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Nat. Sci. Soc.
Volume 33, Numéro 1, Janvier-Mars 2025
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Page(s) | 1 - 2 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2025038 | |
Publié en ligne | 24 juillet 2025 |
Quel espace entre l’autoritarisme du faux et la compétition pour le vrai ?
Les attaques du président Trump contre la science et les scientifiques ont surpris par leur rapidité et leur ampleur. « Personne n’aurait pu imaginer… ne pouvait penser… », a répété le président Macron dans son discours de la Sorbonne du 5 mai 2025. Pourtant, ces attaques marquent l’accomplissement d’un processus international en cours, celui de la montée de l’extrême droite et de la contestation de toute forme de savoir qui ne soutiendrait pas les objectifs de croissance.
Le mouvement spontané Stand Up for Science a été la première voix d’opposition aux politiques du président Trump. La journée de mobilisation internationale du 7 mars 2025 a été considérée comme un succès. Débats et témoignages exposaient la vulnérabilité des réseaux de recherche internationalisés, mais aussi les promesses de l’expression d’une solidarité capable de défendre la science et ses valeurs éthiques et épistémologiques. Aux fake news qui servent les nationalismes et les stratégies oligarchiques de tous bords et face aux attaques mettant en doute leur intégrité, les scientifiques opposaient le souci de la vérité et leur attachement à une pratique désintéressée de la recherche dédiée à l’intérêt général. En ces temps troublés, ils semblaient inviter, en somme, à réactiver l’ethos de la science que le sociologue Robert Merton avait théorisé autour de quatre valeurs cardinales : l’universalisme, le communalisme, le désintéressement et le scepticisme. Bref, la communauté scientifique paraissait prête à se rassembler. Pourtant, le mouvement semble avoir du mal à rebondir.
Plusieurs raisons à cela. Dans une lettre ouverte publiée le 2 avril 2025, près de 2 000 scientifiques, tous des Académies nationales des sciences, de l’ingénierie et de la médecine des États-Unis, appellent à défendre la science contre Trump, mais s’inquiètent avant tout de voir les États-Unis perdre leur avance scientifique et « de laisser d’autres pays à la pointe du développement de nouveaux traitements, de sources d’énergie propres et des nouvelles technologies de l’avenir », sans pour autant appeler à la nécessaire solidarité entre les communautés scientifiques du Nord et du Sud. Premier écart avec Merton que les communications du gouvernement français sur l’accueil de chercheurs américains n’ont cessé d’accroître. En lançant le mouvement Choose Europe for Science, à l’instar de Make Our Planet Great Again en réponse au premier mandat Trump, ou d’autres Summits for, le président Macron a voulu parler au nom de ce qu’il a présenté comme un bloc pro-science hérité des Lumières face aux autocrates anti-science. Il a déclaré accompagner l’initiative Stand Up for Science en soulignant le rapport à la connaissance, mais aussi le rapport de celle-ci à la démocratie, à l’efficacité économique et à la compétitivité. Tout cela au nom de la solidarité internationale.
Dans la pratique, cet attachement à la science ne se concrétise pas et c’est même le grand écart. Si l’Europe a prévu 600 millions d’euros (dont 100 pour la France) pour l’accueil de chercheurs américains, dans le même temps un coup de rabot passait sur le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche français avec une amputation de 550 millions d’euros. Acmé de la contradiction, le programme Pause destiné à accueillir en urgence des chercheurs en exil (Ukraine, Soudan, Palestine, Iran…), qui aurait pu servir de cadre pour l’accueil des chercheurs américains, était amputé de 60 %. Cet attachement est également sélectif, comme en témoigne l’éviction des sciences humaines et sociales (SHS) de l’appel Choose France for Science.
Devant les annonces du président Macron qui se pose en défenseur de la Science, des rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), on ne peut qu’être mal à l’aise, comme l’a exprimé le mouvement Stand Up for Science en s’en détachant explicitement. Ces rapports ont déjà réglé une bonne partie des questions scientifiques globales. Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité ne peuvent plus être remis en cause, ce sont des symptômes d’un mode de production et de consommation insoutenable pour les sociétés et la planète, et, pourtant, les politiques en œuvre prônent toujours la poursuite de la croissance et le productivisme. Les grandes chaînes d’information ont sciemment déprogrammé les questions environnementales, comme l’a montré l’intervention présidentielle du 13 mai 2025. L’interdépendance des crises mise au jour en décembre 2024 dans le rapport Nexus de l’IPBES, Affronter ensemble cinq crises mondiales interconnectées en matière de biodiversité, d’eau, d’alimentation, de santé et de changement climatique, n’a fait l’objet d’aucun débat public.
Les tendances anti-science ne se trouvent pas qu’aux États-Unis. En France, on se souvient des attaques contre les SHS, taxées d’islamo-gauchisme et de wokisme par les ministres de la recherche et de l’éducation. Les discours anti-science et anti-écologie issus des réseaux sociaux sont repris par la presse et endossés par des ministres et partis politiques jusqu’à proposer de réviser le décret statutaire des enseignants-chercheurs, la suppression du Haut Conseil pour le climat, de l’Ademe (Agence de la transition écologique), de l’OFB (Office français de la biodiversité) et des « agences » comme le CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ou l’IRD (Institut de recherche pour le développement). La destruction des établissements scientifiques et chargés de l’écologie s’observe aussi dans d’autres pays d’Europe.
Outre ses conséquences directes sur les carrières et le financement de la recherche aux États-Unis, le coup de force de Donald Trump menace le débat public sur les rapports sciences-société d’un appauvrissement considérable. L’affrontement simpliste entre un bloc qui s’affirme pro-science et les autocrates anti-science transforme en dissidents ceux qui persistent à aborder la réalité plus complexe de la fabrique des sciences et des savoirs dans leur diversité. Le développement des sciences ne suit pas l’idéal mertonien de la constitution d’une communauté universelle des savoirs, indépendante du reste de la société. Les études critiques des sciences l’ont montré depuis longtemps. Les scientifiques se savent, bon gré mal gré, impliqués dans les affaires de la Cité et les appels à leur contribution aux changements transformateurs se multiplient. Les négociations internationales appellent à prendre en compte les savoirs autochtones pour développer d’autres relations au monde. Les recherches participatives se développent. La prise en compte de ces bouleversements sociaux et environnementaux exige une réflexion éthique et épistémologique qui ne peut être déléguée et doit être menée collectivement au sein des laboratoires. Comment redéfinir la responsabilité des chercheurs et leur implication dans des projets ouverts aux acteurs de la société civile ? Quelles méthodologies déployer pour une recherche interdisciplinaire et finalisée ?
Une partie des réponses à ces questions est à chercher du côté de l’histoire, désormais longue d’une cinquantaine d’années, du développement patient des pratiques interdisciplinaires. S’il faut se lever pour les sciences, c’est peut-être avant tout pour défendre ces activités de recherche qui refusent le jeu de la compétition généralisée et dont la situation précaire pourrait se voir encore dégradée par l’exercice d’une « solidarité internationale » dévoyée. Aux côtés d’autres revues et d’autres collectifs, NSS entend continuer à faire exister cet espace de production de connaissances critiques, qui résiste à l’étau du scientisme et de l’autoritarisme.
© C. Aubertin et R. Beau, Hosted by EDP Sciences
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