Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Numéro 4, Octobre/Décembre 2023
Dossier « La recherche au défi de la crise des temporalités »
Page(s) 530 - 536
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2024013
Publié en ligne 18 juillet 2024

© M. Ghilardi et al., Hosted by EDP Sciences, 2023

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

Rappel du cadre général de la réalisation du cahier thématique sur lequel s’appuie le colloque « Les sociétés humaines face aux changements environnementaux : le passé pour éclairer le futur »

L’Agence nationale de la recherche (ANR) a organisé le 23 mai 2023 à Paris, le colloque « Les sociétés humaines face aux changements environnementaux : le passé pour éclairer le futur » qui a réuni près de 300 personnes1. Cet évènement, qui s’appuyait sur la publication préalable d’un cahier thématique par l’ANR, « Paléoenvironnements et sociétés humaines. Projets financés sur la période 2005-2022 » (Ghilardi et Pateau, 20232), a permis de livrer une synthèse des projets financés par l’agence sur cette thématique, dans le cadre de son Plan d’action et de France 2030, depuis sa création en 2005.

Le contexte général est une prise de conscience de l’importance des études portant sur les interactions humains-environnements du passé pour comprendre les situations aux XXe et XXIe siècles.

En ouverture du colloque, Thierry Damerval, président-directeur général de l’ANR, a souligné que la thématique des sociétés humaines du passé face aux changements environnementaux est résolument interdisciplinaire, se situant à l’interface entre les sciences humaines et sociales et les sciences de la vie et de la Terre. T. Damerval a rappelé que les communautés scientifiques concernées par ce thème conduisent des recherches ayant pour objectif de reconstituer les environnements du passé (paléoenvironnements) en contexte d’occupation humaine sur le temps long. Par le biais des recherches conduites, il s’agit notamment de pouvoir évaluer le degré d’interaction entre les sociétés humaines, et préhumaines, avec les environnements qu’elles ont fréquentés, (sur)exploités et modifiés. Les travaux réalisés ou en cours ont également pour ambition d’évaluer les conséquences des activités humaines sur les différentes enveloppes de notre planète : hydrosphère, lithosphère, atmosphère et biosphère à une échelle de temps plus longue que celle adoptée dans le cadre d’études concernant les sociétés industrielles et postindustrielles. Magali Reghezza-Zitt, représentante du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a souligné également le caractère interdisciplinaire de l’étude des relations complexes entre les sociétés humaines et les environnements au sein d’une communauté peu nombreuse mais très productive en termes de publications et de projets. Elle a ensuite replacé le thème du colloque dans le cadre social actuel avec la problématique suivante : comment les sociétés humaines vont-elles s’adapter à des changements de plus en plus extrêmes comme le montrent les précieux travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui vient de publier la synthèse de son sixième rapport en mars 2023 (IPCC, 2023) ?

Matthieu Ghilardi et Mélanie Pateau, corédacteurs du cahier thématique servant de base de réflexion au colloque (Ghilardi et Pateau, 2023), ont également rappelé qu’en ce début de XXIe siècle, les effets des activités humaines sur l’environnement sont au cœur des préoccupations internationales en raison de la fragilisation des écosystèmes et de l’épuisement des ressources. Cette prise de conscience collective s’est véritablement opérée en 1992 lors de la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (sommet de la Terre de Rio de Janeiro) dont l’objectif était de dresser un état des menaces que font peser les activités humaines sur le géosystème. D’autres organismes internationaux tels que le Giec avaient d’ailleurs alerté dès la fin des années 1980 sur la vulnérabilité des environnements face aux poids des activités anthropiques. Les auteurs du cahier thématique ont rappelé la difficulté de quantifier précisément des modifications environnementales antérieurement au XIXe siècle. La reconstitution des paléoenvironnements doit alors passer par la quantification des paramètres physico-chimiques et biologiques des conditions écologiques et climatiques du passé afin notamment d’évaluer ce qui relève des dynamiques naturelles et/ou de l’action humaine. Il s’agit notamment de reconstituer dans le temps et dans l’espace les modifications environnementales induites par les sociétés humaines mais également de mesurer les impacts des changements environnementaux sur les stratégies d’occupation et de subsistance humaine (degré de résilience sociétale). La succession des cultures et civilisations de la Préhistoire à la période moderne a laissé une empreinte environnementale dans les archives sédimentaires que des équipes interdisciplinaires étudient à la surface des continents comme au fond des océans. Ainsi, la reconstitution des paléoenvironnements devient un enjeu scientifique majeur afin de déterminer le niveau d’interaction des ressources physico-chimiques et biotiques de la planète avec l’humain.

