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Nat. Sci. Soc.
Volume 27, Number 2, Avril/Juin 2019
Dossier « Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité »
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Page(s) | 191 - 204 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2019038 | |
Published online | 13 September 2019 |
Dossier : Le groupe des Dix, des précurseurs de l'interdisciplinarité – Vingt-cinq ans de médiation entre sciences, politique et société : le Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes) (1975-2002)★
Twenty-five years of mediation between science(s), politics and society: the exploration and multidisciplinary research on environment and society Group (Germes) (1975-2002)
Sciences politiques, Cofondateur du Germes, ancien enseignant à l’EHESS,
Paris, France
* Auteur correspondant : jacques.theys@numericable.fr
Reçu :
2
Novembre
2017
Accepté :
8
Novembre
2018
La connaissance ne se développe pas seulement dans les laboratoires ou les « lieux confinés ». Elle a aussi besoin « d’espaces de plein air », de lieux de confrontation entre disciplines et avec la société civile ou la décision politique, de ce que Michel Callon a appelé des « forums hybrides ». Pendant un peu plus de 25 ans le Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes) a constitué un tel forum – une structure, sans équivalent à cette époque, à la fois de dialogue entre chercheurs de toutes disciplines et de réflexion collective ou de coproduction de connaissances sur l’environnement, impliquant à la fois le monde scientifique, les responsables publics et la société civile au sens large. L’article rend compte de la genèse de ce groupe et met en évidence le rôle de défricheur qu’il a pu jouer dans trois grandes directions : la promotion d’une approche réellement multidimensionnelle des relations environnement-développement ; la modernisation et la démocratisation de l’action publique ; l’analyse des tensions et médiations entre science, politique et société civile. À travers la multiplicité des initiatives et des publications réalisées par le Germes durant cette période, c’est un regard historique sur la transformation des idées et des connaissances sur l’environnement dans ses relations avec la société qui est ainsi proposé. Un regard naturellement partiel et propre à la France, mais qui permet de resituer les recherches et débats actuels dans une dynamique longue de la connaissance, avec ses avancées, ses reculs, ses continuités et ses ruptures épistémologiques…
Abstract
Knowledge does not develop only in laboratories or “confined places”. It also needs “outdoor spaces”, places of confrontation between disciplines and with civil society or political decision, what Michel Callon named “hybrid forums”. For a little over 25 years, from 1975 to 2002, the Exploration and Multidisciplinary Research on Environment and Society Group (Germes) offered such a forum – a dialogue structure, unparalleled at that time, between researchers from all disciplines which stimulated collective reflection or co-production of knowledge on the environment, involving the scientific spheres, public officials and civil society at large. The article reports on the genesis of this group, in a context marked both by the emergence of environmental policies, the structuring of research on this topic and the influence of systemic thinking – still very strong in the 1970s. It then highlights the pioneering role that Germes played in three main directions: the promotion of a truly multidisciplinary and multidimensional approach to environment-development relations, modernization and democratization of public action and analysis of tensions and mediations between science, politics and civil society. Through the multiplicity of initiatives and documents published by Germes during this period – as, for example, the conference “Les experts sont formels”, organized in 1989 –what we propose is a historical look at the transformation of ideas and knowledge on the environment in its relations with society. A look that is naturally partial and specific to France, but which makes it possible to relocate current research and debate into a long dynamic of knowledge, with its advances, its retreats, its continuities and its epistemological breaks...
Mots clés : pluridisciplinarité / analyse de système / forum hybride / interfaces science-politique-société / histoire des idées / modernisation politique
Key words: pluridisciplinarity / system analysis / hybrid forum / science-policy-society interfaces / history of environmental ideas / political modernization
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2019
La connaissance ne se développe pas seulement dans les laboratoires ou les « lieux confinés ». Elle a aussi besoin d’« espaces de plein air », de lieux de confrontation à la fois entre disciplines et avec la société civile ou la décision politique, de ce que Michel Callon a appelé des « forums hybrides (Callon et Rip, 1991). Pendant un peu plus de 25 ans, de 1975 à 2002, le « Groupe d’exploration et de recherche multidisciplinaires sur l’environnement et la société » (Germes) a constitué un tel forum – une structure, sans équivalent à cette époque, à la fois de dialogue entre chercheurs de toutes disciplines et de réflexion collective sur l’environnement impliquant à la fois le monde scientifique, les responsables publics et la société civile. Dès sa création, ce groupe, rapidement transformé en association, s’est fixé comme objectifs d’être en même temps un lieu de « production d’une conception originale des rapports entre environnement et société », « de confrontation entre disciplines ou de coconstruction d’approches pluridisciplinaires de l’environnement », « d’ouverture sur la société civile, l’expérimentation sociale et l’international, mais aussi « de proposition politique1 ». Exploration de connaissances nouvelles, échanges entre disciplines, prospective, et dialogue entre science, politique et société… y ont été menés de pair pendant vingt-cinq ans – avec, comme traces visibles, la constitution de communautés d’intérêt pérennes, l’organisation de nombreux colloques ou séminaires et la publication d’une vingtaine d’ouvrages.
Comme son nom l’indique, l’association Germes s’est essentiellement investie sur le thème des relations entre environnement et société au sens large – en incluant dans ces relations l’économie, la culture, l’histoire, les modes de vie, les mouvements sociaux, les questions locales et internationales, les politiques et formes d’action publique, la démocratie technique ou la prospective… Sur ces différents sujets, elle a fonctionné pendant vingt-cinq ans comme une espèce de laboratoire d’idées – à un moment où les grandes structures de réflexion actuelles2 n’existaient pas encore ou, comme le « Groupe des Dix3 », s’étaient arrêté de fonctionner. Mais son autre spécificité a été de se faire en permanence l’avocat du dialogue entre disciplines, de l’inter ou pluridisciplinarité – avec, par exemple, dès la fin des années 1970, l’organisation d’un colloque sur le thème « Questions à la bioéconomie » (Barrier-Lynn et Mirenowicz, 1980), mais aussi une attention permanente portée au rôle des sciences dans la construction et la gestion de l’environnement et une volonté continue de promouvoir des approches globales, aussi bien de la nature que de l’environnement ou du développement durable… Née pratiquement au moment où commençait à se construire une première génération de politiques transversales de l’environnement (Barraqué et Theys, 1998 ; Barré et al., 2015), l’histoire de l’association Germes reflète en large partie les interrogations qui ont été celles des trente premières années de ces politiques. Depuis l’arrêt de ses travaux en 2002, il est certain que le contexte a énormément changé et que d’autres formes ou structures de médiation ont pris le relais. Mais il reste intéressant de rappeler cette histoire d’un quart de siècle à la fois pour mesurer ce qui s’est profondément transformé depuis les années 1970 à 1990 et pour constater les continuités nombreuses qui demeurent entre les problématiques passées et celles qui existent aujourd’hui.
