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Nat. Sci. Soc.
Volume 25, Number 4, October-December 2017
Dossier « Des recherches participatives dans la production des savoirs liés à l’environnement »
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Page(s) | 424 - 442 | |
Section | Repères − Events & books | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2018007 | |
Published online | 19 February 2018 |
Ouvrages en débat
Les recherches partenariales et collaboratives
Anne Gillet, Diane-Gabrielle Tremblay (Eds)
Presses de l’Université du Québec, 2017, 336 p.
Voilà un ouvrage dont la parution est on ne peut plus opportune si l’on en juge par la vogue que connaissent les recherches dont il y est question. La rapidité et l’ampleur du ralliement dont elles bénéficient sont sociologiquement symptomatiques. Mais cet engouement ne suffit pas, loin de là, à leur donner la crédibilité scientifique dont elles se targuent en se nommant. L’extrême diversité des formes qu’elles prennent en fonction des objectifs qu’elles visent, des motivations auxquelles elles répondent et des modalités de leur mise en œuvre leur fait courir le risque de n’être qu’un magma de pratiques d’animation sociale. Pour respectables que soient les intentions auxquelles elles répondent et judicieuse la manière dont elles sont conduites, cela ne suffit pas pour y voir des façons nouvelles – et même plus, novatrices, voire en rupture avec la conception courante – de faire de la recherche. Encore faut-il confronter la pratique à une problématique avec ce que cela implique de références théoriques. C’est à armer en ce sens les chercheurs qui souhaiteraient se lancer dans l’« aventure » participative – car c’est bien d’une aventure qu’il s’agit tant les chemins manquent encore de balises – que cet ouvrage veut contribuer. D’où son ambition d’œuvrer à la « constitution » des recherches partenariales comme « objet de recherche ». Sa parution est tout particulièrement opportune parce que c’est maintenant que ces recherches jouent leur crédibilité scientifique.
L’ouvrage mérite d’autant plus l’attention qu’il est le fruit d’une réflexion menée en commun depuis 2010 entre le laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique (Cnam-CNRS, Paris), l’Université du Québec et le Centre de recherche sur les innovations sociales (Crises) de Montréal. Opportunité n’est pas opportunisme ; du temps a été donné au travail de construction de son contenu. Il est d’ailleurs le second ouvrage rendant compte des travaux de ce collectif. Le premier était le résultat d’un colloque. Il était signé « Les chercheurs ignorants », s’intitulait Les recherches-actions collaboratives et a été publié en 20151 par les presses de l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Celui-ci est un ouvrage composé de quatorze textes signés par dix-neuf auteurs (dix Français, sept Canadiens et deux Suisses) auxquels s’ajoutent l’introduction et la conclusion signées des deux directrices du volume.
L’introduction permet de prendre la mesure de l’ouvrage : elle informe sur le collectif à l’œuvre et la façon dont il a travaillé ; comme il s’agit d’une coopération avant tout franco-québécoise, elle esquisse une comparaison entre les deux contextes ; s’ensuit une présentation des textes qui donne une idée synthétique de la structure et du contenu de l’ouvrage. Il en ressort l’intérêt d’un couplage entre une expérience française très bridée par le poids de la culture scientifique « académique » (ce qui vaut aussi pour la Suisse) et une expérience francophone (la québeco-canadienne) plus ouverte sur une culture scientifique anglosaxonne, qui plus est vieille de trente années et à l’« avant-garde » sur la question (comme en atteste largement la bibliographie). Trois textes placés en début d’ouvrage reviennent de façon plus approfondie sur les contextes institutionnels, politiques et académiques nationaux dans lesquels les recherches partenariales s’inscrivent. Ils méritent une attention en eux-mêmes, car rendant compte de cas de figure très différents, ils mettent d’emblée en évidence deux caractéristiques majeures de ces recherches : leur ancrage dans l’environnement sociétal, qui leur donne leurs tonalités propres et, par voie de conséquence, en quelque sorte, la nécessité d’une reconnaissance de caractère politique afin que soient mises en place les conditions de leur développement. Compte tenu de la multiplicité des textes présentés et de la diversité des points de vue qu’ils illustrent, la conclusion est une très utile synthèse. On y retrouve au moins les mots-clés autour desquels l’ouvrage organise la réflexion sur les recherches partenariales et qui devraient servir à la poursuivre.
La grande difficulté à laquelle se heurte toute tentative de parler en termes généraux des recherches partenariales est leur extrême diversité, dont témoigne la multiplicité des appellations utilisées pour en rendre compte. D’où l’idée judicieuse d’ouvrir l’ouvrage par un texte qui tente de mettre de l’ordre dans ce foisonnement et qui fait figure d’introduction générale à la lecture de l’ensemble des contributions. L’idée d’aboutir à une « typologie », qui guide ce texte, peut paraître un peu rigide et formelle (l’auteur le souligne lui-même), mais la vue d’ensemble qu’il brosse et les analyses fines qui y sont développées fournissent, outre une grille de lecture, de très utiles repères pour orienter le lecteur qui voudrait se lancer dans une expérience ou pour éclairer celui qui en a déjà une sur sa pratique.
Les deux traits cruciaux des recherches partenariales sont l’association de chercheurs professionnels et d’acteurs sociaux dans un processus de recherche partagé, et leurs finalités hybrides mêlant production de connaissances et retombées sociales. Chacun des textes utilise à sa façon ces deux entrées pour aborder les questions de fond ainsi soulevées. Dans leurs contributions, les auteurs marient leur expérience d’enseignants-chercheurs (tous le sont et la parité est respectée) et un abondant recours à la bibliographie.
Concernant le partenariat, leurs analyses portent sur les conditions d’une réelle mobilisation des participants qui ne sont pas des chercheurs professionnels à une démarche de caractère scientifique, sur les modalités de leur association en rapport avec les objectifs visés et sur le statut donné aux apports des uns et des autres. Tout cela se tient et doit être mis en cohérence. La mobilisation des participants non-chercheurs (les « chercheurs occasionnels » comme les appelle l’un des auteurs) ne va pas de soi. Comment les « mettre en recherche » selon l’expression d’un autre auteur ? Comment prendre en compte leur « identité » ? Comment passer d’une reconnaissance des « altérités » à une « communauté de pratiques » ? Comment concevoir un « dispositif de recherche » créateur d’une communauté ? « Communauté de pratiques » ou simple « espace partenarial de recherche » et d’« apprentissage » du travail en commun (avec la durée que cela suppose dans le dispositif de recherche) ? Que faut-il entendre par « savoir professionnel », sachant que tout « savoir » est de facto « savoir-faire » ? Comment appréhender la tension entre dissensus et consensus ? Derrière toutes ces questions, c’est celle de la nature de la coopération réalisable dans un processus de recherche partenarial qui est posée. Avec, à la clé, la question de la place du chercheur dans la démarche de recherche partenariale et celle de la légitimité scientifique de cette démarche.
Un des grandes originalités des recherches partenariales est d’avoir à lier leurs modalités d’exécution à un large éventail de finalités ; et, qui plus est, de finalités à caractère social. Celles-ci vont d’un simple retour réflexif sur les acteurs mêmes de la recherche (la production d’une « identité » qui peut engager un processus d’« émancipation ») à une contribution à une véritable opération de « transformation sociale » (voire à une volonté de reprise en main de l’« agir commun »), en passant par la conception et la mise en œuvre d’une « innovation sociale ». Ces diverses options s’accompagnent nécessairement de choix variables dans l’importance accordée respectivement à l’objectif social et à celui de production de connaissances (étant toutefois entendu qu’il n’y a recherche que si ce dernier occupe une place substantielle). Cette finalité sociale a comme conséquence importante de poser les questions du rapport des chercheurs à l’« engagement » et de ce qu’il faut entendre par « objectivité » dans les recherches partenariales ; et partant, de leur scientificité même. Par ricochet, se posent les questions de la place accordée au non-chercheur devenant « chercheur occasionnel » dans la démarche de recherche et du traitement de ses « savoir[s](-faire) ».
Cette série – purement indicative – de questions n’a en soi rien d’original. L’intérêt de l’ouvrage n’en est pas moins d’en donner une vue d’ensemble, car le consensus dont elles sont l’objet témoigne de la constitution d’une communauté scientifique s’accordant sur ses problématiques structurantes. Mais cet intérêt n’en serait pas moins tout à fait relatif si l’ouvrage ne montrait pas comment les chercheurs qui s’engagent dans la recherche partenariale s’approprient ces questions et font progresser la réflexion. Et c’est bien ce à quoi il est consacré. Il ne s’agit rien de moins pour les auteurs que de prendre au sérieux, et à bras-le-corps, l’ambition de fonder la recherche partenariale sur la « co-construction » de la démarche de recherche ; et, pour cela, de s’obliger à ouvrir la boîte noire que cette expression tend – bien commodément – à constituer et d’affronter ainsi l’enjeu épistémologique majeur qu’elle soulève.
D’où le soin avec lequel les auteurs conduisent leurs recherches bibliographiques. Les références de base contemporaines les plus usitées y occupent bien sûr la place qui leur est due. Mais l’apport véritablement essentiel de l’ouvrage réside dans les explorations originales dans lesquelles chacun des contributeurs se lance pour fonder son propos. Et, pour une fois, le souci d’en appeler à la mémoire l’emporte sur le court-termisme qui est devenu la règle des recherches en sciences sociales, plus sensibles aux modes qu’à un attachement aux réflexions longues : les citations n’hésitent pas à remonter près d’un demi-siècle en arrière. En outre, comme les angles d’attaque sont variés, les champs explorés sont multiples ; la palette des auteurs référencés est très ouverte et novatrice.
Certes, l’espace de réflexion couvert a ses limites (manquent notamment les apports de l’épistémologie) et un point aveugle essentiel demeure (celui de la façon dont se font les confrontations des savoirs, de ce qui en résulte et de ce qui est admis sur la base de critères de scientificité partagés). En outre, le champ couvert ne concerne que des recherches impliquant les sciences sociales. Si interdisciplinarité il y a, elle est entre disciplines de ce domaine. Mais l’enseignement qui ressort de cette limitation n’en est que plus instructif, tant il s’avère que les questions posées par les recherches partenariales et les pistes de recherche ouvertes pour y répondre sont les mêmes que celles que pose une interdisciplinarité associant sciences sociales et sciences de la nature. Certes, la différence est nette entre des recherches associant uniquement des chercheurs professionnels, fussent-ils de disciplines différentes, et des recherches partenariales. Mais c’est précisément aussi là un des intérêts de la réflexion sur ces dernières : en obligeant à prendre le recul qu’introduit la présence des acteurs, elles agissent comme une loupe, car elles sont révélatrices des difficultés de compréhension qui existent entre chercheurs professionnels eux-mêmes et aident à les analyser.
Au total, le lecteur a le sentiment d’une plongée rafraîchissante dans tout un patrimoine de réflexions longtemps occulté par la domination idéologique de l’académisme scientifique, et auquel la recherche partenariale redonne sens. Le sentiment aussi que les recherches partenariales, loin d’être des sortes d’ovni apparaissant dans un univers scientifique par définition immuable, sont une invitation à se redemander « ce que chercher veut dire », selon l’expression d’un des auteurs. Toutes les questions qu’elles soulèvent ne concernent-elles pas aussi la recherche dite « normale » ?
Il a souvent été reproché aux recherches partenariales de manquer de bases théoriques (d’où le pluriel utilisé pour les désigner). Cet ouvrage s’emploie à mobiliser les sciences sociales pour qu’elles comblent ce déficit. Il montre que, loin d’être prises au dépourvu par la nouveauté de ces modalités de recherche, celles-ci disposent de tout un réservoir de réflexions pouvant aider à éclairer et à conforter le nouveau type de rapport de la société à la connaissance que les recherches partenariales veulent promouvoir. Encore faudrait-il que, comme le montrent les trois textes présentant les contextes des trois pays, « la reconnaissance du caractère scientifique de la recherche participative [soit admise comme] une nécessité politique » et que les conditions institutionnelles de son développement soient mises en place.