La place des financements et partenariats de l’ANR sur la thématique

Dans le cadre du Plan d’action de l’ANR, 97 projets ont été financés entre 2005 et 2022 pour un montant global de 35,5 millions d’euros. Ces projets sont répartis sur 17 programmes ou appels à projets : les appels thématiques et non thématiques jusqu’à l’édition 2013, les programmes européens et internationaux, principalement la collaboration bilatérale franco-allemande en sciences humaines et sociales, puis l’appel à projets générique (AAPG) mis en place depuis l’édition 2014. L’AAPG a ainsi financé près de la moitié de ces projets au sein de deux axes de recherche « Interactions humains-environnement » et « Études du passé, patrimoines, cultures ». Ces 97 projets ont mobilisé 185 partenaires dont 124 sont localisés en France, 6 correspondent à des écoles ou instituts français à l’étranger et, enfin, 55 partenaires sont implantés à l’étranger (financés sur fonds propres ou par d’autres sources de financement). 41 % des projets ont été coordonnés par des femmes. 128 sites ont été étudiés et correspondent à 4 grandes régions géographiques principales : l’Europe (61 sites), l’Afrique (25 sites dont 13 en Afrique du Nord), le Proche-Orient-Caucase (19 sites) et enfin le Moyen-Orient (8 sites) ; les 15 sites restants sont majoritairement rattachés aux continents américain et asiatique. Le foyer principal s’étend ainsi du Maghreb actuel à l’Asie du Sud-Est en passant par le bassin méditerranéen, le Proche-Orient et le Moyen-Orient ainsi que le Caucase.

Au sein de France 2030 (programme d’investissements d’avenir), la thématique est financée dans 7 laboratoires d’excellence (Labex ARCHIMEDE, DRIIHM, Dynamite, IMU, LabexMed, LaScArBx et OT-Med) et une École universitaire de recherche (EUR ISblue) pour un montant de 4,4 millions d’euros.

L’ensemble des projets financés dans le cadre du Plan d’action et de France 2030 se regroupe au sein de cinq domaines thématiques du cahier (Tab. 1). Pour chacun de ces domaines, deux projets sélectionnés pour financement par l’ANR, du fait de leur interdisciplinarité et la portée internationale de leurs résultats, ont été présentés lors du colloque en tant qu’exemples de recherche de ces différents domaines. Les sessions thématiques du colloque ont été ponctuées de trois tables rondes prospectives qui ont permis d’ouvrir le champ des possibilités d’une meilleure prise en compte des expériences issues des programmes de recherche interdisciplinaire tournée vers le passé. Les débats se sont ensuite orientés vers des enjeux de société actuels majeurs dans le domaine de la patrimonialisation, des plans d’aménagement et de la prévention des risques, mais aussi dans le domaine de la restauration des écosystèmes dégradés par l’homme. Ces échanges ont également apporté des éléments de compréhension et des points de vue sur la manière de préparer les sociétés humaines, mais aussi l’environnement, face aux défis à venir.

Tab 1

Les 5 groupes thématiques du cahier thématique (Ghilardi et Pateau, 2023) correspondant aux 5 sessions du colloque. Le regroupement des projets a été effectué en fonction de leur thématique dominante, même s’il est évident que certains aspects de ces recherches ont pu concerner un ou plusieurs groupes thématiques.

Thématique 1. Des premiers anthropoïdes aux premiers agriculteurs : évolution, diffusion et influence des paramètres environnementaux

