Open Access
Editorial
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 25, Numéro 4, October-December 2017
Dossier « Des recherches participatives dans la production des savoirs liés à l’environnement »
Page(s) 325 - 326
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018015
Publié en ligne 15 mars 2018

En 2013, dans un éditorial1, la rédaction de NSS avait appelé à « clarifier la polysémie de l’expression “recherches participatives” ». Le dossier que nous publions dans ce numéro participe de la réponse à cet appel auquel ont fait écho, et bien avant 2013, de nombreux textes de la revue. Ceux-ci prenaient place dans un courant de pensée et d’activités scientifiques se réclamant explicitement de la participation de la société à des protocoles de recherche, depuis les travaux de la psychosociologie dans les années 1940 aux États-Unis, en passant par ceux prônant des démarches de recherche-action ou, en sociologie, de recherche-intervention, jusqu’aux recherches partenariales expérimentées au Québec et, aujourd’hui, en France. Si ce foisonnement s’inscrit dans des cadres théoriques très divers, il témoigne cependant d’un réaménagement de ce qui relève de l’ordre des sciences et de l’ordre démocratique. Il irrigue ainsi aussi bien les institutions de recherche dans leurs tentatives de cadrage, au sein d’Alliances diverses, de leurs relations avec la société civile que les pouvoirs publics, internationaux ou nationaux, dans leur appel généralisé à la participation citoyenne dans leur action.

Le caractère impératif de la participation de la société, qui tend de plus en plus à intégrer les recommandations des appels à propositions de recherche, n’est pas sans rappeler l’usage qu’ont fait de l’interdisciplinarité les organismes financeurs depuis une vingtaine d’années. Peut-être même faut-il s’attendre à ce qu’elle supplante cette dernière. Un usage qui répondait aux enjeux, à la fois épistémologiques et méthodologiques, de questionnements nécessitant, comme dans le cas des sciences de l’environnement, l’incorporation de points de vue disciplinaires dans le traitement des interactions complexes entre natures et sociétés. Un usage qui, par ailleurs, relevait aussi de l’incantation, délivrant à peu de frais une identité à des organismes de recherche de plus en plus contraints par les procédures d’évaluation, mais proposant aussi un caractère innovateur à des programmes ou projets qui incorporaient ainsi les normes recommandées de l’excellence.

L’interdisciplinarité a connu ses détracteurs ou ses sceptiques lors de sa constitution comme référent indispensable à la recherche mais aussi aux organismes qui la prônaient. De la même façon, la recherche participative, au-delà des acceptions diverses qu’elle revêt chez ceux qui s’en réclament, interpelle nombre de nos préjugés sur ce que recouvre l’activité scientifique. « Plus de science », s’il s’agit de mobiliser la main-d’œuvre citoyenne, éclairée certes et même experte, pour augmenter les capacités d’action et d’intervention des scientifiques – songeons à l’astronomie ou à l’ornithologie, par exemple – dans un contexte où la standardisation des données bénéficie d’outils appropriés (et jugés rassurants), c’est une option expérimentée depuis longtemps et qui ne bouscule pas l’ordre scientifique. « Une autre science » pose évidemment problème, ce qu’a d’ailleurs rappelé en 2015 l’Afis (Association française pour l’information scientifique) qui réaffirme que la science est indépendante de toute idéologie et voit dans les « sciences citoyennes (ou) participatives » la marque d’une « forte connotation politique2 ». Une prise de distance qui n’est pas sans évoquer « Les fractures intellectuelles de la sociologie française », ainsi que le titrait Le Monde du 24 novembre 2017, désignant en cela le procès d’idéologie et de militantisme fait aux « sociologues critiques » par ceux qui se réclament d’un courant « analytique », c’est-à-dire qui disent s’en tenir à l’analyse « objective » des faits sociaux3.