Cet ouvrage offre une base fondatrice non seulement, comme il a l’ambition de l’être, pour l’appropriation des recherches partenariales comme objet de recherche par les sciences sociales, mais aussi pour la conduite de ces recherches. Ce n’est d’ailleurs qu’à travers cette pratique, par le retour d’expérience, en accord avec ses fondements pragmatiques et constructivistes, que la recherche progressera.
Marcel Jollivet
(Directeur de recherche honoraire, CNRS, Nanterre, France)
marcel@parisnanterre.fr
Misère du scientisme en économie.
Retour sur l’affaire Cahuc-Zylberberg
Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Anne Eydoux, Agnès Labrousse, André Orlean (Eds)
Éditions du Croquant, 2017, 134 p.
On se souvient de la parution en septembre 2016 du livre de Pierre Cahuc et André Zylberberg, Le négationnisme économique. Et comment s’en débarrasser2 et du fort émoi qu’il avait suscité au sein de la communauté des économistes du fait de la charge extrêmement violente et injurieuse de ces auteurs à l’encontre du pluralisme méthodologique et de l’ouverture à d’autres disciplines. La thèse avancée par Cahuc et Zylberberg est que l’économie serait enfin devenue une science expérimentale, à l’instar de la physique ou de la médecine, et que seuls sont recevables dans le débat public relatif aux politiques économiques les arguments de ceux qui publient des articles reposant sur cette méthodologie dans les revues économiques les plus cotées, selon les critères qui prévalent actuellement au CNRS et au Conseil national des universités (CNU).
Les économistes qui publient Misère du scientisme en économie, des universitaires et des chercheurs membres des Économistes atterrés et de l’Association française d’économie politique (Afep), reviennent sur cette affaire en un court ouvrage, composé de textes originaux ainsi que de chroniques publiées à l’automne 2016, reprises et complétées. Ce petit livre, facile à lire, y compris pour le non-spécialiste, démonte un à un tous les arguments avancés par nos deux pamphlétaires et donne à voir, de manière très pédagogique, les diverses facettes de cette histoire. Nous en avions évoqué quelques-unes – notamment l’opposition de Cahuc et Zylberberg au projet de création d’une nouvelle section d’économie au CNU – dans un éditorial de NSS3, nous allons ici en présenter d’autres, tout aussi intéressantes.
André Orléan et Agnès Labrousse notent tout d’abord qu’il n’y a guère de référence épistémologique dans l’ouvrage de Cahuc et Zylberberg, ni dans leurs précédents travaux, ce qui peut paraître surprenant pour des auteurs qui entendent ouvrir un débat sur les méthodes et la scientificité d’une discipline. Ils insistent ensuite sur le fait que les méthodes d’expérimentation aléatoire, qui sont louées par Cahuc et Zylberberg, ne représentent qu’une faible quantité (moins de 10 %) des articles publiés dans les revues économiques jugées prestigieuses. Arthur Jatteau rappelle ensuite les limites de ces méthodes : elles mettent en évidence des causalités locales, sans que l’on puisse expliquer leur raison d’être, sans que l’on ait, non plus, la certitude que les mêmes résultats seront obtenus avec le même protocole appliqué dans d’autres contextes économiques et sociaux ; ce qui exclut l’utilisation de ces méthodes pour traiter des questions relatives à des politiques macroéconomiques. On notera d’ailleurs que, dans leurs travaux sur les politiques de l’emploi, Cahuc et Zylberberg ne pratiquent pas eux-mêmes cette méthode d’expérimentation randomisée, mais ont recours à des études économétriques plus classiques. C’est d’ailleurs essentiellement ce type de méthodologie qui est présent dans leur ouvrage, à l’exception d’une étude sur laquelle nous allons revenir.
Au cœur de l’argumentaire de Cahuc et Zylberberg se trouve, en effet, la question de la réduction du temps de travail. Le premier de ces auteurs, ainsi que le rappelle Michel Husson, a toujours été farouchement opposé à cette politique économique, bien avant même sa mise en application, le passage aux 35 heures étant considéré comme une hérésie économique, comme une source majeure du déclin de la France... Mais, comme le note Anne Eydoux, le débat sur l’évaluation du passage aux 35 heures a été relancé par la publication d’un rapport de l’Assemblée nationale en décembre 2014, dont le rapporteur était la députée socialiste Barbara Romagnan, et d’un rapport de l’Inspection des affaires sociales en mai 2016, lequel a été censuré par son directeur (!), mais dont on a pu lire de larges extraits dans la presse. Ces deux documents ont rappelé ce qui semble faire consensus aujourd’hui au sein des instances d’évaluation des politiques macroéconomiques (OCDE, Dares, OFCE), à savoir que les lois Aubry (1998) et Aubry (2000) ont permis la création d’environ 350 000 emplois. On peut y voir, comme l’écrivent les auteurs de Misère du scientisme en économie, un demi-succès (la création d’emplois n’a pas été aussi importante que prévu), une politique honorable réalisée à un coût raisonnable, mais au prix, pour beaucoup de salariés, d’une réorganisation importante des conditions de travail et d’une intensité accrue de celui-ci. Ce n’est évidemment pas l’avis de Cahuc et Zybelberg qui font un procès en incompétence à ces différentes expertises ; l’argumentaire dont ils usent dans leur pamphlet vise d’ailleurs à trancher définitivement ce débat sur le bilan des 35 heures. Pour ce faire, ils s’appuient essentiellement sur l’étude de Matthieu Chemin et Étienne Wasmer, publiée dans le Journal of Labor Economics en 20094, dont le dispositif expérimental repose sur le fait que la région Alsace-Moselle, de par son appartenance passée à l’Allemagne, dispose de deux jours fériés supplémentaires par rapport au reste du territoire français. Si les entreprises de cette région intégraient ces deux jours dans les RTT de leurs salariés, la baisse du temps de travail y serait ainsi légèrement inférieure (de 20 minutes à une heure, selon les catégories de salariés) à celle enregistrée ailleurs en France. Comme ces économistes n’ont pas observé corrélativement de variation significative des embauches en Alsace-Moselle, relativement au reste de la France, ils en concluent que la réduction du temps de travail n’a pas d’effet sur l’emploi. Et donc que les 35 heures sont une hérésie. CQFD. Mais, comme le montrent les auteurs de Misère du scientisme en économie, la mauvaise foi est alors à son comble : la comparaison menée par Chemin et Wasmer ne répond pas aux critères établis habituellement par les expérimentations aléatoires, qui doivent notamment comporter un tirage au sort entre deux populations testées ; qui plus est, ces économistes ont fait une erreur de codage, ce qui fausse leurs résultats ; ceux-ci, ainsi que l’a pointé Olivier Godechot, ont aussi oublié que l’Alsace-Moselle est une région frontalière et qu’une partie importante de ses salariés, qui ne travaillent pas en France, n’a pas connu de réduction de son temps de travail… En d’autres termes, et contrairement à ce qu’affirment Cahuc et Zylberberg, cette étude ne démontre pas ce qu’elle est censée démontrer. Il y a donc bien lieu de parler d’obscurantisme en économie, mais ce sont ceux qui le dénoncent si bruyamment et si violemment qui le colportent…
Il reste alors à se demander pourquoi une telle politique de réduction du temps de travail, qui ne singularise pas véritablement la France de ses voisins européens, provoque de telles oppositions, voire de telles obsessions. Au-delà de la réaction épidermique de Cahuc et Zylberberg, on rappellera que, depuis la fin des années 1990, il n’y a pas un gouvernement de droite qui n’ait mis à son programme la nécessité « d’en finir avec les 35 heures », y compris une fois que les lois Aubry ont été détricotées presque entièrement. Le conflit pour la durée du temps de travail – est-il besoin de le rappeler ? – est au cœur du capitalisme : « Le capitaliste, écrivait Marx, soutient son droit comme acheteur, quand il cherche à prolonger cette journée [de travail] aussi longtemps que possible […] le travailleur soutient son droit comme vendeur quand il veut restreindre la journée de travail à une durée normalement déterminée […] Entre deux droits égaux, qui décide ? La force5. » La durée légale du travail, comme le souligne dans cet ouvrage Thomas Coutrot, est le dernier outil de la régulation politique du travail qui subsiste après trente ans de dérégulation. La dimension politique du débat est alors évidente. Il est dès lors intéressant de rappeler, ainsi que le fait ensuite Michel Husson, les positions institutionnelles importantes qu’occupe Pierre Cahuc (entre autres, sa codirection de la chaire de sécurisation des parcours professionnels, financée notamment par des assurances privées ; sa participation au think tank libéral qu’est l’Institut Montaigne…) et les relations étroites qu’il a tissées avec Emmanuel Macron, lorsque ce dernier était secrétaire général de l’Elysée, avant d’être nommé à la tête du ministère de l’Économie. Gageons que nos deux conseillers du prince, qui rêvent de se débarrasser des « négationnistes économiques », doivent voir d’un bon œil la réforme du droit du travail mise en œuvre grâce à des ordonnances par le gouvernement d’Édouard Philippe, au nom d’une flexibilité du marché du travail qui ferait défaut en France… Les objectifs et la méthode ont assurément une certaine parenté. Comme s’il n’y avait pas, comme s’il n’y avait plus, à discuter du bien-fondé d’une telle politique et de la vision économique qui la sous-tend. Misère du scientisme en économie…
Franck-Dominique Vivien
(Université de Reims Champagne-Ardenne, Laboratoire Regards, Reims, France)
fd.vivien@univ-reims.fr
L’évolution, de l’univers aux sociétés.
Objets et concepts
Muriel Gargaud, Guillaume Lecointre (Eds)
Éditions Matériologiques, 2015, 504 p.
Cet ouvrage collectif a été préparé dans le sillage d’ateliers interdisciplinaires organisés en 2009 pendant l’année Darwin. Il mobilise une cinquantaine de chercheurs issus pour la plupart des sciences de la nature (astrophysique, physique théorique, biologie de l’évolution, écologie, sciences de la Terre et des planètes, etc.) et des sciences de l’information, quoique certains proviennent d’autres disciplines (épistémologie, économie).
Il est utile de souligner ce qui le distingue de Les mondes darwiniens6, ouvrage phare publié chez le même éditeur. Ce dernier livre, plus imposant (1576 pages), était centré sur le darwinisme, conçu comme théorie dont il s’agissait d’examiner les concepts et les problèmes, et la manière dont ceux-ci se sont exportés dans des champs extérieurs à la biologie de l’évolution. La présente étude, elle, se concentre sur le concept d’évolution, pris au sens large, indépendamment de toute référence au darwinisme. L’univers, les systèmes planétaires, les planètes, les êtres vivants, les sociétés sont des objets qui évoluent, au sens minimal où ils changent à travers le temps.
Le livre se présente comme une entreprise visant premièrement à analyser les différents concepts et méthodes permettant de penser les processus d’évolution. C’est ce que les trois chapitres de la première partie parviennent à faire en considérant : le statut du temps (et ses concepts connexes : durée, causalité, etc.) en physique, les concepts sous-tendant notre compréhension des changements biologiques et cosmologiques (transformation, évolution, historicité, déterminisme, etc.) ainsi que les méthodes et les techniques permettant de reconstituer l’histoire de la Terre et de la vie.
