans la nature, et ce dès l’Antiquité. Les analogies entre la ville et un organisme vivant utilisées par un de Rosnay ou un Morin, voire un Passet au sein du Groupe des Dix, portent sur des fonctions et certaines lois d’évolution comparables pour une démarche heuristique, sans réelle rigueur scientifique. La limite de ce modèle tient à l’autodétermination des organismes vivants qui ne peut ni qualifier ni caractériser un système urbain. L’autre modèle suscitant les analogies est celui du cerveau, un modèle neurobiologique, pour lequel la ville serait dotée des moyens de gérer des flux d’informations pour interagir avec l’environnement. Il s’agit en fait d’un modèle de type technique au sens où la théorie cybernétique établit des lois de pilotage et de prise de décision passant par un traitement d’informations régulées. C’est à ce modèle en particulier que les principaux membres se réfèrent pour dessiner le socle des nouvelles connaissances utiles à la compréhension de la complexité du monde. La société informationnelle vers laquelle tend l’ensemble des productions de connaissances va progressivement remplacer les systèmes techniques des modèles mécaniques et thermodynamiques. Ajoutons que le modèle neurobiologique du cerveau guide Laborit et ses acolytes du Groupe des Dix vers une analyse des comportements individuels et collectifs quant à leurs déterminismes. Toutefois, un modèle reste à explorer, celui forgé sur la base des connaissances fondamentales du fonctionnement des écosystèmes naturels. Chacun des membres du Groupe des Dix intègre les enjeux écologiques dans les nouvelles formes de régulation attendues pour restaurer des équilibres. Les systèmes urbains en expansion suivent ainsi l’évolution « en tendance » que connaissent les rapports humains dans leurs formes de domination déterminées par une structure archaïque cérébrale. Le processus d’expansion urbaine, au-delà des discours, va connaître ensuite une modélisation largement employée pour orienter les décisions publiques : le travail pionnier de Henderson (1974, 1988) établit les lois formelles de relation entre économies externes d’échelle (spécialisation économique des activités) et avec les effets de congestion, coûts des migrations alternantes et pression foncière.
Là où l’auteur de L’homme et la ville parvient à affirmer une posture véritablement interdisciplinaire, c’est dans la transposition d’un schéma d’analyse du système neurobiologique (la structure cérébrale) à l’organisation de la cité humaine. En s’appuyant sur les comportements sociopolitiques régis par un certain déterminisme des rapports de domination, il retrace l’histoire de la ville pour en montrer l’évolution « en tendance » susceptible de compromettre les grands équilibres sur chacun des niveaux d’organisation (biologique, sociologique, économique, écologique). Si la régulation doit être entretenue par notre propre capacité cognitive à comprendre les déterminismes comportementaux qui nous guident, il s’agirait de définir quel servomécanisme serait à instaurer. La panoplie des modèles de référence pour la conception d’un système urbain est en somme effleurée et aurait mérité un approfondissement (Harpet, 2017). Mais il ressort que le modèle cybernétique s’applique pour les membres du groupe à toute organisation, signalant une rupture épistémologique majeure influençant tous les domaines de la science. Pour tout système, les principes d’équilibre dynamique (homéostasie), de régulation, d’auto-organisation, d’échanges d’informations indépendamment des échanges de matières et d’énergie et enfin d’un servomécanisme (système de contrôle) assurant les régulations sont applicables de la cellule à la société humaine. À ce propos, notons que l’approche américaine, d’esprit libéral, table davantage sur le principe d’auto-organisation que sur un servomécanisme à consigne externe, alors que les mêmes formalisations traduisent ces régimes transitoires. Cette vision marque un certain tropisme : en effet, l’influence idéologique transparaît à la fois dans les allusions de Laborit à l’URSS (soulignant que la production n’a pas à être au service d’une classe dominante) et dans la qualification de la cybernétique, tour à tour « science du peuple » et « science bourgeoise ». La tension URSS-USA forme un contexte géopolitique significatif de la naissance du Groupe des Dix avec la formation de réseaux scientifiques à l’est comme à l’ouest (Segal, 2003 ; Triclot, 2006)9.
