Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 29, Number 3, Juillet/Septembre 2021
Page(s) 326 - 333
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2021061
Published online 10 December 2021

© Atécopol, Hosted by EDP Sciences, 2021

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Introduction

Le présent article aurait pu commencer par un état des lieux des dérèglements climatiques et écologiques globaux, ainsi que des bouleversements que nos sociétés vont connaître (et qu’elles connaissent déjà), pour en tirer la conclusion suivante : alors qu’il faudrait relever les défis sans précédent auxquels l’humanité est confrontée (cf. notamment les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Giec] et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques [IPBES]), nos dirigeants politiques échouent constamment à atteindre des objectifs qu’ils redéfinissent pourtant sans cesse en cours de route. Mais puisque de tels constats sont désormais bien documentés et font l’objet d’un large consensus scientifique, il semble pertinent d’aller plus loin, en posant la question suivante : « comment se fait-il que nous ne parvenions pas à rompre massivement avec ces rapports destructeurs à l’environnement ? ». Plusieurs raisons peuvent être avancées a priori. D’abord, les ressources environnementales et les fonctionnalités écosystémiques sont le support d’activités économiques et, plus largement, du bien-être humain. Ensuite, l’action individuelle, y compris dans le domaine scientifique, reste dominée par les codes et les normes de la société productiviste. Au coût (en énergie, en temps…) de l’action individuelle, il faut donc ajouter le poids des structures institutionnelles. Enfin, les insuffisances de l’action individuelle pour infléchir les rapports homme-environnement (Dugast et Soyeux, 2019) peuvent être de nature à la décourager. Alors pourquoi s’engager ? Et comment ?

Les domaines de l’enseignement et de la recherche n’échappent pas à ces questionnements. C’est pour interroger et dépasser la diversité des logiques qui mènent à l’inaction qu’est né l’Atelier d’écologie politique toulousain. L’Atécopol investigue à la fois le fonctionnement académique (dynamique de production des connaissances, fonctionnement des instituts de recherche, règles d’évolution des carrières, normes épistémologiques, missions d’enseignement et diffusion des connaissances…) et le rôle politique et social que peut ou doit (ou devrait ?) jouer la recherche (discours critiques, confection d’imaginaires collectifs, construction d’artefacts…). Regroupant des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche issus des différents établissements toulousains, l’Atécopol vise ainsi « à faire émerger et à structurer une communauté scientifique se reconnaissant dans l’écologie politique, c’est-à-dire dans le dialogue entre connaissances scientifiques et débats sociaux et politiques sur l’avenir à construire, à l’échelle d’une métropole et d’une région » (Atécopol, 2018). L’inscription dans une approche d’écologie politique présuppose, d’une certaine manière, que tout, y compris l’activité scientifique au sens le plus large, est politique. Il s’agit aussi de reconnaître et d’assumer le caractère moral des choix scientifiques, tant au niveau individuel que collectif. Cela passe par la reconnaissance et l’acceptation du fait que ces choix s’accompagnent nécessairement d’une responsabilité à l’égard de la société.

L’objectif de ce texte consiste donc, à partir d’une présentation de l’Atécopol, initiative novatrice de structuration et d’animation d’un collectif de personnels de l’enseignement-recherche, à illustrer les défis auxquels renvoie l’engagement moral et politique de scientifiques pour l’écologie. Il est structuré en quatre parties. La première expose les principes autour desquels ses membres se retrouvent : une écologie politique et morale, l’interdisciplinarité, la slow science. La deuxième présente la composition de l’Atécopol, en insistant sur la diversité qui le caractérise. La troisième présente le fonctionnement de l’Atelier à travers certaines actions emblématiques. Ces constats permettent de tirer des leçons en termes de fonctionnement du collectif et d’effets sociaux et politiques. La dernière partie évoque les défis auxquels l’action collective se trouve confrontée. Ceux-ci illustrent les questionnements rencontrés plus généralement dans la conduite de l’action collective et dans l’engagement scientifique militant.

