Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 26, Numéro 1, January-March 2018
Page(s) 33 - 48
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018021
Publié en ligne 1 juin 2018

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

C’est bien une analyse scientifique comparant les modes d’utilisation de ressources naturelles par deux systèmes sociaux radicalement différents que nous proposent les auteurs de cet article. La comparaison ne va pas de soi car l’étude porte sur deux modes de mise en valeur d’un même milieu (les rives du lac Tchad) aussi différents que le mode d’exploitation actuel (le multi-usage agro-halio-pastoral de l’espace) et un projet de firme pratiquant la monoculture de maïs. Elle est pourtant bien nécessaire tant est forte, dans les pays du Sud, l’attraction des États et des institutions internationales pour l’agriculture de firme. Grâce à une analyse fine de la mise en valeur actuelle des rives du lac Tchad, les auteurs montrent que le système social actuel crée une richesse équivalente à celle qui résulterait de la mise en place d’une agriculture de firme. De plus, ce système génère au moins trois fois plus d’emplois et rémunère le travail mieux que le salaire minimum en vigueur au Cameroun. N’est-ce pas là un argument de poids dans le choix d’une politique publique ?

La Rédaction

L’agriculture de firme est censée contribuer de façon décisive à l’augmentation de la production, à la croissance économique et à l’emploi dans les pays du Sud1 (Clave et al., 2010 ; Cotula et al., 2009 ; Deininger, 2011 ; Braun et Meinzen-Dick, 2009). Elle repose sur une logique de mise en valeur relevant du modèle de la révolution verte (motorisation, variétés hybrides, intrants de synthèse). La promotion de cette forme d’agriculture se fonde sur l’hypothèse d’une stagnation de la production et de la productivité dans les pays du Sud liée à l’incapacité des États et de la population à investir dans les technologiques modernes (Cochet, 2017). Pour les États et les institutions internationales (Food and Agriculture Organization of the United Nations2 [FAO], Onu), le recours aux investissements privés et/ou étrangers constituerait une réponse aux problèmes de financement de l’agriculture dans un contexte de baisse de l’aide publique au développement (Anseeuw et al., 2016 ; Blein et al., 2017).

L’hypothèse est souvent faite d’un coût d’opportunité nul de la conversion des terres à l’agriculture de firme (Cochet, 2011 ; Anseeuw et al., 2016). Il existerait ainsi près d’un milliard d’hectares « disponibles » dont 80 % se trouveraient, selon la FAO, en Afrique subsaharienne et en Amérique latine (Fischer et al., 2002). Les investisseurs ciblant les terres facilement accessibles et bénéficiant déjà d’infrastructures, de nombreux projets concernent pourtant dans les faits des espaces déjà densément peuplés et des systèmes de production intensifs en travail (Messerli et al., 2014 ; Anseeuw et al., 2016). C’est en particulier le cas des zones humides africaines où se regroupent les activités agricoles, pastorales et halieutiques : vallée du fleuve Sénégal (Bélières et al., 2013), delta intérieur du Niger (Brondeau, 2013 ; Adamczewski, 2015), deltas du Rufiji et du Tana en Afrique de l’Est (Duvail et al., 2010 ; Mwansasu et Westerberg, 2014), rives du lac Tchad (Rangé, 2016a pour le Cameroun ; Tchangari et Diori, 2016 pour le Niger), etc. Bénéficiant d’eau en abondance et d’une topographie favorable à la motomécanisation, elles concentrent les intérêts des investisseurs.

À partir du cas des rives camerounaises du lac Tchad, cet article remet en question l’hypothèse d’une supériorité économique intrinsèque de l’agriculture de firme en comparant deux modes de mise en valeur d’un même milieu relevant de logiques économiques et sociales radicalement différentes : le multi-usage (agricole, pastoral et halieutique) de l’espace et la monoculture (de maïs). Le premier correspond au mode d’exploitation actuel des populations. Le second s’inscrit dans le cadre du programme d’agropôle promu par le gouvernement camerounais.

Le lac Tchad est une vaste zone humide transfrontalière caractérisée par la grande variabilité de ses eaux. Dans les années 1970-1980, en pleine période de sécheresses au Sahel, la découverte d’importantes terres de décrue sous l’effet de la baisse du niveau du lac a permis d’enclencher une colonisation agropastorale de grande ampleur. Jusqu’à l’éclatement de la crise Boko Haram, le lac a ainsi été le lieu d’une remarquable dynamique de développement endogène basée sur le multi-usage de l’espace qui a permis une hausse continue et parallèle de la population et des surplus vivriers exportés vers les grands marchés urbains de la sous-région (Lemoalle et Magrin, 2014 ; Magrin et al., 2015).

Nous proposons d’abord une analyse critique de l’argumentaire en faveur de ce projet d’agropôle en mobilisant la littérature sur le développement de l’agriculture de firme dans les pays du Sud. Puis nous explicitons les enjeux de la comparaison et des indicateurs retenus en matière de politiques publiques. Nous décrivons ensuite succinctement les deux modes de mise en valeur en retenant les éléments essentiels à la compréhension des estimations. Enfin, nous présentons la méthode d’estimation et comparons les deux modèles de production agricole, du point de vue de la création de valeur ajoutée, d’emplois et de revenus.

Le projet « agropôle maïs » et la promotion de l’agriculture de firme : des argumentaires aux faits

Des argumentaires…

Au Cameroun, la crise alimentaire de 2008 a entraîné une grave crise sociopolitique et constitué à ce titre un tournant. Interprétée comme le symptôme « d’une agriculture malade, structurellement incapable de nourrir la population », elle a catalysé la promotion des grandes entreprises privées agricoles et motivé la réforme foncière en cours qui vise à faciliter les immatriculations de terres, l’obtention de concessions à des investisseurs et à délimiter des réserves foncières pour les grands projets agro-industriels (Minepat, 2009a). Il s’agit tout à la fois d’assurer la sécurité alimentaire ; de rééquilibrer la balance commerciale ; de relancer la croissance économique ; de créer des emplois à travers l’approvisionnement de l’industrie en matière première et de « libérer » de la force de travail pour l’industrialisation du pays (Minepat, 2009b). Ce dernier objectif renvoie aux enjeux de transition structurelle des économies en développement et reprend le postulat de réplication des transitions européennes du XIXe siècle, défendu notamment par la Banque mondiale (World Bank, 2007) mais critiqué par ailleurs au regard des formes actuelles d’insertion des économies africaines dans la mondialisation (Li, 2009 ; Losch et Fréguin-Gresh, 2013).

