Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 26, Numéro 3, July-September 2018
Page(s) 257 - 269
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018042
Publié en ligne 3 décembre 2018

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

Lʼenvironnement nocturne, qui entend caractériser les systèmes humains et non humains fonctionnellement liés à la nuit et à lʼobscurité, est un bel objet interdisciplinaire mobilisant des connaissances relevant de lʼaménagement, lʼastronomie, la biologie et les sciences de la santé. Lʼauteur nous en propose une synthèse et montre comment la convergence de problématiques hétérogènes permet de constituer un objet « environnement nocturne ». Il est intéressant de voir en quoi les différentes critiques dont celui-ci est lʼobjet sont, à partir du moment où elles entrent en résonance les unes par rapport aux autres, une source dʼinitiatives locales.

La Rédaction

Lʼobjet de recherche « nuit » connaît un intérêt croissant depuis les années 2000 dans le champ des sciences de la société, et plus particulièrement dans celui de la géographie et celui de lʼaménagement des espaces urbains. Ces disciplines appréhendent la nuit urbaine au prisme des modifications spatiotemporelles et économiques engendrées par lʼéclairage urbain, outil dʼaménagement essentiellement perçu dans ses dimensions positives. Le sillon environnemental est très peu creusé par les sciences de la société : les approches de lʼéclairage urbain suivant le référentiel du développement urbain durable sont focalisées sur la question énergétique et la traitent dans ses dimensions techniques et normatives. Pourtant, des coûts socioculturels, écologiques et sanitaires mis en évidence par des champs scientifiques allant de lʼastronomie à la médecine en passant par lʼécologie, sont portés dans différentes arènes politiques par le Dark-sky movement qui dénonce la « pollution lumineuse ». À la fin des années 2000, les expériences territoriales de protection du ciel étoilé se multiplient. Elles élargissent aujourdʼhui leur champ dʼaction à « lʼenvironnement nocturne » dans sa globalité et participent de sa territorialisation : la protection de « lʼenvironnement nocturne » dans ses multiples dimensions socioculturelles, écologiques et sanitaires devient un nouveau principe dʼaménagement.

La requalification environnementale de lʼéclairage urbain fait émerger la notion floue dʼenvironnement nocturne. Nous nous en saisissons et la constituons en nouvel objet de recherche permettant dʼeffectuer la jonction entre les travaux des sciences expérimentales, du vivant et de la santé sur les effets et impacts négatifs de lʼALAN et les travaux des sciences de la société – notamment ceux de la géographie de lʼenvironnement – sur la nuit et lʼéclairage urbain. Lʼhypothèse que nous instruisons ici est donc quʼune approche interdisciplinaire forte est la condition sine qua non pour espérer dépasser les approches techniques des problèmes environnementaux afférents à la pollution lumineuse et leurs traitements, souvent fragmentés et disséminés. Dans la perspective dʼun tel décloisonnement disciplinaire, le cadre dʼanalyse socioécosystémique est pertinent. Appréhender lʼenvironnement nocturne comme un socioécosystème permet de mettre en interaction et de faire dialoguer les grands changements actuellement à lʼœuvre dans des systèmes jusquʼà présent disjoints. Changements technologiques de lʼéclairage tout dʼabord (technologie del2, gestion spatiotemporelle différenciée, réseaux « intelligents »), changements scientifiques ensuite (les savoirs sur les effets négatifs de lʼALAN et leur diffusion hors des sphères expertes) et enfin, à lʼinterface, changements territoriaux (nouveaux outils et dispositifs de territorialisation de lʼenvironnement nocturne).

Pour constituer lʼenvironnement nocturne en objet de recherche et en montrer la dimension socioécosystémique et les capacités interdisciplinaires, nous utilisons diverses sources. Tout dʼabord, nous mobilisons dans le temps long3 la littérature scientifique afin dʼen extraire les grandes approches disciplinaires de la nuit, de lʼéclairage urbain et des effets négatifs de lʼALAN. Par ailleurs, notre analyse mobilise lʼobservation – souvent participante – de moyen terme des principales arènes locales, nationales et internationales de discussion de la pollution lumineuse : milieu associatif de lʼastronomie amateur, associations environnementales, associations de professionnels de lʼéclairage et réseaux scientifiques. Parallèlement, le suivi des évolutions législatives, réglementaires et normatives nous informe sur la constitution de ce problème environnemental en problème public. Enfin, lʼimmersion dans plusieurs territoires dʼaction en matière de lutte contre la pollution lumineuse nous permet lʼobservation directe et in situ des différents processus de territorialisation de lʼenvironnement nocturne ainsi que le suivi des débats que ces derniers génèrent.

