Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 25, Number 4, October-December 2017
Dossier « Des recherches participatives dans la production des savoirs liés à l’environnement »
Page(s) 418 - 423
Section Regards – Focus
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018005
Published online 23 February 2018

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

Introduction

Depuis les années 1990, et surtout depuis une dizaine d’années, les sciences participatives ont connu une évolution rapide caractérisée par l’accroissement remarquable du nombre de projets de recherche qui impliquent des « non-scientifiques-professionnels » et par la très forte croissance du nombre de publications scientifiques afférentes. L’ouverture des grandes revues internationales à ces travaux (Silverton, 2009 ; Sauermann et Franzoni, 2015 ; Kullenberg et Kasperowski, 2016) et l’intérêt manifesté pour le sujet par les universités européennes (LERU, 2016) attestent également de cette évolution. Face à ces développements et suite à la loi du 22 juillet 2013 qui appelle les organismes de recherche à « favoriser les interactions entre sciences et société », notamment en facilitant « la participation du public à la prospection, à la collecte de données et au progrès de la connaissance scientifique », les ministres en charge de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont demandé en 2015 à François Houllier de rédiger un rapport sur le sujet.

Ce Regard reprend de larges extraits du rapport et de ses annexes remis aux ministres en février 2016 (Houllier et Merilhou-Goudard, 20161) : pour la circonstance, ces extraits ont été réassemblés et partiellement complétés à la lumière de publications non citées dans le rapport, des interventions que les auteurs du rapport ont faites sur ce sujet depuis cette date2 ou des travaux qui ont conduit à la charte française des sciences et recherches participatives3.

Dans un article publié dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, Sauermann et Franzoni (2015) illustrent ainsi les sciences participatives par plusieurs exemples emblématiques : la découverte de nouvelles classes de galaxies avec le projet Galaxy Zoo ou de la structure de protéines liées à la transmission du VIH dans le projet Foldit. Depuis une dizaine d'années, les grandes institutions de recherche des pays de l’OCDE reconnaissent progressivement le phénomène et lancent des programmes de sciences participatives. Depuis 2010, la Commission européenne a ainsi financé un ensemble de projets dans des domaines divers (Smart cities, Do it yourself biology, etc.) et a soutenu des projets visant à mieux définir les sciences participatives et à promouvoir leur développement, comme Socientize.

La participation de non-scientifiques-professionnels à la production de connaissances n’est pourtant pas nouvelle. Dans le domaine de l’histoire naturelle (botanique, entomologie, zoologie, etc.), l’implication des amateurs est une tradition vieille de plusieurs siècles (Silverton, 2009). En astronomie, les amateurs ont depuis toujours apporté une contribution significative à la découverte de corps célestes. Dans le domaine de la santé, les années sida ont été marquées par la contribution active des associations de patients à la production de connaissances et le phénomène s’est depuis lors élargi à de nombreuses pathologies (Demange et al., 2012).

Parmi les autres traditions qui nourrissent ce courant, la « recherche-action participative » (Chevalier et Buckles, 2013) et « la recherche communautaire » (community based research), très développée en Amérique du Nord notamment dans le domaine de la santé (Israel et al., 1998), ouvrent les portes non seulement à la participation des citoyens à l’activité scientifique, mais aussi à la participation des chercheurs à la vie citoyenne confrontée aux multiples enjeux du vivre ensemble au quotidien.

Si les sciences participatives ont donc une histoire longue, leur essor est également soutenu et stimulé par le développement du numérique, par l’accroissement des interactions qu’il permet et par le soutien aux politiques de données ouvertes (open data) (Schade et al., 2017). « Internet 2.0 », centré sur l’interaction et la contribution des internautes, a ainsi ouvert la voie à des formes originales de participation comme le recueil massif et distribué de données par la foule (crowdsourcing) et le recours au travail des internautes sous la forme de jeux (gamification).

Définition

Il apparaît ainsi que les sciences participatives se déclinent au pluriel. La grande diversité de disciplines, de sujets, d’acteurs, de méthodes et de finalités impose d’adopter une définition large : « les sciences participatives sont définies comme les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée. »

Dans cette définition, les connaissances scientifiques sont définies comme des connaissances validées par les pairs selon des normes de preuve en usage dans les communautés de recherche (réfutabilité, reproductibilité, etc.). Elles se distinguent des savoirs (savoirs d’action, savoir-faire, savoirs d’expérience, etc.) qui sont généralement non codifiés et liés à des situations locales et non codifiées. Dans certains projets de sciences participatives, l’un des enjeux est cependant de croiser connaissances scientifiques, savoirs et pratiques, dans l’esprit de la démarche développée par ATD Quart monde (Tardieu, 2012).