Face à la prise de conscience croissante du risque social que représente l’éviction des agriculteurs familiaux, les tenants de l’agriculture de firme défendent souvent des politiques agricoles duales (Oya, 2012). Dans cette perspective, la firme est censée construire la compétitivité agricole du territoire, créer des emplois agricoles et résoudre les problèmes d’accès à la technologie, aux intrants et aux marchés des petits producteurs selon une logique « gagnant-gagnant » qui serait garantie par le respect d’un ensemble de principes d’investissements responsables (Deininger et al., 2011). C’est notamment la logique des pôles de croissance agricoles promus par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement depuis la fin des années 2000 (Blein et al., 2017). Autour de quelques grandes filières prioritaires, ces pôles combinent aménagements agricoles, création d’infrastructures de transport, de transformation et de commercialisation, mise en place de services d’appuis et d’un cadre institutionnel favorable aux investissements privés (réforme foncière, fiscale, réglementaire, douanière). Dans les faits toutefois, les appuis sont concentrés sur l’amont de la filière et la commercialisation reste une contrainte (Blein et al., 2017). Le plus souvent une (ou plusieurs) grande entreprise agricole capte l’accès au foncier, au capital et aux services d’appui au détriment des exploitations familiales (El Ouaamari et al., 2017).

Au Cameroun, les pôles de croissance agricole se sont développés depuis 2012 dans le cadre du « Programme économique d’aménagement du territoire pour la promotion des entreprises de moyenne et grande importance dans le secteur rural au Cameroun » dit « Programme Agropôles3 ». La spécificité des agropôles camerounais est de cibler exclusivement les producteurs mettant déjà en valeur de larges superficies (Blein et al., 2017). Les appuis portent sur l’accès aux intrants et aux équipements. En l’absence de documents contractuels entre les parties prenantes, les phénomènes d’agrégation des agriculteurs familiaux sont inexistants (Blein et al., 2017).

Formulé dans un document de projet en 2011 (Minepat, 2011), trois ans seulement avant que les attaques de Boko Haram ne prennent pour cible le territoire lacustre camerounais, le projet d’agropôle de production de maïs de décrue n’a jusqu’ici pas été mis en œuvre. Il consiste à convertir 30 000 ha de terres de décrue à la monoculture de maïs et à en confier l’exploitation à 250 entrepreneurs « satellites » regroupés autour d’un porteur principal cultivant à lui seul plus de 1000 ha (soit en moyenne 116 ha par « satellite »). L’ambition est la conversion à terme de l’ensemble des terres de décrue du territoire lacustre camerounais, estimé par le document de projet à 120 000 ha. Mobilisant un budget public de 3 500 000 000 francs CFA (5 343 500 €), avec une contribution des entrepreneurs bénéficiaires à hauteur de 5 %, le projet vise à augmenter les surfaces et les rendements en maïs, à assurer localement sa transformation et à faciliter son écoulement vers les marchés régionaux. Principale céréale produite, consommée, transformée et importée, le maïs est en effet une des priorités de la politique agricole camerounaise (Minepat, 2009a). Le projet est en outre censé répondre aux enjeux de création d’emplois et de réduction de la pauvreté dans l’Extrême-Nord, la région présentant le taux de pauvreté (70 %) le plus élevé au Cameroun. Mais rien n’est dit dans le document de projet sur le devenir des exploitations halio-agro-pastorales familiales qui utilisent aujourd’hui ces terres et les ressources qu’elles portent.

Trois arguments sont convoqués pour justifier le projet : le bon développement du maïs sur les terres de décrue du lac Tchad ; le supposé faible taux d’utilisation des terres − estimé dans le document à moins de 15 % ; et, dans un tout autre registre, les enjeux d’ancrage local de l’État dans une lointaine périphérie à l’intégrité territoriale fragile.

…aux faits

Dans le débat sur les grands projets à emprise foncière, organisations paysannes, ONG, experts et scientifiques ont surtout pointé du doigt les risques en matière foncière, politique et sociale, ceux concernant la sécurité alimentaire des pays hôtes et enfin les conséquences environnementales (Songwe et Deininger, 2009 ; De Schutter, 2009, 2011 ; Borras et Franco, 2010a ; Cotula et al., 2009 ; CTFD, 2010). Leur efficacité économique est moins souvent discutée, bien que la supériorité dans ce domaine des exploitations de grande taille ait été depuis longtemps remise en cause (Aiyer et al., 1995 ; Songwe et Deininger, 2009).

Plusieurs faits sont toutefois aujourd’hui bien étayés. Il est désormais connu qu’une part très faible des acquisitions foncières à grande échelle en Afrique subsaharienne est mise en valeur, autant du fait des résistances sociales, de la complexité des dispositifs, de l’incertitude sur les calendriers des réformes et de la mise en place des infrastructures et services que des difficultés de financement des opérateurs privés nationaux (Borras et Franco, 2010b ; Deininger et al., 2011 ; Anseeuw et al., 2012 ; 2016 ; Blein et al., 2017). Les rendements attendus, le nombre d’emplois créés et les salaires annoncés sont en outre nettement surestimés dans un contexte où les engagements des investisseurs privés restent flous (Cotula et al., 2009 ; Li, 2011 ; Anseeuw et al., 2012 ; Blein et al., 2017). Enfin, les rares études qui proposent de comparer à l’échelle d’un territoire donné l’efficacité économique de l’agriculture de firme et celle de l’agriculture familiale, ou de quantifier les impacts des projets d’agro-industrie, montrent que la première offre des salaires inférieurs aux revenus dégagés par les agriculteurs familiaux (Burnod et al., 2015) et ne se traduit pas par un gain de valeur ajoutée créée par hectare (Cochet, 2017).

Pourquoi et comment comparer les modèles agricoles en présence ?