Ce livre est deuxièmement une grande fresque scientifique cherchant à rassembler les connaissances contemporaines portant sur l’évolution de grands objets du monde naturel. La deuxième partie offre ainsi une synthèse très riche et dense, mais toujours très claire, qui, via un grossissement progressif plonge d’abord le lecteur dans l’évolution de l’univers puis dans celle du système solaire et des planètes, pour arriver ensuite aux crises biologiques qui ont ponctué l’histoire de la vie, aux processus qui ont permis la diversification des formes vivantes, des roches et des minéraux, et à l’analyse des interactions entre l’histoire de la vie, des océans, de l’atmosphère et de la Terre solide. Les différents chapitres de cette seconde partie (« Univers, galaxies, étoiles, planètes » ; « Mondes planétaires » ; « Planète Terre et système Terre » ; « Des molécules au vivant… » ; « Diversification des formes vivantes… » ; « Géosphère et biosphère… ») comportent juste ce qu’il faut de recoupements partiels pour se faire écho.
La troisième partie propose des clarifications et des réflexions épistémologiques sur des concepts importants pour penser l’évolution : l’individu (chapitres 11 et 12) ; les catégories et les procédures permettant d’opérer des classifications d’entités soumises au changement (chapitre 13) ; l’information (chapitre 14) ; l’émergence (chapitre 15). Cette dernière partie est peut-être celle qui fonctionne le moins bien. Les chapitres 11, 12, 14 et 15 offrent, certes, chacun, des synthèses utiles sur des sujets importants qui ont généré une littérature croissante dans des littératures séparées ces dernières années. Mais ces chapitres fonctionnent pour ainsi dire isolément, sans écho ou intégration profonde au reste de l’ouvrage. On se demande donc s’il n’aurait pas mieux valu mobiliser les matériaux de ces chapitres en les intégrant dans une réflexion ample, dans le style de ce que propose, quoique trop brièvement, l’introduction générale. Le chapitre 13, écrit à de nombreuses mains, fait exception : les objets de plusieurs disciplines, de la zoologie aux sciences sociales en passant par l’astrophysique et l’écologie (certaines comme la pétrologie et la minéralogie n’ont été que rarement l’objet de réflexions épistémologiques) sont mobilisés pour offrir une réflexion originale et stimulante sur les procédures de classification.
L’ouvrage alterne entre des contributions théoriques, centrées sur les concepts et les processus physiques généraux (c’est le cas des chapitres « Mondes planétaires » et « Sociétés humaines ») et des contributions plus descriptives et démonstratives retraçant l’évolution concrète d’un objet particulier dans ses détails et sa richesse, en présentant les méthodes et les techniques déployées pour retracer cette histoire (par exemple les chapitres « Planète Terre et système Terre » et « Univers, galaxies… »). Cette alternance fonctionne très bien pour la plupart des objets considérés dans l’ouvrage, à l’exception peut-être des « sociétés humaines » pour lequel manque un pendant descriptif au chapitre théorique. L’ouvrage présente une illustration tout à fait remarquable. Dommage que celle-ci soit inégalement répartie − conséquence sans doute de l’alternance évoquée. Quand on sait la beauté des clichés de planétologie comparée, on regrette de ne pas en trouver, quelque part entre la carte du fond diffus cosmologique et la photographie d’un gneiss.
L’originalité principale de l’ouvrage réside dans le caractère transversal de son approche : en se concentrant sur un concept – l’évolution –, il coupe à travers les disciplines pour offrir une grande fresque des changements qui affectent les objets du monde. Une synthèse passant de manière continue de l’évolution de l’univers à celle des sociétés humaines aurait immédiatement été suspectée, dans les années 1970, d’adopter une attitude naturaliste. L’accroissement récent des porosités entre sciences de la nature et sciences humaines, en grande partie initié par les changements environnementaux, dissipe les risques d’une telle suspicion. On regrettera néanmoins que, dans cette entreprise transversale, les sciences humaines et sociales se trouvent en position minoritaire.
Revenons à ce qui fait l’originalité et la force de l’ouvrage. Il est sans doute utile de s’interroger sur les conditions qui ont rendu possible sa production. Parmi celles-ci figurent entre autres les injonctions contemporaines à l’inter-trans-disciplinarité et les assouplissements récents en biologie sur la manière dont il faut comprendre l’évolution. Mais de manière plus large et plus profonde, on ne peut s’empêcher de remarquer que les changements intervenus dans les sciences de la nature au tournant des années 1970 et 1980 ont donné à voir une nature plus dynamique et moins statique : la climatologie, la tectonique des plaques et les techniques de datation absolue ont renouvelé notre conception de la Terre en y réintroduisant une dynamique et une histoire ; dans le même temps, les sciences de la complexité et du chaos ont fourni les outils théoriques et conceptuels permettant de penser les dynamiques des systèmes complexes, parfois faites de transitions abruptes ; la stabilité et l’intégrité des individus biologiques ont été remises en question par la microbiologie et l’étude des associations bactériennes ; l’étude des crises d’extinctions biologiques a été profondément renouvelée pour donner à voir les interactions entre l’histoire de la vie et l’histoire de la Terre ; l’écologie a intégré les actions humaines dans ses réflexions et proposé des visions plus dynamiques et moins déterministes des écosystèmes.
Tout se passe comme si ces différents déplacements opérés dans des disciplines séparées avaient, au fil du temps, travaillé en profondeur les sciences de la nature pour engendrer une conception dynamique et processuelle de la nature, en opposition à une vision plus statique et structurelle. Ce livre est une synthèse originale, riche et réussie de ces transformations récentes.
Sébastien Dutreuil
(CNRS, UMR7304 Ceperc, Aix-en-Provence, France)
Sebastien.dutreuil@univ-amu.fr
Sociologie des systèmes alimentaires alternatifs. Une promesse de différence
Ronan Le Velly
Presses des Mines, 2017, 193 p.
Ronan Le Velly est maître de conférences en sociologie à Montpellier SupAgro et membre de l’UMR Innovation. Il a longtemps collaboré au Centre de sociologie des organisations avec Sophie Dubuisson-Quellier. Il nous livre ici une synthèse de ses recherches sur les systèmes alimentaires alternatifs. Si chaque lecteur de NSS a une idée de ce que cela recouvre, il n’est pourtant pas évident de réunir sous ce terme l’agriculture bio, les circuits courts, le commerce équitable et les nombreuses variantes et combinaisons qui en sont dérivées. Cela constitue-t-il un objet de recherche ? R. Le Velly commence par souligner que dans la littérature, principalement anglosaxonne, il s’agit d’un objet assez bien identifié depuis trente ans et qui a suscité plusieurs débats qu’il rappelle. S’agit-il de vraie rupture avec les systèmes dominants ? Ces systèmes alimentaires alternatifs ne cachent-ils pas des objectifs moins avouables que leurs prétentions ? Sont-ils capables de résister à l’emprise de la grande distribution dès lors qu’ils rencontrent des succès commerciaux ? C’est principalement à cette dernière question que l’auteur se propose de répondre.
Mais d’abord qu’y a-t-il de commun à ces systèmes dits « alternatifs » ? R. Le Velly ne voit pas cette unité dans des similarités objectives mais plutôt dans le fait que tous se définissent par une promesse, celle de faire une différence avec le système agroalimentaire dominant (ce dernier terme est mien) fait de productions standardisées, d’échanges mondialisés dominés par de grandes firmes qui approvisionnent des consommateurs indifférents. Cette promesse peut se décliner dans plusieurs directions plus ou moins convergentes : promesse d’équité, promesse de qualité et de santé, promesse environnementale, promesse de proximité et de solidarité… Mais l’auteur ne nous livre pas pour autant une lecture culturelle ou culturaliste de ces promesses (dont il ne détaille d’ailleurs pas les origines). C’est que sa préoccupation et ses ancrages théoriques l’orientent dans une tout autre direction, celle de la construction des marchés par l’action collective. Il propose en effet de faire converger l’analyse des systèmes d’action et de production de règles (Reynaud, Friedberg, Crozier) avec l’analyse des agencements marchands (Callon). C’est en réunissant ces approches qu’il pense pouvoir faire un diagnostic fondé de ces systèmes alimentaires tiraillés entre marginalisation et intégration dans les circuits conventionnels. En résumé, ces deux approches lui permettent de proposer un cadre d’analyse dans lequel les échanges marchands sont des construits et non des donnés. Cette construction des marchés résulte de multiples formes de coordination, d’ajustements techniques, de conventions de qualité et de normes. R. Le Velly considère que ce sont précisément ces promesses de différence qui constituent le troisième ingrédient de ces systèmes, à savoir des cadres cognitifs et interprétatifs qui sont moins des prescriptions ou des normes que des raisons et des finalités que des collectifs se donnent pour agir et s’entendre dans l’action.
Ce qui donne une certaine cohérence aux différentes promesses des systèmes alternatifs ce sont à la fois des critiques des systèmes conventionnels et la volonté de construire des systèmes nouveaux répondant à ces critiques qui portent sur la réduction marchande, l’emprise des multinationales, la dégradation aussi bien des conditions de vie des producteurs que de la qualité des produits ou de l’environnement. Reste que ces ambitions doivent se traduire dans des échanges réels, des prestations et des rétributions et que cela n’est possible qu’en négociant.
La négociation est d’abord nécessaire parce que la promesse est en fait ambiguë en ce sens qu’elle contient plusieurs ambitions qui, dans la pratique, entrent en tension, voire en contradiction : l’auteur montre que cela vaut aussi bien pour le commerce équitable que pour les circuits courts : vendre impose de satisfaire à des exigences de prix, de qualité, de régularité qui conduisent à sélectionner des producteurs qui ne sont pas toujours les plus marginalisés, sauf à revenir à des pratiques caritatives qui sont précisément contraires à la promesse d’une viabilité économique et d’une autonomie pour les producteurs. Le monde des systèmes alimentaires alternatifs est donc un monde en tension permanente entre divers objectifs entre lesquels des arbitrages doivent être négociés.
L’auteur formule une proposition, un peu surprenante à première vue, en posant que ce qui fait le système alternatif (son « alternativité »), c’est l’hybridation qu’il opère entre les principes tirés de ses promesses et les exigences des transactions marchandes. L’alternatif c’est le mélange négocié de l’alternatif et du conventionnel. Cette formule est une manière de refuser une vision binaire qui opposerait schématiquement alternatif et conventionnel. Elle ouvre un espace d’analyse, celui des négociations entre contraintes et opportunités marchandes et ambitions d’équité.
Cet arbitrage n’est pas théorique, il s’opère dans la pratique de construction d’un marché, mais d’un marché régulé autrement. C’est là que réside le cœur de l’analyse, celle des mécanismes de régulation très spécifiques qui vont articuler les exigences et les possibilités des uns et des autres. L’ouvrage se fait alors plus ethnographique pour décrire précisément tous les ajustements (techniques, juridiques, organisationnels) qui rendent possible, par exemple, la création d’une filière d’approvisionnement local de cantines scolaires.
L’ouvrage synthétise les résultats d’une dizaine d’années de recherches forcément très diverses compte tenu de la variété des formes d’organisation que prennent ces systèmes alimentaires. L’auteur a mobilisé une variété d’approches du suivi pluriannuel de certaines expériences depuis le dépouillement d’archives jusqu’à l’observation directe de négociations tant locales qu’internationales. Cela lui permet de changer de focale et de rendre ainsi compte de ce qui se passe à l’échelle locale et même individuelle, par exemple au sein d’une Amap (association pour le maintien de l’agriculture paysanne), mais aussi de montrer la trajectoire suivie par les organisations internationales du commerce équitable.
Un chapitre du livre compare trois expériences qui tentent de relocaliser la production alimentaire. Elles sont très instructives car elles montrent d’abord qu’il s’agit bien de construction de marchés, c’est-à-dire de construction aussi bien de la demande que de l’offre, et qu’elle passe par des négociations qui sont chaque fois spécifiques. Dès lors, l’auteur peut montrer que ce qui importe, c’est moins l’intermédiation (l’activité d’intermédiaires) que la réalité d’une participation des parties à la définition des règles. C’est ce qu’il appelle une régulation conjointe et qui va opérer le mélange, l’hybridation de règles conventionnelles et de règles alternatives.