Une approche d’écologie politique et morale

L’Atelier d’écologie politique toulousain est né à l’automne 2018, suite à l’initiative d’Alternatiba (association œuvrant pour la promotion et la mise en place d’alternatives concrètes ; depuis, des liens entre Alternatiba et l’Atécopol ont été maintenus – cf. partie 3) visant à organiser une série de conférences scientifiques traitant des divers aspects des crises écologique et climatique. Cela a permis de mettre en évidence le fait que certains scientifiques toulousains partageaient une même volonté de mettre leurs connaissances au service d’une action plus engagée. Forts de ce constat, les initiateurs et initiatrices1 de ces conférences grand public ont rédigé un manifeste sur la base duquel s’est constitué le collectif de l’Atelier. Celui-ci dessine les principes fondateurs de l’Atécopol (Atécopol, 2018) : participer à l’Atécopol, c’est se reconnaître dans ce texte ; appartenir à l’Atécopol, c’est rendre publique son adhésion au manifeste2.

En résumé, le manifeste insiste sur l’importance de la manière dont la science met en récit l’histoire des sociétés et de leur rapport à leur environnement naturel (Bonneuil et Fressoz, 2013). Les discours scientifiques jouent notamment un rôle dans l’affirmation que les progrès technologiques, en même temps qu’ils améliorent les conditions de vie, apportent des solutions à tous les problèmes environnementaux. Que l’on conteste le caractère hégémonique de cette croyance ou sa véracité (entre autres, sur la technocritique, voir Jarrige, 2014), il apparaît nécessaire de remettre les savoirs scientifiques au service de la société et de la démocratie, en coconstruisant un discours permettant « de faire sens de ces bouleversements historiques sans précédent et qui engagent la survie et la dignité humaines3 ». Cette dimension rapproche l’Atécopol de l’association Sciences citoyennes4, avec une entrée écologique plus explicite. Cela présuppose, étant donné le caractère multidimensionnel des problèmes, que les savoirs issus des différentes disciplines puissent facilement circuler. L’Atécopol se donne donc le rôle à la fois critique et proactif de « participer aux réflexions sur le futur commun et [d’]inciter tout le monde à s’en saisir ». Enfin, l’Atécopol ambitionne une action résolument transformative. En conséquence, il privilégie une action locale et une taille raisonnable, permettant l’interconnaissance et la convivialité entre ses membres. Tout en reconnaissant la nécessité pour l’action de se situer aussi à plus vaste échelle, l’Atécopol n’a pas vocation à accueillir les collègues d’autres régions ou à structurer des collectifs nationaux ou internationaux. Il privilégie la multiplication d’initiatives, elles aussi locales pouvant s’articuler. L’Atécopol a ainsi servi de catalyseur et d’inspirateur à d’autres ateliers d’écologie politique, notamment à Grenoble, Montpellier, en région parisienne ou en Bretagne5, chacun gardant une organisation autonome.

Le discours porté par l’Atécopol s’inscrit résolument dans l’écologie politique6, en ce qu’il s’attache à dépasser le rôle des responsabilités individuelles dans la crise écologique, pour pointer les rapports de pouvoir et les institutions (règles, normes, savoirs, pratiques, habitudes…) qui les encadrent. Il ne s’agit pas de nier les capacités d’actions individuelles, mais de dénoncer les mécanismes qui limitent leurs marges de manœuvre et compliquent la mise en application d’une éthique environnementale. Plus particulièrement, l’approche d’écologie politique assumée par l’Atécopol vise à mettre en lumière la dimension illégitime de certains rapports institués dès lors qu’ils ont des effets sociaux et environnementaux néfastes. Cela passe notamment par la dénonciation des phénomènes de domination qui se traduisent bien souvent par des relations instrumentales et d’exploitation de l’environnement, comme le souligne notamment l’écoféminisme (Larrère, 2012). Cela passe aussi par la mise en évidence d’effets de verrouillages systémiques. Par exemple, l’articulation du fonctionnement des financements pour la recherche, combinée à l’imposition de certains critères d’excellence scientifique et à une logique de concentration et de collaboration étendue, pousse les personnels de l’enseignement et de la recherche à toujours plus de déplacements, ce qui cause des impacts environnementaux non négligeables (Hamant et al., 2019). Sur ces aspects, l’Atécopol se rapproche des réflexions conduites au sein de mouvements comme Stay Grounded7 ou comme Labos 1point58, le premier étant orienté vers la société civile ; le second étant plus axé sur l’évaluation de l’empreinte carbone des pratiques de recherche.