De l’urgence de comparer l’efficacité économique des différentes formes d’agriculture

Si les argumentaires en faveur des projets de promotion de l’agriculture de firme sont variables (sécurité alimentaire, emplois agricoles salariés, modernisation des exploitations familiales permise par la contractualisation, transition structurelle, etc.) et parfois opportunistes (Li, 2011 ; Oya, 2012 ; Blein et al., 2017), la supériorité économique intrinsèque de l’agriculture de firme et du modèle de la révolution verte est une de leurs constantes. Fondés sur cette hypothèse jamais démontrée, de grands projets captant une part croissante des budgets publics sont mis en œuvre et impliquent le déguerpissement des populations et leur réinstallation dans des conditions non viables ou, tout du moins, qui hypothèquent les possibilités d’extension des systèmes familiaux (Li, 2011 ; Anseeuw et al., 2012 ; Blein et al., 2017 ; El Ouaamari et al., 2017). L’argument qui consiste à voir dans l’industrie de transformation et/ou dans les effets d’agrégation des exploitants familiaux le moyen de contrebalancer ces effets négatifs sur l’emploi et la création de richesse se heurte bien souvent dans la réalité à la complexité de la mise en place d’un dispositif industriel et/ou contractuel. C’est vrai sur les pôles de croissance agricoles en Afrique en général et au Cameroun en particulier (Blein et al., 2017). Au-delà, qu’ils se concrétisent ou non, ces projets contribuent à recomposer les rapports de force au sein des arènes de production des politiques agricoles au profit des investisseurs privés et favorisent la mise en œuvre de réformes libérales (foncier, fiscalité, réglementation sur les semences et les intrants, commerce) défavorables à l’agriculture familiale (Blein et al., 2017). La réflexion sur l’efficacité économique des différentes formes d’agriculture, notamment familiales et de firme, doit donc rester un enjeu majeur du débat contemporain. Dès lors, comment se donner les moyens de comparer l’efficacité économique de formes institutionnelles de production aussi différentes ?

De la nécessité de comparer deux scenarii

Un premier choix, pour aller au-delà de considérations faisant l’éloge, dans l’absolu, de telle ou telle forme d’agriculture, consiste à bâtir une comparaison à l’échelle d’un territoire donné et dans des conditions géographiques, agroécologiques et historiques données. Dans cette perspective, l’échelle du système agraire (Cochet, 2011) permet de mener l’analyse comparative des performances économiques de différentes formes d’agriculture en écartant les biais que des situations trop dissemblables feraient apparaître (Delarue et Cochet, 2013).

Il s’agit dès lors de mesurer un différentiel entre deux situations, celle qui résulterait du projet mis en place, d’une part, et celle qui prévaudrait s’il ne l’était pas, d’autre part, comme le proposent depuis déjà longtemps la plupart des méthodes d’évaluation de projet (Gittinger, 1985 ; Dufumier, 1996). Contrairement cependant au pas de temps pris en considération en évaluation de projet − la durée de celui-ci –, nous nous limiterons dans le cadre de cet article à la comparaison d’une année en vitesse de croisière du scénario avec projet avec une année « moyenne » (voir infra) de la situation actuelle.

La méthode proposée repose sur un diagnostic approfondi du système agraire des rives camerounaises du lac Tchad. Il s’agira d’abord de mesurer les performances du mode d’exploitation actuel du milieu. Ces résultats seront alors comparés à ceux, attendus, du projet de monoculture de maïs, évalués à la lecture du document de projet (Minepat, 2011) et en formulant quelques hypothèses, les plus réalistes possible, quant à sa mise en œuvre.

Le choix des indicateurs de performance : un enjeu de politique publique

Pour une unité de production familiale, c’est le revenu agricole (incluant les formes de valorisation non marchande comme l’autoconsommation, les dons, etc.) qui mesure le mieux le résultat économique de son activité agricole, c’est-à-dire ce qui lui permet de faire vivre ses membres et, si possible, d’investir pour accroître son capital. Dans les unités de production fonctionnant sur le modèle de la firme, c’est-à-dire fondées sur la séparation capital/travail et le salariat, c’est par contre la rémunération du capital qui est le critère essentiel pour les investisseurs (Cochet, 2015). Selon le type d’exploitant, ce sont donc des indicateurs fondamentalement opposés qui sont convoqués pour évaluer la performance économique, et la question se pose des indicateurs permettant une comparaison à même d’informer les politiques publiques. Pour justifier de l’intérêt du projet, le document se limite de manière très classique à une analyse financière. Une relation de causalité est ainsi implicitement faite entre rentabilité de l’investissement pour l’entrepreneur, croissance économique et atteinte des objectifs de développement du pays (Cochet, 2015).

Pour pouvoir établir une analyse rigoureuse, nous proposons de revenir, dans un premier temps, à la comparaison de la production brute. C’est le seul indicateur que le document de projet chiffre, selon une vision fondamentalement techniciste et productiviste de l’agriculture qui privilégie le rendement sans se préoccuper des coûts engagés. Nous regarderons ensuite la valeur ajoutée nette (Van), c’est-à-dire la différence entre la valeur produite (le produit brut, y compris la part autoconsommée) et la valeur des biens et services consommés au cours du processus de production. L’intérêt de cet indicateur est de permettre la comparaison de l’efficacité économique intrinsèque des processus productifs, quelles que soient les modalités ultérieures de répartition de la valeur entre les acteurs impliqués (agriculteurs et leur famille, propriétaires fonciers, prêteurs de capitaux, État, salariés) (Cochet, 2015). On évaluera ainsi la valeur ajoutée nette produite à l’échelle du territoire impacté par le projet. Enfin, nous nous intéresserons à la création d’emplois et de revenus, emplois salariés d’un côté, actifs familiaux de l’autre.

Multi-usage familial et monoculture de maïs : deux formes de mise en valeur relevant de logiques opposées

Unités hydroécologiques

À l’échelle de la cuvette lacustre (Fig. 1), on distingue les eaux libres, c’est-à-dire les plans d’eau permanents non végétalisés ; les hauts-fonds végétalisés qui émergent en période de basses eaux (les « îles » dans la suite) ; les marécages dont une partie s’exonde pour laisser place aux terres de décrue ; les terres pluviales qui ne sont pas atteintes par la crue. La variabilité du niveau du lac se traduit, d’une année sur l’autre, par d’importants changements dans la localisation et l’étendue des plans d’eaux et des espaces de décrue.

