Numéro |
Nat. Sci. Soc.
Volume 29, 2021
Pour une géologie politique
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Page(s) | S91 - S95 | |
Section | Repères − Events & books | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2021056 | |
Publié en ligne | 1 décembre 2021 |
Ouvrages en débat★
Subterranean struggles. New dynamics of mining, oil and gas in Latin America
Anthony Bebbington, Jeffrey Bury (Eds)
University of Texas Press, 2013, 343 p.
L’ouvrage collectif d’écologie politique dirigé par Anthony Bebbington (Clark University) et Jeffrey Bury (University of California, Santa Cruz), deux géographes spécialistes de l’Amérique latine représente une somme d’études sur les nouvelles géographies extractives dans les régions andines. Le programme de recherche qu’ils proposent est celui de la réintroduction du sous-sol dans l’analyse des transformations régionales et globales que sont l’expansion de l’extraction, le consensus sur les « commodities » ou encore l’impact des mobilisations sociales sur les formes de l’exploitation de la Nature, notamment à travers le néo-extractivisme redistributif. À travers l’étude de ces « subterranean struggles », c’est non seulement le rôle capital des ressources du sous-sol dans les économies modernes, mais aussi le coût socio-environnemental caché de la modernité exporté dans des régions périphériques que les auteurs veulent souligner.
Le chapitre introductif est le plus intéressant dans la mesure où il fixe les bases d’une géologie politique reposant sur les apports de l’écologie politique en matière de construction sociale de l’environnement tout en adaptant le cadre d’analyse aux particularités des exploitations du sous-sol, mines et hydrocarbures. Les études de cas, quoique redondantes, fournissent des contributions empiriques intéressantes, notamment dans les trois derniers chapitres qui présentent des comparaisons régionales. C’est surtout le chapitre 10 écrit collectivement qui donne les enseignements issus de la comparaison des cas péruviens, équatoriens et boliviens. La question qui guide l’analyse est celle de l’influence des mobilisations sociales sur l’économie politique de l’extraction, c’est-à-dire sur la structuration par la politique (le personnel politique comme les politiques publiques) des industries du sous-sol. Cette influence des mouvements sociaux est visible dans la création d’instruments de politique publique favorables à la protection environnementale et identitaire des populations mais aussi dans la transformation des discours et des pratiques des compagnies transnationales d’extraction. Cependant, les changements obtenus sont encore loin de satisfaire les collectifs mobilisés qui réclament de nouvelles règles du jeu et pas seulement des ajustements marginaux. L’ampleur des projets en cours et à venir démontre bien, en contrepoint, l’alliance entre les compagnies d’extraction et les différents gouvernements autour du consensus extractiviste.
Le sous-sol et ses ressources ont été jusqu’à récemment assez peu analysés par l’écologie politique alors que l’économie politique de l’environnement en pointe la centralité dans le déploiement de la « modernité ». Les révolutions industrielles ont toutes été fondées sur l’exploitation des ressources du sous-sol et au premier chef sur les énergies fossiles qui ont autorisé l’extraction de plus en plus large des autres ressources minérales. Critiquant les discours dominants sur la dématérialisation de l’économie et la fin des pénuries qui ont suivi la chute de l’URSS, Bebbington et Bury remettent au centre de l’analyse ce monde souterrain qui fournit l’essentiel des ressources nécessaires aux sociétés modernes et dont les conflits sont rarement visibles. La dépendance du développement capitaliste envers l’exploitation du sous-sol appelle les auteurs à préciser que les géographies de l’extraction sont historiquement particulièrement inégalitaires et dépendantes de relations de domination entre centre et périphérie. Les contributions ne manquent pas de rappeler à quel point les territoires d’extraction s’inscrivent dans l’histoire de la colonisation, faisant ainsi écho à la théorie de la dépendance de Galeano (auteur uruguayen des Veines ouvertes de l’Amérique latine1, ouvrage qui accuse les puissances étrangères d’exploiter les pays latino-américains). Cette division internationale du travail conduit à des formes particulières d’économies dépendantes des ressources naturelles, mais aussi à des identités et à des régimes politiques spécifiques. Ce sont ces territoires marqués par l’extraction qui sont les terrains d’étude présentés dans l’ouvrage collectif.