Depuis le milieu des années 1970 et la découverte de Lucy, Australopithecus afarensis, datée d’environ trois millions d’années, les recherches paléoanthropologiques se sont particulièrement attachées à caractériser dans un premier temps l’évolution morphologique des hominidés ainsi que leur culture matérielle. Dans un second temps, la question de conditions environnementales particulières, et d’impacts de changements globaux, dans le développement et la diffusion des hominidés à la surface de notre planète a primé. En parallèle, des réflexions interdisciplinaires ont été engagées sur la configuration des paysages fréquentés par les hominidés, orientant ainsi les recherches vers la reconstitution du contexte environnemental de fréquentation de ces populations. La question de la diffusion des populations du genre Homo depuis l’Afrique de l’Est vers l’Eurasie revêt donc un intérêt majeur et a été posée à la lueur de potentiels facteurs environnementaux (climat, contexte tectonique, variabilité spatiotemporelle de la morphologie des littoraux, etc.) et de grandes avancées scientifiques ont été réalisées dans l’identification des trajectoires de diffusion au cours du Quaternaire. Les principaux résultats acquis dans le cadre des projets PremAcheuSept et NEANDROOTS, coordonnés par Marie-Hélène Moncel (CNRS, MNHN), sur les conditions d’émergence des hommes de Néandertal en Europe il y a 700 000 à 500 000 ans environ, illustrent les avancées dans ce champ thématique. L’un des défis de recherche majeurs qui se pose aujourd’hui aux communautés scientifiques concerne la compréhension des facteurs environnementaux qui ont conduit à la domination d’Homo sapiens sur les autres Hominines et à la disparition d’une grande partie de la mégafaune au Pléistocène, prélude à la sixième grande extinction de masse induite par les activités humaines. Se pose ainsi la question de faire potentiellement débuter l’Anthropocène avec la présence exclusive d’Homo sapiens. Les temporalités de la diffusion de ce dernier sur la planète sont encore débattues, notamment sur le continent américain où des recherches françaises menées dans le cadre du projet SESAME, coordonnées par Éric Boëda (Université Paris Nanterre), attestent de l’arrivée des humains vers − 50 000 ans. Ces populations se sont vite diffusées tant par voies côtières que terrestres sur le continent américain, produisant des sociétés très diverses qui ont subi de forts et nombreux changements climatiques non sans conséquences environnementales et qui ont influencé leurs modes de vie produisant une forte altérité culturelle.

Thématique 2. L’archéologie environnementale ou archéométrie : le site d’occupation humaine comme nexus interdisciplinaire

Au cours des dernières décennies, l’analyse du matériel mis au jour lors de fouilles archéologiques s’est accompagnée d’une étude stratigraphique systématique des différentes couches sédimentaires, faisant ainsi intervenir de nombreuses disciplines issues des sciences de la vie et de la Terre. Les sédiments ainsi accumulés durant des siècles, voire des millénaires, font l’objet d’analyses de laboratoire (identification des pollens, des graines, des charbons de bois, etc.) afin d’en extraire des informations qui peuvent renseigner l’histoire des paysages archéologiques et aider à définir des interrelations entre le milieu physique et les sites d’occupation. À ce titre, les projets PAEBR et OLEASTRO, coordonnés par Stéphane Mauné (CNRS, Labex ARCHIMEDE), mettent en évidence l’importance de la culture de l’olivier et de la production d’huile d’olive dans la structuration du paysage agraire dans le sud de l’Espagne au cours de l’époque romaine. Toujours au cours de l’époque romaine, les travaux de Corinne Sanchez (CNRS, Labex ARCHIMEDE) sont également venus éclairer la mise à profit environnemental des zones palustres littorales du Roussillon pour le développement d’infrastructures portuaires dans ces étangs. La mobilité des environnements fluviaux et du trait de côte a été particulièrement rapide et a forcé les populations à s’adapter grâce à des innovations technologiques : construction de digues pour canaliser les cours d’eau, de bassins portuaires à proximité des embouchures, etc.

Les discussions lors du colloque ont permis de mieux cerner l’importance de la patrimonialisation des environnements et des sites d’occupation humaine qui leur sont associés. La documentation scientifique est principalement issue des recherches archéologiques menées, en France dans le cadre de travaux réalisés par les unités mixtes de recherche (UMR) du CNRS, le ministère de la Culture, les acteurs de l’archéologie préventive (Institut national de recherches archéologiques préventives [INRAP], sociétés privées et collectivités), et hors territoire métropolitain dans le cadre de collaborations menées entre les unités du CNRS, les Écoles françaises à l’étranger, le ministère des Affaires étrangères et les partenaires internationaux des pays concernés. Les données de fouilles archéologiques programmées et préventives, qui associent à l’échelle intrasite la reconstitution de l’histoire de l’occupation humaine et la mobilité diachronique des environnements, renseignent efficacement sur les effets des changements globaux dans les logiques de développement des sites d’occupation humaine. Ces travaux facilitent également une meilleure compréhension des stratégies d’adaptation des sociétés humaines face notamment à l’épuisement des ressources en eau, en matières premières, etc., en contexte d’aridification globale du climat. Des analogies peuvent ainsi être établies entre les effets du réchauffement climatique actuel avec le renforcement des phénomènes de sécheresse prolongée et l’augmentation des évènements climatiques extrêmes.

