Numéro |
Nat. Sci. Soc.
Volume 29, Numéro 3, Juillet/Septembre 2021
|
|
---|---|---|
Page(s) | 341 - 345 | |
Section | Vie de la recherche – Research news | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2021064 | |
Publié en ligne | 10 décembre 2021 |
Documenter les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières : un enjeu pour les sciences participatives
In depth investigation of the health and environmental impacts of oil-linked activities: a challenge for participatory science
1
Science politique, Sciences Po Lyon, UMR Triangle,
Lyon, France
2
Histoire, Université Lyon 1, UMR LARHRA,
Lyon, France
* Auteur correspondant : gwenola.le.naour@sciencespo-lyon.fr
Ce texte rend compte d’un colloque international ayant rassemblé des études territorialisées qui toutes prennent leur distance à l’égard d’un récit industrialiste, au profit d’une histoire sociale des concentrations pétrochimiques − les « corridors » – qui interroge les conséquences écologiques, sanitaires et sociales de leurs implantations et met en évidence les ressorts contestataires des populations victimes de ces nuisances.
Abstract
The paper reports on an international conference on territorial studies which all distance themselves from an industrial narrative and turn to the social history of petrochemical concentrations —the “corridors”— which questions the ecological, health, environmental consequences and social aspects of their location and highlights the sources of contestation of the populations subject to these nuisances.
Mots clés : industries pétrochimiques / écologie / pollution / inégalités sociales et environnementales / politiques sanitaires
Key words: petrochemical industries / ecology / pollution / social and environmental inequalities / health policies
© G. Le Naour et V. Porhel, Hosted by EDP Sciences, 2021
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
Soutenu par la Fondation de France et organisé à l’amphithéâtre de Sciences Po Lyon, les 28 et 29 novembre 2019, le colloque intitulé « À l’ombre des fumées pétrochimiques » se proposait de croiser l’histoire des couloirs de la chimie, à l’échelle internationale, et les effets de leurs concentrations industrielles sur la santé1. Articulée en cinq sessions, la manifestation invitait les différents intervenants issus de plusieurs disciplines (historiens, sociologues, épidémiologistes, géographes, politistes) − voir liste des participants dans l’Encadré 1 – à s’interroger sur les conséquences sociales, économiques, spatiales et sanitaires de l’implantation de puissants complexes pétrochimiques en différents points du globe au XXe siècle.
Participants au colloque.
-
Salvatore Adorno (historien, Université de Catane, Italie)
-
Pier Alberto Bertazzi (professeur de médecine, Université de Milan, Italie)
-
Annibale Biggeri (statisticien, Université de Florence, Italie)
-
Brian C. Black (historien, Penn State Altoona, États-Unis)
-
Sofiane Bouhdiba (démographe, Université de Tunis, Tunisie)
-
Émilie Counil (épidémiologiste, Institut national d’études démographiques [Ined], Paris, France)
-
Anne Dalmasso (historienne, Université de Grenoble Alpes, Grenoble, France)
-
Bruna De Marchi (épidémiologiste, Società per l’epidemiologia e la prevenzione “Giulio A. Maccacaro” impresa sociale, Milan, Italie)
-
Renaud Hourcade (politiste, CNRS, Rennes, France)
-
Angelo Raffaele Ippolito (géographe, Université d’Oxford, Royaume-Uni)
-
Maxime Jeanjean (épidémiologiste, Centre Norbert Elias, Marseille, France)
-
Matthew Johnson (historien, Université de Georgetown, États-Unis)
-
Hervé Joly (historien, CNRS, Lyon, France)
-
Jennifer Klein (historienne, Université Yale, États-Unis)
-
Johanna Lees (sociologue, Centre Norbert Elias, Marseille, France)
-
Garance Malivel (sociologue, Université York, Toronto, Canada)
-
Pascal Marichalar (sociologue, CNRS, Paris, France)
-
Emmanuel Martinais (géographe, École nationale des travaux publics de l’État [ENTPE], Lyon, France)
-
Gwen Ottinger (sociologue, Université Drexel, États-Unis)
-
Judith Rainhorn (historienne, Université Paris 1, France)
-
Dayna Nadine Scott (sociologue, Université York, Toronto, Canada)
-
Chelsea Szendi Schieder (historienne, Université Aoyama Gakuin, Tokyo, Japon)
-
Lamya Tennci (sociologue, Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle [CRASC], Oran, Algérie)
-
Bruno Andreas Walther (biologiste, écologue, Université Sun Yat-Sen, Taiwan)
Pour une autre histoire de la pétrolisation
L’initiative de ce colloque, liée à des réflexions collectives menées par les organisateurs au sein du projet de recherche de l’Agence nationale de la recherche TRANSENVIR2, partait d’un constat : si des études se développent, depuis une quinzaine d’années, dans la communauté scientifique sur la fabrique du compromis autour des sites pétrochimiques et des nuisances sociales et environnementales, ainsi que sur les mobilisations et contestations que ces nuisances entraînent, elles peinent encore à dialoguer entre elles et, a fortiori, avec les sciences de la santé. Développées dans des aires culturelles et linguistiques différentes, ces études éparses ont pourtant vocation à échanger afin de parvenir à la fois à l’élaboration d’un récit global sur les effets écologiques et sanitaires de la pétrolisation des sociétés contemporaines et à une meilleure compréhension de ces effets sur la santé humaine. Plusieurs propositions éditoriales récentes invitent à remédier à cette fragmentation, mais elles restent peu attentives à l’historicité de ces enjeux (Davies et Mah, 2020).