Sur les rives, la crue du lac se propage au sein d’un système de bras et de cuvettes. À l’échelle d’un bras ou d’une cuvette, différentes unités peuvent à nouveau être distinguées (Fig. 2) : les marécages toujours en eau ; les terres de décrue où l’inondation est d’autant plus tardive et l’exondation précoce que l’on remonte le long de la topographie et dont une partie est incultivable en raison d’une arrivée trop précoce de la crue ; la frange humide, portion d’espace non atteinte par la crue mais cultivable en contre-saison grâce à la remontée de la nappe ; les terres pluviales enfin, qui ne sont pas touchées par la crue. Le décalage des calendriers des pluies et de la crue permet de combiner différentes sources d’apport en eau dans l’alimentation des plantes et assure le renouvellement du couvert herbacé d’une année sur l’autre.

thumbnail Fig. 1

Unités hydroécologiques, villages et territoire retenus pour la comparaison (source : d’après Rangé, 2015).

thumbnail Fig. 2

Mise en valeur d’un bras du lac dans la situation actuelle et dans la situation avec projet (source : Rangé et Cochet).

Multi-usage familial

Chaque année en saison sèche, de nombreux migrants saisonniers en provenance des arrière-pays camerounais et nigérian rejoignent les résidents permanents pour cultiver et pêcher dans la partie camerounaise du lac, à leur propre compte ou en étant employés comme manœuvre. S’y ajoutent les éleveurs de gros bétail, pasteurs nomades en provenance du Tchad, du Nigeria ou du Niger et agroéleveurs de l’arrière-pays. Le nombre de migrants saisonniers, comme la durée du séjour des troupeaux, est extrêmement variable d’une année sur l’autre, dépendant des conditions climatiques et sécuritaires dans les régions d’origine et des parcours de saison des pluies.

Le maïs et le niébé, et plus secondairement la canne à sucre, sont de loin les principales cultures. La combinaison de différentes sources d’apport en eau et de différents cultivars permet de valoriser une large partie de la topographie, en pratiquant, lorsque le calendrier de la crue le permet, deux cycles de culture par an (Fig. 2). Gagnant ainsi plusieurs milliers d’hectares cultivables, les agriculteurs aménagent chaque année des digues au moyen de sacs remplis de sable qui retardent l’arrivée des crues en barrant les bras du lac. À l’inverse, ils creusent des canaux sur des centaines de mètres et investissent dans des motopompes portatives et de petits forages individuels pour inonder artificiellement les parcelles au niveau des terres pluviales.

La densité du parcellaire dans les espaces de décrue oblige dorénavant la plupart des éleveurs à exploiter les pâturages dans les marécages. Au prix d’un travail important et éprouvant pour les bergers, les animaux valorisent dans l’eau l’abondant couvert herbacé qui se redéveloppe entre deux cycles de culture, facilitant ainsi l’opération de défriche aux agriculteurs. En fin de saison sèche, les zébus peuvent paître sur les terres exondées à distance des parcelles, au niveau des îles et des espaces de décrue où le retrait de l’eau, trop tardif, interdit toute culture (Fig. 2). Les éleveurs qui conduisent de petits troupeaux les font pâturer dans les interstices non cultivés entre les parcelles de décrue et complètent leur alimentation par les résidus des cultures de décrue.

Enfin, la diversité du matériel et des techniques de pêche (filets, palangres, nasses éventuellement disposées en barrages, senne, pirogues équipées ou non de moteurs) permet de valoriser une large partie des marécages et des eaux libres sur une grande période de l’année.

En fonction de leur localisation dans la cuvette lacustre, les terroirs villageois offrent différentes ressources et présentent différentes formes de mise en valeur (Fig. 1 et Tab. 1) :

  • à l’interface entre les rives et l’arrière-pays (les « rives extérieures »), la venue de la crue est exceptionnelle. Les résidents y exploitent les terres pluviales et y gardent leurs troupeaux en saison des pluies. En saison sèche, ils s’installent dans les villages ou les campements plus à l’intérieur du lac pour cultiver en décrue, pêcher et faire pâturer leurs animaux ;

  • à l’interface entre les rives et les eaux libres (les « rives intérieures »), l’accès aux eaux est immédiat. De larges espaces ne sont pas cultivables en raison d’une arrivée trop précoce de la crue et les possibilités de diversification des cultures sont limitées. Par contre, ces espaces sont propices à la pêche et à l’élevage. Les terres de décrue encore disponibles pour l’agriculture se concentrent dans ces terroirs ;

  • les terroirs situés en position intermédiaire sur les rives sont éloignés de quelques kilomètres des eaux libres. Une grande diversité de cultures y est possible (en décrue, sur remontée de nappe, pluviales). La densité du parcellaire explique que les troupeaux n’y séjournent que pendant la période de hautes eaux, entre septembre et février ;

  • dans les eaux libres, les îles sont exploitées par la pêche et l’élevage. Darack, la seule île permanente de la partie camerounaise du lac, est une petite ville (environ 11 000 habitants en 2013) où se rassemblent pêcheurs, transformateurs (fumage, séchage), commerçants et services divers.

Les unités de production sont familiales en très grande majorité, mais la plupart font appel de manière structurelle à la main-d’œuvre salariée. Elles coexistent avec des unités de production patronales (recourant en permanence au travail salarié en complément du travail familial) et avec quelques unités entrepreneuriales (mobilisant exclusivement du travail salarié) qui investissent dans la pêche ou l’agriculture. Seuls les jeunes hommes célibataires, les jeunes couples et des unités de production possédant un capital de pêche conséquent (senne, nombreuses nasses, grande pirogue à moteur) ne vivent que de la pêche. Les autres ont pour principale activité l’agriculture et y associent le plus souvent la pêche, voire l’élevage pour les résidents des rives extérieures. Les surplus dégagés sont réinvestis dans le commerce, le transport et l’élevage (le bétail est confié aux transhumants).

La variabilité hydroécologique est un élément structurel auquel les producteurs s’adaptent par la réallocation de leur travail entre les différentes activités et productions et par les déplacements du parcellaire (Rangé, 2016b). La mobilité entre les différents types de terroirs participe en particulier des stratégies d’adaptation à la variabilité inter et intra-annuelle. On peut ainsi identifier des « chapelets de villages » en étroite interaction, depuis les rives extérieures jusqu’aux rives intérieures.

Tab. 1

Importance relative des différentes unités hydroécologiques et des activités agro-halio-pastorales dans les différents types de terroir (source : Rangé et Cochet).

Monoculture motomécanisée de maïs

Le recours aux herbicides et à la motorisation vise explicitement à éliminer le couvert herbacé, principale contrainte à la mise en culture, avant même l’arrivée de l’inondation. La conséquence directe en est la disparition du pâturage des marécages et donc la soustraction de ces espaces à l’usage pastoral. La valorisation des pailles de maïs pourrait diminuer la perte de ressources pour l’élevage, mais elle n’est pas envisagée dans le projet et supposerait d’importants aménagements d’hydraulique pastorale. Les poissons étant en outre attirés dans les marécages par la présence du couvert herbacé, son élimination aurait également pour conséquence de retirer ces espaces à l’usage halieutique, sans compter les effets de l’usage intensif des intrants de synthèse sur les peuplements de poissons. Enfin, la focalisation sur la seule culture de maïs de décrue exclut les terres pluviales.