Thématique 3. La géoarchéologie : la reconstitution holocène des grandes unités paysagères dans lesquelles s’insèrent les sites d’occupation humaine

L’appréhension des interactions entre les sociétés humaines du passé et leur environnement ne se limite pas à l’emprise de sites d’occupation humaine et peut dépasser les limites physiques des structures archéologiques connues. En effet, depuis la fin des années 1960, la perception de ces relations entre l’humain et les paysages, et de son influence sur eux, a connu un changement d’échelle géographique. Les changements et imbrications d’échelle spatiale sont plus importants qu’à l’échelle intrasite et les unités géographiques, géologiques et géomorphologiques deviennent le cadre environnemental de référence. Cette approche géoarchéologique des interactions humains-environnement ne se limite donc pas à la reconstitution paléoenvironnementale des sites étudiés (échelle intrasite des études en archéométrie et en archéologie environnementale) afin d’éviter la surreprésentation subjective des impacts anthropiques sur leur environnement (Ghilardi, 2021). L’acquisition de données par carottages est centrale dans cette approche géoarchéologique. Dans ce contexte d’emboîtement des échelles spatiotemporelles et, à titre d’exemple, Jean-François Berger (CNRS), coordinateur du projet NeoArabia, a démontré tout l’intérêt de travailler selon des transects latitudinaux et souligné l’attrait des zones lagunaires et des estuaires riches en mangroves le long de la côte omanaise (péninsule arabique) dans les stratégies d’implantation des habitats des populations du Néolithique ancien. Ces travaux ont mis en évidence que les changements climatiques, caractérisés par des phases d’aridification prolongées, avaient obligé les populations à développer des stratégies pour assurer leur subsistance et parfois à quitter leurs foyers originels d’installation sur le continent pour se repositionner le long des littoraux à des latitudes plus méridionales et sur les espaces insulaires proches. Un autre exemple, le projet PopCaen (Labex Dynamite), coordonné par Laurence Lemer (Université Paris 1–Panthéon-Sorbonne) et Laurent Lespez (Université Paris-Est–Créteil), avait pour objet d’étude le développement de zones humides dans la plaine de Caen. La reconstitution paléogéographique, appuyée sur une étude de la paléovégétation, a révélé les dynamiques paysagères en relation avec le développement d’activités agricoles et l’impact des changements climatiques. Ces informations ont ensuite permis de faire dialoguer les données archéologiques et géoarchéologiques pour aborder les relations entre les sociétés et leur environnement depuis le Néolithique à l’échelle du site d’habitat ainsi qu’à l’échelle régionale.

Thématique 4. Les sociétés humaines du passé et leurs environnements face au défi des changements climatiques et hydroclimatiques

Depuis la fin de la dernière grande glaciation quaternaire, datée du début de l’Holocène, il y a environ 11 700 ans, la Terre a connu un réchauffement global, de sorte que nous nous situons aujourd’hui dans un stade interglaciaire, comme notre planète en a connu à plusieurs reprises, notamment au cours du dernier million d’années. La particularité de la phase de réchauffement actuelle réside dans le fait qu’elle est à la fois provoquée et accélérée par les activités humaines. Aucune espèce vivante animale n’avait, du moins au cours du Quaternaire, contribué à perturber autant le fonctionnement naturel du système climatique global. Cependant, les humains et civilisations du passé ont déjà connu des phases de réchauffement climatique, mais aussi de refroidissement, plus ou moins prolongées dans le temps. Deux présentations sont venues éclairer cette thématique des sociétés humaines du passé face aux changements climatiques : la première, par Anne-Marie Lézine (CNRS), a détaillé les principaux résultats du projet SOPHOCLE qui étudiait les relations entre les dynamiques sociétales et les changements climatiques dans la partie orientale de la péninsule arabique. La fin de la période humide holocène en Afrique et en Arabie est intervenue en deux étapes majeures : il y a 4 500 et 2 700 ans, correspondant à une aridification notable du climat qui perdure jusqu’à nos jours. L’assèchement des conditions atmosphériques a, dans un premier temps, forcé les populations à développer des moyens d’ingénierie sur place, ce que l’archéologue Serge Cleuziou appelait « la grande transformation ». Dans un second temps, une réorganisation territoriale s’est opérée face à ces changements climatiques. La seconde intervention, par Jérémy Jacob (CNRS, projet PalHydroMil), a exposé une méthode tout à fait innovante fondée sur l’extraction, à partir de sédiments lacustres, d’une molécule organique fossile (miliacine) caractéristique du millet cultivé dans les Alpes françaises. Cette culture serait attestée dès le milieu du deuxième millénaire avant notre ère. Des études isotopiques associées à cette extraction moléculaire permettent d’en déduire également des variations paléoclimatiques et hydrologiques du lac.