Deux autres aspects propres à l’écologie politique assumée par l’Atécopol ont des implications particulières pour le domaine scientifique. Il s’agit d’abord de l’idée d’un nécessaire ralentissement du rythme de l’activité humaine. En science, cette idée se configure dans la notion de slow science. Comme pour la notion de décroissance, les implications à tirer ne sont pas parfaitement claires et l’adoption de cette perspective fait occasionnellement débat au sein de l’Atécopol (voir partie 4), d’autant que la situation de confinement liée à l’épidémie de Covid-19 a permis de prendre la mesure de ce qu’elle pouvait signifier. Il s’agit ensuite de l’idée qu’aucune des activités scientifiques (en particulier numériques) n’est neutre. Elles ne sont pas neutres parce qu’elles ont un impact sur l’environnement, mais aussi parce qu’elles véhiculent un sens particulier qui s’incarne dans des récits. Ainsi, travailler à améliorer le potentiel génétique d’une plante, développer de nouveaux processus de chimie verte, modéliser les négociations climatiques internationales dans un cadre de théorie des jeux, ou chercher le moteur de nos décisions climaticides dans des circuits neuronaux, dit quelque chose de notre rapport à l’environnement et aux institutions par lesquels il est médié, quelque chose qui mérite d’être analysé de façon critique. En cela, le discours d’écologie politique de l’Atécopol est également un discours épistémique et éthique. Cela a des implications fondamentales, dans la mesure où le statut épistémologique de la science a largement été construit sur la fiction de la neutralité axiologique. Au contraire, l’Atécopol justifie l’engagement scientifique par un principe de responsabilité, consubstantiel de la connaissance : « la prise en compte de l’éminente responsabilité sociétale découlant des analyses scientifiques quant aux menaces dues aux bouleversements écologiques en cours, tant “savoir et ne pas agir ce n’est pas savoir9” ». Par sa philosophie générale, l’Atécopol s’apparente au mouvement « Survivre… et vivre », créé au début des années 1970 (Pessis, 2014). Mais l’Atécopol privilégie d’emblée une entrée par les enjeux écologiques climatiques (et moins par les enjeux en termes de risques, qu’ils soient militaires et/ou nucléaires) et une organisation locale (alors que « Survivre… et vivre » est un mouvement international). Une autre différence réside dans la dimension résolument interdisciplinaire de l’Atécopol, qui inclut notamment des chercheuses et chercheurs en sciences humaines et sociales (SHS).

Diversité disciplinaire et diversité des métiers

L’Atécopol réunit ainsi essentiellement des scientifiques, principalement des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs qui partagent donc, en plus d’une inquiétude certaine face à la capacité des sociétés humaines à répondre aux défis de la « crise » écologique et climatique, des interrogations sur le rôle de la recherche et sur le sens de leurs propres activités face aux enjeux scientifiques qu’elle pose. L’Atécopol constitue d’abord un espace transdisciplinaire d’échanges et de discussions sur la recherche, sur son rôle et son utilité sociale. Réinterroger le sens des activités des métiers de l’enseignement et de la recherche au regard des crises environnementales apparaît ainsi comme un dénominateur commun. Le collectif a donc vocation à accueillir, sans distinction de discipline, de statut ou d’établissement, celles et ceux qui travaillent dans le domaine de l’enseignement-recherche ou, plus largement, académique10.