Le document de projet n’envisage pas la manière dont les activités halieutiques et pastorales se recomposeraient suite à la conversion des terres de décrue à la monoculture de maïs. Les espaces de décrue où le retrait de l’eau trop tardif empêche la culture du maïs pourraient continuer à être utilisés par l’élevage, à condition toutefois que des couloirs à bétail soient mis en place. Ces espaces ne pouvant véritablement être valorisés qu’à partir du mois d’avril, les éleveurs seraient contraints de trouver des pâturages de substitution pour la plus grande partie de la saison sèche, ce qui pourrait les conduire à délaisser le lac ou les contraindre à décapitaliser.

De la même manière, la pêche dans les marécages pourrait se maintenir dans ces espaces. Comme elle n’est possible qu’en début de crue pendant le pic des récoltes de maïs (et donc pendant le pic de travail des salariés des entreprises agricoles) ou en installant de larges barrages de nasse très coûteux, il est probable qu’elle ne serait plus que le fait des entrepreneurs agricoles qui recruteraient à cette occasion une main-d’œuvre limitée. La pêche dans les eaux libres devrait par contre se maintenir mais ne concernerait plus que les pêcheurs spécialisés et les migrants saisonniers, alors qu’un grand nombre d’agropêcheurs résidents s’y adonnent aujourd’hui.

Estimation et comparaison de l’efficacité économique des deux modèles agricoles

Le document de projet ne fournit pas de précisions sur la localisation exacte des terres concernées par le projet, indiquant seulement qu’elles sont situées à l’ouest du défluent du Chari, le Taf-Taf. C’est donc ce territoire que nous considérons dans la comparaison (Fig. 1). Une première estimation à l’aide du logiciel Google Earth Pro évalue à 45 000 ha en 2013 les surfaces potentiellement cultivables (terres de décrue, frange humide et terres pluviales). Nous estimons les surfaces actuellement cultivées à 33 400 ha dont 2 900 en terre pluviale (voir infra). Il resterait donc environ 12 000 ha cultivables en décrue dont une partie nécessiterait de nouvelles digues pour être valorisée. Le seul croît naturel des actifs actuels conduirait en 10 ans à la mise en culture de l’ensemble de ces terres. La logique du projet d’agropôle étant de convertir l’ensemble des terres de décrue à la monoculture de maïs, nous proposons de comparer la valeur ajoutée agricole (au sens large, élevage et pêche compris), les emplois et les revenus dans deux situations : d’une part, la situation actuelle et, d’autre part, une situation dans laquelle les 30 500 ha actuellement cultivés en décrue seraient convertis en maïs motomécanisé.

La situation actuelle

La méthode d’estimation proposée joue de l’emboîtement d’échelle passant d’une analyse des systèmes de culture, d’élevage et de pêche à une analyse des exploitations et enfin du territoire.

Pour constituer un échantillon représentatif de la diversité des terroirs du lac, nous avons sélectionné trois villages situés dans le prolongement l’un de l’autre (Fig. 1) : un au niveau des rives intérieures (parmi 7 villages), un au niveau des rives intermédiaires (parmi 19 villages), et un au niveau des rives extérieures (parmi 31 villages). Nous avons également retenu dans l’échantillon la petite ville de Darack parce qu’elle présente des spécificités importantes. Le « chapelet de villages » a été choisi parce qu’il compte le plus grand nombre d’habitants (18 822 habitants sur 73 236, soit 25 %, et 8 105 habitants sur 62 520 hors ville de Darack, soit 13 %). Des enquêtes extensives (observations de paysage, focus group) ont permis de valider l’hypothèse de sa représentativité.

Pour prendre en compte la diversité de fonctionnement des exploitations agricoles, nous avons construit une typologie de systèmes de production, chaque système étant compris comme un modèle représentant le fonctionnement d’un ensemble d’exploitations situées dans des conditions (agronomiques, économiques et sociales) de production, historiquement situées, comparables (Cochet, 2011). Cette typologie combine (entre autres) des critères de structure, de stratégie et de performance. 254 entretiens retraçant les parcours de vie des enquêtés et l’évolution de leur exploitation ont conduit à identifier neuf systèmes de production (Tab. 2). Une série de 39 cas d’étude approfondis (entretien avec le chef d’exploitation, sa ou ses femmes et éventuellement ses dépendants) a ensuite permis de caractériser le fonctionnement des exploitations et de quantifier leurs résultats sur une séquence de trois années successives de niveau contrasté du lac afin d’intégrer la variabilité et le risque hydroclimatique dans la modélisation4. Pour chaque système de production, les valeurs annuelles présentées (surface cultivée/actif familial, production/actif familial, valeur ajoutée nette/actif familial, revenu agricole/actif familial, revenu total/actif familial) sont donc des valeurs moyennes (Tab. 3). Les revenus extra-agricoles ont été estimés à partir de ces mêmes cas d’étude. Chaque système de production correspond à une combinaison spécifique de systèmes de culture, d’élevage et de pêche. L’estimation des temps de travaux, des consommations intermédiaires et des rendements résulte de mesures directes au champ (ou sur les sites de pêche).

Afin d’évaluer la représentativité de chaque système de production dans chacun des villages (Tab. 2), nous avons procédé à une enquête systématique dans 692 concessions choisies aléatoirement, soit une concession sur trois dans le village des rives extérieures, trois concessions sur quatre dans celui des rives intermédiaires, deux concessions sur trois dans celui des rives intérieures et une sur six sur l’île de Darack. Cette enquête recensait la composition de la concession, les relations de travail de chacun de ses membres avec le chef de concession, les activités de ce dernier et des éventuels membres indépendants (surfaces mises en culture, matériel de pêche utilisé, origine de la main-d’œuvre, etc.) ainsi que leur date d’installation dans le village. Cette enquête a concerné 8 % des actifs du territoire considéré dans la comparaison.