L’Amérique latine, tout comme d’autres régions du monde, a été et continue d’être une périphérie particulièrement productive qui accumule les conséquences sociales, politiques et environnementales produites par l’extraction des ressources naturelles. Mais en s’intéressant spécialement à cette région, Bebbington et Bury soulignent dans le chapitre 2, « Les nouvelles géographies des industries extractives en Amérique latine », que non seulement les territoires traditionnels de l’extraction sont concernés mais que la frontière de l’extraction avance dans de nouveaux territoires. L’exploration puis l’exploitation du sous-sol sud-américain ne se sont jamais aussi bien portées, avec une croissance fulgurante des investissements depuis les années 1990 tant dans le minier que dans les hydrocarbures. Après avoir dressé l’histoire régionale de l’extraction, ils mettent en avant que c’est toute l’économie andine qui est en mutation vers une intégration des systèmes d’extraction à travers un réseau de routes, pipelines et voies ferrées. C’est alors que la nécessaire combinaison entre projets miniers et d’hydrocarbures prend toute son importance puisque les mégaprojets miniers nécessitent une source locale et bon marché d’énergie, ce qu’illustre le chapitre 8 de Derrick Hindery sur la synergie entre une mine d’or et un gazoduc en Bolivie. Au-delà des alliances locales, ces mégaprojets reposent sur un écosystème de transport et de commercialisation incluant notamment l’infrastructure légale, refondue selon le modèle néolibéral dans les années 1990. Le « commodities super-cycle » des années 2000 a ensuite dopé le régime d’extraction dans la plupart des pays d’Amérique du Sud à travers l’explosion des investissements directs à l’étranger. L’élection de nombreux gouvernements de la gauche progressiste n’a pas su ralentir cette expansion et n’est parvenue qu’à limiter la malédiction des ressources en assurant une meilleure redistribution des richesses dans un consensus sur les « commodities » décrit comme un néo-extractivisme. Malgré une présence accrue des compagnies transnationales comme opérateurs, la propriété publique des ressources du sous-sol fait de l’État une partie prenante des politiques et des projets extractifs, puisque, dans l’ensemble des cas présentés, loin de garantir la préservation des éco et socio-systèmes concernés, le pouvoir étatique contraint les populations locales et favorise les grands projets au détriment de l’artisanat minier. L’État est ainsi présenté comme le principal promoteur du sous-sol, aussi bien dans une version libérale que dans une version nationaliste de l’exploitation des ressources.
La discussion sur la manière dont l’extraction construit les identités des populations locales et nationales est l’aspect le plus stimulant de l’ouvrage. À travers l’exemple de l’expansion de la frontière de l’exploitation d’hydrocarbures au Pérou, Anthony Bebbington et Martin Scurrah (chapitre 7), mais aussi Julio Postigo, Mariana Montoya et Kenneth Young (chapitre 9), mettent en lumière les dynamiques propres à un capitalisme frontière qui accapare les ressources hors de la vue et du contrôle de l’État. Mais les auteurs soulignent ensuite que les abus sociaux et environnementaux génèrent une réaction, des conflits, des organisations, des stratégies et des alliances permettant aux populations de résister et de négocier pour contenir la frontière extractive. À l’inverse, l’extraction génère aussi un système immunitaire qui prend la forme d’un nationalisme des ressources comme l’illustre le cas des mineurs boliviens (chapitre 3). En questionnant la relation entre nation et nature, Tom Perreault met en lumière le lien unissant la citoyenneté bolivienne aux ressources nationales. À rebours des critiques libérales du nationalisme des ressources, Perreault montre que cette forme de protectionnisme est aussi à la base d’une « communauté imaginaire » qui se construit à partir de l’extraction des ressources nationales. Dans la Bolivie de Morales, le développement du gaz naturel participe de ce processus de création d’identité nationale à travers la production d’espaces politiques et sociaux issus d’une configuration de la gouvernance des ressources qui place l’État au centre des décisions. Financé par l’exploration des compagnies étrangères, le gaz naturel bolivien ne devient une ressource nationale qu’après la nationalisation de Morales en 2006 qui l’ancre dans l’imaginaire de la défense de l’identité andine contre l’exploitation étrangère historique. La critique de l’extraction est alors retraduite en critique de l’accaparement étranger des ressources. En montrant comment les discours de préservation sont réinterprétés pour valoriser une exploitation « nationale » des ressources, les auteurs mettent en lumière un « gouvernement de la critique » très efficace qui favorise une gouvernance néo-extractiviste du sous-sol : les ressources souterraines sont un bien commun dont l’exploitation doit permettre le développement socioéconomique.