Au moment de la rédaction de ce texte (en octobre 2021), l’Atécopol comptait 154 membres (dont plus de 40 % de femmes) issus de tous les établissements toulousains et regroupant un large éventail de disciplines. Sur la base des déclarations fournies au moment de l’inscription, il est difficile d’effectuer un comptage précis des affiliations disciplinaires, dans la mesure où elles ne renvoient pas toujours aux mêmes grains de description (discipline, sous-discipline, spécialité…) et où beaucoup de collègues de l’Atécopol ont un profil pluridisciplinaire. Une catégorisation rapide indique une répartition de 74 membres en SHS et 73 membres en sciences de la matière et du vivant (SMV) (le différentiel étant expliqué par la présence de 6 agents administratifs ou techniques et d’une personne d’un domaine interdisciplinaire, l’ethnobiologie). Côté SHS, l’Atécopol compte essentiellement des géographes (15, y compris en aménagement), des historiennes et historiens (13) et des économistes (7). Les SMV sont dominées par la physique (19 personnes, dont 5 en astrophysique), la biologie-écologie (19 personnes, dont agronomie et botanique, science vétérinaire, biostatistiques, génétique…) et la chimie (16 personnes, y compris en physique-chimie, biogéochimie, hydrogéochimie11…). Cette diversité, qui est aussi thématique, est à la fois une richesse et un motif d’étonnement, puisqu’il n’apparaît pas nécessaire d’être inscrit dans une discipline ou une thématique a priori concernée directement par les enjeux environnementaux (comme les sciences du climat, l’écologie ou l’histoire environnementale) pour s’engager dans l’Atécopol. Au contraire, l’Atécopol accueille tous les scientifiques de la région toulousaine qui souhaitent s’impliquer contre les dérèglements écologiques et climatiques. Au-delà, il a vocation à intégrer l’ensemble des personnels travaillant dans le secteur de la recherche, indépendamment de leur statut : agents administratifs, ingénieures et ingénieurs d’étude ou personnels d’appui, post-doctorantes et post-doctorants… L’Atécopol est également riche de cette diversité : les maîtres et maîtresses de conférences, les chargées et chargés de recherche et les astronomes représentent presque 43 % des effectifs ; les chercheuses et chercheurs séniors (professorat, direction de recherche), près de 16 % ; les jeunes chercheuses et chercheurs (doctorat et post-doctorat), 22 % ; les personnels d’appui (ingénierie de recherche ou d’étude, assistanat de recherche ou d’enseignement), presque 12 %.

La spécialisation de l’Atécopol n’est donc pas thématique, contrairement, par exemple au Réseau d’expertise sur les changements climatiques en Occitanie (RECO12). Son expertise13 s’appuie plutôt sur la mise en commun et le partage du savoir, au service du collectif, en privilégiant le croisement des regards et la diversité des connaissances, des thématiques, des méthodes, des traditions intellectuelles, des expériences… indépendamment des statuts ou des métiers. L’Atécopol se positionne explicitement dans une démarche scientifique, mettant en œuvre les compétences propres aux personnels de la recherche : partager, formaliser, questionner, débattre, critiquer les savoirs, les décisions politiques et les idées préconçues. Il y a également dans cette conception l’idée que tous les savoirs peuvent être utiles. Toutes et tous, en effet, ont vocation à contribuer à la compréhension des crises écologiques et climatiques, à la réflexivité sur les savoirs produits à ce sujet et à la formulation de propositions14, par le biais de connaissances, mais aussi de méthodologies propres à chaque discipline. La présence de non-spécialistes des questions environnementales à l’Atécopol est également justifiée par le fait que toutes et tous appartiennent à l’institution de la recherche publique, ce qui les rend légitimes pour interroger son rôle, la pertinence de ses orientations et de son fonctionnement au regard des enjeux écologiques. Cela témoigne de l’ambition de sortir la recherche scientifique de sa tour d’ivoire, de la mettre davantage en prise avec la société, par exemple, en l’interpellant largement au moyen de tribunes ou en proposant des formations extra-universitaires.

Tenir cette posture publique exige d’être collectivement exemplaire : les membres de l’Atelier ont aussi la conviction que la communauté scientifique doit commencer par examiner ses propres impacts, matériels et symboliques, sur l’environnement. Il s’agit de questionner l’ensemble des rouages qui participent à la mécanique de l’enseignement et de la recherche. Cela passe, par exemple, par la comptabilisation de l’énergie nécessaire pour faire fonctionner les grands équipements de recherche comme les télescopes, les accélérateurs de particules ou les centres de stockage des données. Cela peut aussi concerner la quantification des émissions de carbone pour les déplacements des chercheurs et chercheuses, en colloque ou pour la récolte de données.