Dès lors, le colloque a mis en évidence un décentrement des regards autorisant de s’affranchir du récit héroïque de l’implantation des majors pétrolières et de leur stratégie industrielle qui a longtemps fait le fond de l’histoire du pétrole, y compris dans sa dimension critique. Une histoire sociale du pétrole marque ainsi l’existence des « sans voix » de la geste énergétique : ouvriers, paysans ou pêcheurs dépossédés, riverains, médecins indépendants. Ces « sans voix » participent, par leurs expériences et leur contre-expertise, aux représentations des nuisances sur les territoires, à rebours de la vision hagiographique, comme le raconte « l’épopée du gaz de Lacq » déconstruite par R. Hourcade dans sa communication. La pluridisciplinarité des intervenants et la diversité des expériences nationales et des démarches de recherche ont mis en lumière de nombreux points de convergence qui autorisent une montée en généralité sur :
-
le rôle joué par les entreprises afin de minimiser les risques et disqualifier les formes d’expertise alternatives à celles qu’elles pratiquent ;
-
le soutien des pouvoirs publics à de telles installations malgré leurs effets néfastes ;
-
les freins aux mobilisations des populations comme des experts compte tenu des débordements prévisibles ;
-
les difficultés des médecins à se positionner sur l’origine des maladies environnementales.
Décentrer pour dialoguer
L’introduction du colloque par les organisateurs s’est ancrée dans l’actualité en abordant l’accident qui a touché l’usine Lubrizol dans l’agglomération de Rouen, le 26 septembre 2019 (Bécot, 2019). Cette intervention a été l’occasion de mettre en évidence la profondeur historique de l’implantation industrielle et chimique sur ce territoire, d’interroger la construction d’une identité ouvrière attachée au lieu et l’accommodement négocié au risque en dépit des plaintes régulières émises, tant par les riverains que dans l’entre-soi des communautés ouvrières, autant de sujets qui avaient été discutés deux semaines auparavant lors d’un colloque réuni à Givors (voir Encadré 2).
Du travail au lieu de vie. Quelles mobilisations contre les risques professionnels et les atteintes à l’environnement ?
Les 14 et 15 novembre 2019 s’est tenu à Givors un colloque intitulé « Du travail au lieu de vie. Quelles mobilisations contre les risques professionnels et les atteintes à l’environnement ? ». Organisé à l’initiative de militants de la santé au travail et de chercheurs en sciences humaines et sociales, ce colloque se fonde sur le constat du développement de pathologies d’origine industrielle et de leur sous-estimation dans les statistiques existantes. Ces maux sont dits et dénoncés par les populations qui les subissent depuis les années 1970, et plus encore dans un contexte de désindustrialisation au cours duquel les travailleurs et les travailleuses restent exposés à l’héritage toxique des entreprises qui ferment. Ce colloque a exploré les obstacles auxquels sont confrontés les collectifs qui s’engagent dans les procédures de reconnaissance de l’origine industrielle de ces maladies. Il a permis de faire dialoguer les chercheurs qui ont enquêté sur ces questions et les acteurs confrontés à ces difficultés. Il s’inscrit dans la filiation d’autres initiatives qui visent à développer des recherches pluridisciplinaires sur les cancers d’origine professionnelle et environnementale comme les groupements d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle (Giscop) 93 et 84 ou l’Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer, dont plusieurs membres étaient présents à ce colloque. Les présentations et discussions ont permis d’éclairer des enjeux partagés sur de nombreux territoires à travers l’Europe, comme celui de l’absence de données localisées sur les effets des pollutions sur la santé ou de suivi des salariés pendant leurs retraites alors que la plupart des cancers d’origine professionnelle ont des durées de latence longues3.