De l’analyse de système à la médiation science-politique-société
Une création fortement liée au contexte des années 1970
La mise en place, en 1975, de l’association Germes – mais aussi ses orientations ultérieures – est indissociable du contexte de la première moitié des années 1970 dans lequel elle s’est constituée. Le début des années 1970 est d’abord, il faut le rappeler, le moment où s’institutionnalise la problématique de l’environnement avec, en France, la création d’un ministère de l’Environnement (1971) et, au niveau international, la Conférence de Stockholm (1972), puis la mise en place du Programme des Nations unies pour l’environnement. C’est aussi, en même temps, une période de transformation importante du mouvement associatif (après la création de France Nature Environnement, de Greenpeace, des Amis de la Terre…)4 et l’émergence sur le plan politique de la question écologique – qui se concrétise, en 1974, par la candidature à l’élection présidentielle de René Dumont et la création du mouvement écologique. C’est également le début d’une période de transition, à la fois sur le plan politico-économique et sur le plan scientifique et idéologique. Du côté de l’économie et de la politique, on quitte les Trente Glorieuses pour basculer dans une situation de crise et de stagflation, s’accompagnant d’un reflux des politiques dirigistes et d’une évolution vers un libéralisme – qui va s’affirmer au Royaume-Uni et aux États-Unis dès les années 1980. Sur le plan des idées et des conceptions dominantes dans les sciences sociales, les années 1970 sont aussi celles du passage progressif d’un « structuralisme critique » – qui s’est imposé tout au long des années 1960 (Dosse, 1992)5 – à des « approches plus pragmatiques » – mettant en avant le rôle des acteurs et l’individualisme méthodologique (Dosse, 1997)6.
C’est dans cet entre-deux que, dans le sillage du structuralisme et sous l’influence des États-Unis ou des pays anglo-saxons, se développent dans tous les domaines les approches systémiques et l’analyse de système, qui mettent l’accent – dans une perspective holiste – sur les interrelations, les interfaces système-environnement, les structures, la modélisation, mais aussi sur la complexité, les régulations, l’auto-organisation, l’émergence7… Toutes les disciplines sont concernées – la biologie, la physique, la chimie, les sciences de la terre, l’économie, les sciences politiques, la sociologie, la géographie, les sciences de la décision et de l’information, l’ingénierie, la prospective… sans oublier l’écologie, qui peut tirer parti de l’invention depuis 1935 (par Tansley) du concept d’écosystème (Barnaud et Lefeuvre, 1992). L’ambition unificatrice et englobante de l’approche systémique s’inscrit naturellement dans un contexte qui favorise déjà le dialogue entre disciplines et les approches inter ou transdisciplinaires – comme en témoignent, par exemple, la mise en place du Groupe des Dix ou le colloque organisé en 1972 par Edgar Morin sur le thème de « L’unité de l’homme, invariants biologiques et universaux culturels » (Morin et Piatelli-Palmarini, 1974) – qui cherche à construire des passerelles entre sciences du vivant, sciences de l’homme et sciences des systèmes ou de la complexité. Elle est un des outils majeurs à travers lesquels s’exprime le besoin – alors très largement partagé – de s’affranchir des limites disciplinaires et de réarticuler – dans une « nouvelle alliance » (Prigogine et Stengers, 1979) – sciences de la nature et sciences humaines, mais aussi sciences et société (Lapierre, 1992).
Par la nature même des questions qu’il aborde et parce qu’il est encore dans une phase de construction, le champ de l’environnement constituent un terrain privilégié pour ces approches systémiques et ce souci d’intégration inter ou multidisciplinaire. Le début des années 1970 voit ainsi se succéder une série impressionnante de publications qui remettent en cause les cloisonnements disciplinaires traditionnels et ouvrent de nouvelles approches qui vont structurer toutes les recherches futures : Design with nature de Ian Mac Harg, qui ouvre la voie de la planification écologique ; The entropy law and the economic process de Nicolas Georgescu-Roegen (1971) et Economics and the environment. A materials balance approach de Allen Kneese, Robert Ayres et Ralph d’Arge (1970), qui constitueront deux des bases de l’économie écologique ; Environment, power and society de Howard Odum (1971) et Resilience and stability of ecological systems de Crawford Stanley Holling (1973), qui vont contribuer à sortir l’écologie de sa perspective « biocentrique » ; le rapport de Founex et les premiers travaux d’Ignacy Sachs qui posent les fondations de l’écodéveloppement, puis du développement durable8. Dans le même temps, le retentissement considérable du rapport Meadows sur « Les limites de la croissance » (Meadows et al., 1972), les connexions faites par Leontief ou Isard entre l’environnement et la macroéconomie ou l’économie régionale (Leontief, 1970 ; Isard, 1972), les premiers essais de modélisation intégrée économie – écologie à l’échelle de territoires – comme les Cévennes (Godron, 1973) – ouvrent la perspective d’une utilisation opérationnelle de l’analyse de système et de la modélisation dans les politiques publiques et les pratiques de gestion. Ceci se matérialise, à l’échelle mondiale, par la création, en 1972, de l’Institut international d’analyse de système appliqué (IIASA), qui va ensuite jouer un rôle majeur dans la modélisation appliquée aux problèmes globaux (notamment sur le climat) ; et aux échelles nationales ou locales par une utilisation croissante des approches systémiques dans la planification territoriale ou nationale, la prospective ou l’évaluation technologique – qui vient d’émerger…
Du Groupe d’analyse de système environnement à la création du Germes
C’est dans ce contexte qu’est mis en place, fin 1973, à l’initiative du ministère de l’Environnement et en partenariat avec l’Association française pour l’analyse de système, le Groupe d’analyse de système environnement – avec un mandat très large couvrant à la fois l’épistémologie, le repérage et la critique des approches et modèles existants, leur utilisation dans la décision… mais aussi « la construction d’un cadre global d’analyse du “système environnement” en France ». Animé par la cellule prospective de ce ministère9, il rassemble à l’origine une trentaine de personnes – dont une part significative10 formées à cette approche dans les universités américaines. Après un an de fonctionnement, l’Association française de cybernétique économique et technique (Afcet) – qui est, à cette époque, la société savante qui porte officiellement l’analyse de système dans le champ scientifique11 – propose au Groupe de devenir l’une de ses commissions. Mais, par crainte de se laisser enfermer dans une approche méthodologique et technique trop étroite, ses membres font le choix de se transformer en association indépendante – qui prend, en juillet 1975, le nom de Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes).
Ce choix va avoir une incidence majeure sur la vocation ultérieure de ce qui est ainsi devenu le Germes. Composé à l’origine d’ingénieurs, de mathématiciens, d’économistes, de spécialistes des méthodes d’aide à la décision ou de l’analyse de systèmes, de modélisateurs ou de prospectivistes, le groupe va très rapidement s’élargir pour comprendre des chercheurs et praticiens d’origines très diverses – sociologues, politologues, géographes, écologues, agronomes, philosophes, spécialistes de la santé, architectes… – puis des acteurs associatifs, de l’administration ou des entreprises. Ses domaines d’intérêt vont aussi changer. Sans disparaître des préoccupations, l’analyse de système va assez rapidement laisser une place croissante à d’autres thématiques à l’interface entre environnement, politique et société – si bien que l’association va progressivement se muer en structure de coproduction et de réflexion collective entre chercheurs sur des thèmes très divers liés à la mise en place des politiques publiques ; puis en plateforme de médiation et de débat entre la recherche, les acteurs publics et la société civile. Dans un premier temps, cela va prendre la forme de réunions mensuelles ou bimensuelles sur des thèmes précis – dans les locaux de l’École du génie rural et des eaux et forêts (Engref) – et de travaux de recherche ou de séminaires périodiques (voir dans l’encadré 1, les thèmes des réunions de 1975 à 1978). Mais, à partir de la fin des années 1970, ce mode de fonctionnement très dense sera remplacé par des colloques plus espacés et par des publications collectives : les Cahiers du Germes. Malgré ces transformations continues, l’association n’aura, en vingt-cinq ans, que deux présidents – Claude-Jérôme Maestre, mathématicien, chercheur au CNRS (Lamsade, Université Dauphine) et consultant à l’OCDE, et Jean-Claude Lefeuvre, professeur au Muséum national d’histoire naturelle – et conservera un « noyau actif » assez stable12.