Une posture transformative

L’Atécopol est résolument tourné vers une action transformative. Son manifeste insiste d’ailleurs sur le fait que l’action collective nécessite la circulation des savoirs scientifiques, un examen critique des positionnements idéologiques ou politiques qu’ils peuvent transmettre et la mise en débat du couple savoirs-discours. Dans cette perspective, la première action entreprise par l’Atécopol, dès décembre 2018, a été l’organisation d’un séminaire d’écologie politique destiné à (re)questionner les manières de « Faire récit de l’enjeu écologique ». Ce séminaire annuel (minimum 6 séances par an), soutenu par le Labex toulousain « Structuration des mondes sociaux », offre l’occasion de réunir deux ou trois chercheuses et chercheurs de disciplines différentes autour d’une thématique ou d’un enjeu écologique. Le séminaire incarne bien l’esprit de ce que l’Atécopol ambitionne de faire : il s’agit à la fois d’un espace scientifique où circulent les savoirs interdisciplinaires et d’un lieu de débat avec un public citoyen15. Pour pousser plus loin l’ambition du dialogue science-société, les 3 premières séances de l’année inaugurale ont servi de trame à la réalisation d’un film documentaire (L’âge de l’anthropocène), visible gratuitement sur Internet. Les 25 projections publiques (au 30 octobre 2020) ont été l’occasion de débats avec le public coanimés par des membres de l’Atelier et d’Alternatiba16.

L’organisation du séminaire et des animations afférentes renvoie à un premier ensemble d’actions destinées au partage et à la circulation de savoirs scientifiques. L’Atécopol est ainsi de plus en plus sollicité pour des animations de sensibilisation aux enjeux climatiques et écologiques par divers acteurs : associations nationales (Attac) ou locales (cafés citoyens), politiques (groupes parlementaires, partis locaux), ou médias. L’Atelier a ainsi offert des formations aux problématiques environnementales, par exemple auprès d’enseignantes et enseignants du secondaire, des commissaires enquêteurs de la direction régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Dreal) Occitanie ou des élus de la région. Il participe également au montage de modules d’enseignement à destination d’étudiantes et étudiants dont les formations n’abordent pas ces enjeux (par exemple, avec les métiers de l’aviation). En général, ces demandes passent par la messagerie électronique de l’Atécopol (gérée conjointement par deux membres) ou par des contacts individuels. Dans un cas comme dans l’autre, les informations sont relayées sur l’outil de partage d’information FramaTeam, qui thématise (selon différents « canaux ») les demandes extérieures ainsi que les initiatives individuelles portées par des membres de l’Atelier. L’implication dans ces diverses actions se fait alors sur la base du volontariat.

Un deuxième type d’actions consiste à interpeller publiquement la société par des tribunes diffusées dans la presse (Mediapart, Le Monde, Libération…) sur des sujets comme le rôle de la recherche publique, la voiture autonome, la conquête spatiale ou la politique touristique en Occitanie. Cela passe également par la diffusion de lettres ouvertes, par exemple, concernant les engagements du maire de Toulouse en matière d’écologie, à l’adresse de la jeunesse mobilisée au printemps 2019 contre l’inaction politique favorisant le réchauffement climatique, ou à destination des employés du secteur aérospatial toulousain. Enfin, de manière plus épisodique, l’interpellation publique peut passer par le lancement de pétitions, notamment pour appeler à « ne pas reprendre comme avant » à l’issue du premier confinement national durant la crise de la Covid-19 (signée par plus de 3 500 personnes, dont plus de 1 800 scientifiques, de France et d’ailleurs). Le processus de rédaction de ces divers types de textes (y compris le présent article) démarre généralement par une initiative individuelle (parfois en petit groupe). Lorsqu’une première version est aboutie, elle est ensuite partagée sur l’espace numérique FramaTeam permettant à tous les membres de commenter et modifier le texte. Lorsque les modifications et ajouts sont marginaux, le texte est proposé pour publication ou diffusion. Les signatures se font, le plus souvent, à titre individuel avec mention de l’appartenance à l’Atelier, soit au nom de l’Atécopol. Le compromis des signatures individuelles permet, en dégageant celles et ceux qui le souhaiteraient de la responsabilité des écrits publiés, d’éviter le risque du consensus mou ou de l’autocensure, tout en identifiant l’Atécopol comme lieu d’élaboration de ces textes.