Le métabolisme urbain, pris au sens d’une vision écologique des régulations entre organismes vivants et milieux de vie, constitue un niveau d’organisation, un système « méso » à la fois mi-naturel mi-artificiel. Mais quelle régulation de l’évolution « en tendance » est susceptible de limiter de grands déséquilibres écologiques ? La recherche d’un tel système de régulation a été tentée par des successeurs de Laborit, dans divers domaines éloignés de l’urbanisme, tels qu’en physiologie (Bernard Calvino, spécialiste de la douleur), en neurologie (Edmond Escuret, Robert Dantzer et Michel Le Moal du Laboratoire de neurobiologie du comportement de l’université de Bordeaux). Rares sont les aménagistes et urbanistes citant Laborit dans leur conception d’une nouvelle écologie urbaine (en dehors de Nicolas Schöffer, 1972). Pourtant, de Rosnay cite la vision systémique de l’auteur de L’homme et la ville, « qui aura inspiré de nombreux architectes, urbanologues, sociologues concernés par les villes du futur. La référence à la biologie fait maintenant partie du vocabulaire et du mode de pensée des managers. On parle en effet d’entreprise cellulaire, en réseau, ou modulaire ; de flux et de métabolisme, de régulations et de niveaux de complexité » (de Rosnay, 1995b). Pour la recherche des outils de régulation, il apparaît que l’intelligence artificielle soit devenue le domaine d’une ingénierie du pilotage par l’information de flux de données traitées en temps réel sur les réseaux urbains. Des plateformes dites numériques permettent de collecter des informations en provenance des systèmes urbains (de surveillance, de suivi de l’état des milieux, de transit de matières et d’énergies, de flux et de stocks) pour en redessiner une nouvelle cartographie (lumières, températures, sons, images, paramètres chimiques, biologiques, etc.) et dans une logique d’organisation algorithmique. Le plus haut niveau de formalisation y est atteint, à l’aide d’un modèle reproduisant la complexité des systèmes urbains et dans une logique de flux d’informations circulantes, dont Laborit avait annoncé l’avènement au sein du Groupe des Dix.
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Voir notre article paru dans Natures Sciences Sociétés (Harpet, 2015). Cet article restituait l’exercice de transdisciplinarité entrepris par Laborit au sujet du fait urbain, sous la relecture des sciences de la cybernétique, de la neurobiologie, de la sociologie et de l’écologie. Le présent texte en est le prolongement et l’exploration d’autres pistes de recherche, notamment sur l’usage des modèles pour comprendre le fonctionnement d’un système urbain.
Dans le langage de la cybernétique, le fonctionnement « en tendance » d’un système se caractérise par une amplification des réponses produites par un effet sur sa propre cause (dans une boucle de rétroaction dite positive, à la différence d’une boucle de rétroaction négative correspondant à un fonctionnement « en constance »).
Ainsi, Herbert Simon montre que l’approche systémique antérieure de Quastler et quelques autres auteurs des années 1950 est réellement acceptable d’un point de vue au moins méthodologique. Voir : https://www.cc.gatech.edu/classes/AY2013/cs7601_spring/papers/Simon-Complexity.pdf
Nous noterons à ce sujet que Herbert Simon, en 1962, suggère que la hiérarchie présente au contraire l’avantage de faire que les interactions entre niveaux sont faibles, de façon à préserver la facile composabilité et décomposabilité des systèmes. Cette propriété distingue bien Laborit, acquis à une vision systémique de type cybernétique et dirigiste, de ses prédécesseurs, Simon ou Forrester, qui se revendiquent d’une vision systémique plus libérale.
L’article est accessible en ligne, dans les archives de la revue Nature, ex-Scientific American : http://www.nature.com/scientificamerican/journal/v223/n3/index.html
Citation de l’article : Harpet C., Pincetl S., 2019. Des modèles pour comprendre la complexité des systèmes urbains. Apports et apories autour de l’ouvrage L’homme et la ville d’Henri Laborit. Nat. Sci. Soc. 27, 2, 178-190.
Liste des figures
Fig. 1 Schéma d’un système régulé (inspiré de Pierre de Latil, 1953). |
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