Les études de cas fournissent de nombreux exemples des alliances opportunistes ou stratégiques qui permettent l’expansion de l’extraction malgré les contestations et un discours politique marqué par la préservation des ressources. Mobilisant l’écologie politique, les auteurs analysent le processus d’« enclosure » des espaces d’extraction à travers l’accès aux ressources participant à la marchandisation des territoires (« commodification »). Le concept d’E.P. Thompson décrit les dynamiques légales d’appropriation des espaces et des ressources communes et leurs effets sur leur gouvernance. Les conflits autour de l’économie de l’extraction sont avant tout des conflits de gouvernance de l’espace. Jeffrey Bury et Timothy Norris démontrent comment deux frontières, celle de l’extraction et celle de la conservation, entrent en collision dans la Cordillera Huayhuash du Pérou. Chacune des coalitions défend ses ressources comme un bien commun de la nation et tente d’imposer son régime de gouvernance. Jennifer Moore et Teresa Velàsquez (chapitre 5) font une démonstration similaire à propos des conflits d’usage de l’eau entre les compagnies aurifères et les producteurs laitiers et bananiers en Équateur. Les auteures déconstruisent alors un discours que l’on retrouve dans d’autres études de cas : l’argument défendu par l’État équatorien selon lequel les grands projets miniers des compagnies transnationales sont plus respectueux de l’environnement que l’artisanat minier traditionnel de petite taille. Cet argument de la « mine responsable » est devenu structurant dans les débats miniers au point de limiter les réformes législatives. À travers ces conflits, les auteures montrent que l’appropriation des ressources se déroule à plusieurs échelles à la fois et que leur gouvernance est régulièrement discutée et remise en cause dès lors qu’une activité engendre des conséquences négatives pour un territoire et ses populations.
Sur un plan plus théorique, l’ouvrage questionne les relations nature-société par l’intermédiaire des ressources du sous-sol et les manières dont elles interrogent la construction sociale des échelles géographiques. Les gisements souterrains, tout comme les pollutions atmosphériques dont ils sont responsables, ne connaissent pas les frontières politiques. Bebbington et Bury, à la suite de l’écologie politique, proposent de territorialiser l’analyse des processus globaux afin de percevoir les transformations et l’adaptation des territoires et de ses habitants. Ce processus est particulièrement visible dans le chapitre 6, rédigé par Ximena Warnaars, qui définit la territorialisation comme un processus collectif continu d’occupation, d’identification et de contrôle sur une parcelle de terre. Prenant le cas du sud-est de l’Équateur, l’analyse montre que les conflits sur les mines ont transformé l’identité locale tout autant qu’ils se sont appuyés sur les valeurs et les coalitions existantes. L’auteure insiste sur la production de sens comme un élément central de ces conflits d’occupation des territoires. C’est à travers la construction d’une représentation collective du territoire, de ses ressources et de ses usages que les habitants réinterprètent les conflits territoriaux historiques (entre l’Équateur et le Pérou) mais aussi leurs relations quotidiennes au sein de leur communauté (entre pro et anti mines). Loin d’être uniquement compréhensible à l’aune des changements globaux, l’extraction est au cœur d’un entrelacs de significations et de relations sociales.