Ayant ainsi démontré la pertinence d’une analyse de la formation des règles, l’ouvrage est bien armé pour traiter la question centrale, celle de savoir si la croissance des échanges commerciaux, leur élargissement à des opérateurs traditionnels – processus qui impliquent des intermédiaires – constituent des processus qui diluent la promesse initiale et font rentrer ces initiatives dans les circuits et les normes classiques, cela même qui est communément appelé la conventionnalisation7 ou le « mainstreaming ». L’auteur est particulièrement attentif à deux critères : l’accès au marché des producteurs marginalisés (petits paysans ou artisans), le maintien de standards concernant les conditions de travail et de participation des travailleurs.
L’analyse du réseau Artisans du Monde porte sur la professionnalisation de ce réseau et la croissance qu’elle a permise. Elle a impliqué de profondes transformations des règles de fonctionnement et des relations entre les producteurs du Sud et le réseau des boutiques. L’auteur en conclut que si les relations sont désormais moins personnalisées, les exigences du marché au Nord sont mieux prises en compte, ce qui crée la croissance, qui à son tour permet de dégager des marges au profit d’actions en faveur de producteurs plus marginaux. Une autre analyse porte sur une Amap qui relie un réseau de consommateurs à des pêcheurs de Loire-Atlantique. L’intérêt de ce cas est de montrer comment des pêcheurs (patrons et équipages) se sont organisés en groupement d’intérêt économique (GIE) pour assurer la distribution des colis et se partager les revenus de manière équitable et non pas sur le modèle classique qui rémunère d’abord le capital investi dans le bateau.
Le dernier chapitre est consacré à l’organisation internationale du commerce équitable et à son évolution, souvent rendue responsable d’un renoncement progressif aux promesses d’équité, notamment suite à l’entrée dans le circuit de grands groupes commerciaux auxquels la distribution est de plus en plus déléguée. Si cette délégation a permis une spectaculaire croissance des ventes, elle tend aussi à mettre en concurrence les organisations de producteurs et à affaiblir les normes sociales ou leur application. Mais il s’agit moins d’un effet de l’extension des marchés ou de l’entrée des intermédiaires que de choix négociés entre des optiques et des organisations qui les portent et qui représentent et se représentent différemment les intérêts des producteurs du Sud. Un bon exemple de tels débats est le choix d’inclure les plantations (qui emploient des salariés), ou seulement les coopératives, dans le commerce équitable, ou bien encore, dans le même contexte, de définir les normes à imposer pour la reconnaissance des organisations syndicales dans ces plantations. La conclusion est donc nuancée : il n’y a pas de déterminisme économique qui ferait de la croissance des marchés un facteur décisif, tout dépend plutôt des rapports de négociation, du poids relatif des acteurs et de leurs ambitions.
Cet ouvrage intéressera aussi bien les praticiens que les chercheurs en sciences sociales. Aux praticiens, il offre une riche grille d’analyse de ce qui entre en jeu dans de telles négociations, et, comme l’auteur l’ambitionne, il devrait leur permettre d’avoir plus de prises sur la conception d’agencements qui répondent à leurs ambitions. Aux seconds, il propose une intéressante discussion de ce que l’auteur appelle régulation conjointe et livre dans le même temps un bel exemple d’analyse cherchant à identifier les possibilités du changement dans le jeu même des rapports de force. Cet ouvrage est délibérément engagé car R. Le Velly cherche bien à contribuer à cette recherche d’alternatives précisément en pointant les marges de négociation pour les acteurs. Il s’agit donc bien d’une analyse pragmatiste, d’un bilan précis, détaillé et pertinent de pratiques innovantes qui tentent de construire un autre monde.
Marc Mormont
(Université de Liège, Liège, Belgique)
mmormont@ulg.ac.be
Les prix agricoles.
Nouveau dialogue sur le commerce des bleds
Jean-Marc Boussard
L’Harmattan, 2017, 194 p.
Dans le champ de l’économie agricole, l’histoire de ces quinze dernières années se distingue par une succession de flambées des prix, lesquelles sont indissociables des ruptures occasionnées par la mondialisation. Beaucoup d’observateurs, d’experts, d’institutions internationales, en ont du coup déduit que ces pics de prix étaient annonciateurs d’une hausse tendancielle et durable à l’horizon 2030, voire 2050. En réalité, à la faveur du malaise que traverse le capitalisme mondial depuis le déclenchement de la crise en 2007, c’est davantage une période d’instabilité chronique des prix agricoles – comme de l’ensemble des matières premières d’ailleurs, à l’instar du très symbolique cours du baril de pétrole – qui s’est installée. Aux phases de hausses succèdent des périodes de baisses, et de telles fluctuations sont préjudiciables aux acteurs économiques des filières, dans la mesure où elles pèsent lourdement sur leur prise de décision. C’est pourquoi il est recommandé de lire l’ouvrage qu’a tout récemment publié Jean-Marc Boussard.
La notoriété de cet économiste, ancien directeur de recherche à l’Inra, est bien établie. La longue et riche carrière de J.-M. Boussard parle pour lui. Elle se distingue en effet par une série de publications traitant en particulier de la question des prix agricoles, de leur formation et de leurs fluctuations. Il en est l’un des grands connaisseurs.
La parution de ce nouveau livre arrive du coup à point nommé, pour qui entend se faire une idée de ce qu’est un marché agricole et de comment se forme le prix d’une matière première destinée à l’alimentation humaine ou animale. En quelque 190 pages, les huit chapitres composant l’ouvrage proposent une synthèse complète et pédagogique du problème de la formation des prix agricoles et de leur volatilité. L’originalité de la réflexion de J.-M. Boussard est double et tient au fait que son propos n’est pas que théorique. Il est en effet agrémenté d’une part d’une connaissance de la bibliographie qui s’est raréfiée dans la profession des économistes, tant leur rapport avec leur propre histoire s’est distendu au gré de leur ardent désir de faire science. D’autre part, les chapitres sont nourris d’exemples historiques – principalement regroupés dans le chapitre 4 – permettant d’illustrer le point de vue théorique qu’entend développer l’auteur. Car les marchés agricoles sont historiquement instables, de manière chronique, ce qui, à intervalles réguliers, a ouvert la voie à des polémiques sérieuses entre les économistes sur la nécessité ou non pour l’État d’intervenir pour stabiliser le cours de certaines matières premières agricoles. L’auteur s’inscrit dans le temps long de l’histoire agricole et montre que, par exemple, la volatilité du prix du blé peut déjà s’observer dès le début du XVIIIe siècle. De telles fluctuations se sont même généralisées au cours du temps et ont dépassé le seul périmètre de l’agriculture, un produit de base aussi fondamental que le pétrole ayant été touché. J.-M. Boussard recommande toutefois de faire preuve d’une certaine prudence, notamment méthodologique. Car s’il existe bien une sorte de loi générale de l’instabilité des prix qui concernerait l’ensemble des matières premières (blé, coton, pétrole, sucre…), encore faut-il prendre un soin particulier à calculer ces prix en termes constants. C’est pourquoi l’auteur en arrive à montrer que le prix du pétrole en 1861 est somme toute le même qu’en 2014.
J.-M. Boussard est un fin théoricien des prix agricoles et, de ce fait, suggère au lecteur, dès le chapitre 2, de revenir sur ce qu’est un prix, comment il se forme sur un marché, et en quoi en agriculture, l’on s’écarte nécessairement de la vision canonique, celle du main stream, que nous a léguée l’école néoclassique. Il était en effet indispensable de procéder à ces rappels fondamentaux, dans la mesure où, sous les variations de la demande ou de l’offre, il n’y a pas, ou très peu, de flexibilité des prix en agriculture. Dans ce secteur en effet, c’est à une rigidité de la demande que nous avons affaire. Le chapitre 6 le montre très explicitement. Sauf que, contrairement à ce que l’auteur pense, cette caractéristique d’un marché agricole est très loin d’être partagée par tous les économistes. Il suffit, pour s’en convaincre, de se pencher sur la crise du secteur laitier à la suite de la sortie des quotas. Les économistes de la Commission européenne se sont enfermés dans cette certitude que les productions de lait, libérées des quotas dans l’Europe communautaire, seraient absorbées par la demande mondiale, en vertu de la célèbre – bien qu’infirmée dans les faits – loi des débouchés de l’économiste français Jean-Baptiste Say. C’est donc bien dans ce chapitre 6, par ailleurs d’accès difficile, que le lecteur trouvera à se convaincre que les marchés agricoles doivent être régulés, conformément à l’approche dite « endogène », développée notamment par Mordecai Ezekiel dans les années 1930, et plus connue sous le nom de « théorème du Cobweb » (p. 89 et suivantes).
Les chapitres 5 et 6 sont d’autant plus décisifs qu’ils conditionnent la suite et la fin du livre. Après avoir montré en quoi les fluctuations de prix sont endogènes au marché, en quoi elles peuvent entraîner des dommages importants pour les agriculteurs – l’auteur parle même de « nuisance » (p. 167) – et orienter ainsi l’offre de produits sur le marché (du fait de l’aversion au risque, il peut y avoir des reports ou suppressions d’investissements, un renoncement à embaucher des salariés agricoles, des baisses de production…), le propos s’achève sur la notion de politique agricole. De façon assez surprenante, l’auteur aborde au préalable l’histoire des politiques agricoles (chapitre 7) avant d’examiner les différents instruments de régulation des marchés (chapitre 8). Sans doute aurait-il été logique de placer le chapitre 8 avant le chapitre 7 et de se situer ainsi dans le prolongement de ce qui a été dit auparavant sur les fondements théoriques de l’instabilité des prix agricoles. J.-M. Boussard a certainement souhaité respecter sa méthode jusqu’au bout et traiter des épisodes de l’histoire durant lesquels des formes de politiques agricoles ont été expérimentées, appliquées, dans différentes régions du monde, et ce, depuis l’Antiquité (en Chine, en Égypte, dans la Rome antique…).
Le passage qu’il consacre aux grandes « controverses libérales » qui se sont étalées sur près d’un siècle et qui ont opposé de grands noms de la science économique est fortement recommandé au lecteur. Il souffre toutefois d’une carence, qui a trait au fait que, chez David Ricardo, la légitimité de l’abrogation de la Loi sur les blés – votée en 1846 par le Parlement britannique après d’âpres débats – était indissociable de la logique de l’accumulation du capital pour les industriels anglais. Déposée dans le célèbre chapitre VII des Principes de l’économie politique et de l’impôt8, dont la première édition date de 1817, l’idée d’une ouverture de l’Angleterre aux importations de blé en provenance d’outre-Atlantique apparaît en effet étroitement articulée au chapitre précédent, dédié aux profits des industriels. De même, on ne peut que regretter dans ce passage, l’absence, ne serait-ce que sous la forme d’une évocation, des échanges épistolaires que Ricardo eut avec son ami et néanmoins adversaire théorique, le pasteur Thomas Robert Malthus, ce dernier justifiant le maintien de la Loi sur les blés et, d’une certaine manière, la nécessité de se doter d’une politique agricole. Cette controverse marqua la véritable naissance de la science économique.