Nous présentons dans la première partie les grandes approches de la nuit et de lʼéclairage urbain par les champs de lʼaménagement, de lʼurbanisme et de lʼénergie. La deuxième partie souligne la construction dans le temps long, par les sciences expérimentales, du vivant et de la santé, de lʼéclairage artificiel nocturne comme pollution. Enfin, la troisième partie montre comment la notion dʼenvironnement nocturne permet de mieux saisir les contours et la portée des actions publiques et collectives en matière de territorialisation de la lutte contre la pollution lumineuse et constitue un champ fertile pour une approche socioécosystémique.

Les nuits urbaines et éclairées des sciences du territoire

Les approches essentiellement fonctionnalistes dʼun éclairage public héritier de « lʼéclairer plus »

Lʼéclairage urbain est un outil dʼaménagement. Son développement a indéniablement augmenté le confort et la qualité de vie dans les territoires. Pour repousser la tombée de la nuit, les sociétés déploient leurs techniques, dont lʼéclairage artificiel, et plus particulièrement celui des espaces extérieurs qui reconfigure la ville et entraîne son extension temporelle, spatiale et économique (Deleuil, 2009). Plusieurs travaux se sont penchés sur les conséquences de lʼéclairage urbain en termes de paysages et de reconfigurations sociospatiales de la ville nocturne dans le temps long (émergence du noctambulisme, « nocturnalisation » des sociétés urbaines occidentales, etc.), ainsi que sur le renouvellement des politiques urbaines nocturnes (Nye, 2015). À partir des années 1980, en Grande-Bretagne notamment, de nombreux travaux construisent le champ de la night-time economy (Lovatt et OʼConnor, 1995). Ils portent la focale sur les questions de sécurité (suivant le paradigme de la prévention situationnelle et la théorie de lʼespace défendable) et les politiques de prévention (santé, hygiène et salubrité publiques, criminalité) (Painter, 1996 ; Brands et al., 2015), souvent à partir dʼapproches par les frontières, les groupes sociaux ou les outils des ethnic studies entre géographie, sociologie, anthropologie et science politique (Hollands, 2002 ; Hobbs, 2003 ; Hadfield et al., 2009 ; Hadfield, 2014). De son côté, la recherche française aborde la nuit essentiellement sous lʼangle des politiques urbaines, plus particulièrement via la fabrique technique et sociopolitique de lʼéclairage public (Deleuil, 2009 ; Deleuil et Toussaint, 2000 ; Mosser et Devars, 2000), la question des temps, du chrono-urbanisme et des mobilités (Gwiazdzinski, 2003 ; Mallet, 2009 ; Comelli, 2015), ou encore la gestion des conflits dʼusages des espaces-temps nocturnes (Beauparlant et al., 2006 ; Pieroni, 2014). Schématiquement, la géographie, lʼurbanisme et lʼaménagement abordent la nuit de façon très partielle : en contexte urbain éclairé, et en soulignant les bénéfices de lʼéclairage artificiel compris comme outil positif dʼaménagement en termes de commodités, de sécurisation des biens et des personnes, dʼesthétique urbaine ou de marketing territorial.

La place de lʼobscurité dans les politiques dʼéclairage urbain nʼest que très récemment discutée, comme en témoignent les travaux de Tim Edensor (2015), de Josiane Meier et al., (2015), de Sylvain Bertin et Sylvain Paquette, (2015), ou encore quelques numéros thématiques de revues sur la nuit urbaine qui intègrent cette question (Van et al., 2015 ; Gwiazdzinski, 2015). Plus encore, lʼapproche environnementale de lʼéclairage urbain au-delà des aspects énergétiques, parce quʼelle nécessite dʼopérer un pas de côté par rapport au mainstream de la pensée urbanistique et aménagiste, est quasiment inexistante dans ces champs de recherche. Cʼest en 2010 quʼune première thèse de doctorat en géographie et aménagement est publiée en France sur la problématique de la pollution lumineuse (Challéat, 2010). Par la suite, dʼautres travaux empruntent cette voie (Challéat, 2011 ; Challéat et Lapostolle, 2014 ; Challéat et al., 2015a ; 2016 ; Bourgeois, 2016).