Quant à la participation, elle est définie comme la compétence des citoyens ou des groupes à être concernés de manière directe par un problème et mobilisés par leur curiosité ou par leur volonté de mieux connaître des phénomènes qui les concernent, ou d’agir sur leurs conditions propres ou sur leurs environnements proches ou lointains. La littérature distingue différents niveaux de participation, depuis l’information jusqu’à la capacitation (empowerment) (Arnstein, 1969).

Cette définition large regroupe toute une série d’activités qui font l’objet d’au moins autant d’appellations. La diversité des termes utilisés est en effet un symptôme du foisonnement des approches et des dynamiques en cours. En anglais, une liste non exhaustive comprend les expressions suivantes : citizen science (activités de recherche scientifique auxquelles des citoyens contribuent activement par un effort intellectuel ou par l’apport de données, de connaissances pertinentes, d’outils ou de ressources), collaborative science (cette expression étant ambiguë car elle recouvre aussi la collaboration entre acteurs publics ou privés de recherche), public engagement (implication de spécialistes sur la base de l’écoute, de la compréhension et de l’interaction avec des non-spécialistes), participatory research, community based research, crowdsourcing, crowdcrafting, participatory experiments, collective intelligence, volunteer computing, human sensing (Socientize, 2014). En français, on retrouve les mêmes expressions, traduites ou non. Au Canada, où ces recherches s’appuient sur une longue tradition de soutien institutionnel, l’expression « sciences participatives » n’est pas ou peu utilisée mais les expressions telles « l’engagement communautaire » et « la recherche partenariale, pour et avec la société civile », font désormais partie du lexique.

Ce foisonnement sémantique s’accorde avec une assez grande polysémie. Pour se limiter à l’expression citizen science qui est le terme fédérateur dans le monde anglo-saxon, deux interprétations assez différentes s’opposent. Aux États-Unis, il s’agit essentiellement de la participation d’amateurs bénévoles, par exemple pour soutenir la recherche ornithologique, alors qu’au Royaume-Uni, le terme fait référence à la participation des citoyens à la définition même des projets de recherche (Haklay, 2015). En dépit des tentatives conjointes des grandes associations nord-américaines et européennes de citizen science pour normaliser le domaine, des différences substantielles persistent. Afin d’éclairer ces différences, Muki Haklay propose de distinguer quatre niveaux de participation dans les sciences citoyennes : « crowdsourcing » (les citoyens contribuent comme capteurs de données) ; « intelligence distribuée » (les citoyens contribuent à l’interprétation de données) ; « science participative » (les citoyens contribuent à la définition du problème et à la collecte de données) ; « collaboration complète » (les interactions entre scientifiques professionnels et citoyens couvrent les différentes phases : définition des problèmes, collecte et analyse de données, valorisation des résultats).

Typologie

La très grande diversité des activités que recouvrent les sciences participatives a incité de nombreux auteurs à établir des typologies. Définir des familles de projets est en effet utile pour partager et capitaliser l’expérience, pour identifier les facteurs limitants et les risques et donc pour optimiser la conception, le pilotage et le suivi de ce type de recherches. Différents critères peuvent ainsi être combinés : les objectifs (apprentissage, évolution des pratiques, éclairage des politiques publiques, capacitation des publics, résolution de problèmes, contribution à une aventure scientifique, etc.) ; les formes d’engagement (bénévolat, rémunération, durée précise ou non, individuel ou collectif, etc.) ; les rôles des différents participants (problématisation, établissement du protocole, collecte, analyse, interprétation, etc.) ; les publics visés (novices, spécialistes ou professionnels, étudiants ou élèves, grand public, etc.) ; l’échelle du projet (locale, globale) ; le type de protocole (données opportunistes, fréquence de relevés imposée, nécessité ou non d’un préalable à l’observation, etc.).

Dans certains projets, la production scientifique est considérée comme un moyen pour résoudre des problèmes et non comme une fin en soi. On retrouve ici une distinction de portée plus générale, entre des recherches principalement guidées par la curiosité, mais qui s’avèrent souvent porteuses d’applications, et des recherches finalisées définies par référence à des enjeux et des défis sociétaux ou technologiques, mais qui mobilisent fréquemment des connaissances fondamentales. Il est donc nécessaire de prendre en compte les différences d’objectifs des sciences participatives comme un point structurant des typologies. À partir d’une analyse scientométrique (cf. l’annexe 3 de Houllier et Merilhou-Goudard, 2016), nous proposons de distinguer trois grandes familles de dispositifs de sciences participatives (Tab. 1).