Les premières réunions du Germes, 1975-1978
1975
Approche critique de la planification écologique – Cartes des contraintes écologiques.
Prospective de l’énergie après le choc pétrolier de 1973.
Modélisation appliquée aux politiques de l’eau.
Impacts environnementaux des différentes énergies (nucléaire…) – Analyse de filières.
Prospective de la Méditerranée.
La notion de développement (à partir des travaux de C.-J. Maestre et du Cired).
1976
Planification régionale intégrée : modèles et perspectives.
Critique des modèles mondiaux et réflexions sur la notion de limite.
Prospective des pollutions en France à l’horizon 2000 : le modèle Spire.
Coût social du bruit et évaluation des impacts des transports.
Perception et indicateurs du cadre de vie : la méthode Resy.
Environnement et croissance : approches macroéconomiques et écosystémiques.
Effets écologiques et sur l’homme de l’urbanisation : mesure des effets, densité et « optimum de population », capacité de charge écologique, effets de seuil…
Approche critique de la théorie des systèmes.
1977
Épistémologie de la prospective environnement.
L’ingénierie écologique et ses limites.
Flux de matière et d’énergie dans les éco-socio systèmes.
Analyse et cartographie des conflits liés à l’environnement.
L’environnement en phase de transition : marges, centralité, despotisme éclairé ?
Vers une agriculture écologique.
Les transformations de l’espace rural.
Mesurer et quantifier l’environnement et le bien-être : quel système statistique ?
1978
Prise en compte des risques, des incertitudes et des irréversibilités dans les décisions.
Ressources naturelles patrimoniales et comptes de patrimoine.
La gestion patrimoniale et ses difficultés de mise en œuvre.
L’avenir des politiques de l’environnement dans les transformations économiques des vingt prochaines années.
Psychologie sociale et changements sociaux : quel avenir pour le mouvement écologique ?
Entre évaluation technologique, technologies propres, technologies appropriées et technologies alternatives : la question technique et l’environnement.
Un rôle de défricheur dans un contexte de construction de la problématique de l’environnement
La mise en place du Germes en 1975 se situe à un moment où la problématique de l’environnement n’est pas encore formée, où elle se construit encore sous l’influence croisée à la fois des politiques publiques, des disciplines scientifiques et du mouvement social ou écologique. Peu d’organismes de recherche ou d’universités se sont encore pleinement investis dans l’environnement ; les champs disciplinaires ne sont pas encore fortement constitués ; et tout reste en conséquence ouvert. Dans les premières années, le fonctionnement de l’association, avec un programme de réunions très dense, va s’inscrire dans ce mouvement à la fois d’exploration d’idées ou de thèmes nouveaux et de conceptualisation. Le point de départ de cette exploration est cependant très spécifique. D’abord, parce qu’il existe de fortes relations entre l’association et le groupe de prospective du ministère de l’Environnement, et donc avec les politiques publiques. Ensuite, parce que les préoccupations de ses membres sont, à l’origine, très centrées sur l’approche systémique, la modélisation, les méthodes de planification et d’aide à la décision, l’évaluation ou l’épistémologie. La période des années 1970 est, de toutes celles qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui, celle qui investit le plus dans la modélisation à toutes les échelles – modèles mondiaux, urbains, régionaux, macroéconomiques ou même par bassin hydrographique – et l’analyse de ces modèles fait naturellement l’objet d’une attention importante dans les premiers moments de l’association. Mais la perspective critique n’est alors jamais séparée du débat technique et ce biais méthodologique est équilibré par la forte présence de chercheurs s’intéressant beaucoup plus aux conflits environnementaux, à la démocratie technique, à la gestion patrimoniale, aux mouvements sociaux, à l’action publique ou aux conceptions du développement. C’est cette tension que l’on perçoit dans le programme des réunions organisées entre 1975 et 1978 (voir l’encadré 1) – et qui va se retrouver dans les deux décennies ultérieures.
La dispersion initiale des thèmes qui apparaît dans cette première vague de séminaires reflète les préoccupations multiples des animateurs et chercheurs membres de l’association, ces réunions étant d’abord l’occasion de discuter de travaux qui viennent de s’achever ou encore en cours. Mais elle traduit aussi le bouillonnement extraordinaire de cette période de commencement des années 1970 qui explore un très grand nombre de voies nouvelles, sans en mesurer encore la faisabilité pratique ou l’acceptabilité politique : l’écodéveloppement, la planification écologique, la modélisation macroéconomique de l’environnement (à la Leontief), la dynamique des systèmes, les bilans matière-énergie, les modèles urbains ou régionaux, la comptabilité du patrimoine naturel, l’approche patrimoniale et de gestion en bien commun (Ollagnon, 1997 ; de Montgolfier et Natali, 1987), l’application à l’environnement des théories de la régulation, les approches « subjectives » du cadre de vie et de la qualité de vie, la mesure du bien-être13… Beaucoup de ces pistes ne rencontreront pas le succès escompté et seront abandonnées ou délaissées dans les années 1980 – parfois pour réapparaître vingt ans après, sous d’autres formes (comme la gestion patrimoniale réapparue dans les travaux d’Elenor Ostrom sur la gestion des communs) – dans un contexte rapidement marqué par la critique des approches systémiques et l’abandon progressif de la planification. Le fait est que ce rythme soutenu des premiers séminaires du Germes aura servi à défricher beaucoup de thématiques qui étaient souvent encore nouvelles – et qui vont alimenter ultérieurement une part importante des agendas politiques et de recherche…
C’est cette vocation de « défricheur » qui va ensuite se poursuivre, mais sous des formes différentes – ouvertes à un public progressivement beaucoup plus large, mais de plus en plus espacées dans le temps : études, colloques et publication des Cahiers du Germes. Après une première manifestation organisée en septembre 1977 à Arc-et-Senans sur « l’avenir des modes de gestion de l’environnement » – qui mettait un point d’orgue aux séminaires précédents – viendront, en effet, en vingt ans, six autres colloques qui seront à chaque fois parmi les premiers à aborder le thème en France : « Questions à la bioéconomie », en février 1981 ; « Les écologistes en politique » – avec l’École normale supérieure (J.-L. Fabiani), en 1982 ; « Lecture de la crise » en 1983 ; « Les politiques de l’environnement face à la crise », en 1984 ; « Environnement, science et politique » (« Les experts sont formels »), également à Arc-et-Senans, en septembre 1989 ; et enfin, « L’environnement au XXIe siècle » (« Gouverner démocratiquement le long terme ») à Fontevraud, en septembre 1996. Ce sont, pour l’essentiel, ces colloques, souvent organisés en partenariat, qui serviront de matériau de base pour les dix-sept Cahiers publiés à partir de 1980 (voir l’encadré 2).
: Les Cahiers du Germes, 1980-2001
N° 1 – Croissance, développement, emploi, environnement (1978, 212 p., sous la direction de M. Manuel).
N° 2 – Environnement, conflits, participation (1979, 272 p., sous la direction de A. Nicolon et B. Barraqué).