Confrontés à la question de l’engagement politique, les auteurs défendent un environnementalisme au service des victimes de l’extraction et inscrivent leurs recherches dans la prévention des inégalités de distribution des bénéfices et des coûts environnementaux des industries du sous-sol. L’engagement politique sous-jacent de l’ouvrage – cohérent avec l’écologie politique – reste néanmoins sa plus grande faiblesse puisque l’ensemble des contributions analysent les conflits d’extraction uniquement du point de vue des populations menacées, ce qui limite la prise en compte symétrique des récits, coalitions et adaptations des acteurs étatiques et industriels qui n’apparaissent que dans leur contact avec les opposants. L’intention louable de défense des dominés limite ainsi une contribution plus large à la compréhension du système extractiviste incluant les représentations et les stratégies des partisans aussi bien que des opposants à l’extraction.
Sébastien Chailleux
(Université de Pau et des Pays de l’Adour, UMR Passages, Pau, France)
s.chailleux@univ-pau.fr
La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique
Guillaume Pitron
Les Liens qui libèrent, 2018, 294 p.
Mauvaises mines. Combattre l’industrie minière en France et dans le monde
Mathieu Brier, Naïké Desquesnes
Agone, 2018, 150 p.
Les ressources controversées de la transition écologique
Ces dernières années des travaux journalistiques ont contribué aux débats portant sur les enjeux miniers. Ce compte rendu propose une lecture croisée de Mauvaises mines. Combattre l’industrie minière en France et dans le monde écrit par Mathieu Brier et Naïké Desquesnes, journalistes enquêteurs à Z, une revue d’enquête et de critique sociale, et de La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique rédigé par Guillaume Pitron, journaliste spécialiste des sujets liés à l’exploitation des ressources. Ces deux ouvrages, qui ont en commun de s’appuyer sur un travail d’investigation, sont aussi engagés dans des critiques différentes. Ils permettent de comprendre certains aspects des controverses liées aux nouvelles politisations du sous-sol, dont celles du renouveau minier français.
Leurs auteurs partagent un même constat sur les effets sociaux et environnementaux parfois désastreux de l’exploitation minière, en particulier ceux liés à l’exploitation de minerais nécessaires à la transition écologique. Néanmoins, ils s’engagent pour des futurs différents. Dans Mauvaises mines, la critique de l’exploitation minière s’accompagne d’un engagement pour la décroissance et pour la lutte internationale contre les activités extractives ; dans la Guerre des métaux rares, il faudrait inventer des modèles de « sobriété » qui ne riment pas forcément avec « décroissance » (p. 317), et le renouveau extractif de la France est présenté comme une solution, pour une transition écologique dont il faudrait assumer les conséquences (p. 293).
Ces deux ouvrages intéressent les acteurs se prononçant en faveur ou contre le renouveau minier. Le livre de G. Pitron est populaire chez les promoteurs du renouveau et à l’inverse, Mauvaises mines est mobilisé par de nombreux opposants. Il ne s’agira pas ici de porter un jugement sur ces positions, mais de montrer qu’elles s’inscrivent dans une controverse portant sur la définition de la transition écologique et de sa dépendance aux matières minérales.
Dans La guerre des métaux rares, G. Pitron s’intéresse à ce qu’il nomme la « part d’ombre des technologies vertes » (p. 71). En traçant l’origine des ressources utilisées pour les « greentech » et la transition numérique, l’auteur montre que « les énergies propres » dépendent « d’un cauchemar environnemental » ailleurs dans le monde (p. 94). Les énergies renouvelables dépendent de ressources qui ne le sont pas (p. 15). L’objectif du livre est de rendre visible la part matérielle et territoriale de la transition écologique : éoliennes, technologies solaires, batteries de voiture électriques, technologies de transition numérique : toutes consomment d’importantes ressources minérales produites dans des conditions désastreuses. L’argument principal de cet ouvrage est de nous montrer que l’abandon des activités extractives par les pays occidentaux dans les années 1980 et 1990 a eu pour effet une délocalisation des conséquences négatives de celles-ci (p. 294).