Pour estimer le nombre d’actifs familiaux résidant dans chacun des villages du territoire considéré (Tab. 2), nous avons utilisé les données du recensement général de la population et de l’habitat de 2005 et estimé un taux d’accroissement démographique entre 2005 et 2013 à partir des résultats de la recension réalisée5. En considérant une même représentativité des différents systèmes de production pour un même type de village (rives extérieures/rives intérieures/rives intermédiaires), nous avons pu transformer les valeurs modélisées à l’échelle des systèmes de production en une estimation des performances à l’échelle du territoire, en multipliant ces valeurs par le nombre d’actifs familiaux dans chaque village pondéré par la part relative de chaque système de production dans l’ensemble des actifs familiaux.

Le nombre de migrants saisonniers travaillant à leur compte et la richesse qu’ils créent ont été estimés à partir d’une enquête systématique réalisée chez ceux qui les hébergent6. La richesse créée par les manœuvres est prise en compte dans la valeur ajoutée des unités de production pour lesquelles ils travaillent. Pour estimer le nombre d’emplois de manœuvre7 occupés par les migrants saisonniers, nous avons estimé la demande en travail dans chacun des systèmes de production en soustrayant celle déjà prodiguée par les résidents du lac.

Enfin, nous avons considéré deux systèmes d’élevage (l’un pour les éleveurs nomades, l’autre pour les agroéleveurs) et avons estimé pour chacun le nombre d’éleveurs concernés à partir des recensements des services techniques8. L’analyse des systèmes d’élevage9 nous a permis d’estimer la durée moyenne de séjour des animaux dans le territoire pris en compte et la valeur des productions pastorales. Nous avons en outre pondéré le nombre de têtes de bétail commercialisées par la durée moyenne du séjour des éleveurs au niveau de ce territoire (8 mois).

Tab. 2

Répartition des actifs résidant au lac en fonction des systèmes de production et du type de terroirs (source : Rangé, 2016a pour la répartition des actifs familiaux par système de production [en %] ; Recensement général de la population et de l’habitat, 2005 pour le nombre d’actifs total [en valeur absolue]).

Tab. 3

Surfaces cultivées, productions brutes, Van et revenu/actif familial en fonction du système de production (pour les résidents au lac) (source : Rangé, 2016a). Les valeurs moyennes sont calculées sur une séquence de 3 années de niveau contrasté du lac.

La situation avec projet

Comme expliqué plus haut, la mise en place du projet conduirait nécessairement à une diminution de la production pastorale et halieutique dans les marécages. Entre l’arrivée des troupeaux au lac (novembre) et le moment où les pâturages des zones non cultivables peuvent être exploités (avril), soit 5 mois sur 8, les trois quarts des espaces pâturables seraient soustraits à l’usage pastoral. On peut ainsi estimer une baisse de moitié de la production pastorale. Rappelons que cette évaluation est optimiste. En considérant que seul l’usage des barrages de nasse serait désormais possible dans les marécages, la production halieutique diminuerait des deux tiers.

Conformément à la logique de notre comparaison, nous faisons l’hypothèse que les rendements en maïs attendus par le projet, soit 4,7 tonnes de maïs grain par hectare10, sont atteints. Des pluies déficitaires et surtout une inondation trop précoce peuvent conduire à de fortes chutes de rendement, aléas auxquels seraient également soumis les entrepreneurs du projet. Ainsi, alors que dans la situation actuelle, la plupart des exploitations familiales attendent des rendements de l’ordre de 2,6 t/ha les années où les conditions hydroclimatiques sont favorables, le rendement que nous avons modélisé en tenant compte des aléas est de 1,9 t/ha11 (Tab. 3).

L’estimation de la valeur ajoutée nette créée pose problème dans la mesure où le document de projet attire l’attention du lecteur sur le rendement (la production brute) et beaucoup moins sur les coûts dont l’analyse reste incomplète. Seuls sont mentionnés en effet le prix des semences de maïs hybrides, la valeur ainsi que la durée de vie du matériel utilisé. Il nous a donc fallu ajouter le coût du carburant et les frais de réparation du matériel, celui des herbicides (la dose jugée indispensable par les agriculteurs locaux), et celui des engrais (100 kg/ha, à comparer aux 350 kg/ha conseillés habituellement en Afrique de l’Ouest, pour tenir compte du renouvellement de la fertilité assuré par la crue12).

Nous avons valorisé les productions (maïs grain, poisson, lait, bétail sur pied) au même prix dans la situation actuelle et dans la situation avec projet, en prenant pour référence les prix moyens sur les marchés locaux en 2012. L’augmentation des volumes de maïs produits pourrait conduire à une baisse des prix, mais une hausse est tout aussi envisageable en raison de l’augmentation des coûts de production (consommations intermédiaires, amortissement du matériel) et de la position de monopole ou d’oligopole des opérateurs (Blein et al., 2017). Toutefois, dans la situation actuelle, les exploitations familiales qui fument le poisson pêché dans les marécages utilisent les rachis des épis de maïs. Ce sous-produit a donné naissance à un nouveau marché, conduisant à augmenter de 15 % la valorisation du maïs. Il est probable que ce marché disparaîtrait avec la mise en œuvre du projet, les patrons de pêche qui fument de gros volumes préférant utiliser le bois. Nous nous sommes arrêtés à ce niveau dans la prise en compte des impacts des recompositions territoriales provoquées par le projet sur la valorisation des produits, mais ces derniers seraient très divers. La venue d’un grand nombre de familles d’éleveurs est par exemple souvent présentée par les agriculteurs du lac comme un facteur de hausse des prix du maïs sur le marché local.

L’estimation du nombre d’emplois est tout aussi problématique que celle de la richesse créée. Alors qu’un des principaux arguments en faveur du programme d’agropôle est la réduction de la pauvreté à travers la création d’emplois (Minepat, 2009a), jamais il n’est précisé dans quels secteurs ces emplois seront créés ni à quelles tâches ils seront affectés. Pour estimer ces emplois, et conformément au document de projet, nous avons considéré que toutes les opérations étaient motomécanisées13, à l’exception toutefois de la récolte pour laquelle nous avons conservé les mêmes temps de travaux que dans la situation actuelle.

Enfin, concernant les revenus salariés, le document de projet indique seulement que la « main-d’œuvre très chère » constitue un des principaux obstacles à la croissance de la production agricole au lac. La très grande majorité des emplois serait générée par la récolte. Il s’agirait donc d’une main-d’œuvre non qualifiée. On prendra comme référence le salaire minimum en vigueur au Cameroun et on s’interrogera sur l’évolution des prix sur le marché du travail local, les salaires dans l’agro-industrie s’ajustant souvent sur ces derniers (Burnod et Colin, 2012) et sur les niveaux de productivité et de revenu des exploitations familiales les moins performantes (Cochet, 2017).