N° 3 – Matière et énergie dans les écosystèmes et les systèmes socio-économiques (1980, 540 p., sous la direction de P. Mirenowicz et J. Theys).
N° 4 – Questions à la bioéconomie (1980, 146 p., sous la direction de C. Barrier-Lynn et P. Mirenowicz).
N° 5 – Prospective des pollutions et nuisances (1981, 146 p., sous la direction de R. Barré et P.-F. Téniéres Buchot).
N° 6 – Éléments pour une prospective de relations environnement-développement (1981, 340 p., sous la direction de C.-J. Maestre, G. Ribeil et R. Barré).
N° 7 – Politiques de l’environnement comparées (1982, 490 p., sous la direction de T. Lavoux, E. et S. Coudel).
N° 8 – Lectures de la crise (1983, 360 p., sous la direction de A. Nicolon et J.-C. Hourcade).
N° 9 – Les politiques de l’environnement face à la crise, Tome 1 (1984, 353 p., sous la direction de P. de Lara, J. Theys et Y. Blanc).
N° 10 – Les politiques de l’environnement face à la crise, Tome 2 (1985, 625 p., sous la direction de E. Simonetti, B. Brouard et J. Theys).
N° 11 – Les politiques de l’environnement face à la crise, Tome 3 (1986, 610 p., sous la direction de E. Simonetti, B. Brouard et J. Theys).
N° 12 – L’environnement dans l’analyse et la négociation des projets (1988, 580 p., sous la direction de L. Mermet, G. Barouch et J. Theys).
N° 13 – Environnement, science et politique : « Les experts sont formels », Tome 1 (1991, 676 p., sous la direction de J.-C. Lefeuvre, J. Theys et V. Liber).
N° 14 – Environnement, science et politique : « Les experts sont formels », Tome 2 (1992, 520 p., sous la direction de J.-C. Lefeuvre, V. Liber et J. Theys).
N° 15 – L’environnement au XXIe siècle, Tome 1, Les enjeux (1998, 640 p., sous la direction de J.-C. Lefeuvre et J. Theys)
N° 16 – L’environnement au XXIe siècle, Tome 2, Visions du futur (2000, 692 p., sous la direction de J.-C. Lefeuvre et J. Theys).
N° 17 – L’environnement au XXIe siècle, Tome 3, Long terme et démocratie (2000, 782 p., sous la direction de J.-C. Lefeuvre et J. Theys).
Une bonne illustration de ce souci d’innover dans les problématiques est le premier colloque organisé en 1977 sur « L’avenir des modes de gestion de l’environnement ». Nous sommes moins de six ans après l’institutionnalisation de la politique de l’environnement et c’est la première manifestation scientifique qui se pose déjà la question de la transformation d’ensemble de ces politiques à travers sept thèmes abordés de front : l’environnement vu à travers les différentes disciplines ; l’évaluation de l’état de l’environnement et sa mesure ; les conflits d’acteur et la démocratisation des modes de décision ; la prospective entre local et global ; les emplois qualitatifs et la transition croissance-développement ; la planification écologique des territoires ou des espaces fragiles ; et, enfin, les politiques de l’environnement comparées et l’innovation institutionnelle. Dans la centaine de communications présentées, certaines traitent de questions en partie oubliées aujourd’hui – comme l’épistémologie de l’environnement, la modélisation intégrée à l’échelle des régions ou l’évaluation globale des dommages à l’échelle nationale, mais on y trouve aussi déjà des sujets qui ont connu à nouveau récemment un développement important, parfois après une longue éclipse, comme la gestion en bien commun (abordée sous l’angle de la gestion patrimoniale), la réduction des inégalités écologiques14, l’approche subjective et par les perceptions de la qualité du cadre de vie proche, la mesure de la croissance, la démocratie participative ou même la notion de transition. C’est essentiellement à partir de ces contributions très riches que seront structurés les premiers Cahiers du Germes (encadré 2).
Il est impossible de résumer en quelques mots les milliers de pages et les centaines d’articles qui composent les Cahiers du Germes – d’autant qu’au fil du temps s’y expriment des opinions et des préoccupations de plus en plus diverses, s’éloignant de l’unité initiale. À partir du milieu des années 1980, on passe, en effet, d’une réflexion menée à l’intérieur d’un réseau d’une centaine de personnes à des colloques beaucoup plus ouverts et internationaux : celui de Fontevraud sur « L’environnement au XXIe siècle » donnera ainsi lieu, par exemple, à près de 400 communications d’une trentaine de pays.
Ce changement dans les modes de fonctionnement n’interrompt cependant pas la dynamique amorcée dans les années 1970 – à partir de l’approche systémique, de la prospective et d’une conception critique et ouverte de la recherche (Habermas, 1976a) – et ce qui domine, malgré le changement total de contexte, c’est une très grande continuité dans les préoccupations et la production de l’association. S’en dégagent ainsi a posteriori quelques grands fils rouges représentatifs de la démarche qui a été suivie pendant vingt-cinq ans. Et notamment les trois suivants :
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la volonté d’investir dans toutes ses dimensions la notion de développement, en cherchant à intégrer en profondeur l’économie, l’écologie et la société ;
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une attention constante aux transformations de l’action publique – s’attachant à valoriser de manière égale les apports de la recherche, ceux de la prospective ou de l’évaluation et ceux de tous les acteurs concernés ;
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et, enfin, l’ambition de construire en permanence des passerelles entre science, politique et société, dans la perspective d’une « démocratie cognitive ».
Il s’agit de trois préoccupations très vastes et on ne fera qu’illustrer ici par quelques exemples ce qui a pu faire la spécificité de ces travaux du Germes.
Un investissement continu et pluridisciplinaire de la notion de développement, articulant en profondeur économie, écologie et société
Aborder le développement dans toutes ses dimensions est l’une des préoccupations majeures qui rassemble depuis l’origine les membres de l’association. Très vite, le cadre de « l’écodéveloppement » proposé par Ignacy Sachs sert de point de départ commun à la réflexion. Mais s’y ajoutent d’autres dimensions qui font sortir les travaux de l’association d’une perspective trop strictement économiciste et théorique. Dès la création de celle-ci, son premier président, C.-J. Maestre, dans un article intitulé « La transition de la croissance à l’équilibre : une période critique de système industriel », y introduit en effet une perspective biologique et systémique, proche de celle du Groupe des Dix, mais mettant plus que celui-ci l’accent sur les dynamiques d’évolution à long terme et sur les chemins de transition (Maestre, 1981). Dans le contexte du milieu des années 1970 où la sortie des Trente Glorieuses conduit à investir les dimensions qualitatives de la croissance15, une place très importante est par ailleurs donnée aux relations entre développement et amélioration de la vie quotidienne, à la qualité de vie et à la perception du cadre de vie, à l’accès à la nature, aux conflits de valeurs, aux impacts sociaux et écologiques des changements techniques ou des modes de vie, à la mesure de la croissance. Y contribuent, notamment, les travaux de J.-F. Bernard Bécharies et du groupe Resy sur la notion d’environnement, les indicateurs de qualité de vie ou les « technologies de la vie quotidienne » (Bernard Bécharies, 1981 ; Bernard Bécharies et al., 1988). À ceci vient s’ajouter un souci – lié aux liens que l’association entretient avec le ministère de l’Environnement – qui est d’ancrer ces réflexions théoriques dans la situation économique concrète : les premières hausses du chômage, celles du prix du pétrole, le début des restructurations industrielles et énergétiques… Comment, face à ces difficultés naissantes, intégrer la perspective de limitation de la croissance suggérée par le premier rapport du Club de Rome ? L’option débattue lors du premier colloque de 1977, puis réaffirmée par la suite (même s’il n’y a naturellement pas de position « institutionnelle » de l’association en tant que telle), ne sera ni celle de la décroissance ni celle du développement durable (dans sa version faible qui prévaudra dans les années 1990), mais plutôt celle d’un redéploiement et d’une redéfinition du développement, proche dans son esprit et dans son cheminement de ce que sera, trois décennies après, la transition écologique (Theys, 1978 ; Hourcade, 1983)16.