De nombreux passages nous proposent ainsi de faire des allers et retours entre des sites d’extraction (Congo, Kazakhstan, Chine…), des sites industriels (Chine) et des sites de consommations (l’Europe). Les sites d’extraction apparaissent comme sacrifiés au profit des sites de consommations. L’auteur décrit également les liens entre certaines ressources et certaines tensions politiques dans le monde, notamment lorsqu’il s’agit de minerais nécessaires à l’élaboration d’armes de hautes technologies (p. 225). L’ouvrage suggère une relation directe entre l’exploitation des ressources du sous-sol et la « souveraineté » (p. 130). En effet, quelques pays producteurs de métaux rares (la Chine, par exemple) sont capables, en réduisant leurs exportations, de mettre à mal certaines industries occidentales qui en dépendent.
C’est d’ailleurs ce point qui amène l’auteur à se prononcer pour une « souveraineté minérale » (p. 130) qui trouverait ses origines dans un renouveau extractif de l’Europe et qui permettrait, d’une part d’avoir un contrôle sur les ressources, et d’autre part d’inventer des modes d’extraction responsables. G. Pitron évoque ce qui relève selon celui d’une forme d’incohérence de la part des opposants écologistes au renouveau minier en Europe. Selon lui, les associations écologistes « n’admettent pas que la transition énergétique et numérique est aussi une transition des champs de pétrole vers les gisements de métaux rares, et que la lutte contre le réchauffement climatique appelle une réponse minière » (p. 292).
C’est pourquoi G. Pitron se prononce en faveur d’un renouveau extractif. Cette relocalisation aurait des effets bénéfiques et agirait comme un révélateur : l’Europe, en se réappropriant l’activité extractive, produirait localement des minerais, ce qui lui permettrait de développer des modèles plus responsables et écologiques qui pourraient s’imposer ensuite comme référence technique dans le monde (p. 295).
Mauvaises Mines, lui, prend à contre-pied l’argumentation développée par G. Pitron. Premièrement, l’ouvrage ouvre un débat sur les capacités techniques de produire des métaux de manière « responsable », y compris en France (p. 15). Deuxièmement, il propose d’exporter « la discorde » antimine et de promouvoir des modèles décroissants à l’échelle mondiale (p. 81) plutôt que de rapatrier les activités extractives. Troisièmement, il pose la question de la crédibilité d’une transition écologique qui serait consommatrice de métaux (p. 76).
Concernant le premier point, les auteurs considèrent que la mine « verte » et « responsable » (p. 23), à un moment défendu par l’État français, est un concept ne relevant d’aucune réalité technique. À ce titre, ils dénoncent le monde de la « responsabilité » de l’entreprise puisque l’industrie minière serait aujourd’hui dans une dynamique d’autorégulation, à son avantage. Ils critiquent ainsi les « bonnes pratiques » non contraignantes promues par des instances comme l’International Council on Mining and Metals, reprises en France dans l’initiative Mines responsables. D’après les auteurs, ces bonnes pratiques et engagements sont rarement tenus et n’apparaissent que comme des promesses peu crédibles. Pour poser la question de la réalité technique et économique de la mine responsable, l’ouvrage prend à témoin l’héritage minier français. « L’après mine » (p. 33) représente des problématiques sociales et environnementales difficiles à résoudre, voire irréversibles. D’après les auteurs, l’État français serait depuis de nombreuses années dans l’incapacité de reconnaître et de gérer les dégâts et pollutions causés par l’héritage minier. S’il le faisait, ce serait le principe même de mine qui serait remis en question (p. 42). Peut-on promouvoir le développement extractif lorsque les effets du passé minier sont irréversibles ?