L’autre aspect essentiel du chapitre 7 réside dans la vision proposée par Boussard de la grande crise des années 1930, en particulier aux États-Unis. Les agriculteurs, lourdement endettés, furent anéantis par l’effondrement des prix agricoles dès 1929, mettant ainsi en péril la capacité du pays à nourrir une population en voie de paupérisation rampante. C’est ce qui explique que, dès son élection, Franklin D. Roosevelt fit voter une loi agricole (Agricultural Ajustment Act), assortie de prix administrés, dont la finalité était de redresser la situation économique des producteurs et de garantir l’accès à l’alimentation pour les plus indigents. On sait qu’une telle pratique de la politique agricole se diffusa ensuite en France (l’année 1936 consacre la formation de l’Office national interprofessionnel du blé, ou Onib), et, plus largement encore, en Europe à partir de la fin des années 1950 avec la politique agricole commune (Pac). C’est au début de la décennie 1990 que les réformes de la Pac s’enclenchent, sous l’impulsion d’un discours libéral que Boussard qualifie de façon un peu lapidaire « d’air du temps » (p. 126). Lapidaire en ce sens que c’est bel et bien tout un message libéral qui s’impose et qui, parfois, remonte aux années 1940. Les économistes libéraux ont donc attendu leur heure avant d’abattre le keynésianisme, école de pensée ayant constitué l’un des fondements des politiques agricoles. Davantage qu’un « air du temps », il s’agit d’une opposition frontale entre deux conceptions du marché, y compris en agriculture, devenant ainsi un secteur comme un autre, alors que toute la démonstration de J.-M. Boussard a montré le contraire. Une revanche était prise sur près d’un demi-siècle d’interventionnisme en agriculture, sauf aux États-Unis, où la politique agricole reste en vigueur, en dépit de quelques tentatives de la libéraliser à la fin des années 1990.
La fin de l’ouvrage propose un panorama des différents instruments de régulation des marchés agricoles. Il en ressort qu’aucun d’entre eux n’est véritablement performant selon l’auteur. Outils d’assurance, marchés à terme, planification centralisée, stockage, prix d’intervention, tous ces dispositifs ont leurs limites. Fidèle à sa vision antérieure, J.-M. Boussard estime que le principe des quotas est sans doute un « moindre mal », dans la mesure où ils débouchent sur un compromis honorable entre un libéralisme pur et l’interventionnisme illimité. Il a d’ailleurs souvent considéré que la sortie des quotas laitiers constituait une erreur, ce en quoi la période récente lui a donné raison. Que doit-on toutefois entendre par un « moindre mal » ? Manifestement, l’auteur éprouve une certaine méfiance envers les autres instruments, et tout particulièrement les pratiques interventionnistes qui, comme les prix de soutien illimités, pourraient engendrer des surproductions. Il suggère de réguler mais point trop.
Pour finir cette note de lecture, indiquons qu’il s’agit d’une analyse qui ouvre des pistes de réflexion sur un thème qui n’a jamais été aussi important pour le monde, à savoir l’agriculture et l’alimentation. J.-M. Boussard le dit lui-même. L’agriculture est un secteur d’avenir et le laisser fonctionner au gré des forces du marché, c’est prendre le risque de renouer avec des crises alimentaires dont il a été rappelé tout au long des chapitres la succession au travers de l’histoire. Celle de 2007-2008 forme un signal selon lequel plus que jamais l’agriculture constitue un domaine fondamentalement utile au monde moderne. Une belle conclusion qui devrait inciter le lecteur à se procurer et à lire cet ouvrage de belle facture, initiateur, espérons-le, de nouveaux débats.
Thierry Pouch
(Université de Reims Champagne-Ardenne, Laboratoire Regards, Reims, France)
thierry.pouch@apca.chambagri.fr
Les inégalités environnementales
Catherine Larrère (Ed.)
Presses universitaires de France, 2017, 104 p.
Pour une sociologie des inégalités environnementales
Valérie Deldrève
Peter Lang, 2015, 243 p.
La publication, à un peu plus d’un an d’intervalle, de ces deux ouvrages sur les inégalités environnementales a justifié la tentation d’en livrer un compte rendu commun. Le pari était risqué, qu’il s’agisse de deux approches totalement contradictoires ou bien d’un courant de pensée assez homogène autour de la question traitée. C’est cette deuxième caractéristique qui relie ces deux livres, l’un dirigé par une philosophe (Catherine Larrère), l’autre écrit par une sociologue (Valérie Deldrève). L’un et l’autre présentent en effet de telles similitudes dans les références, les auteurs convoqués, les concepts utilisés et surtout le cheminement parcouru et les conclusions auxquelles ils aboutissent que l’on éprouve bien la sensation de se sentir au cœur d’un courant de pensée en construction autour d’un même objet de recherche interdisciplinaire : les inégalités environnementales.
Le livre dirigé par C. Larrère contient quatre chapitres écrits par cinq auteurs différents. Dans son chapitre introductif intitulé « Quelle égalité pour l’écologie politique ? », C. Larrère, après avoir pointé le manque de sensibilité environnementale des études socioéconomiques et le manque de sensibilité sociale des études écologiques, après avoir plaidé pour une réflexivité socioenvironnementale des inégalités et montré qu’elles ne se réduisent pas à des interactions causales entre dégradation de l’environnement et inégalités, propose de faire appel à la notion de « capabilité9 » pour ouvrir une voie vers la réduction d’un facteur décisif d’inégalités : « l’absence de participation à la décision du plus grand nombre en référence aux principes de justice environnementale10 ». Il s’agit d’intervenir, en amont, sur les causes sociales et politiques des inégalités environnementales plutôt que de tenter d’en atténuer les conséquences sur la nature et la société.
À ce propos, C. Larrère cite Cyria Emelianoff : « La restauration des qualités environnementales par les populations elles-mêmes est sans doute une des rares réponses politiques existantes face aux inégalités environnementales11. ». C. Larrère en conclut pour sa part que le modèle d’égalité « n’est pas seulement à rechercher du côté d’une réduction de l’échelle des revenus ou des patrimoines mais dans le développement des pratiques collectives et des usages communs » (p. 28).
Dans le chapitre 2 « Mesurer et réduire les inégalités environnementales en France », Éloi Laurent, chercheur à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), propose de montrer que le risque environnemental, bien que collectif, est « socialement différencié ». Il s’appuie, pour ce faire, sur diverses données chiffrées concernant l’environnement et la santé, les pollutions de l’air, l’accès aux ressources naturelles, les catastrophes qualifiées de « social-écologiques », pour conclure sur l’urgence de l’institutionnalisation d’une justice environnementale à la française, en s’inspirant de l’Environnemental Protection Agency américaine.
Le chapitre 3 est intitulé « Jusqu’où l’économie écologique pense-t-elle l’inégalité environnementale ? Autour de l’œuvre de Joan Martínez Alier ». Selon ces deux auteurs, Laura Centemeri, du CNRS, et Gildas Renou, de l’Université de Strasbourg, l’économiste catalan J. Martínez Alier dénonce une économie de croissance déconnectée de la réalité politique et écologique des sociétés humaines. Pour lui, il existe un « environnementalisme populaire », trop ignoré des sciences sociales, mais qui, pris en compte, ouvrirait d’autres paradigmes que celui, trop étroit et injuste, qui découle des lois de l’économie de marché. J. Martínez Alier utilise le terme de « langages de valuation » pour « souligner l’existence de manières variées de définir ce qui fait la valeur de l’environnement au-delà du langage des prix de marché » (p. 63), par exemple de le faire exister en tant que « milieu de vie » ou en faisant appel au sacré. Mais, ce que remarquent les auteurs de l’article, c’est que « d’autres sources d’oppression, de dommages et d’injustices risquent de rester inaperçues en raison d’une définition a priori de ce à quoi les humains tiennent » (p. 72), définition oublieuse du grand pluralisme des situations et des revendications.
Dans le chapitre 4, « La fabrique territoriale des inégalités environnementales », C. Emelianoff, de l’Université du Mans, développe un thème récurrent dans les travaux sociologiques sur les espaces protégés, ruraux ou urbains devenus signes de différenciation inégalitaire pour les couches sociales dominantes. Les règles de gestion des territoires « à haute valeur patrimoniale » selon le terme consacré chez les gestionnaires deviennent en même temps support de différenciation inégalitaire pour les couches sociales supérieures. Et ainsi ceux qui génèrent le plus d’impacts négatifs sur l’environnement sont ceux qui en subissent le moins. Cela se vérifie au plan international. Cet article conclut sur le constat démontré dans les faits que lorsque les habitants transforment leur environnement, plutôt que d’en confier le soin à une autorité extérieure, cela peut atténuer les inégalités environnementales. Ainsi, au Nord comme au Sud, des communautés ont restauré des liens naturels « communs ». La conclusion est abrupte dans sa formulation : « L’écologisation des environnements résidentiels n’est qu’une énième forme de ségrégation et de captation de la valeur. » (p. 93).
Cette conclusion est aussi une bonne transition pour introduire l’ouvrage de Valérie Deldrève, Pour une sociologie des inégalités environnementales. L’auteur, dans son introduction, relativise dans le temps les inégalités environnementales : elles ne sont pas spécifiques à la période contemporaine, elles sont enracinées dans l’histoire. Elle rend compte également des diverses conceptions existantes entre inégalités environnementales et écologie et pointe les causes du faible intérêt de la sociologie pour cette question.
Il est impossible, tant sont nombreuses, variées et complètes les références aux auteurs, aux problématiques, aux courants de pensée, de pouvoir rendre compte de cet ouvrage dans sa diversité. Derrière le projet de « construction d’un cadre d’analyse sociologique » se dessine un état des lieux fort complet et argumenté de la sociologie des inégalités environnementales. L’importante bibliographie en est un remarquable reflet. Il n’est pas possible de rentrer dans les détails tant le texte est dense mais il est utile de lister les principales questions posées : le chapitre 1 est consacré aux deux courants (l’environnemental justice et le développement durable) qui ont participé à l’étude et à la dénonciation des inégalités environnementales. La restitution de deux enquêtes sociologiques sur des quartiers populaires à proximité de deux sites naturels protégés (le chemin vert à Boulogne-sur-Mer et la Cayolle à Marseille) confirme l’analyse.
Dans le chapitre 2 il est question de la compatibilité ou de l’incompatibilité entre justice sociale et durabilité. Le chapitre 3 traite des inégalités d’accès à la nature avec comme terrain de recherche la commune de Touquet-Paris-Plage. Dans le chapitre 4 sont posées deux questions : 1/ Quelles sont les formes socioéconomiques, culturelles, politiques les plus déterminantes dans la production des inégalités environnementales ? 2/ Quels sont les collectifs pertinents pour étudier les inégalités environnementales ?
Le dernier chapitre traite de la participation comme enjeu premier de justice environnementale. Il pose aussi cette question importante : « Pourquoi la concertation instituée pour définir les politiques publiques environnementales contribue-t-elle au renforcement des inégalités environnementales ? ». C’est délibérément que nous ne donnons pas les réponses de V. Deldrève à ces questions, pour inciter le lecteur à lire ce livre trop dense pour être résumé.
En conclusion, ces deux ouvrages si différents dans la forme et dans les disciplines convoquées procèdent d’une même ligne directrice et d’une même démonstration, à savoir que les inégalités environnementales ne sont pas à débusquer seulement dans l’accès socialement différencié aux ressources matérielles et immatérielles ou dans les clivages sociaux liés à la qualité de l’environnement, mais aussi et surtout dans le pouvoir, la capacité ou l’incapacité, la possibilité ou l’impossibilité des peuples et des communautés à décider et construire par eux-mêmes leur propre environnement. Mais parfois ce terme n’est pas forcément le plus adéquat ou alors il aurait fallu détailler sa polysémie aussi précisément qu’ont été détaillées les inégalités sociales.
Bernard Picon
(Directeur de recherche émérite, CNRS, UMR7300 Espace, Arles, France)
berpicon@gmail.com
Where the river flows.
Scientific reflections on earth’s waterways
Sean W. Fleming
Princeton University Press, 2017, 216 p.
Cet ouvrage tente de donner une vision très générale de l’écoulement de l’eau à la surface de la Terre et ne se limite pas aux écoulements en rivières, contrairement à ce que son titre pourrait laisser entendre. L’objectif de l’auteur est de montrer que l’hydrologie n’est pas seulement une science naturelle, descriptive, mais qu’elle s’appuie également sur des lois de la physique, principalement la mécanique des fluides, et qu’elle utilise pour interpréter les données qu’elle récolte les méthodes les plus modernes des technologies de l’information.