Six ans plus tard, la situation économique s’étant aggravée, le Germes organisera un colloque sur le thème « Lectures de la crise » dans lequel interviendront notamment Robert. Boyer, Jacques Mistral, Olivier Pastré, Jean-Charles Hourcade, René Passet, Brice Lalonde, Michel Godet, Yannick Blanc et Claude-Jérôme Maestre… Les analyses, publiées dans l’un des Cahiers (n° 8), recoupent beaucoup des débats actuels sur les changements techniques, la mondialisation, la place de l’écologie, celle de l’Europe… Le message général qui s’en dégage – plutôt optimiste – est que l’environnement pourrait être un des moteurs majeurs de la sortie de crise et de la mutation dont elle n’est que le symptôme. On sait malheureusement que, malgré l’émergence du développement durable, la voie adoptée dans les deux décennies suivantes pour dépasser la crise du fordisme et de la productivité dans les pays du Nord sera beaucoup plus celle du libéralisme, de la financiarisation de l’économie, de la baisse des coûts salariaux et de la délocalisation des activités dans les pays du Sud que celle de la reconversion écologique… C’est le constat qui sera fait dans le dernier colloque organisé par le Germes en 1996 sur « l’Environnement au XXIe siècle », plaidant pour une vision moins irénique du développement durable dans un contexte de globalisation et d’accélération des ruptures socio-économiques et écologiques.
Une implication précoce dans le développement de la bioéconomie, portée par une vision dialectique des rapports entre nature, économie et société
Une autre particularité des travaux menés par l’association sur le thème du développement est de les avoir situés, depuis l’origine, dans une vision dialectique des rapports entre nature, économie et société. Il ne s’agit pas simplement d’approcher l’environnement comme une conséquence de la croissance ou comme une contrainte externe. Ni d’envisager le développement comme un ensemble de leviers socio-économiques que l’on pourrait actionner. Mais de considérer que la nature, d’un côté, l’économie et la société, de l’autre, sont dans des rapports de déterminations réciproques (Ribeil et al., 1981). Ce n’est naturellement pas, au milieu des années 1970, une idée nouvelle. Elle a été « portée » depuis longtemps par des anthropologues (M. Godelier, A. Leroy Gourhan…), des géographes (M. Sorre, L. Mumford, P. Geddes) ou par la sociologie rurale… Elle est aussi au centre des réflexions qui se multiplient dans les années 1970 autour de la bioéconomie (N. Georgescu-Roegen, H. Daly, R. Passet, R. Ayres, B. de Jouvenel…) ou d’une approche multidisciplinaire des systèmes naturels et humains (Groupe des Dix, E. Morin, J. de Rosnay, I. Prigogine et I. Stengers…). Mais l’apport de l’association dans ce domaine aura été d’abord d’accueillir et de rendre possible le débat entre tous les chercheurs impliqués dans ces démarches, puis de les promouvoir à l’extérieur.
C’est ainsi qu’est publié en avril 1980 – à partir de communications faites au colloque d’Arc-et-Senans de 1977 – le premier ouvrage consacré en France au thème « Matières premières et énergie dans les écosystèmes et les systèmes socio-économiques », qui s’appuie notamment sur les travaux de l’Université Paris VII et du Cired17. On y trouve tout ce qui pouvait être réalisé en France à cette époque sur les analyses éco-énergétiques, les bilans matière énergie, les analyses de filières, la durée de vie ou la substitution des matériaux, ou la notion « d’éco-socio-système » – y compris à l’échelle de villes ou de pays. C’est aussi à l’initiative du Germes – avec l’appui de Christiane Barrier-Lynn et de Jacques Grinevald – qu’est organisé en février 1980 le premier colloque sur la bioéconomie (« Questions à la bioéconomie »), autour des travaux de Nicolas Georgescu-Roegen (auteur de « Demain la décroissance »), d’Ilia Prigogine et de René Passet. Le mot important ici est celui de « question », au double sens du terme : à la fois interrogation et curiosité sur l’avenir d’un concept en émergence et craintes sur ses débordements possibles. Si la bioéconomie apparaît bien comme une des voies privilégiées pour réarticuler nature et économie, des inquiétudes sont exprimées sur la faible place qui y est faite aux dimensions sociales et sur le risque de voir se substituer au réductionnisme mécaniste de l’économie classique une conception biologique, matérialiste et thermodynamique du développement, tout aussi réductrice. S’impose ainsi finalement le constat qu’aucun cadre de pensée unique ne peut circonvenir l’ensemble des relations environnement-développement, ce qui renvoie quelque part non seulement à l’organisation de la pluridisciplinarité, mais aussi à une dimension politique de composition des représentations, des intérêts et des valeurs (que par la suite les indicateurs chercheront à objectiver)…
Une attention constante aux mutations de l’action publique construite sur un dialogue entre chercheurs et acteurs
Plus encore que cette préoccupation liée au développement (en relation avec l’environnement), ce qui a fait la spécificité majeure du Germes pendant vingt-cinq ans est son rôle de passerelle entre chercheurs, responsables publics et société civile sur le thème des politiques publiques et de l’action publique, à un moment où il existait encore en France des coupures profondes entre ces différents mondes. Cette spécificité était sans doute liée aux relations étroites qui existaient avec le Groupe de prospective du ministère de l’Environnement – et donc, par extension, avec celui-ci. Mais il s’est agi beaucoup plus de faire entendre la voix des scientifiques et des associations dans le milieu politico-administratif que l’inverse. À l’origine, ces questions d’action publique ont plutôt été abordées en partant des problèmes de décision et de conflits autour de projets sur lesquels travaillaient plusieurs des membres réunis dans le groupe d’analyse de système. Si cette préoccupation à l’échelle « micro » s’est maintenue dans le temps, s’y est rapidement ajoutée une perspective plus globale portant sur les politiques d’environnement elles-mêmes et sur leur évolution vers des formes plus ouvertes d’action publique. À ces deux niveaux, le Germes a constamment œuvré pour promouvoir des modes de gouvernement et d’action collective plus anticipateurs et démocratiques18, tout en gardant une distance critique sur le fonctionnement des formes nouvelles de gouvernance. La lecture de la dizaine de Cahiers centrés sur ces questions de décision, d’action collective et de politiques publiques permet a posteriori de disposer d’une histoire assez complète de leurs transformations au cours des années 1970 à 2000, mais aussi de mesurer, à travers les trois numéros consacrés à « L’environnement au XXIe siècle », ce qui avait été bien ou mal anticipé, il y a quinze ans. C’est cette perspective historique qui nous servira en effet de fil rouge.