La question énergétique et lʼefficience en éclairage public : la nécessité du « consommer moins »

Au niveau mondial et selon lʼUnep (United Nations Environment Programm), lʼéclairage artificiel compte pour plus de 15 % de la consommation électrique et environ 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre4. À la même échelle et avec 4 milliards de lampes actuellement en fonction5, lʼéclairage public est un poste non négligeable de cette consommation. LʼUnion européenne connaît actuellement une phase très dynamique dʼaugmentation globale de ses émissions de lumière artificielle. Elle compte sur son territoire 90 millions de luminaires urbains ; 75 % dʼentre eux ont plus de 25 ans6 et lʼon estimait encore à 20 millions, au début des années 2010, le nombre de points lumineux extérieurs au mercure haute pression7. Pour les collectivités françaises, lʼéclairage public représente en moyenne 16 % de la consommation énergétique totale des communes, 17 % de leurs dépenses dʼénergie et 41 % de leur facture électrique8. La réponse européenne passe par la directive sur lʼécoconception9 et par la révision récente de la norme dʼéclairage EN 1320110, qui cherche désormais une plus grande efficience énergétique, et donc le chemin vers des économies budgétaires pour les territoires. Plusieurs études soulignent néanmoins le risque dʼeffet rebond11 : au Royaume-Uni, par exemple, lʼefficacité lumineuse12 a doublé au cours des cinquante dernières années quand, dans le même temps, la consommation dʼélectricité par habitant pour lʼéclairage a quadruplé (Fouquet et Pearson, 2006).

Les champs de lʼurbanisme et de lʼaménagement se penchent sur ces aspects normatifs et techniques suivant le paradigme du développement urbain durable. Ces travaux se focalisent sur lʼoptimisation des consommations, la performance des équipements, les caractéristiques (puissance, durée de vie, température de couleur, etc.) et lʼefficacité des sources lumineuses ou lʼétude des nouveaux modes de gestion de la consommation et des réseaux (Kostic et Djokic, 2009 ; Radulovic et al., 2011). La technologie del et les réseaux intelligents occupent ici le devant de la scène, aux côtés des systèmes de télésurveillance et de télégestion. Ce faisant, la dimension environnementale de lʼéclairage urbain est souvent réduite à sa portion congrue : lʼefficience énergétique13. Et si les fabricants de luminaires ont, ces dernières années, fortement travaillé le design des lanternes dʼéclairage public afin de mieux contenir le flux lumineux à lʼintérieur de la « surface utile », ils restent guidés dans cette entreprise par des préoccupations dʼéconomies énergétiques et budgétaires bien plus que par des considérations environnementales. Ainsi, à la fin des années 2000, les trois principaux outils incitatifs proposés aux collectivités pour cheminer vers « un éclairage urbain durable » – certificat dʼéconomies dʼénergie, contrat de performance énergétique et circulaire « État exemplaire » du 3 décembre 2008 –ne considèrent que la dimension énergétique de lʼéclairage urbain. Il nʼen reste pas moins que ces évolutions tracent le sentier dʼun nouveau référentiel dʼaction : « lʼéclairer juste ».

Le renouvellement de la fabrique de lʼéclairage urbain : « lʼéclairer juste »

Au début des années 2010, les technologies flexibles dʼéclairage deviennent accessibles pour les collectivités territoriales. Elles offrent de nouveaux possibles à la fabrique de lʼéclairage urbain : sources permettant la gradation de lʼintensité lumineuse, systèmes de gestion différenciée – dans lʼespace comme dans le temps – du parc dʼéclairage public dʼun territoire, ou encore technologie dʼadaptation des flux à la demande ou suivant la présence ou lʼabsence dʼusagers. Parallèlement, les difficultés budgétaires des collectivités et lʼinjonction à la transition énergétique rebattent les cartes de la fabrique sociopolitique de lʼéclairage urbain et certaines villes entament la reconversion de leur éclairage public, le réduisant ou le coupant durant certaines plages horaires. Ce nouveau référentiel dʼaction, « lʼéclairer juste14 », appelle la prise en considération des problèmes des publics par le prisme des territorialités nocturnes (Raffestin, 1988), entendues comme les pratiques et les usages quotidiens dans et de la nuit (Lapostolle et al., 2015). Cʼest à partir de leur connaissance quʼun éclairage urbain porteur des multiples dimensions économiques, sociales et environnementales du projet urbain peut être défini.