Les discussions se sont ensuite attachées à replacer le débat actuel des effets des changements globaux, et plus particulièrement climatiques, sur les stratégies de développement des sociétés humaines. Sans pour autant adopter une vision déterministe, les échanges ont porté sur l’importance de modéliser les changements climatiques sur le temps long à partir de données primaires acquises par les équipes de recherche. Les modélisations actuelles et futures sur les scenarii d’accentuation du réchauffement climatique global de la planète, et de leurs effets notamment sur l’appauvrissement de la ressource hydrique, doivent être comparées avec les situations précédemment observées au cours des derniers millénaires. La modélisation des données paléoclimatiques, à partir des études de palynologie ou d’analyses isotopiques, croisée avec celle des dynamiques d’occupation humaine des territoires, est capable de nous renseigner efficacement sur les risques encourus par les sociétés humaines actuelles face à « l’enjeu hydrique » du XXIe siècle.

Thématique 5. L’apport des paléoenvironnements dans la compréhension des modes de subsistance

Le Néolithique et ses « révolutions » (Guilaine, 2001) ont permis à Homo sapiens d’exploiter le milieu physique dans le but de « domestiquer la nature » et d’y développer notamment l’agriculture, et cela au détriment des espaces naturels. Certains auteurs dans le domaine de la paléoclimatologie considèrent même que le début du Néolithique pourrait être associé à la phase initiale de l’Anthropocène. L’intérêt des études paléoécologiques, à l’échelle intrasite essentiellement, a tout de suite été mis en avant pour notamment identifier le type de plante cultivée et les espèces animales domestiquées. La période du Néolithique est, de fait, considérée comme une « révolution » (Guilaine, 2001) par l’amélioration des pratiques, méthodes et techniques dans le domaine agricole ; cette « révolution agricole » n’a que très peu été discutée et remise en cause d’un point de vue chronologique ou chronoculturel. Cependant, et de manière très récente, il existerait des possibilités d’antériorité de la présence, voire de la domestication, de céréales sur le pourtour du bassin méditerranéen. À ce titre, des projets financés par l’ANR ont fortement contribué à renouveler la vision qui fait coïncider l’agriculture avec le début du Néolithique. Silvana Condemi (CNRS) a détaillé les principaux résultats du projet Starch4Sapiens : une prédisposition génétique à la digestion des céréales serait présente chez Homo sapiens alors qu’elle serait absente chez d’autres Hominines. Cette avancée majeure souligne la probable ancienneté de la consommation des céréales chez les préhumains, comme peuvent en témoigner les structures amylacées retrouvées sur les restes dentaires étudiés.

Conclusions et pistes de réflexion

Parmi les réflexions lors des échanges, il convient de mentionner l’intérêt des travaux paléoenvironnementaux pour l’élaboration de référentiels environnementaux sur le temps long, dans une optique de restauration écologique et de réhabilitation des écosystèmes actuels fortement affectés par les activités humaines depuis les révolutions industrielles. La constitution d’écosystèmes de référence dans le temps représente un enjeu majeur dans le cadre de la restauration des paysages, comme l’a souligné Frédérique Chlous (MNHN), présidente du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB). Les discussions ont également mis en lumière l’importance de ces travaux tournés vers le passé afin de démontrer que l’homme a influé sur ses environnements de diverses façons et que ses actions font partie intégrante des spécificités de certains écosystèmes. À ce titre, Olivier Rousset, directeur général adjoint de l’Office national des forêts (ONF), a d’ailleurs souligné l’importance de ces travaux interdisciplinaires pour mieux appréhender la gestion des espaces forestiers où la place de l’homme est importante à définir dans la pluralité des usages, et pour également adapter les stratégies de gestion des espaces forestiers dans le contexte des changements globaux.