De l’aide à la décision aux incertitudes démocratiques
C’est par le biais des outils d’aide à la décision et de la prospective, plus que par le droit ou les instruments économiques, que le Germes s’implique dès le milieu des années 1970 dans une réflexion sur l’évolution des politiques de l’environnement, à peine quelques années après que celles-ci aient été mises en place en France. Plusieurs chercheurs reviennent des États-Unis et participent à l’accouchement difficile de la loi de 1976 qui instaure les études d’impact. D’autres s’intéressent aux méthodes de choix multicritère, à la gestion en bien commun des ressources patrimoniales, aux analyses coût-avantage ou à l’évaluation technologique, avec notamment comme objet le programme nucléaire qui vient d’être décidé19. Il existe donc, au départ, un intérêt commun pour les approches méthodologiques de la décision ou les innovations institutionnelles. Très vite s’impose néanmoins l’idée que les outils ne peuvent être analysés ou proposés sans s’intéresser d’abord aux acteurs qui sont impliqués, à leurs modes d’action et aux formes que prennent leurs conflits. Le premier Cahier du Germes qui aborde cette question des politiques de l’environnement – publié à partir de communications au colloque de 1977 – a ainsi pour titre « Environnement, conflits, participation ». Ce qui est intéressant dans cet ouvrage est que les procédures y occupent relativement peu de place, sauf dans les propositions portant sur les formes nouvelles de participation, alors que les conflits d’acteurs – sur la centrale du Blayais ou son homologue en Bade Württemberg, le Scorff, l’autoroute A86, l’ensemble de la région Alsace ou du Sud-Ouest (actions menées par la Sepanso), divers terrains de lutte urbaine… – y sont analysés dans des approches assez voisines de la polémologie : les forces en présence, les intérêts opposés ou communs, les armes, les stratégies… Dix ans plus tard, on retrouve, dans le cahier coordonné par Laurent Mermet et Gilles Barouch, sous le titre « L’environnement dans l’analyse et la négociation des projets », le même plaidoyer pour la démocratisation des procédures de décision, mais dans un contexte cette fois-ci très différent, où l’institutionnalisation de l’environnement a progressé et où il s’agit de faire des propositions à la fois méthodologiques et procédurales plus opératoires. La dimension du conflit est moins directement présente, comme l’indique le mot de négociation – mais l’accent est mis sur une approche beaucoup plus fine des jeux d’acteurs (Mermet, 1987). Les nombreux articles s’attachent plutôt à définir les conditions dans lesquelles certaines formes de rationalisation des décisions peuvent fonctionner au bénéfice effectif de l’environnement, tout en analysant en détail comment les outils et les procédures existantes, comme par exemple les études d’impact ou les mécanismes de compensation, sont détournées de leur sens ou rendues inefficaces – par exemple, à travers la manipulation du calcul économique (Grandjean, 1987) ou une intégration de l’environnement et du débat public venant après et non avant la prise réelle de décision (Henry et Grandjean, 1987). C’est pour sortir de rapports inégaux au sein de l’administration que sont préconisées de nouvelles formes institutionnelles de gouvernance comme la médiation, les auditions publiques, les référendums locaux, la gestion patrimoniale en bien commun. L’organisation, également dix ans plus tard, du colloque de Fontevraud sur « L’environnement au XXIe siècle » permet de constater un nouveau déplacement des problématiques. Les aspects méthodologiques ont perdu leur place centrale, le principe d’une participation du public à la décision ne se pose plus et a été intégré dans la gestion courante. La question porte beaucoup plus sur le sens et les limites du fonctionnement démocratique : sur la capacité du politique à traiter de problèmes plus globaux, controversés et à long terme ; sur les conditions de mobilisation et la volonté d’autonomisation de la société civile ; sur l’articulation entre légitimité représentative et expression citoyenne ; sur les inégalités d’accès à la parole publique… Au-delà de la pertinence des outils et des procédures, c’est l’organisation et le sens du politique qui sont fondamentalement mis en jeu.
Contribuer à la modernisation des politiques publiques
La mise en place d’une rationalité réflexive – à travers les études d’impact ou de risques, le principe de précaution, les indicateurs, la démocratisation des procédures de décision, les grands rapports scientifiques – est naturellement une des grandes tendances qui a caractérisé la transformation des politiques de l’environnement depuis les années 1960. Mais ce n’est, bien évidemment, pas la seule. À travers ses travaux, le Germes, depuis le premier colloque organisé en 1977 sur « l’avenir des modes de gestion de l’environnement », s’est aussi attachée à aborder ces multiples transformations dans leur ensemble, réunissant pour cela la communauté des chercheurs travaillant sur les politiques publiques et facilitant le dialogue nécessaire avec tous les acteurs concernés. En dehors des réunions des premières années, cet investissement continu sur les politiques publiques a pris essentiellement deux formes. D’abord, l’organisation à peu près tous les dix ans de grands colloques, rassemblant, pour les deux derniers, plus de cinq cents participants : après celui de 1977, celui de 1984 sur « Les politiques de l’environnement face à la crise », puis celui de 1996 sur « L’environnement au XXIe siècle : démocratie et gestion du long terme ». Ensuite, la mise en place de séminaires (ou journées d’études) plus restreints : un premier en 1978 sur « L’État de l’environnement et sa mesure », un deuxième, au début des années 1980, sur « Politiques de l’environnement comparées20 » ; un troisième, en 1983, sur « L’avenir du mouvement écologique » (avec l’ENS) et, enfin, un dernier, au tournant des années 1980-1990 (avec le service de prospective du ministère de l’Environnement) sur « Vingt-cinq ans de politique française de l’environnement – une évaluation » (Barraqué et Theys, 1998). La réunion de l’ensemble de ces travaux, pour la plupart publiés dans les Cahiers du Germes, permet ainsi de disposer d’un regard rétrospectif sans équivalent sur trois décennies d’actions publique et collective menées dans ce domaine.
On retrouve, sur ce thème des politiques publiques, les spécificités déjà évoquées précédemment, mais affirmées de manière plus explicite : la volonté d’accorder une importance symétrique aux analyses des chercheurs et à la parole des acteurs ; le souci de replacer les réflexions portant sur les outils (économiques, juridiques…) dans leur contexte social, économique, politique, écologique, culturel ou idéologique ; et, enfin, une attention particulière aux dynamiques, à l’histoire, à la prospective, à l’anticipation. L’ambition est aussi pragmatique : il s’agit de s’appuyer sur la recherche pour faire évoluer l’action publique, ce qui suppose à la fois une distance critique et le souci de déboucher sur des propositions utilisables.
Les deux grands colloques organisés en 1984 et en 1996 illustrent bien la démarche et le rôle qui sont ceux de l’association sur ce thème. Conçus à l’origine comme des réunions de chercheurs, avec un appel à propositions et une sélection des présentations par un conseil scientifique, ils deviennent, à la demande des ministres concernés21, des « forums hybrides » au sein desquels vont se confronter, sur tout le champ des politiques de l’environnement du moment, les analyses des scientifiques, des acteurs concernés et des responsables publics, avec, comme objectif, d’anticiper et de préparer en commun les changements nécessaires. En 1984, le colloque « Les politiques de l’environnement face à la crise » marque la fin d’un premier cycle pour ces politiques. La crise, qui est d’abord économique ou budgétaire, mais concerne aussi le mouvement écologique ou associatif, l’opinion publique, les institutions ou les relations internationales, montre que les bases sociales, culturelles, économiques, scientifiques ou territoriales sur lesquelles avaient reposé depuis le début des années 1970 les politiques de l’environnement sont trop étroites et qu’elles doivent être élargies pour faire face aux mutations qu’en même temps elle provoque. Le message qui se dégage des très nombreuses communications présentées est ainsi celui d’un décloisonnement indispensable : sortir de politiques de rattrapage spécifiques (par milieu ou par problème) pour s’intéresser aux systèmes productifs, au monde du travail, à la consommation, à l’action territoriale, à l’implication des habitants, à la coopération internationale… Il anticipe à la fois ce qui sera dans les années 1990 le passage du « gouvernement » à la « gouvernance » (ou des « politiques publiques » à « l’action publique ») et l’émergence, trois ans plus tard, avec le rapport Brundtland, du mot d’ordre du « développement durable »22. Il plaide aussi pour une véritable politique de recherche et d’information indépendante dans le domaine de l’environnement, ce qui n’est pas encore le cas à cette époque.
