Voici donc un nouveau numéro spécial de NSS, publié en sus des quatre numéros de 2021. Il a été réalisé à l’initiative de Xavier Arnauld de Sartre et de Sébastien Chailleux, qui ont souhaité donner à voir ce qui se passe sous nos pieds et montrer à quel point le sous-sol, et tout particulièrement en France, est un enjeu pour de très diverses activités. Celles-ci sont d’abord extractives sur le modèle minier ancien, mais renouvelé par le besoin en matières premières de la transition énergétique et numérique dont les fameuses terres rares pour les batteries. Elles peuvent à l’inverse permettre de stocker des éléments dont on ne sait plus bien quoi faire en surface, comme les déchets nucléaires. Surtout, les politiques de lutte contre le changement climatique éclairent d’un jour nouveau ce sous-sol. Les engagements de l’Accord de Paris de 2015 visent à la neutralité carbone pour 2050, c’est-à-dire à la fois réduire les émissions de gaz à effet de serre et les compenser. D’où le regain d’intérêt pour la géothermie, comme source d’énergie non carbonée, mais aussi pour des puits de carbone censés compenser les émissions industrielles. Après les forêts et les océans, les failles du sous-sol s’avèrent des lieux privilégiés pour les innovations de géo-ingénierie qui y trouvent des ressources de captage et de stockage de carbone (CSC). Mais notre propos n’est pas ici de répéter ce qui est clairement énoncé dans l’introduction de ce numéro, à la lecture de laquelle nous renvoyons le lecteur.

Si nous avons volontiers souscrit à la demande de nos collègues, c’est parce que nous avons trouvé là un sujet qui s’inscrit dans la ligne éditoriale de la revue et qu’il nous a paru particulièrement intéressant de rassembler ainsi, sur la question stratégique des utilisations du sous-sol, un ensemble de textes et de récits qui nous rappellent que ce vaste espace souterrain rend compte également de l’évolution des relations de nos sociétés avec leur environnement. En effet, chacun de nous en a plus ou moins connaissance à l’occasion d’événements qui peuvent apparaître disparates, soit dans des rapports sectoriels (sources d’énergie, problèmes de stockage de déchets, pollution des eaux et des sols…), soit à travers la presse quand il y a un « débordement », comme les tremblements de terre autour de Strasbourg, ou des mobilisations de citoyens peu disposés à accepter la proximité d’une nouvelle mine. Tout cela n’est pas anecdotique et a bien à voir avec la manière dont les institutions, les décideurs politiques et la sphère de la technoscience considèrent ce que nous avons sous les pieds comme un levier d’action potentiel pour la transition énergétique et écologique.

Le propos des auteurs est justement de démontrer qu’il n’y a pas vraiment de prise en compte politique de ce qu’il est fait de notre sous-sol pour différents usages, mais surtout dans un partage peu transparent des responsabilités entre secteur public, entreprises privées et citoyens. Au fil des articles qui constituent ce numéro ne voit-on pas, bien au contraire, une monté en politique de ces questions à travers les mouvements sociaux qui s’en emparent, les dispositifs technocratiques qui cherchent à s’imposer, les références contradictoires aux évidences scientifiques, les controverses qui émergent çà et là, et souvent là où les décideurs publics ne les attendaient pas ?

Nous invitons le lecteur à se faire sa propre idée en s’engageant dans la diversité et la richesse des récits qui constituent ce numéro spécial.

© C. Aubertin et al., Hosted by EDP Sciences, 2021