Tableau 1

Trois grandes familles de dispositifs de sciences participatives.

Apports des sciences participatives

La littérature sur les sciences participatives identifie deux types de bénéfices (Sauermann et Franzoni, 2015 ; Chevalier et Buckles, 2013), d’ordre cognitif ou d’ordre social ou sociétal.

Les bénéfices cognitifs sont attestés dans des domaines variés : environnement, astronomie, biologie, mathématique, archéologie, études urbaines, etc. Ils sont de différentes natures : réduction des coûts (le ressort de la participation est généralement la motivation sociale plutôt que la compensation financière) ; gain de temps (un très grand nombre de contributeurs peut être mobilisé en parallèle lorsque les projets correspondent à des tâches simples et distinctes) ; mobilisation de compétences très diverses et de savoirs d’expérience très spécialisés ; mobilisation de publics qui se positionnent différemment dans le temps et dans l’espace, permettant ainsi d’optimiser l’observation et le recueil de données.

Les bénéfices d’ordre social ou sociétal sont, eux aussi, potentiellement variés : avantages sur le plan éducatif et pédagogique et amélioration des rapports entre sciences et sociétés, par une appropriation de la démarche scientifique par les citoyens (la participation active, le jeu ou la simulation étant des moyens privilégiés) ; approfondissement de la citoyenneté (l’association européenne des sciences citoyennes avance ainsi que « les citoyens créent la connaissance, la connaissance crée les citoyens ») ; résolution de problèmes identifiés et renforcement des compétences des acteurs impliqués.

Néanmoins, en pratique, nos connaissances sur les bénéfices des sciences participatives sont encore trop lacunaires : il est donc nécessaire de mieux les documenter. L’enquête en ligne réalisée dans le cadre de la mission sur les sciences participatives (cf. l’annexe 8 de Houllier et Merilhou-Goudard, 2016) révèle que, pour les répondants (dans leur grande majorité, des chercheurs), les bénéfices se caractérisent en termes de volume de données ou de connaissances acquises, de dynamique d’échange entre acteurs et de dissémination accrue des résultats. La distribution des bénéfices observés est intéressante : si « les connaissances scientifiques nouvelles » sont le type de bénéfice le plus fréquemment cité, il ne représente qu’environ un quart des bénéfices attendus ou constatés ; « l’évolution des visions du monde » ou, en d’autres termes, le changement de représentation du problème posé, est un autre avantage cité, jusqu’ici non repéré dans la littérature.

Si les productions scientifiques issues de dispositifs participatifs prennent parfois des formes classiques (publications, corpus de données), elles se diversifient en fonction des parties prenantes et de leurs besoins : formations, diplômes, guides, campagnes de communication, scénarios de gestion, plans d’action, stratégies de développement, plateformes de négociation, produits et services, dispositifs médicaux, etc.

Limites et points d’attention

Les bénéfices avérés ou escomptés ne doivent pas occulter les difficultés. C’est à partir d’une meilleure connaissance de ces dernières que les porteurs de projets de sciences participatives pourront préciser les points de vigilance à observer lors de la conception et de la mise en œuvre des projets et plus globalement améliorer leurs pratiques. Les témoignages recueillis montrent ainsi que le développement de méthodes et de protocoles spécifiques, l’adaptation des outils voire l’équipement matériel, l’appropriation des démarches par les participants ou la gestion et l’analyse des données sont bien souvent perfectibles.

À la question des risques des sciences participatives, de nombreux répondants à l’enquête avancent d’abord que toutes les sciences sont risquées et qu’il n’y a pas lieu de se poser la question spécifiquement pour les sciences participatives. Néanmoins, l’enquête en ligne a pointé une liste de difficultés récurrentes relatives : au recueil des données, surtout lorsque celui-ci s’étend sur le temps long ; aux analyses et à l’interprétation des données recueillies, compte tenu de leur hétérogénéité et des différentes sources de biais ou de bruit ; à la gestion de projets impliquant de nombreux acteurs (chercheurs, amateurs, public plus large) dont les logiques, valeurs et cadres d’action sont très différents ; à la mobilisation des acteurs dans la durée. La plupart de ces difficultés peuvent être surmontées à condition de disposer des outils nécessaires et de développer une gamme de compétences adéquates.