L’auteur, Sean Flemming, indique avoir 20 ans d’expérience tant dans le privé, le public que dans les ONG en matière d’exploration pétrolière, de prévision opérationnelle du débit des rivières et de glaciologie. À le lire, il me paraît avoir une formation de base de géologue et dit avoir des fonctions universitaires en sciences géophysiques aux Universités de Colombie-Britannique au Canada et de l’État d’Oregon aux États-Unis.
Le livre est conçu pour les non-spécialistes qui ne connaissent pratiquement rien au sujet et qui de plus sont dépourvus des connaissances les plus élémentaires en mathématiques ou qui ont une aversion pour cette discipline. Le paradoxe est que malgré cet a priori, l’auteur s’efforce de faire comprendre au lecteur des notions telles que l’entropie de l’information de Shannon ou les modèles autorégressifs linéaires pour simuler le débit des rivières, ou encore l’équation aux dérivées partielles d’advection-dispersion décrivant la propagation d’un soluté en milieu poreux… Il y réussit parfois brillamment, lorsqu’il explique l’entropie de Shannon, par exemple, mais il peut aussi se montrer fastidieux, allant jusqu’à tenter d’expliquer par des analogies des choses aussi élémentaires qu’une dérivée, une corrélation, le calage d’un modèle.
Le plan de l’ouvrage est surprenant : les mêmes concepts sont repris dans des chapitres différents et les titres des chapitres ont très peu de choses à voir avec leur contenu réel. Ainsi dans le chapitre sur la « mémoire » des rivières, « How do rivers remember? », l’auteur évoque le Nilomètre donnant le niveau du Nil à son minimum annuel, enregistré depuis l’an 600 jusqu’à 1400. Il cite la loi de Hurst, qui a mis en évidence à propos de ces données l’existence d’une autocorrélation à très long terme du niveau du Nil, difficile à expliquer ; mais l’auteur ne dit rien du contenu de cette loi de Hurst ni de cette autocorrélation, ce qui, pourtant, aurait été bienvenu dans un chapitre sur un effet de mémoire. Il y revient encore dans un autre chapitre, 100 pages plus loin, mais ne donne toujours pas de définition de cette loi. Bien que l’ouvrage soit par moments très pédagogique, pour expliquer, par exemple, le cycle de l’eau, il ne peut servir à l’enseignement puisqu’il ne traite pas en profondeur les sujets qu’il aborde… De plus, il fourmille de remarques et d’anecdotes ayant très peu de choses à voir avec le sujet ; on apprend ainsi que la date du 6 juin 1944, jour du débarquement en Normandie, a été choisie car la lune était pleine, éclairant ainsi les combattants, et parce que c’était un jour de grande marée, poussant les péniches de débarquement vers la côte ; ou encore que la rivière Columbia, sur la côte nord-ouest des États-Unis, très équipée en retenues hydroélectriques, a permis de faire fonctionner l’usine nucléaire de Hanford ayant extrait le plutonium utilisé pour fabriquer la bombe atomique Fat Man qui a été larguée sur Nagasaki…
Le style de la rédaction est, je dirais, oisif. L’auteur ne recherche en rien la concision, il adore les digressions et se perd volontiers dans des considérations sans rapport avec son sujet. L’anglais utilisé est à mon avis plutôt élémentaire, le style assez lourd, avec un emploi excessif du génitif « ’s ». Il utilise parfois la lettre grecque ε que j’appellerais epsilon mais que lui appelle êta… Les illustrations photographiques, assez nombreuses, sont de qualité plus que médiocre, trop petites et en noir et blanc, alors que la couleur était indispensable pour que l’on comprenne l’image. Les graphiques sont eux excellents et bien commentés. Le plan et le contenu des différents chapitres sont assez imprévisibles, comme nous allons le voir. Il me semble que le texte aurait gagné en cohérence s’il avait été l’objet, de la part des presses universitaires de Princeton, d’une relecture attentive pour en faire quelque chose de plus construit…
Regardons rapidement les sujets traités. L’introduction présente le cycle de l’eau, de façon on ne peut plus classique, à tel point que les notions récentes et très éclairantes d’eau « bleue », « verte » ou « grise », définies, par exemple, par Hoekstra et Mekonnen12, ou Daniel Zimmer13, sont totalement absentes du livre.
Le chapitre 2, « Why rivers are where they are », apporte des réponses à une question intéressante, mais n’invoque que des concepts assez classiques de dépression initiale dans la topographie, de réutilisation de vallées glaciaires, de tectonique des plaques, et de fracturation ayant rendu plus facilement érodable la surface du sol. Il insiste beaucoup, et à juste titre, sur l’histoire géologique et sur le rôle des glaciations.
Le chapitre 3, « How do rivers remember? », donne des exemples d’hydrographes assez différents, comme le Tigre et le Congo, et en explique clairement les phénomènes sous-jacents, comme la présence de deux pics de crue sur le Congo parce que le bassin versant de ce fleuve, situé à l’équateur, s’étend sur les deux hémisphères ; il enchaîne sur leur modélisation par des modèles autorégressifs dits « du premier ordre » où l’on relie le débit du jour J à celui d’un jour antérieur. Il est ensuite question de modélisation par réseaux de neurones, mais cela reste assez superficiel, tandis que l’analyse fréquentielle ne sera introduite qu’au chapitre 5.
Le chapitre 4, « Clouds talking to fish », traite des liens entre hydrologie et écologie. C’est là que l’auteur introduit la notion d’entropie de Shannon, dont il explique à merveille la signification, à partir d’exemples. Il aborde aussi la variabilité climatique et des notions élémentaires de climatologie, de types de temps et d’intensité des précipitations.
Le chapitre 5, « Searching for buried treasure », évoque des mines métalliques de l’âge du bronze, des terres rares devenant effectivement rares aujourd’hui, au moins pour certaines d’entre elles, puis des mines d’or de Californie lors de la Ruée vers l’or, des « fumeurs noirs » océaniques et se termine par le calcul différentiel avec l’équation de convection-dispersion en milieu poreux. J’ai du mal à percevoir le lien entre tous ces sujets, certes intéressants et instructifs, et l’écoulement dans les rivières, qui est le titre du livre !
Le chapitre 6, « The digital rainbow », se consacre à l’analyse fréquentielle et aux transformées de Fourier. Ces notions sont très bien décrites, ainsi que l’usage que l’on peut en faire. Il aborde ainsi les phénomènes de fréquence plus rare qu’annuelle, comme l’oscillation décennale du Pacifique pour la rivière Columbia sur la côte ouest des États-Unis, ou encore le phénomène El Niño/La Niña. S. Fleming aurait pu ajouter à cette partie le rôle des taches solaires, mais il le fera au chapitre 8. Il parle cependant de la théorie de Milankovitch et des cycles de glaciation, qu’il va reprendre au chapitre 8, pour conclure en parlant des gaz à effet de serre, problème qu’il considère comme très grave. Là, il fait un commentaire surprenant : il se demande pourquoi l’humanité (ou les Américains ?) n’a pas mis en place pour aborder ce problème crucial un « grand programme de Big Science », analogue au projet Manhattan de construction de la première bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale, ou à la mission Apollo, pour envoyer des astronautes sur la Lune ! Réduire le problème du changement climatique à une grande mission d’ingénierie est quand même très réducteur et occulte toute la dimension sociétale du problème. De plus, rechercher une solution par l’ingénierie fait penser à la géoingénierie, grâce à laquelle on pourrait réduire artificiellement la température de la Terre en injectant des particules de soufre dans la haute atmosphère ou en plaçant des réflecteurs en orbite autour de la Terre. L’auteur ne parle pas du tout de cette option, et je lui fais un mauvais procès, mais évoquer de tels programmes d’ingénierie y fait nécessairement penser14. On connaît les dangers de ce concept. D’ailleurs, de façon surprenante, toute dimension sociétale de la question de l’eau sur la planète est en pratique évacuée, mis à part une réflexion à la fin du chapitre 6, où l’auteur s’inquiète de la croissance démographique actuelle du point de vue des ressources en eau, question sur laquelle je le rejoins parfaitement. Mais il se limite à dire que « réduire la croissance démographique d’une façon démocratique et socialement juste s’est révélé être un problème difficile à l’échelle globale » (p. 131)…
Le chapitre 7, « Landslides, fractals, and artificial life », traite de phénomènes extrêmes, d’écoulements de débris, en prenant l’exemple de la catastrophe de Caracas où, le 14 décembre 1999, 30 000 personnes ont trouvé la mort. Il aborde des sujets tels que le transport solide, l’auto-organisation, la théorie de la complexité, le chaos, les automates cellulaires (longuement évoqués, avec des schémas explicatifs), les fractales, et revient sur la loi de Hurst, sans pour autant l’expliciter. Ce chapitre me semble un peu confus…
Le chapitre 8, « The sky’s not the limit », reprend la question du changement climatique, la théorie de Milankovitch, explique le phénomène de la mousson, celui des taches solaires, montre des images de la réduction de la langue glaciaire du haut Ganges, depuis 1780, puis parle du Petit Âge glaciaire et de l’optimum climatique médiéval ; il loue la qualité de l’ingénierie néerlandaise pour ses travaux de protection hydraulique commencés en l’an 950 pour aménager des zones humides, puis pour se protéger des fleuves, de la mer et des embâcles glaciaires en climat froid, en fonction des nombreuses variations du climat depuis cette date. Il conclut par un bref exposé des outils de télédétection disponibles pour étudier l’eau sur Terre depuis l’espace.
Le chapitre 9, « The hydrologist’s final exam: watershed modeling », introduit deux classes de modèles, les uns dits empiriques, comme la modélisation directe de la relation pluie-débit, par des outils pouvant être calés sur les observations, les autres à base plus physique où l’espace et le temps sont discrétisés et les lois physiques de l’écoulement résolues par des méthodes numériques adaptées. C’est bien, mais pas très original. Il conclut sur l’extension de ces modélisations aux approches stochastiques (simulations de Monte-Carlo) pour quantifier l’incertitude de chaque prévision.
Le chapitre 10, « Epilogue », aborde des problèmes plus philosophiques en six pages. Il s’y inquiète du futur de l’humanité, avec la croissance démographique et l’augmentation des besoins en eau. Il se dit « prudemment optimiste » et donne pour cela deux arguments : (i) l’émergence des droits individuels et de la liberté ; (ii) la science comme outil de progrès de la civilisation, en affirmant que nous avons devant nous trois options : le malthusianisme, auquel il ne croit pas ; un équilibre dynamique entre une population toujours croissante et une capacité sans cesse croissante à lui fournir l’eau et la nourriture nécessaires, c’est-à-dire le statu quo avec son lot constant de misère globale ; enfin « un investissement important dans un effort coordonné, généralisé et à grande échelle pour créer une science et une technologie nouvelles qui répondent aux besoins et aux souhaits de la population actuelle et future de façon saine et durable » (p. 185)… Sans autres explications, cela s’apparente pour moi à des vœux pieux !… Il conclut sur les guerres de l’eau, qu’il juge extrêmement rares, disant que la coopération est toujours préférable, mais il se montre cependant inquiet car si la demande explose « tout cela peut changer ». La dernière image du livre, un tank israélien franchissant le Jourdain sur un pont mobile, m’a paru déplacée dans ce contexte… et peu cohérente avec l’optimisme déclaré de l’auteur.
Le livre s’achève par une liste de lectures recommandées pour chaque chapitre, ce qui est bien et utile, même si le nombre d’autocitations me paraît un peu élevé. L’index, à mon sens trop peu détaillé, ne renvoie pas le lecteur à tout le contenu de l’ouvrage, ce qui est d’autant plus regrettable que certains sujets sont abordés dans plusieurs chapitres.
Pour conclure, je n’ai pas compris à qui s’adresse ce livre et j’ai donc des difficultés à en recommander la lecture, même s’il contient ici ou là des parties très intéressantes et très pédagogiques.