Le passage de la lumière planifiée aux territorialités nocturnes illustre le changement induit par « lʼéclairer juste » : combiner controverse sociotechnique (Challéat et Lapostolle, 2014) et territorialités apparaît comme une méthode de politique pragmatique qui laisse au bricolage toute sa place pour sortir de la confiscation cognitive (Lapostolle et al., 2016) de la fabrique de lʼespace et de son éclairage15. Cette approche bottom-up pluralise la fabrique de lʼéclairage urbain. Elle donne une voix, dans la décision, aux habitants (auxquels on demande, par des enquêtes de terrain, des observations participantes, des questionnaires, des réunions publiques plus ou moins formelles, de dire et de décrire leurs besoins et leurs usages de lʼespace durant la nuit) et intègre de plus en plus les problématiques environnementales, au-delà des seuls aspects énergétiques.

Lʼexpérimentation mise en œuvre au sein de lʼagglomération grenobloise, dans la commune de Crolles (Isère, 8 371 habitants en 2014), en atteste. Sur une période de dix mois, de février à novembre 2015, les habitants de la ville ont été entendus lors de réunions publiques, au cours desquelles ils ont pu dire leurs craintes, leurs attentes face à lʼextinction de lʼéclairage public durant certaines tranches horaires (de 1 h à 5 h). Des questionnaires sur lʼexpérimentation et des promenades nocturnes ont été réalisés pour connaître les besoins et les habitudes de la population. Les changements de comportements liés à la sécurisation des déplacements nocturnes à pied et à vélo, les conseils en matière dʼéclairage domestique sont aussi abordés lors des réunions publiques. Cette démarche a permis aux habitants de dépasser certaines représentations anxiogènes liées à lʼobscurité, autant quʼelle a diffusé des savoirs scientifiques sur la santé et lʼenvironnement16. Après cette période dʼexpérimentation et de concertation, la plage dʼextinction a évolué : lʼéclairage public est désormais éteint de 0 h 30 à 4 h 30 en semaine et de 2 h à 6 h du matin dans la nuit du samedi au dimanche17. Ce nouveau référentiel de « lʼéclairer juste » participe de la territorialisation de préoccupations émergentes construites dans le temps long : la « qualité de lʼobscurité » et la protection de « lʼenvironnement nocturne » face à lʼALAN.

La qualité de lʼobscurité face à lʼALAN, préoccupation des astronomes et des sciences du vivant

LʼALAN contre le ciel : la dégradation dʼun outil de travail et dʼun objet de loisirs

La mise en controverse de lʼALAN résulte dʼun processus amorcé par des astronomes professionnels à la fin des années 1950 aux États-Unis. On peut dater la première décision publique de protection de la qualité du ciel nocturne au 15 avril 1958, lorsque la ville de Flagstaff, en Arizona, adopte une réglementation de son éclairage public18 pour protéger lʼactivité des astronomes de lʼobservatoire Lowell (à partir duquel Pluton avait été découverte en 1930 par Clyde Tombaugh). En 1972, cʼest la ville de Tucson qui emprunte le chemin tracé par Flagstaff suite à la mobilisation des astronomes de lʼobservatoire national de Kitt Peak qui dénoncent la dégradation de lʼaccessibilité au ciel étoilé (Challéat et Lapostolle, 2014). Suite au développement massif de lʼautomobilité, de lʼétalement urbain et des faibles coûts de production de lʼélectricité qui engendrent lʼinstallation dʼun éclairage public toujours plus puissant, augmentant la taille et lʼintensité des halos lumineux au-dessus des zones urbanisées, la problématique se diffuse en Europe dans les années 1970. On trouve les premières publications scientifiques traitant de ce problème dans des revues académiques dʼastronomie. En France, lʼastronome Jean Kovalevsky questionne le développement de lʼéclairage urbain dès 1977 et fait adopter une résolution de lʼUnion astronomique internationale pour la protection des sites astronomiques (Kovalevsky, 1977). Avec son collègue François Barlier, il publie pour lʼAcadémie des sciences un Rapport du groupe de travail sur la protection des observatoires astronomiques et géophysiques (Kovalevsky et Barlier, 1984) et diffuse la problématique auprès des astronomes professionnels (Kovalevsky, 1986). Une structure associative internationale – lʼInternational Dark-Sky Association (IDA) – est créée en 1988 sous lʼimpulsion de David Crawford, astronome à lʼobservatoire de Kitt Peak, afin de porter problème et revendications au-delà du microcosme de lʼastronomie professionnelle : auprès des astronomes amateurs, mais également des gestionnaires dʼaires protégées19 et des décideurs politiques. Les bases de la controverse sociotechnique entourant lʼéclairage urbain sont posées. Celle-ci trouve aujourdʼhui encore de nombreux développements et ses contours, comme son contenu, restent mouvants (Challéat et Lapostolle, 2014).