Les sciences participatives comportent ainsi des risques méthodologiques (qualité des protocoles et des données, complétude et équilibre des plans expérimentaux ou d’observation, etc.), déontologiques et éthiques (rigueur de la démarche, autonomie des chercheurs, respect mutuel des partenaires impliqués, reconnaissance de leur contribution, etc.). Il convient donc de respecter un certain nombre de grands principes tout au long du cycle de vie des projets, depuis leur initiation et la définition des objectifs des recherches et des protocoles expérimentaux jusqu’à la gestion des données produites, à leur analyse et à la valorisation des résultats (Houllier, 2016).

Il s’agit ainsi en tout premier lieu de garantir une approche scientifique, rigoureuse et ouverte. La reconnaissance et le respect mutuels des différents acteurs, de leurs compétences et de leurs attentes, doivent également être assurés. L’objectif est d’éviter toute forme d’instrumentalisation des uns comme des autres. La maîtrise des différentes temporalités est un levier essentiel pour entretenir la motivation des acteurs et assurer la pérennité des dispositifs participatifs.

La mobilisation et la gestion des ressources nécessaires aux sciences participatives sont d’autres sujets essentiels. Le financement direct de ces recherches, avec notamment l’enjeu d’identifier de nouvelles ressources, est une nécessité. Parallèlement, la mobilisation de moyens plus indirects, comme la formation, est décisive pour faire en sorte que les acteurs engagés aient les compétences techniques et relationnelles qui permettent de collaborer au meilleur niveau.

Il s’agit enfin de mettre en place une gouvernance et une organisation équilibrées, en précisant d’emblée les rôles, droits et devoirs respectifs des différents participants et en veillant à la récurrence des échanges tout au long du projet.

Ces principes généraux de respect mutuel et d’équilibre entre les partenaires engagés dans des projets de sciences participatives sont particulièrement sensibles pour des projets de portée internationale : les débats qui interrogent le statut des savoirs locaux ou autochtones ou les modalités de partage des avantages dérivés des recherches participatives nous le rappellent avec acuité.

Signée le 20 mars 2017 par une trentaine d’organismes de recherche, d’universités, d’ONG et d’associations, la charte des sciences et recherches participatives a ainsi pour objet d’en favoriser la reconnaissance, d’exprimer des valeurs partagées et de poser des principes et des conditions de réussite des projets.

Conclusion

« L’engouement actuel pour les sciences participatives ne correspond pas seulement à un effet de mode. Plusieurs moteurs d’évolution soutiennent une croissance forte depuis une quinzaine d’années : l’aspiration des citoyens et des groupes concernés à la participation directe, l’accroissement du niveau moyen d’éducation, le formidable développement des technologies d’information et de communication. La dynamique en cours est une chance pour les interactions entre sciences et sociétés, car les sciences participatives sont le vecteur d’intéressements mutuels et de collaborations » (Joly, 2017).

Néanmoins, il ne faut pas négliger les difficultés et les risques. Si les sciences participatives ont des racines profondes, leur expansion rapide soulève des problèmes importants, parfois nouveaux, d’ordres épistémologique, méthodologique ou éthique. Nous avons souligné quelques principes généraux qui doivent ainsi guider les projets de sciences participatives. Au-delà, et de façon transversale, il convient de renforcer les capacités des acteurs en créant des approches, méthodes et instruments partagés, et en assurant la reconnaissance et la formation de ces derniers. Les recherches en sciences humaines et sociales et en sciences numériques constituent à cet égard un appui important.

Les sciences participatives englobent des activités qui se distinguent nettement par leurs modalités et leurs objectifs, qu’il s’agisse de la production de connaissances scientifiques ou de la prise en charge de défis et enjeux sociétaux. Il nous semble qu’il faut non seulement accepter mais aussi défendre cette dualité. La diversité et le foisonnement des sciences participatives sont des atouts pourvu que l’on parvienne à constituer des communautés de pratiques et que l’on ne renonce pas à l’exigence de qualité des projets. Sinon, la déception sera grande et leur développement en sera profondément affecté.

Enfin, s’il nous a paru nécessaire d’adopter une définition large des sciences participatives, il faut aussi s’entendre sur leurs limites : toute science n’est pas participative et toute recherche n’a évidemment pas vocation à l’être ; la participation n’est pas en soi un gage de science ; et les sciences participatives ne sont que l’une des modalités, certes féconde, d’interactions entre la science et la société.

Références


Citation de l’article : Houllier F., Joly P.-B., Merilhou-Goudard J.-B., 2017. Les sciences participatives : une dynamique à conforter. Nat. Sci. Soc. 25, 4, 418-423.

Liste des tableaux

Tableau 1

Trois grandes familles de dispositifs de sciences participatives.

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