Un troisième type d’actions renvoie aux réflexions sur le fonctionnement du secteur de l’enseignement et de la recherche. Il peut s’agir d’apporter un soutien symbolique aux mobilisations étudiantes ou lycéennes. Il peut également s’agir d’organiser la réflexion quant aux impacts des pratiques d’enseignement et de recherche, en particulier en ce qui concerne les déplacements des scientifiques. Ces réflexions ont donné lieu à l’organisation de plusieurs forums de la recherche qui ont notamment abouti à un plan d’interpellation des différents établissements d’enseignement et de recherche toulousains. Ces actions ont contribué à rendre visible l’Atelier et à accroître significativement le nombre de ses membres.

Rien n’est évidemment figé et la palette d’actions de l’Atécopol mélange à divers degrés circulation des savoirs, interpellation publique et réflexivité. À l’avenir, il est probable que l’Atécopol couvre de nouvelles formes d’action (expertise, dispositifs de recherche-action…), au fur et à mesure de la croissance de l’Atelier et de l’évolution de ses modes d’implication.

Quelques enseignements sur l’engagement… en tant que scientifique

L’Atécopol constitue une initiative novatrice dans le champ académique, dans la mesure où il a émergé hors du cadre institutionnel et où il conserve un fonctionnement auto-institué, même en étant désormais rattaché à la Maison des sciences de l’homme et de la société de Toulouse. Il est inclusif et interdisciplinaire, public, décroissant17 et politique. Il assume la responsabilité morale dévolue aux scientifiques au regard des exigences démocratiques que portent ces temps de crises multidimensionnelles et interdépendantes. Il revendique un positionnement sans concession d’écologie politique en même temps qu’il récuse le principe fallacieux d’une neutralité scientifique (Un · e doctorant · e, 2020). Pour autant, le succès de l’Atelier (croissance rapide du nombre de membres, sollicitations diversifiées, essaimage des initiatives…) s’accompagne de questionnements.

  • Tout d’abord, une question jusqu’à présent abordée de manière incidente au sein de l’Atécopol concerne l’opérationnalisation du principe décroissant dans l’enseignement-recherche et au sein de l’Atelier. La logique d’action transformative affirmée par l’Atécopol exigerait pourtant de dépasser l’idée de décroissance comme repère identitaire porteur d’un discours de principe. Passer à l’action nécessiterait d’aborder certaines questions : faut-il diminuer la production de connaissances et axer le travail scientifique sur leur partage, comme le suggère le manifeste ? Décroître signifie-t-il diminuer le temps de travail dans la recherche ? Cela passe-t-il par une réduction des moyens financiers mis à disposition de la recherche ? Dans quelle mesure adhérer au principe de la décroissance nécessite-t-il d’abandonner une partie des moyens et des ressources qui, peut-être, permettraient pourtant d’élargir efficacement cet horizon décroissant à l’ensemble de la société ? Quelles sont les transformations et rééquilibrages nécessaires pour viser une allocation plus juste des moyens de recherche ? En bref, comment transformer nos institutions de recherche pour diminuer leurs impacts, directs et indirects (le rôle même des savoirs) ? Certaines réponses peuvent impliquer un désengagement ou une réorientation de nos activités scientifiques (par exemple arrêter de produire les connaissances qui soutiennent la croissance économique). Or, il existe un véritable enjeu à occuper le terrain académique dans ces termes-là, y compris pour l’Atécopol, afin de proposer des alternatives crédibles au discours de la croissance verte. Il s’agit de questions fondamentales, à la fois parce qu’y répondre engage des projets de société décroissants très différents et aussi parce qu’elles peuvent induire des tensions individuelles entre l’éthique de la recherche et les pratiques réelles.