Ghislain de Marsily
(Membre de l’Académie des sciences et membre étranger de la National Academy of Engineering [Académie nationale d’ingénierie des États-Unis], Paris, France)
gdemarsily@aol.com
La communication environnementale
Thierry Libaert (Ed.)
CNRS Éditions, 2016, 270 p.
Vingt-deux auteurs ont participé à cet ouvrage collectif dirigé par Thierry Libaert, expert en communication des organisations, pour traiter de la question de la communication environnementale. Une partie des intervenants exerce son activité professionnelle dans le milieu universitaire, l’autre au sein de structures privées où, malheureusement, à certains moments la défense d’intérêts sectoriels, corporatistes a pris le pas sur l’analyse autocritique. Ce qui en fait dans l’ensemble un ouvrage à la fois attrayant et contrasté.
Un domaine large…
La communication environnementale, « traversée de profondes tensions entre logiques opposées », comme le souligne Béatrice Jalenques-Vigouroux, de l’Institut national des sciences appliquées de Toulouse, est indissociablement liée à une sorte de conscience environnementale – certains diront une pensée écologique – qui a imprégné au cours du temps les mythes et les légendes, les récits populaires et les témoignages naturalistes, les sociétés savantes et divers domaines scientifiques.
Si l’on peut dater le développement de la communication environnementale à la fin des années 1960, il faudra attendre le milieu des années 1980 pour voir celle-ci pleinement installée dans le monde de la communication. La communication environnementale est un domaine particulier de mise en commun de l’information, consistant à échanger et à informer sur une diversité d’événements environnementaux spécifiques suffisamment significatifs pour être remarqués et remarquables pour attirer l’attention. Elle est présente dans des journaux, des revues, des livres, à la radio, à la télévision, au cinéma. Elle est aussi bien utilisée par ceux qui ont pour mission d’étudier ou de gérer l’environnement (associations, institutions – y compris de recherche –, entreprises privées, etc.), par ceux qui tiennent un discours « écologique » (politiques, lobbies, etc.), que par ceux qui pourraient porter atteinte à l’environnement (entreprises chimiques, de foresterie, centrales nucléaires, etc.), et de fait, en réaction, par ceux qui dénoncent les catastrophes environnementales impliquant l’homme (Greenpeace, les Amis de la Terre, WWF, etc.). Elle est animée par un individu (ou une structure) qui jouit d’une forte crédibilité et apparaît donc légitime.
…et sensible
Les catastrophes naturelles jointes à l’accroissement des catastrophes environnementales dues à l’action de l’homme ont engendré en réaction une rhétorique de la peur, analysée par Baptiste Campion, de l’Université catholique de Louvain, qui navigue entre alarmisme et catastrophisme, opposant lanceurs d’alerte et contestataires de périls effectifs ou potentiels (minimisant, relativisant ou niant ceux-ci). Nous pouvons citer en exemple le cas du changement climatique, où s’affrontent d’un côté lanceurs d’alerte et scientifiques dont les résultats ont été soumis à la critique croisée de pairs (dans des revues comme Nature, Science… dans des colloques comme la COP15, COP21… ou dans des instances ouvertes comme le GIEC, etc.) et de l’autre des contestataires aux idéologies partisanes, autoproclamés « réalistes », comme les « climato-sceptiques », instillant dans le débat public une logique polémique du soupçon, désignant parfois les scientifiques comme des personnes « malhonnêtes », dévaluant leur légitimité et leur crédibilité et leur supposée « absence d’objectivité et d’impartialité », mettant en cause leurs résultats considérés comme « erronés », discréditant leurs conclusions qui seraient « manipulées » et, in fine, niant à la fois l’implication anthropique et le niveau d’alerte considéré comme « exagéré ». Pour Ferenc Fodor, de l’Université de Picardie, et Valérie Brunetière, de l’Université Paris Descartes « il ne s’agit plus tant d’une quête de connaissances d’informations, de savoirs, que d’une attitude révélant une psychologisation du débat autour de questions de confiance en la sincérité et la véracité des partis pris des protagonistes » (p. 130-131).
Pour les entreprises, la communication environnementale est considérée comme une communication de type « sensible » (communication de sensibilisation) pouvant être classée en quatre catégories : communication liée à des domaines controversés, communication d’acceptabilité, communication de risque, communication de crise. À quoi on pourrait rajouter, sans exhaustivité : financière, marchande, politique… mais aussi savante et de vulgarisation, de groupe et de masse, de réputation et de légitimité, voire de désinformation, la propagande et la manipulation comme dans le greenwashing (écoblanchiment ou mascarade écologique) longuement étudié par Céline Pascual Espuny, de l’Université d’Aix-Marseille. Cette méthode consiste à user de manière abusive ou trompeuse du thème de l’environnement (de l’écologie, de l’argument « vert ») dans la communication marketing environnementale – qui, selon Iskra Herak et Nicolas Kervyn, de l’Université catholique de Louvain, mène « à plus de satisfaction morale quand elle est en phase avec les valeurs des consommateurs » – et la publicité à des fins promotionnelles et valorisables pour un produit marchand. Pour reprendre Dominique Wolton, du CNRS, la publicité « c’est de l’information élaborée intentionnellement, distribuée avec la finalité de faire vendre ou acheter » et, pourrait-on compléter, de faire surtout du profit.
Communication non dénuée d’effets pervers, puisque, comme l’indique Jean-Marie Charpentier, de l’Université Paris 13, « il est assez vite apparu qu’une communication de simple embellissement […] devenait dans les faits contreproductive » (p. 96), d’autant plus que « les entreprises ne communiquent que sur ce qui les arrange, mettant de côté d’autres aspects moins favorables » (p. 101). Face aux attentes et aux exigences toujours plus fortes de la société civile en matière de transparence, d’honnêteté et de fiabilité, les entreprises ont dû intégrer un nouvel élément écologique, celui de l’éco-communication, c’est-à-dire, comme le note T. Libaert, « une communication qui vise à réduire ses propres impacts environnementaux » lors de sa production comme au moment de sa diffusion. La société civile s’efforcera de donner le ton en accentuant la sensibilisation aux questions environnementales.
De l’expérimentation…
Par ailleurs, la communication environnementale ne s’attache pas uniquement au message à diffuser. Elle vise aussi à influencer nos comportements (communication d’adhésion engageante) et par là notre façon de vivre, de produire et de consommer en direction d’un choix de société : le tri sélectif, les économies d’énergie et de ressources sont des exemples bien connus. Mickaël Dupré et Sébastien Meineri, de l’Université de Bretagne-Sud, nous proposent à ce sujet une courte étude de psychologie sociale portant sur une série de méthodes d’influence (dissonance cognitive, rationalisation, normalisation sociale, incitations, etc.), jouant assez souvent sur les états émotionnels, à partir d’une injonction comme : « Pensez à éteindre la lumière en sortant ! » (cas 1), de sa variante verte : « Pensez à l’environnement, pensez à éteindre la lumière » (cas 2) ou du « coup de pouce » (nudge) : « 97 % des personnes se disent sensibles à l’environnement. Et vous ? » (cas 3). Les résultats de ces analyses font ressortir que les comportements « éco-citoyens » sont plus sensibles aux incitations faisant jouer la réflexion morale et éthique (cas 3) qu’aux injonctions strictes ou à fibre environnementale (cas 1 et 2). Il en ressort également que les décideurs politiques, faute de pouvoir peser réellement, à travers des politiques volontaristes, sur les causes socioéconomiques des changements environnementaux ou de les avoir anticipés pour mieux les diminuer ou les enrayer, privilégient plutôt une demande d’adaptation à ces changements.
De fait, la communication environnementale intègre, dans une démarche qui se veut transversale, un ensemble de théories et de méthodes externes à son domaine propre pour accroître sa recherche d’efficacité, allant puiser dans la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, la psychologie, l’économie, le droit, ou la sémiotique qui, comme le rappelle Andrea Catellani, de l’Université catholique de Louvain, « se propose de contribuer à augmenter l’intelligibilité des formes de la communication environnementale » par l’usage de figures géométriques, de couleurs, de symboles, de styles rhétoriques, narratifs, etc. Ce domaine expérimental de la communication environnementale est en plein essor.
…aux jeux d’influence et de pouvoir
Si comme l’explique François Allard-Huver, de l’Université de Lorraine, le Comité économique et social européen a pour vocation « de donner aux membres de la société civile organisée la possibilité d’exprimer un avis sur les politiques et législations européennes » (celles concernant l’agriculture ou l’environnement, par exemple), le poids des lobbies est loin d’être négligeable. Ces derniers, en effet, ont recours à des stratégies communicationnelles pour influencer les prises de position initiales et détourner à leur profit des avis scientifiques sur des sujets sensibles à forts enjeux économiques, pour nuancer ou minimiser des risques (sanitaires, environnementaux) et orienter les prises de décisions idéologiques en direction d’intérêts financiers privés. Les cas d’influences évoqués touchant l’industrie du tabac, l’exploitation du charbon, les perturbateurs endocriniens et le développement des nanotechnologies sont à cet égard particulièrement significatifs.
La société civile et les associations jouent encore leur rôle de contre-pouvoir de défense de l’intérêt général. C’est aussi le cas des partis politiques, par exemple des « Verts » qui, contrairement au diagnostic de Nicolas Baygert, de l’Université libre de Bruxelles, et Cédric Hananel, de Arctick, entreprise de conseil en communication, ne montrent pas une forte « éco-lassitude » définie comme un « épuisement graduel de l’intérêt du public pour les thématiques “ vertes ”, i.e. relatives à l’écologie, à l’environnement et au développement durable » (p. 48). De même qu’il ne m’est pas apparu, à travers un ensemble conséquent d’analyses sociopolitiques que j’ai pu consulter au cours de ces dernières années, que la démocratie se serait « progressivement détournée de l’écologie » comme l’affirment ces auteurs qui usent dans leur analyse d’une surprenante dramaturgie : déclin, désintérêt, lassitude, essoufflement, impuissance, blues écologique, etc. Bien au contraire, nous constatons un intérêt constant en direction des questions environnementales et écologiques, dans et hors les partis politiques « verts ».
Cet intérêt de la société civile, d’associations à fibre « verte », de partis politiques, d’institutions… va le plus souvent de pair avec une critique du modèle socioéconomique dominant, le capitalisme. Pour sa part, D. Wolton prophétise qu’un jour « le capitalisme sera écologique ». Mais voilà bien longtemps que l’économie capitaliste a misé sur la dimension écologique pour l’adapter à ses besoins. D. Wolton n’y voit rien là de catastrophique et, sans remettre en cause le modèle, espère bien au contraire que le capitalisme intégrera, ou plutôt absorbera l’écologie. Dans cette optique, la communication environnementale se réduirait à n’être plus qu’un allié exclusif du capitalisme, une communication économique capitaliste, colorisée en « vert » sous couverture environnementale. Nous pensons au contraire que la communication environnementale mérite mieux que d’être le simple supplétif d’un modèle économique considéré comme l’un des plus grands acteurs du dérèglement environnemental.
Valéry Rasplus
(Inra, UMR1201 Dynafor, Auzeville, France)
valery.rasplus@inra.fr
Aux frontières du singe.
Relations entre hommes et chimpanzés au Kakandé, Guinée (XIXe-XXIe siècle)
Vincent Leblan
Éditions EHESS, 2017, 288 p.
Cet ouvrage, issu d’une thèse soutenue à l’École des hautes études en sciences sociales par Vincent Leblan, apporte une contribution majeure et originale à l’étude des rapports entre humains et primates non humains (PNH) par une approche interdisciplinaire associant histoire, anthropologie et primatologie. Structuré en cinq chapitres, ce manuscrit présente une bibliographie d’une grande richesse et les illustrations dans le texte sont complétées par des annexes incluant photographies, cartes, graphiques et tableaux. Par ailleurs, les matériaux étudiés sont très divers : archives, cartes, images satellites, relevés de terrain, entretiens.