Ce qui est intéressant, c’est le contraste saisissant qui distingue ce colloque de 1984 de celui, organisé douze ans plus tard à Fontevraud sur « L’environnement au XXIe siècle », avec comme question majeure : « Comment gouverner démocratiquement le long terme ? » La crise n’a malheureusement pas disparu, mais la globalisation est intervenue entre-temps ; les participants sont pour moitié internationaux ; les thèmes aussi ne sont plus du tout les mêmes. Certains se sont effacés – comme le cadre de vie ou le paysage, l’environnement en milieu de travail, l’accès à la nature ou l’analyse des bases sociales de l’intérêt pour l’environnement –, d’autres occupent désormais une place centrale, comme le principe de précaution, le changement global, l’effet de serre, la gouvernance internationale, les mutations technologiques ou géopolitiques, les controverses autour du développement durable et de la croissance zéro… Face à la « Grande Transition » qui est décrite et annoncée pour le siècle à venir par plusieurs des chercheurs – et notamment dans l’intervention majeure de Gallopin, Hammond, Raskin et Swart (1998)23 – s’exprime l’idée que « la mesure n’est pas réellement prise des mutations qui vont bouleverser les décennies prochaines, nous exposant au risque collectif d’être une nouvelle fois en retard d’une guerre ». La question politique a également changé : elle n’est plus celle du décloisonnement des actions sectorielles et de l’intégration de l’environnement dans l’économie ou la société, mais plutôt celle de la prise en charge collective et à long terme de biens communs – en large partie, mondiaux – que les politiques nationales sont impuissantes à « gouverner » seules (Roqueplo, 1998 ; Theys, 1998). En d’autres termes, il ne s’agit plus simplement de moderniser la gouvernance, comme dans le colloque de 1984, mais de trouver des réponses au défi de « l’ingouvernabilité » des nouveaux problèmes d’environnement, défis qui ne sont pas seulement liés à la globalisation, mais aussi au caractère désormais massif des interdépendances entre changements écologiques et changements socio-économiques, ayant chacun leurs temporalités spécifiques plus ou moins bien connues. Toutes les pistes sont ouvertes – nouvel ordre international, justice climatique ou écologique, régulation par des « institutions non majoritaires », instruments économiques ou financiers, « modernisation écologique », transformations culturelles, mobilisations citoyennes et territoriales, décroissance, nouveaux instruments de mesure… –, sans finalement pouvoir apporter de certitude sur la possibilité de concilier efficacement démocratie et conduite de changements à très long terme. De fait, les 2 000 pages publiées pour rendre compte de cet événement constituent un témoignage sans équivalent sur la perception des enjeux futurs ou des politiques de l’environnement par les chercheurs et les acteurs publics ou privés au tournant des années 1990-2000.
Un regard réflexif sur les relations science-politique-société dans la perspective d’une démocratie cognitive
Une autre différence importante qui sépare le milieu des années 1980 de la fin des années 1990 est la place très grande qu’occupent désormais les controverses scientifiques. C’est la conséquence d’une longue évolution qui, en 30 ans, aura fait passer la problématique de l’environnement du domaine du visible ou sensible – les fumées d’usine, le bruit, les rivières transformées en égout, les pratiques de nature – à l’invisible décelable par la science – le trou dans la couche d’ozone, les perturbateurs endocriniens, la biodiversité… L’un des changements majeurs qui marque en effet les 25 ans d’existence du Germes est sans aucun doute l’importance de plus en plus déterminante de la connaissance scientifique dans la construction sociale des enjeux écologiques comme dans la prise de décision et le choix des solutions. Avec ses moyens limités, l’association contribue à ce mouvement, s’efforçant à la fois d’objectiver le mieux possible les situations et les problèmes qu’elle aborde et de faire partager les résultats de la recherche. Mais, dès ses premières années de fonctionnement, elle est également très sensible au risque – dénoncé, notamment, par Jürgen Habermas (1976b), puis Pierre Lascoumes (1994) – de scientifisation ou de technicisation de la politique et des représentations sociales, dont on sait qu’il est particulièrement élevé en matière d’environnement. Cela se traduit très tôt par une mise à distance critique de ce qui constitue le point de départ du groupe – l’analyse de système (et ses liens avec la cybernétique), les méthodes d’aide à la décision, la prospective, l’économie de l’environnement, la modélisation. On trouve ainsi dans les premiers Cahiers plusieurs articles qui analysent les présupposés normatifs (et idéologiques) sur lesquels reposent ces différentes approches et qui s’interrogent sur la possibilité pour le public de « rentrer dans les boîtes noires » des modèles (voir Ribeil et al., 1981). Cette préoccupation a cependant sa traduction la plus marquante dans l’organisation en 1989 d’un autre colloque international majeur ayant pour thème : « Les experts sont formels : controverses scientifiques et décisions politiques dans le domaine de l’environnement ». Ce second colloque d’Arc-et-Senans, qui servira de matière première à deux Cahiers du Germes ainsi qu’à un ouvrage24, constitue en France une date marquante – avec le colloque du Cresal organisé en 1985 – dans le dialogue entre chercheurs, responsables publics et société civile : c’est en effet la première fois qu’est abordée de manière globale, à travers les thèmes de l’expertise et des controverses, la question de l’articulation des connaissances scientifiques et des décisions politiques dans tout le champ de l’environnement, avec la participation de plus de 400 chercheurs et non-chercheurs d’une dizaine de pays. Ce qui fait la double originalité de cet événement, c’est d’abord la diversité des études de cas présentées – des substances cancérogènes au climat et aux réintroductions d’espèces… en passant par l’émergence d’une « géocratie planétaire » (Beney, 1991) –, mais aussi et surtout le fait qu’il anticipe tous les débats qui auront lieu ensuite sur les relations science-politique-expertise, par exemple, sur le principe de précaution (qui n’est pas encore inventé), les sciences citoyennes, le rôle de structures comme le Giec (créé d’ailleurs la même année) ou la crise de l’expertise. Au risque d’une science « prise en otage ou absorbée dans la logique de l’action » (Denis Duclos) s’oppose la perspective de « décisions dures » prises sur des évidences scientifiques « molles » ou sujettes à controverses » (Ravetz et Funtovwitz, 1991). À l’éthique wébérienne de l’objectivation, défendue par Philippe Roqueplo, qui conduit à séparer strictement le temps de la gestion des controverses (interne à la recherche) et le temps de l’expertise, s’oppose la notion de « forum hybride » dans laquelle – faute de pouvoir faire cette séparation – l’expertise s’apparente à un processus pragmatique de coproduction de normes mêlant à la fois connaissances, valeurs et intérêts (Callon et Rip, 1991 ; Ewald, 1991). S’il n’y a finalement pas accord sur le degré d’incertitude dont doit pouvoir s’accommoder la décision (la responsabilité politique n’est-elle pas de « se mettre en avant des certitudes ? »), il y a en revanche consensus sur la nécessité de changer les rapports traditionnels entre connaissance et ignorance ; savoir profane et savoir d’initié ; politique, expertise et démocratie.