  • Ensuite, l’urgence de la situation écologique pourrait réclamer une hiérarchie claire des savoirs les mieux à même de répondre aux défis écologiques et climatiques (par exemple, favoriser des recherches finalisées ou privilégier certaines pistes comme l’amélioration génomique pour réduire la vulnérabilité des cultures aux stress climatiques et hydriques). Elle pourrait conduire à négliger ceux produits dans des disciplines ou des spécialités moins armées pour cela, comme l’histoire antique, les études des langues, la littérature ou l’histoire de l’art. L’Atécopol refuse cette hiérarchie des savoirs et des disciplines. Une première raison pour réhabiliter les disciplines les moins « utiles » a priori est qu’il s’agit finalement autant de préserver la dignité de la vie humaine que d’assurer les conditions biophysiques qui la permettent. Une seconde raison est que toutes les disciplines académiques ont indubitablement un rôle à jouer, parce qu’elles véhiculent du sens, reposent sur une méthode d’analyse critique rigoureuse et façonnent la distribution des enjeux à travers les « imaginaires sociaux » (au sens de Castoriadis, 1975) qu’elles légitiment. Pour autant, cette posture peut parfois être difficile à tenir dans la mesure où une partie du discours de l’Atécopol vise à disqualifier certaines pratiques et connaissances scientifiques, par exemple lorsqu’elles cherchent à renforcer le messianisme ou l’optimisme technologique (cf., par exemple, la séance du séminaire de l’Atécopol du 20 mars 2019 sur les « promesses technoscientifiques »), ou font porter l’essentiel de la responsabilité sur les individus (par exemple, en économie standard – cf. Pottier, 2016).

  • Troisièmement, l’Atécopol est engagé dans une voie qui peut conduire ses membres d’un engagement moral à un désengagement systémique, d’actions disruptives à une désobéissance plus radicale. Certaines actions peuvent, à cet égard, saper une partie de la légitimité institutionnelle (rappelons que l’Atécopol est soutenu par la MSHS de Toulouse) et statutaire (agir en tant que scientifiques) sur laquelle l’Atécopol s’appuie. L’équilibre entre la recherche d’une légitimité institutionnelle et la détermination que réclame l’urgence de la situation est ainsi régulièrement éprouvé au sein de l’Atelier. Jouer le jeu de la légitimité institutionnelle ne favorise pas, par exemple, l’engagement des personnels les plus vulnérables et dans les situations les plus précaires. Face aux difficultés d’insertion sur le marché du travail académique, elles et ils sont, moins que les autres, en position de s’engager dans une démarche politique et critique. D’une certaine manière, agir à la fois sur et dans le système d’enseignement-recherche peut constituer une limite à l’engagement individuel et aux actions de l’Atécopol. Parce que ses membres restent affiliés à leurs instituts, elles et ils peuvent s’autolimiter dans leur engagement (par exemple, lorsqu’un ou une collègue refuse de signer un texte collectif au motif de ne pas engager l’image de son laboratoire). Chacune ou chacun reste, par ailleurs, soumis à l’autorité qui y prévaut, ce qui peut aussi limiter les ambitions transformatives de l’Atécopol (par exemple, lorsqu’une ou un collègue est confronté à sa hiérarchie dans sa démarche d’évaluation du bilan carbone de son laboratoire). Il apparaît ainsi nécessaire de faire porter la critique au niveau des règles, des normes et des institutions plus que des comportements individuels, en couplant revendications écologiques et critiques institutionnelles de la profession.

Finalement, la logique de fonctionnement « chemin faisant » et horizontal de l’Atécopol constitue un facteur de son succès, notamment parce qu’elle se révèle inclusive. Jusqu’à présent, l’absence de rivalités personnelles a laissé place à un réel esprit de collaboration, de franchise et de confiance mutuelle. Ce fonctionnement a permis de garantir que les quelques questionnements internes évoqués dans cette section reflètent la diversité des postures et des visions portées par l’Atécopol, tout en permettant au collectif de s’éprouver et de se fortifier à chaque nouvelle action.

Références


1

L’Atécopol s’insère résolument dans l’écoféminisme (cf. ci-après). Il vise notamment l’inclusion de genre, y compris dans l’écriture.