Plus largement, partir du cas de Lubrizol permet d’évoquer une histoire globale de la pétrolisation des sociétés contemporaines marquée par la mondialisation capitaliste. Ce cas rappelle qu’une histoire territorialisée des usages du pétrole doit inviter à souligner la dépendance des sociétés contemporaines à l’extraction des hydrocarbures dans des territoires souvent dédiés à l’industrie, tout en restant des lieux de vie. L’exemple de Lubrizol rappelle également l’extension d’un mode de vie consumériste qui voit se généraliser la consommation de pétrole et l’utilisation des matières plastiques, parfois en prolongeant de véritables écosystèmes industriels territoriaux, comme dans la région lyonnaise (H. Joly). Enfin, cet épisode convoque également la mémoire de la pollution inhérente à ces activités à l’heure de la désindustrialisation de nombre de ces territoires, ainsi que les contestations croissantes dont elles sont l’objet de la part des associations environnementales comme de la part des experts climatiques. L’évocation de l’accident de Lubrizol fut ainsi l’occasion de rappeler que les études de cas, ancrées sur des territoires où agissent des groupes sociaux aux intérêts différents, ne doivent pas faire oublier les transformations globales des sociétés et des économies contemporaines. En ce sens, et à partir de ses propres travaux sur l’histoire environnementale du pétrole, B. Black (2012) a invité les participants au colloque à veiller constamment à l’insertion des études territoriales dans des récits plus globaux.
Un certain nombre de communications ont ainsi mis l’accent sur la capacité des défenseurs de l’industrialisation à produire des données pour minimiser les risques, notamment sanitaires, et à façonner une certaine image du territoire contribuant à invisibiliser les dommages et dégâts produits par les usines. À ce titre, le recours à l’expertise produit des effets différents selon les territoires et les populations et selon l’existence ou non d’une pluralité des sources d’expertise. Reste que, dans le cas de la zone industrielle de l’étang de Berre (J. Lees, M. Jeanjean) ou dans le cas de territoires pétroliers italiens (B. De Marchi, P.A. Bertazzi, A. Biggeri), la production de données émanant des riverains dans le cadre de recherches participatives met en évidence le taux de prévalence élevée de certaines pathologies sur les lieux de vie, ce qui conduit à interroger la pertinence de la présence industrielle. La production de nouvelles connaissances par des associations de riverains ou de protection de la nature permet alors d’alimenter une contestation citoyenne des usines installées ou de suspendre une fabrication jugée potentiellement dangereuse pour les populations, à l’exemple des actions menées dans le couloir de la chimie canadien (G. Malivel et D.N. Scott) ou en Louisiane (G. Ottinger). Mais ces nouvelles connaissances peuvent également permettre aux autorités d’objectiver certaines nuisances et ainsi de prévenir et domestiquer des contestations, comme dans le secteur pétrolier tunisien, au lendemain de la révolution de 2011 (S. Bouhdiba). À ce titre, la démocratisation de la fabrique de savoirs apparaît comme un enjeu fort pour dénoncer l’emprise sanitaire de l’industrie pétrochimique. Celle-ci n’hésitant pas à convoquer ces mêmes savoirs pour légitimer son activité sur un territoire, comme le montre l’analyse des études épidémiologiques des travailleurs des usines pétrochimiques en Italie qui conjugue savoirs académiques et savoirs populaires (B. De Marchi, P.A. Bertazzi, A. Biggeri).
Une deuxième approche vise à entreprendre une prise en compte des temporalités et des chronologies, à rebours d’une vision strictement économique du fait industriel. À cet égard, le dialogue fructueux entre sciences sociales et sciences de la santé invite à repenser l’histoire du pétrole au prisme de ses effets sanitaires en interrogeant la lecture des temps de latence entre exposition à des substances pathogènes et survenue d’une maladie : il en est ainsi de l’étude sur les risques industriels du raffinage dans les îles Vierges américaines, qui met en évidence les biais raciaux de la contamination au filtre de sources juridiques (M. Johnson), et de l’étude de la difficile reconnaissance des cancers professionnels liés à l’activité pétrochimique en Algérie (L. Tennci).