Une richesse équivalente dans les deux scenarii, des emplois plus nombreux et mieux rémunérés dans la situation actuelle

Selon nos estimations, la production de maïs attendue par le projet est trois fois supérieure à la production actuelle sur la même emprise de terre cultivée (143 400 tonnes versus 47 800 tonnes). En revanche, les autres productions (niébé, canne à sucre, poisson, lait et viande) sont nettement plus conséquentes sans le projet (Tab. 4). La création de valeur ajoutée (autour de 56 000 000 € par an) est équivalente dans les deux scenarii.

36 200 actifs résidaient en permanence en 2013 sur le territoire lacustre concerné. La constante présence de l’eau et la diversité des activités mettent les actifs du lac à l’abri du sous-emploi agricole. Ce sont donc autant d’emplois à plein temps. Par ailleurs, les ressources naturelles du lac contribuaient à faire vivre 20 300 migrants saisonniers − 4 630 éleveurs, 5 100 pêcheurs et 10 570 cultivateurs –, soit 9 540 « équivalents temps plein » selon nos hypothèses. Enfin, les emplois de manœuvres au lac représentent 9 400 « équivalents temps plein » pour les migrants saisonniers. Dans la situation avec projet, l’activité de production agricole n’emploie plus que 7 382 « équivalents temps plein » dont 7 170 pour la seule récolte, donc sur une courte période dans l’année. Au total, si l’on considère les évolutions sur la pêche et l’élevage, les emplois seraient 3,2 fois moins nombreux dans la situation avec projet que dans la situation actuelle. Il faudrait ajouter au compte du projet les emplois indirects créés dans la maintenance et divers services, sans que cela ne change toutefois fondamentalement la donne.

Enfin, toujours en 2013, les revenus de l’ensemble des résidents du lac étaient supérieurs au seuil de pauvreté, estimé à 376 € par équivalent adulte et par an en 2012 (INS, 2007), et pour plus des deux tiers d’entre eux, supérieurs de plus de 150 % (Tab. 3). Ces niveaux de revenu, relativement bons pour la région, expliquent en partie pourquoi la main-d’œuvre est trois fois mieux rémunérée au lac que dans les autres grands bassins d’emplois agricoles plus au sud de la région de l’Extrême-Nord. Ainsi, un manœuvre travaillant 5 jours par semaine au lac gagnait en 2013 52 800 francs CFA par mois repas du midi compris, soit un revenu bien supérieur au salaire minimum mensuel (passé en 2014 à 36 270 francs CFA). Au-delà des effets du déguerpissement des populations résidentes, le retrait de l’accès aux terres de décrue déstabiliserait en profondeur les systèmes de production des populations de l’arrière-pays aujourd’hui structurellement dépendants de la migration saisonnière au lac, avec pour conséquences une baisse de la productivité du travail dans ces exploitations et donc, a priori, des salaires sur le marché du travail local.

Tab. 4

Productions brutes et richesse créée dans la situation actuelle et dans la situation avec projet (source : Rangé, 2016a). Les productions et Van additionnent celles des résidents et des migrants. La surface cultivée en décrue et sur la frange humide est identique dans les deux situations (30 500 ha). Dans la situation actuelle, 16 500 ha de maïs sont cultivés sans rotation sur les terres de décrue ; 12 400 ha de niébé sont cultivés sur les terres de décrue ou sur la frange humide dont 8 400 en rotation avec du maïs ; 1 500 ha de canne à sucre sont cultivés sur les terres de décrue et 2 900 ha de niébé sont cultivés sur les terres pluviales.

Conclusion

En repartant des fondamentaux que sont 1) l’étude attentive des pratiques agricoles, pastorales et halieutiques, 2) l’analyse du processus de création de la valeur ajoutée, et 3) la mesure de la productivité de la terre, une estimation de l’efficacité économique de ce multi-usage de l’espace et sa comparaison avec les résultats annoncés du projet agropôle ont été possibles. Nous montrons ainsi que les agricultures familiales du lac créent sans aucun soutien public une richesse équivalente à celle qui résulterait de la mise en place d’une agriculture de firme, devenue un des principaux axes de la politique agricole camerounaise depuis 2008. Les systèmes familiaux actuels génèrent en outre plus de trois fois plus d’emplois et offrent des rémunérations du travail nettement supérieures au salaire minimum en vigueur au Cameroun. Dans ces conditions, en l’absence de création massive d’emplois dans la filière ou dans les autres secteurs de l’économie, la mise en place du projet a toutes les chances de déprimer l’emploi et les revenus ruraux.

En analysant ainsi le processus – en cours dans de nombreux pays – de développement d’entreprises agricoles de grande taille en lieu et place de la promotion de l’agriculture familiale, on constate que le remplacement des systèmes de production préexistants par des systèmes d’exploitation entièrement importés, basés sur la production d’un petit nombre de denrées, selon des itinéraires techniques simplifiés et grands consommateurs d’intrants de synthèse et d’énergie fossile, se traduit rarement par un accroissement significatif de la valeur ajoutée créée, de la productivité de la terre et du nombre d’emplois. Ce remplacement aboutit plus souvent à la captation de la valeur par l’entrepreneur, au détriment des revenus ruraux et des taxes perçues par l’État (Cochet, 2017).

En monopolisant l’imaginaire des décideurs, l’agriculture de firme et les grands projets de type « révolution verte » se sont jusqu’ici opposés à une prise de conscience politique de la singularité du lac Tchad et de ce qu’un « modèle africain de développement “rurable” pourrait naître sur ses rives », à condition d’investir dans l’appui aux exploitations familiales et au multi-usage de l’espace, dans l’intégration régionale et dans l’équipement des villes secondaires (Magrin, 2016). Si la crise née de l’insurrection de Boko Haram a mis un point d’arrêt aux velléités de grands projets dans cette zone, le contexte de « post-crise » risque de leur être particulièrement favorable. Déjà avant les troubles, les enjeux – qui n’ont sans doute jamais été aussi forts qu’aujourd’hui – d’ancrage local de l’État dans les périphéries étaient convoqués au service de la promotion de l’agriculture de firme. Dans un contexte de grave crise sociopolitique et économique, le risque est que prévale, en termes de choix de politiques publiques, la vision d’une table rase favorable à la mise en œuvre de grands projets à emprise foncière. C’est particulièrement vrai dans les espaces à fort potentiel qui ont été en grande partie vidés de leurs populations à cause de l’insurrection, à l’instar du lac Tchad. Les annonces en ce sens se multiplient déjà, dans la partie nigérienne du lac Tchad, par exemple, où une société privée saoudienne projette d’aménager de vastes périmètres irrigués (Tchangari et Diori, 2016), ou encore au Nigeria où le premier milliardaire africain, Aliko Dangote, entend investir dans la production agro-industrielle de sucre et de riz pour « lutter contre le terrorisme ».