3

Les citations de cette section sont issues du manifeste de l’Atécopol : https://atecopol.hypotheses.org/argumentaire-densemble (Atécopol, 2018).

5

Les initiatives de Grenoble, Montpellier et Rennes démarrent la structuration en réseau. Celui de la région parisienne est déjà constitué (https://ecopolien.hypotheses.org) et compte une quarantaine de membres en octobre 2021.

6

La « political ecology » dans le monde anglophone concerne « tous les participants à ce que Paul Robbins décrit comme une pratique commune destinée à faire progresser la discipline “à la façon d’une enquête intellectuelle sur l’interaction entre les hommes et leur environnement, d’un exercice politique visant à davantage de justice sociale et écologique” » (Paulson, 2015, p. 62, en référence à Robbins, 2011). Comme le soulignent Benjaminsen et Svarstad (2009), l’écologie politique à la française revêt un autre sens et désigne notamment un type spécifique de politique. Pour conserver la cohérence avec l’intitulé de l’Atelier, nous nous référerons à la terminologie francophone mais avec une signification plus proche du sens anglo-saxon.

9

Le manifeste reprend cet aphorisme de Latour (2015, p. 185), qu’il indique être attribué à Lao Tseu (nous n’avons pas été en mesure de retrouver cette citation chez Lao Tseu, ce qui n’enlève évidemment rien à l’analyse qu’en fait Latour).

10

C’est-à-dire incluant notamment les études artistiques et le design, mais aussi les sciences médicales.

11

Le comptage pour les disciplines des sciences dures est compliqué par le grain de description. Par exemple, la climatologie peut être considérée comme une sous-branche de la géographie physique et de la météorologie, elle-même sous-branche de la science physique. Les uns s’identifient comme climatologues quand d’autres se réclament d’une certaine physique. Les disciplines présentes au sein de l’Atécopol sont en fait beaucoup plus variées que cette description très agrégée ne peut le laisser paraître.

13

L’Atécopol est labellisé « plateforme d’expertise » par la Maison des sciences de l’homme et de la société de Toulouse (CNRS, Université fédérale de Toulouse – Midi-Pyrénées).

14

Ainsi, le design ou l’histoire antique peuvent apparaître éloignés des préoccupations écologiques contemporaines. Néanmoins, le premier peut renseigner sur certains rouages consuméristes et la seconde peut contextualiser notre rapport à la nature et à l’action politique.

15

La présentation du séminaire ainsi qu’un fil d’actualité des séances (https://atecopol.hypotheses.org/category/seminaire) et des enregistrements des séances (https://atecopol.hypotheses.org/audios-videos-2) sont disponibles sur le site de l’Atécopol. Chaque séance du séminaire accueille entre 120 et 200 personnes. Certaines séances sont plutôt magistrales ; d’autres privilégient des formats plus participatifs.

16

Le film documentaire (http://toxic.planet.free.fr) a été sélectionné au Festival international du film des droits de l’homme de 2020 et a obtenu la mention spéciale du jury catégorie « film scientifique » au Festival du film recherche et développement durable (FREDD) toujours en 2020. Il a été vu près de 18 000 fois et un comptage rapide estime que 2 500 personnes sont venues assister aux projections-débats. Ces chiffres témoignent de l’intérêt de ces espaces-passerelles entre scientifiques et citoyens, particulièrement sur les enjeux écologiques et climatiques.

17

Le terme de « décroissance » désigne le rejet du dogme de la croissance économique (y compris « verte » qui, comme le « développement durable », adapte les enjeux écologiques aux objectifs économiques et justifie la poursuite des affaires courantes). Le mouvement de la décroissance ne prône pas un ralentissement du système économique actuel (ce qui serait une récession), mais une transformation du système, compatible avec une habitabilité décente de notre planète (cf. D’Alisa et al., 2015). L’Atécopol est décroissant du fait de cette analyse et par le refus de continuer de mettre la recherche publique au service de l’innovation pour la croissance économique.

Citation de l’article: Atécopol L’Atelier d’écologie politique toulousain (Atécopol) : pour un engagement scientifique. Nat. Sci. Soc. 29, 3, 326-333.

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