Parmi les principaux enseignements de ce colloque, Anne-Hélène Prieur-Richard (responsable du département Environnement, écosystèmes, ressources biologiques de l’ANR) a rappelé que l’appréhension des effets des changements globaux sur le fonctionnement des populations humaines de la planète doit s’écrire au présent et au futur mais également au passé. Le cahier thématique sur lequel s’appuie le colloque organisé le 23 mai 2023 met en lumière l’importance d’intégrer la recherche fondamentale tournée vers les interactions entre les sociétés humaines du passé et leurs environnements. L’objectif de cet évènement était de proposer une meilleure intégration des études paléoenvironnementales dans les modélisations de l’impact des activités humaines sur les environnements. Il a également favorisé les échanges entre les communautés scientifiques, habituées à mobiliser leurs méthodes et techniques sur des problématiques liées au passé, et les acteurs impliqués dans la préservation des écosystèmes et paysages, dans l’aménagement du territoire et dans la gestion des patrimoines, plus orientés vers le présent et l’avenir. Les scientifiques ont apporté des éléments de compréhension aux décideurs publics en charge de préparer la société au défi des changements paysagers d’ici à 2050, voire 2100.

Comme l’a rappelé Pierre Ouzoulias (sénateur des Hauts-de-Seine), de son point de vue de parlementaire, les travaux scientifiques menés dans le cadre de projets collectifs sont peu accessibles aux responsables politiques et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) doit être sollicité pour améliorer cette situation. Or, d’après P. Ouzoulias : « il est important de mobiliser les résultats issus de cette recherche fondamentale et, sur ce point, il faut une nation apprenante, en particulier dans la sphère politique et décisionnaire. En effet, l’Humanité va connaître dans les prochaines années et décennies des changements importants alors que depuis deux siècles, l’apport des énergies fossiles a fortement conditionné nos modes de vie. L’apport des sciences humaines et sociales est capital dans ces réflexions sur l’avenir en permettant d’analyser sur le temps long les relations humains-environnement. L’investissement dans les sciences humaines et environnementales est donc tout à fait primordial ».

Selon le député Lionel Causse, membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, il ressort que la patrimonialisation des sites archéologiques et de leurs environnements est tout à fait compatible avec les objectifs de développement et de durabilité des territoires. Par ailleurs, une meilleure intégration de l’étude de l’aléa environnemental et des risques associés (crues, submersion marine en secteur littoral, séismes, etc.) constitue également un enjeu majeur dans le cadre des schémas d’aménagement du territoire, et les résultats des études de la recherche fondamentale dans le domaine des paléoenvironnements doivent nécessairement être pris en compte dans l’élaboration des cartographies de vulnérabilité des populations et des environnements qui y sont associés.

Ce cahier de l’ANR et son colloque de restitution sont donc une première étape de synthèse des connaissances sur cette thématique et de dialogue entre les scientifiques et la société civile, que ce soit les acteurs de la sauvegarde du patrimoine, certains acteurs économiques ou les politiques en charge de préparer nos sociétés aux changements globaux. Les champs d’investigation de ce domaine de recherche sont aussi nombreux que les terrains d’étude qui restent à explorer par des équipes de recherche françaises. L’Agence nationale de la recherche continuera à encourager le développement de consortiums scientifiques interdisciplinaires afin de mieux comprendre les effets des changements globaux sur le fonctionnement sociétal actuel, en se fondant sur les expériences du passé.

Remerciements

Nous tenons à remercier la direction de la communication de l’ANR et son responsable Fabrice Imperiali pour l’organisation du colloque de restitution et l’édition du Cahier thématique no 15.

Nous remercions également les relecteurs et le comité de rédaction de NSS pour leurs conseils sur une première version de notre texte.

Références


Citation de l’article : Ghilardi M., Pateau M., Prieur-Richard A.-H., 2023. Les sociétés humaines face aux changements environnementaux : le passé pour éclairer le futur. Bilan et perspectives des recherches financées par l’Agence nationale de la recherche pour la période 2005-2022. Nat. Sci. Soc. 31, 4, 530-536.

Liste des tableaux

Tab 1

Les 5 groupes thématiques du cahier thématique (Ghilardi et Pateau, 2023) correspondant aux 5 sessions du colloque. Le regroupement des projets a été effectué en fonction de leur thématique dominante, même s’il est évident que certains aspects de ces recherches ont pu concerner un ou plusieurs groupes thématiques.

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