C’est aussi dans ce contexte qu’Alain Fuchs, alors président du CNRS, appelle à une réflexion sur la « co-production de la science par les citoyens », mais en insistant sur le fait que « l’autonomie du champ scientifique implique que ce sont les chercheurs qui définissent eux-mêmes leurs sujets de recherche et la façon de les traiter4 ». Or, en se voulant intégratrice des citoyens-acteurs dans le processus de recherche lui-même, la recherche participative invite à reconnaître une équivalence entre les différents types de savoirs mis ainsi en présence, savoirs scientifiques mais aussi d’expérience ou d’action. Du point de vue de la quête du « vrai » et de l’exigence de rigueur propres à la démarche scientifique, la recherche participative prend ainsi l’option – et le risque – de franchir les portes du laboratoire et de s’affranchir de « l’objectivité » qui lui serait liée. La référence à la coproduction des connaissances, qui peut, comme c’est parfois le cas pour l’interdisciplinarité, relever davantage d’un effet d’annonce que d’une pratique, renvoie à un défi épistémologique et même éthique à la relève duquel NSS peut et doit prendre part, d’autant que de telles postures sont nécessairement exigeantes mais aussi déstabilisatrices.

Dans les problèmes théoriques et méthodologiques que pose la recherche participative, il y a de fait convergence avec la démarche interdisciplinaire. Celle-ci propose un traitement du pluralisme scientifique, les disciplines associées faisant l’expérience de la confrontation de régimes de preuve et de validation qui leur sont propres. La recherche participative offre en quelque sorte un redoublement des problèmes liés au pluralisme, à partir du moment où on admet que les savoirs mobilisés dans un collectif citoyen ont aussi leur propre paradigme, leur intelligibilité du monde. On connaissait, grâce à la sociologie des sciences, la « nature négociée » des résultats scientifiques. La coproduction des connaissances dans un dispositif de recherche participative ne peut relever que d’une « négociation » analogue à celle que construit la démarche interdisciplinaire. Mais, à la différence de celle-ci, elle met en présence des mondes qui n’ont pas pour commun l’exigence de l’excellence scientifique, comprise comme répondant à des normes de production et à des processus de validation reconnus et partagés. Ces mondes pluriels doivent composer avec le double impératif de justesse et de pertinence qui est le propre du questionnement des partenaires des scientifiques. En ce sens, dans une telle situation associant des chercheurs et ce que certains appellent le « tiers secteur de la recherche », « la science est une manière de faire un monde, parmi d’autres possibles5 ».

Le dossier proposé ici est une contribution au débat sur la participation citoyenne. Le chantier est vaste, que ce soit à propos des méthodes et des dispositifs adaptés à ce type de collectif, de la production de connaissances circulant entre le laboratoire et le partenariat impliqué, jusqu’aux enjeux de reconnaissance (pour les citoyens) et d’évaluation (pour les chercheurs). Sans oublier la nécessaire vigilance par rapport aux ambiguïtés que peut générer l’injonction de la participation : du refus du simulacre ou de l’instrumentalisation, de la difficulté de constituer un réel collectif de pairs, tout cela interpelle le métier de chercheur aujourd’hui.

La revue est ouverte à d’autres contributions, de la même façon qu’elle est un lieu de débat et de controverses sur l’expérience interdisciplinaire. En fin de numéro, on trouvera le bilan de l’investissement de l’association NSS-Dialogues dans les « sciences en société ». De notre point de vue, plutôt que « plus de science », c’est donc à une autre manière de faire de la science que les recherches participatives invitent.


1

Hubert B., Aubertin C., Billaud J.-P., 2013. Recherches participatives, recherches citoyennes… une clarification nécessaire, Natures Sciences Sociétés, 21, 1, 1-2, www.nss-journal.org/articles/nss/pdf/2013/01/nss130078.pdf.

2

Afis, 2015. Sciences « participatives » : plus de science ou détournement de la science ?, Science… & pseudo-sciences, juillet, http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2501. Le titre de cet éditorial reprend une expression de ce texte.

3

Truong N., 2017. Les fractures intellectuelles de la sociologie française, Le Monde, 24 novembre.

4

Fuchs A., 2013. Note sur la Mission sciences et citoyens, 5 septembre.

5

Barrau A., 2016. De la vérité dans les sciences, Paris, Dunod.


© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.