Comme c’est le cas pour la plupart des travaux de l’association Germes, le message majeur qui se dégage de ce colloque de 1989 est ainsi celui du décloisonnement : la nécessité de sortir du dialogue fermé entre experts scientifiques, acteurs privés et responsables politico-administratifs pour aller vers une autre forme de relation entre science et société, une « démocratie cognitive ». Cela suppose, notamment, le recours beaucoup plus fréquent à la contre-expertise ; un effort de distanciation des médias par rapport à l’événement ; une ouverture des scientifiques aux aspects sociaux et éthiques des questions dont ils ont la charge ; une acceptation par le public du doute et du droit à l’erreur (ce qui passe par une plus grande culture scientifique) ; et finalement la mise en place de processus d’expertise réellement pluralistes intégrant pleinement l’idée que les habitants et les citoyens peuvent aussi être les meilleurs connaisseurs des problèmes qui les concernent. Il faut bien constater que, trente ans après, la transition vers cette démocratie cognitive est loin d’être encore achevée : ce message reste donc toujours d’actualité…
Conclusion
Ces deux termes de décloisonnement et de démocratie cognitive résument bien, finalement, ce qui a été tenté pendant 25 ans par le Germes. L’expérience a montré que cette volonté de construire en permanence des passerelles entre disciplines, mais aussi entre chercheurs, responsables publics ou privés et société civile, de s’ouvrir à l’analyse comparative et à la prospective, de dépasser la juxtaposition d’approches sectorielles en matière d’environnement ou de développement, pouvait être productrice de connaissances originales – suffisamment anticipatrices pour être utiles à l’action et au débat public, mais aussi pour initier de nouvelles voies de recherche. Dans un contexte marqué par la spécialisation et la professionnalisation croissantes des savoirs et des pratiques, l’existence d’un tel lieu de rassemblement aura permis de compenser en partie la partition en communautés et en « mondes de l’environnement » de plus en plus éloignés les uns des autres. Sur le fond, il n’en reste pas seulement un regard sans équivalent sur trois décennies d’histoire, mais aussi une vision de l’environnement et de l’action publique qui, bien que très attentive à la nature, aura toujours accordé une place centrale à la société et aux dimensions sociales, s’écartant délibérément de cette autre tendance historique à faire de l’écologie, malgré l’apparence des discours, le support de logiques d’action de plus en plus techniques et économiques.
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Après les travaux fondateurs de Bertalanffy, Ashby, Boulding, Von Foerster, Parsons, Easton… publiés dans les années 1960 vont se succéder dans les années 1970 ceux, en France, de Jean-Louis Lemoigne, d’Yves Barel (Prospective et analyse de système), Jean-Pierre Dupuy, Joël de Rosnay (Le macroscope), Erhard Friedberg et Michel Crozier (L’acteur et le système), Edgar Morin (La méthode), Bernard Waliser…
Mise en place en 1972 par Serge Antoine au sein du Secrétariat général du Haut comité de l’environnement, cette cellule de prospective est alors animée par Jacques Theys. Organisatrice dès 1972 d’un colloque sur le rapport « Halte à la croissance », elle lancera dans les années 1970 les premiers travaux de modélisation et de prospective notamment sur les pollutions, les ressources naturelles, l’écodéveloppement (avec le Cired) et la macroéconomie de l’environnement (avec le Cepremap). Elle maintiendra une relation forte avec l’association Germes jusqu’à la disparition de celle-ci. Voir Barré et al., 2015.
Créée en 1968 par des chercheurs en recherche opérationnelle, l’Afcet s’est rapidement transformée pour se situer au carrefour des sciences de la décision et de l’information, rassemblant plus de 4 500 membres dans les domaines de l’informatique, de la cybernétique, des mathématiques de la décision et de la modélisation. Disparue en 1998, elle a été dans les années 1970-1980 un des lieux majeurs de développement et de mise en débat de l’analyse de système – parallèlement aux colloques de Cerisy. Voir Triclot (2013) et Afcet (1977).
Ont fait, notamment, partie du bureau – outre Claude-Jérôme Maestre et Jean-Claude Lefeuvre – Bernard Barraqué (ingénieur et sciences de l’environnement), Rémi Barré (ingénieur et économiste), Gilles Barouch (sciences de la gestion), Jean-Louis Chemin (agronome), Michèle Dobré (sociologue), Cyria Emelianoff (géographe), Jean-Charles Hourcade (économiste), Thierry Lavoux (écologue), Michel Manuel (économiste), Laurent Mermet (biologiste et gestion de l’environnement), Philippe Mirenowicz (écologue et prospectiviste), Jean-Paul Moatti (économiste de la santé), Jean de Montgolfier (ingénieur des eaux et forêts), Alexandre Nicolon (sociologue), Jean-François Noël (économiste), Nicole Nowicki (urbaniste), Vincent Piveteau (ingénieur des eaux et forêts), Jacques Theys (économiste et politologue)…
Notamment avec la publication en 1972 par le National Bureau of Economic Research de l’ouvrage de William Nordhaus et James Tobin : Is growth obsolete ? C’est un peu après (1977) que sera lancée en France la Commission des comptes de patrimoine, avec pour objectif de proposer une nouvelle mesure du produit national brut (PNB) et d’évaluer le patrimoine naturel français.
Cette question des inégalités écologiques, abordée dès ce premier colloque de 1977, a fait l’objet de communications ou a été évoquée à nouveau dans les colloques du Germes de 1984 et 1996 sur « Les politiques de l’environnement face à la crise » et sur « L’environnement au XXIe siècle ». Fortement réinvestie par la recherche à partir des années 2000, ce n’est donc pas une notion récente – apparue aux États-Unis.
C’est notamment le cas de Francis Fagnani et d’Alexandre Nicolon, coresponsables, pour l’Irep de Grenoble de l’ouvrage publié en 1979 aux Presses Universitaires de Grenoble : Nucleopolis, matériaux pour l’analyse d’une société nucléaire, l’une des premières recherches de sociologie politique sur le thème du nucléaire.
Le discours de synthèse du colloque d’Huguette Bouchardeau donnait, en effet, déjà une vision très convaincante de ce qui allait s’appeler le « développement durable », avec une conception élargie de la productivité, une attention prioritaire aux générations futures et aux patrimoines critiques, une gestion civique des ressources et biens communs, des stratégies de résilience et de minimisation des coûts sociaux du développement…
cf. Theys et Kalaora (1992), avec des textes de Michel Callon, Edgar Morin, Francesco Di Castri, Jerome R. Ravetz, François Ewald, Philippe Roqueplo, Denise Jodelet, Robert Kandel, Arie Rip, Denis Duclos, Michèle Rivasi.
Citation de l’article : Theys J., 2019. Vingt-cinq ans de médiation entre sciences, politique et société : le Groupe d’exploration et de recherches multidisciplinaires sur l’environnement et la société (Germes) (1975-2002). Nat. Sci. Soc. 27, 2, 191-204.
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