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1

Cet article est issu d’une thèse de doctorat en géographie (agriculture comparée) (Rangé, 2016a).

2

En français, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

3

Voir le site internet du programme : https://programme-agropoles.cm/.

4

Les années 2010-2011 – année de haut niveau du lac – et 2011-2012 – année de bas niveau du lac – ont été observées directement et l’année 2009-2010 – année de bas niveau du lac – a été reconstituée par entretien. Lors des années de haut niveau du lac, l’arrivée précoce de la crue fait pourrir une grande partie du maïs sur pied. Or, entre 2000 et 2014, ce principal risque hydroclimatique s’est produit 5 fois, soit environ une fois tous les trois ans.

5

Le taux d’actifs a été estimé en se référant à la pyramide des âges nationale et en considérant comme actif les personnes âgées de 15 à 49 ans.

6

Pour la pêche, nous avons considéré qu’un actif migrant pêchait au filet pendant 3 mois pleins (5 jours par semaine), ce qui équivaut, pour 5 112 pêcheurs saisonniers, à la création de 2 290 000 € en Van par an. Pour l’agriculture, nous avons considéré que chaque actif migrant mettait en culture une parcelle de maïs de fin de décrue d’une superficie de 0,25 ha et, pour un actif sur deux, une parcelle de niébé de décrue de 0,3 ha, ce qui équivaut, pour 14 411 migrants agricoles saisonniers (dont 3 840 agroéleveurs), à la création de 2 367 000 € en Van par an pour le maïs et à 1 534 000 € pour le niébé.

7

Un emploi « équivalent temps-plein » correspond à 200 jours de travail par an (soit le nombre de jours de travail moyen pour les résidents du lac).

8

Selon les services techniques de l’élevage, sur 120 000 têtes de gros bétail recensées en 2007 dans les arrondissements camerounais qui dépendent du territoire lacustre considéré, 80 % ont été envoyées au lac en saison sèche. Pour le cheptel tchadien et nigérian, nous avons considéré, pour deux années sur trois, 30 000 têtes (effectifs recensés en 2007, année de faibles pluies et de bas niveau du lac), et, pour une année sur trois, 11 700 têtes (effectifs de 2011, année de fortes pluies et de haut niveau du lac).

9

Analyse réalisée à partir de 13 entretiens détaillant, dans le temps et dans l’espace, les pratiques de conduite (alimentation, reproduction, santé, etc.), d’agrégation, d’exploitation et de renouvellement des troupeaux et de 117 entretiens portant sur les mobilités pastorales, les ressources pastorales utilisées, les modes d’accès à ces ressources, et l’accès aux marchés.

10

Les objectifs du projet sont chiffrés en farine de maïs : 120 000 tonnes sur 30 000 ha. Nous avons retenu un taux d’extraction de 85 %, la FAO (1995) indiquant comme taux de référence la fourchette 80-95 %.

11

En considérant les mêmes impacts du risque climatique, le rendement annoncé par le projet implique un rendement de 6,3 t/ha les bonnes années. Les plus hauts rendements observés sur le continent le sont en irrigué dans les exploitations capitalistes de la Northern Cape Province en Afrique du Sud et atteignent 10 t/ha (Smale et al., 2011). Les centres de recherche agronomique du continent déclarent produire des variétés hybrides pouvant atteindre 5 à 8-10 t/ha en conditions optimales contrôlées.

12

La consommation de carburant et les frais de réparation du matériel sont issus de Pirot (2004). Cet ouvrage détaille les caractéristiques de la culture motorisée dans les pays tropicaux en fonction notamment du type de sol et des cultures pratiquées. Les prix des herbicides et du carburant sont ceux observés sur les marchés locaux en 2012 et celui des engrais est le prix moyen dans la région du Nord au Cameroun en 2011 (Institut national de la statistique).

13

Les temps de travaux sur les opérations motomécanisées sont issus de Pirot (2004).

Citation de l’article : Rangé C., Cochet H., 2018. Multi-usage familial et agriculture de firme sur les rives du lac Tchad : une comparaison des performances économiques. Nat. Sci. Soc. 26, 1, 33-48.

Liste des tableaux

Tab. 1

Importance relative des différentes unités hydroécologiques et des activités agro-halio-pastorales dans les différents types de terroir (source : Rangé et Cochet).

Tab. 2

Répartition des actifs résidant au lac en fonction des systèmes de production et du type de terroirs (source : Rangé, 2016a pour la répartition des actifs familiaux par système de production [en %] ; Recensement général de la population et de l’habitat, 2005 pour le nombre d’actifs total [en valeur absolue]).

Tab. 3

Surfaces cultivées, productions brutes, Van et revenu/actif familial en fonction du système de production (pour les résidents au lac) (source : Rangé, 2016a). Les valeurs moyennes sont calculées sur une séquence de 3 années de niveau contrasté du lac.

Tab. 4

Productions brutes et richesse créée dans la situation actuelle et dans la situation avec projet (source : Rangé, 2016a). Les productions et Van additionnent celles des résidents et des migrants. La surface cultivée en décrue et sur la frange humide est identique dans les deux situations (30 500 ha). Dans la situation actuelle, 16 500 ha de maïs sont cultivés sans rotation sur les terres de décrue ; 12 400 ha de niébé sont cultivés sur les terres de décrue ou sur la frange humide dont 8 400 en rotation avec du maïs ; 1 500 ha de canne à sucre sont cultivés sur les terres de décrue et 2 900 ha de niébé sont cultivés sur les terres pluviales.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Unités hydroécologiques, villages et territoire retenus pour la comparaison (source : d’après Rangé, 2015).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Mise en valeur d’un bras du lac dans la situation actuelle et dans la situation avec projet (source : Rangé et Cochet).

Dans le texte

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