Dans un contexte où le concept de culture chez les PNH est de plus en plus étudié, notamment pour questionner les spécificités humaines, l’auteur commence par une analyse critique de l’appropriation de ce concept par les primatologues, restant ancrés dans un dualisme nature/culture, qui prend dans ce livre la forme de facteurs biologiques ou sociaux, pour expliquer tel ou tel comportement potentiellement « culturel », conduisant à une biologisation de la culture. L’auteur se positionne dans « une perspective propre aux sciences sociales » (p. 36) et mobilise des méthodes et des matériaux issus de l’histoire environnementale et de l’anthropologie, mais aussi de la primatologie. Alors que les rapports entre humains et PNH sont le plus souvent étudiés par les primatologues, utilisant des méthodes de sciences sociales pour compléter une « boîte à outils » (p. 32) sans toujours y associer des réflexions plus théoriques issues des mêmes disciplines, V. Leblan nous livre ici un regard inversé, issu des sciences sociales et s’appropriant des méthodes et matériaux propres à la primatologie. C’est dans ce sens que cet ouvrage constitue une contribution majeure pour ouvrir de nouvelles voies dans les recherches interdisciplinaires s’intéressant aux relations humains-PNH, offrant ainsi aux primatologues une forme de réflexivité sur leurs cadres conceptuels et leurs résultats de recherches.
L’approche historique commence dès l’introduction – en détaillant les concepts et les disciplines liés à l’étude de la « culture » – et sera le fil conducteur du livre. Dans l’ensemble du manuscrit, l’auteur se livre à une analyse critique très convaincante des termes employés et de leurs évolutions historiques au regard des contextes de production des archives étudiées.
V. Leblan a étudié les relations entre humains (Peuls et Landouma) et chimpanzés de l’Ouest (Pan troglodytes verus) dans la région du Kakandé en Guinée en dehors des espaces protégés, lors de 12 mois de terrain entre 2003 et 2005. Bien qu’encore minoritaires, les recherches de primatologie en dehors des espaces protégés sont de plus en plus nombreuses depuis une quinzaine d’années pour étudier des contextes variés d’interactions humains-PNH-environnement mais sont encore ancrées dans une vision soit évolutionniste soit conservationniste. L’auteur propose ici une échelle spatiale et temporelle intermédiaire (entre le temps long de l’évolution et le temps court de la conservation), son approche historique permettant d’entrevoir des alternatives aux interprétations issues des sciences de l’évolution et de la conservation.
Il est encore fréquent d’utiliser l’ethnie comme un facteur à prendre en compte dans les relations et les pratiques à l’environnement. Cependant, V. Leblan démontre dans le premier chapitre que malgré les différences linguistiques et identitaires entre Peuls et Landouma, il n’est pas pertinent, pour étudier les relations de ces deux ethnies à l’environnement, d’établir entre elles une dichotomie en raison de leurs similitudes en termes de techniques de subsistance, d’histoire de peuplement ou encore d’usages fonciers.
L’analyse des pratiques et des mobilités humaines depuis le XIXe siècle pose les fondations permettant de mener une étude de l’évolution de l’habitat de la région, basée sur une comparaison entre cartes historiques datant de la première moitié du XXe siècle et une image satellite de 2002. La typologie des habitats en vigueur au moment de la production des cartes permet de dégager des grandes catégories identifiables aujourd’hui sur l’image satellite. L’auteur met ainsi en évidence, non pas une diminution des forêts denses, fréquemment invoquée par les acteurs de la conservation, mais plutôt des changements dans les répartitions spatiales des différents types d’habitats dus à des pratiques humaines influencées par les contextes des différentes époques. La confrontation de ces résultats avec les données orales recueillies concernant l’évolution de l’habitat est également très fructueuse et met bien l’accent sur l’ambiguïté des milieux végétaux dont « la signification varie selon les contextes sociaux, politiques et économiques » (p. 105). Cette démonstration est nécessaire lorsque de nombreux programmes de conservation sont basés sur une analyse de ces milieux végétaux.
À partir de l’étude des archives du pouvoir colonial, il apparaît également que les éléphants, autre espèce de grand mammifère phare de la conservation, sont davantage mis en avant en raison de leur intérêt économique (marché de l’ivoire), contrairement aux chimpanzés, qui ne sont pas considérés comme une richesse par le pouvoir colonial. La connaissance de ce contexte permet à l’auteur de mener une analyse historique de l’effet de l’occupation humaine sur la répartition des éléphants et des chimpanzés. Alors que les éléphants investissent des territoires abandonnés par les humains, suite aux conflits et aux migrations humaines, les chimpanzés occupent sur de longues périodes des espaces agropastoraux. Plus qu’une compétition dans l’usage de l’espace et des ressources, l’auteur démontre qu’il s’agit davantage d’une coexistence, dans laquelle les pratiques humaines, notamment l’agriculture itinérante, jouent un rôle fondamental car elles créent des espaces utilisés par les chimpanzés, les jachères pouvant alors faire office de « tampon » (terme utilisé en conservation) car elles limitent les conflits entre humains et animaux. Ainsi, l’analyse des archives indique que depuis le XIXe siècle, les chimpanzés ont toujours occupé ces espaces et que leur sanctuarisation n’est probablement pas la meilleure stratégie en termes de conservation de l’espèce. Cette utilisation des espaces « anthropisés », différente suivant qu’il s’agit des éléphants ou des chimpanzés, a également rendu difficile l’adoption d’une stratégie claire et efficace dans le programme de conservation, financé dans cette zone par l’Union européenne. Alors que pour les éléphants, la mise en place d’espaces sanctuarisés fait sens, ce n’est pas le cas pour les chimpanzés. Enfin, en voulant créer des espaces protégés dans les forêts sacrées, habitées par des génies, le programme de conservation ne tient pas compte de la place des génies qui y habitent. L’auteur avance alors l’hypothèse que le programme de conservation pourrait dans ce cas être perçu comme instaurant un rapport de force avec les génies parce qu’il essaierait de les déposséder du contrôle de l’élevage de la faune.
L’auteur remet ainsi en question le passage d’habitats séparés à une coexistence forcée entre humains et chimpanzés : l’habitat des chimpanzés est étroitement lié aux activités humaines, la coexistence humains-chimpanzés remontant au moins à la moitié du XIXe siècle.
Ces acquis permettent également à l’auteur de questionner un comportement considéré comme culturel par différents primatologues : la nidification des chimpanzés dans des palmiers à huile − le palmier à huile étant ici un marqueur d’intérêt pour des espaces utilisés par les humains. Les chimpanzés construisent un nid (plateforme faite de branches entrelacées) chaque jour dans un endroit différent pour passer la nuit. Partant du principe que certaines communautés de chimpanzés d’Afrique de l’Ouest nidifient dans des palmiers à huile (ils pourraient choisir de faire leurs nids dans d’autres arbres) et que d’autres ne le font pas alors qu’ils ont accès aux palmiers à huile, ce comportement est alors candidat au titre de « trait culturel ». En étudiant les sites de nidification de deux communautés voisines de chimpanzés, V. Leblan montre que l’une d’elles fait des nids dans des palmiers à huile, contrairement à l’autre. Son analyse antérieure de l’histoire environnementale de la région lui permet ainsi de proposer une autre explication que celle basée sur la culture : dans le premier cas, les chimpanzés ont eu accès à une palmeraie, alors que dans le second, bien qu’une palmeraie existe, elle est peu accessible aux chimpanzés car entourée de grandes surfaces de sol nu, considéré comme un milieu peu arpenté par les chimpanzés. Ainsi, les premiers auraient commencé à faire des nids dans la palmeraie lors de séances d’alimentation et auraient continué par la suite à le faire occasionnellement dans des palmiers à huile même en dehors de cette palmeraie. À l’inverse, les seconds, qui n’ont pas eu d’occasions de se nourrir dans une grande palmeraie, n’auraient pas développé ce comportement, bien que des palmiers se trouvent ailleurs sur leur domaine vital. Là encore, l’auteur, à partir de cet exemple simple, en adoptant une posture alternative à l’explication d’un comportement qui serait ailleurs qualifié de culturel, illustre tout l’intérêt de son analyse.
Finalement, V. Leblan démontre ici l’importance d’associer une analyse historique et anthropologique aux problématiques étudiées en évolution et en conservation. Il nous permet de saisir les influences historiques (XIXe-XXIe siècle) des aspects sociaux, politiques et économiques de la région du Kakandé sur l’évolution du paysage, et par là même sur la répartition actuelle des chimpanzés. Au lieu de considérer une diminution linéaire et conjointe de la surface forestière et de la population de chimpanzés, il montre que ce sont des oscillations plus complexes à différentes échelles de temps qui sont à l’œuvre. Présent en filigrane tout au long de l’ouvrage, le lien avec les problématiques actuelles de conservation est mis en avant dans la conclusion : les stratégies de conservation, en omettant ces analyses historiques et anthropologiques, simplifient à l’extrême les problématiques et entrent dans des contradictions dictées par le choix des espèces phares à protéger (ici les chimpanzés ou les éléphants). Un lecteur issu de la primatologie ou de l’écologie pourra regretter l’absence d’analyses statistiques, qui dans ce contexte, auraient appuyé les propos de l’auteur, parfois basés sur des interprétations visuelles des graphiques. La richesse de l’analyse dans son ensemble est cependant très convaincante car elle propose de nouvelles perspectives. Il serait très intéressant de savoir ce qu’est devenue cette région 10 ans après, si les programmes de conservation ont été maintenus ou non, et comment ils ont influencé les relations entre humains et chimpanzés dans le Kakandé.
Au-delà du sujet traité, cet ouvrage est un bon exemple d’une analyse profondément interdisciplinaire, apportant des interprétations différentes de celles fréquemment invoquées pour étudier les PNH dans le cadre des sciences de l’évolution ou de leur conservation. Mais l’étude des PNH et de leurs interactions avec les humains se développe également de plus en plus dans une perspective de santé publique. En effet, les maladies zoonotiques émergentes sont considérées comme une menace majeure au XXIe siècle et les PNH – particulièrement les grands singes – sont considérés comme des réservoirs d’agents pathogènes pour l’Homme, notamment depuis l’apparition du VIH au XXe siècle. Ces arguments sanitaires sont fréquemment repris par les acteurs de la conservation pour conforter leur schéma : anthropisation du milieu, espèces menacées par la chasse, risque pour la santé publique par l’augmentation des contacts. Or, l’analyse que propose cet ouvrage démontre également que l’étude des relations entre humains et PNH ne peut pas se faire sans chercher à comprendre la complexité et les évolutions historiques de ces relations, facteurs qu’il serait également très utile d’intégrer aux problématiques sanitaires.
Victor Narat
(Institut Pasteur, Unité d’épidémiologie des maladies émergentes,Groupe Anthropologie médicale et environnement, Paris, France)
vnarat@pasteur.fr
Voir le compte rendu que j’en ai donné en 2016 dans NSS, 24, 3, p. 301-303, https://www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2016/03/nss160035.pdf.
Par « conventionnalisation » les spécialistes entendent le processus d’intégration des productions dans les réseaux conventionnels de commercialisation (grande distribution notamment). C’est ainsi qu’on parle de conventionnalisation du bio quand les grandes surfaces se mettent à vendre de l’alimentation certifiée bio et, éventuellement, soumettent les producteurs et les intermédiaires à leurs exigences.
Hoekstra A.Y., Mekonnen M.M., 2012. The water footprint of humanity, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 109, 9, 3232-3237, http://dx.doi.org/10.1073/pnas.1109936109
L’Université de Harvard a présenté début avril 2017 un programme de géoingénierie de 20 millions de dollars pour tester d’ici 2022 les effets d’injection d’aérosols faits d’eau dans la stratosphère à 20 km d’altitude, ceux de particules de carbonate de calcium, d’oxyde d’aluminium et même de diamants !
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