Un troisième décentrement permet de densifier les récits en intégrant la pluralité des acteurs présents sur les territoires pétrochimiques et qui, tous, participent, à des degrés divers, au compromis socioécologique rendant possible la présence industrielle. Condition d’un récit global, la convocation des paroles effacées d’une histoire construite autour de la toute-puissance de l’industrie pétrolière conduit à une autre lecture du fait industriel. Toutes ces voix − paysans, médecins, industriels, fonctionnaires, travailleurs, riverains – sont nécessaires pour comprendre les enjeux de santé dans les territoires de la pétrochimie. Elles sont indispensables pour se prémunir d’un récit englobant dans lequel les inégalités d’exposition aux pollutions seraient niées ou rendues invisibles. De même, il est parfois utile d’inscrire ces paroles dans une longue durée pour comprendre la mutation productive des territoires. Alors que la « Cancer Alley » de Louisiane a déjà fait l’objet de nombreuses recherches sociologiques, la contribution de J. Klein a offert un éclairage historique sur cette aire. En signalant que des bâtiments symboliques de l’économie de plantation voisinent aujourd’hui avec les usines pétrochimiques, elle a rappelé que la subdivision administrative du territoire reste marquée par le passé productif de cette région. Elle a surtout souligné que la conversion productive s’est accompagnée d’un double mouvement d’implantation de sites polluants et de construction d’institutions disciplinaires (prisons, centres de rééducation, etc.). Dès lors, la vallée inférieure du Mississippi est présentée comme un espace où furent reléguées à la fois des activités et des populations désignées comme « indésirables » dans la société américaine du XXe siècle.
Enfin, le cadre social lié au souvenir de l’industrie participe de cette lecture du phénomène pétrolier. Que ce soit à Syracuse (S. Adorno) ou au Japon (C.S. Schieder), la réhabilitation des sites industriels réactive les mémoires et pose la question de la capacité des différents acteurs à la résilience et à la mise à distance du fait industriel.
La persistance de points aveugles
Comme tout colloque abordant un domaine novateur, celui-ci n’a pas manqué de points aveugles qui sont autant de nouvelles pistes de recherche. En premier lieu, malgré la diversité des intervenants (voir Encadré 1), certaines aires géographiques n’étaient pas représentées. Ainsi, on peut regretter le manque de propositions émanant du Moyen-Orient ou de l’Amérique centrale (Auyero et Switsun, 2009) ou encore de l’Afrique subsaharienne, pourtant réputés pour leurs territoires assignés à l’extraction, au raffinage ou à l’activité pétrochimique (Atabaki et al., 2018). De même, l’Océanie était absente ainsi que l’Asie − à l’exception du Japon.
Fait plus problématique à notre sens, les diverses communications ont semblé entériner l’invisibilité de certains rapports sociaux, pourtant convoqués dans le cadre d’autres activités industrielles (sidérurgie, centrales nucléaires). Si les processus de racialisation et les relations de classe apparaissaient dans certaines contributions, les équilibres de genre étaient peu présents. On peut bien évidemment arguer que le salariat des industries pétrolières et pétrochimiques fut majoritairement masculin, mais pas exclusivement. De plus, les mouvements de contestation sur les territoires industriels − hors des entreprises – laissent une place visible aux femmes, notamment sur les enjeux de santé environnementale. On peut également souligner le rôle fondamental des proches des travailleurs dans la compréhension des mécanismes de souffrance au travail et dans la réflexion sur l’origine professionnelle des pathologies. L’espace domestique, qui interroge les rapports de genre mais également d’âge, permet fréquemment aux salariés des industries dangereuses de construire et de formaliser leur regard sur les risques au travail. Les femmes (mères, épouses ou sœurs) jouent bien souvent un rôle déterminant dans l’identification du travail comme cause de la maladie (Avril et Marichalar, 2016). Elles sont aussi des lanceuses d’alerte comme dans le cas de leucémies chez plusieurs enfants à Woburn aux États-Unis (Brown, 1987).
Enfin, ce colloque, voué à une histoire comparée des enquêtes et des mobilisations en santé environnementale dans les couloirs de la chimie, n’a pas pu paradoxalement révéler, au fil des contributions présentées, une circulation transnationale des connaissances sanitaires. On pouvait s’attendre à la mise en évidence de pratiques scientifiques et à la transmission de certains savoirs en matière de santé publique dans les différents territoires confrontés aux mêmes substances. Cette lacune semble cependant riche de potentialités dans des recherches futures.
Croiser les approches pour mieux comprendre les dégâts sanitaires et environnementaux
Le colloque a aussi mis en lumière l’intérêt de croiser des disciplines comme l’histoire, la géographie, la sociologie, la science politique et l’épidémiologie savante mais aussi populaire pour comprendre l’ampleur des transformations et des dégâts sanitaires occasionnés par la pétrolisation de l’industrie.