L’ouvrage fait circuler le lecteur entre plusieurs sites sur lesquels des collectifs s’organisent pour lutter contre les activités minières. Selon les auteurs, les mobilisations sociales contre les activités extractives sont loin d’être incohérentes et tout l’enjeu est au contraire de promouvoir et de soutenir ces causes. Ils enquêtent sur ces collectifs émergeant sur d’anciens ou futurs sites miniers : Guyane, Salsigne (commune du département de l’Aude), Ariège, etc. Ici, la perturbation des activités minières est perçue comme un moyen de lutte efficace, au même titre que la promotion du recyclage et le refus de consommer des produits utilisant des métaux (p. 84). L’ouvrage rompt avec l’image de la controverse locale en promouvant la mise en réseaux des territoires en luttes.
Finalement, la principale question est de savoir si la transition écologique est compatible avec l’extraction et des objectifs de croissance économique. En effet, si l’exploitation de métaux est aujourd’hui présentée comme nécessaire à la transition, les auteurs renversent la question : une transition écologique nécessitant l’exploitation intensive de métaux est-elle une transition ? Ainsi, le livre s’accompagne d’une critique des « greentech » (p. 78) et du développement durable, et milite pour la décroissance et contre l’innovation (p. 82). « Solidarités avec les luttes » antimines, « réduction drastique » de la consommation de métaux, « offensive contre les entreprises » minières ainsi que les secteurs « gourmands en métaux, BTP, automobiles, ou l’armement » sont les mots d’ordre de cet ouvrage (p. 81).
En conclusion, je propose une lecture croisée. Si certains acteurs cadrent les controverses minières comme des problèmes d’acceptabilité sociale, ces deux ouvrages permettent de comprendre qu’elles renvoient à des problématiques sociotechniques bien plus étendues : les technologies de transition énergétique dépendent de l’extraction de matières minérales ; certains sites d’extractions sont gravement atteints pour que d’autres puissent développer des technologies « vertes ». La transition écologique et ses technologies sont dépendantes de métaux, mais aussi des systèmes économiques qui permettent de les produire. Cette mise en relation connecte les sites d’extraction au problème global du réchauffement climatique : que faire des territoires impactés de manière irréversible au nom de la neutralité carbone de l’Europe ?
Ces ouvrages avancent deux façons bien spécifiques de traiter cette question territoriale. Dans La guerre des métaux rares, il faudrait pour être cohérent assumer sur le territoire national les effets négatifs de la production de métaux liés à la transition. La relocalisation européenne des activités extractives devrait permettre à l’Europe à la fois de prendre sa part d’effets négatifs et d’inventer, puis d’exporter des modèles de mines responsables. La transition écologique pourrait alors aller de pair avec la croissance économique. À l’inverse, dans Mauvaise mines il faudrait exporter les luttes contre l’exploitation minière et promouvoir à l’échelle internationale des modèles de décroissances réels. Le problème est à la fois technique et économique, il est impossible d’extraire des métaux de manière « responsable ». La transition par les greentech et l’extraction n’est pas une transition écologique.
Lus conjointement, ces deux ouvrages rendent explicite le caractère politique de l’extraction. Bien qu’ils défendent des positions différentes, ils contribuent ensemble à mettre en lumière les territoires miniers et à les connecter à notre réalité matérielle. Les éoliennes composées de néodyme, les panneaux photovoltaïques composés de germanium et l’ensemble des objets techniques qui nous entourent sont issus de territoires d’extractions pour longtemps, voire définitivement, impactés. Cette controverse nous interroge sur nos usages, nos responsabilités et nos dépendances : faut-il cesser toute forme d’extraction ? Faut-il rapatrier les activités minières ? D’autres relations aux milieux géologiques sont-elles possibles ? Loin d’être close, la controverse est productive, elle fait émerger le sous-sol comme entité à prendre en compte dans les politiques environnementales, non plus uniquement comme espace de production minérale, mais aussi comme strate politique territoriale. Il resterait à inventer des espaces et des ressources permettant de définir démocratiquement nos usages, nos relations aux sous-sols et ce que nous entendons par « faire transition » avec eux.
Julien Merlin
(CNRS, UMR Pacte, Grenoble, France)
julien.merlin@outlook.com
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