En avançant la notion de « justice épistémique », dans une conférence plénière, G. Ottinger a souligné non seulement que les populations concernées peuvent forger des approches scientifiques qui ouvrent la voie à une meilleure compréhension de leurs expositions aux pollutions, mais aussi que l’appréhension de ces environnements pathogènes impose souvent de maintenir une distance vis-à-vis des démarches scientifiques excessivement contraintes par les catégories administratives. G. Ottinger a mis ainsi l’accent sur la nécessité pour les recherches sur les risques et transitions environnementales de prendre en compte un ensemble de savoirs situés, dont ceux des populations les plus exposées aux concentrations industrielles, qui doivent souvent prouver que leur santé est durablement altérée ou menacée par la pétrochimie. La sociologue américaine a souligné que les réglementations publiques en matière de santé reposent sur des cadrages qui mobilisent seulement certaines approches scientifiques, qui permettent de fonder et légitimer l’action publique. Or, l’expérience routinière des nuisances ne s’énonce pas toujours aisément dans le cadre des démarches scientifiques qui présentent une affinité avec les catégories forgées par les politiques publiques.
Comme l’ont montré les historiens présents, l’histoire industrielle a longtemps été écrite sur la base des discours des entreprises et des savants qui croyaient en la capacité de l’industrie de se sécuriser grâce à des avancées technologiques. Sur ce point, le colloque a permis des échanges avec des associations de riverains, des médecins du travail, des épidémiologistes membres du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) ou d’anciens salariés de l’industrie qui étaient venus assister aux présentations des chercheurs. La conférence et les travaux les plus récents de G. Ottinger prouvent l’intérêt de diversifier les connaissances et d’intégrer les savoirs des riverains et salariés sur les territoires pétrochimiques4. De plus, sa contribution a livré une critique des démarches dites de citizen science qui, en s’institutionnalisant, se condamneraient à un ajustement graduel aux catégories administratives. Dès lors, ces approches de « science citoyenne » seraient inappropriées pour comprendre l’environnement pathogène quotidien des couloirs de la chimie.
Les contributions et discussions du colloque ont ouvert la voie à une histoire globale des industries pétrochimiques invitant à dépasser une lecture réduite aux enjeux techniques et économiques du changement climatique et à interroger les multiples atteintes à la santé et à l’environnement occasionnées par cette industrie. Elles ont invité à remettre au centre des enquêtes les « histoires de vie » des actrices et acteurs concernés.
Références
- Atabaki T., Bini E., Ehsani K. (Eds), 2018. Working for oil. Comparative social histories of labor in the global oil industry, New York, Palgrave. [Google Scholar]
- Auyero J., Switsun D., 2009. Flammable, Oxford, Oxford University Press. [Google Scholar]
- Avril C., Marichalar P., 2016. Quand la pénibilité du travail s’invite à la maison. Perspectives féministes en santé au travail, Travail et emploi, 147, 5-26, https://doi.org/10.4000/travailemploi.7110. [CrossRef] [Google Scholar]
- Bécot R., 2019. Lubrizol : la catastrophe n’a pas (encore) eu lieu, Terrestres, 8, https://www.terrestres.org/2019/10/13/lubrizol-la-catastrophe-na-pas-encore-eu-lieu/. [Google Scholar]
- Black B., 2012. Crude reality. Petroleum in world history, New York, Rowman & Littlefield. [Google Scholar]
- Brown P., 1987. Popular epidemiology: community response to toxic waste-induced disease in Woburn, Massachusetts, Science, Technology, & Human Values, 12, 3/4, 78-85, https://www.jstor.org/stable/689386. [Google Scholar]
- Davies T., Mah A. (Eds), 2020. Toxic truths. Environmental justice and citizen science in a post-truth age, Manchester, Manchester University Press. [CrossRef] [Google Scholar]
Colloque « À l’ombre des fumées pétrochimiques. Couloirs de la chimie et santé environnementale » organisé par Renaud Bécot (historien, Sciences Po Grenoble), Stéphane Frioux (historien, Université Lyon 2), Gwenola Le Naour (politiste, Sciences Po Lyon), Vincent Porhel (historien, Université Lyon 1). Le programme est disponible à cette adresse : https://petrochimie.sciencesconf.org. Nous remercions R. Bécot et S. Frioux pour leur collaboration à l’organisation du colloque, ainsi que pour la relecture de ce texte.
TRANSENVIR : « Approche historique de la transition environnementale dans la région lyonnaise (années 1950 à nos jours) », https://transenvir.fr.
Pour plus d’informations, voir https://givors.sciencesconf.org.
Sur ce point, voir www.fairtechcollective.org/about.
Citation de l’article: Le Naour G., Porhel V. Documenter les impacts sanitaires et environnementaux des activités pétrolières : un enjeu pour les sciences participatives. Nat. Sci. Soc. 29, 3, 341-345.
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.