LʼALAN contre lʼobscurité : les perturbations des fonctions écologiques de la nuit

Les effets écologiques de lʼALAN sont une préoccupation de longue date pour les sciences du vivant et lʼon en trouve trace dans les revues dès les années 1920 (Fox, 1925 ; Rowan, 1925 ; Lewis, 1927). Mais cʼest au biologiste néerlandais Frans Johan Verheijen (1956) que lʼon doit les premières études systématiques des effets et des impacts de lʼALAN sur plusieurs espèces animales. Il démontre notamment que la lumière artificielle peut constituer un piège pour de nombreux insectes, poissons et oiseaux (Verheijen, 1960). Durant les années 1970 et 1980, il confirme ces premiers résultats (Verheijen, 1981) et propose, en 1985, de nommer photopollution ces effets et impacts négatifs de lʼéclairage artificiel nocturne sur la faune (Verheijen, 1985). Si nommer un problème ne suffit pas à le constituer en champ de recherche, cela y contribue : les années 1980 et 1990 seront les décennies durant lesquelles cette thématique sʼaffirmera – sous le terme plus générique de light pollution – dans les sciences du vivant.

Il est aujourdʼhui établi que lʼALAN modifie profondément lʼalternance naturelle jour/nuit en érodant lʼobscurité dans lʼespace (mitage, fractionnement) comme dans le temps (raccourcissement, voire disparition des périodes dʼobscurité), mais également dans différentes longueurs dʼonde. Une grande variété dʼeffets et dʼimpacts de lʼALAN sont aujourdʼhui identifiés et documentés. Ils dérivent de perturbations dues à un environnement altéré par le niveau de lumière artificielle ou encore de mécanismes dʼattraction, fixation ou répulsion dans lesquels les sources lumineuses elles-mêmes sont directement en cause. En aval, ce sont les comportements de prédation, de reproduction, de migration et de communication au sein de nombreuses populations qui sʼen trouvent perturbés. Lʼévolution de ces comportements influence les communautés par lʼintermédiaire des interactions entre espèces, notamment la compétition et la prédation. Par suite dʼinteractions inter et intraspécifiques, la structure dʼune communauté peut être modifiée. Des impacts sont ainsi relevés sur des espèces nʼétant pas directement soumises aux effets de la lumière artificielle, comme la perte dʼune ressource pour un prédateur spécialisé ou la disparition en un lieu dʼinsectes pollinisateurs menaçant la diversité floristique. On trouvera dans lʼouvrage de référence de Rich et Longcore (2006), Ecological consequences of artificial night lighting, le détail de ces différents travaux, et chez Gaston et al., 2012, 2013, 2015, une revue plus récente des recherches en la matière. Lʼensemble de ces recherches amène Hölker et al., (2010) à ériger la pollution lumineuse en « menace globale pour la biodiversité ».

LʼALAN contre les rythmes naturels : un facteur de risques sanitaires environnementaux

La « théorie de la lumière artificielle nocturne » (light-at-night theory) voit le jour en 1987 sous la plume de Richard Stevens, épidémiologiste à lʼUniversité du Connecticut. Dans un article intitulé « Electric power use and breast cancer: a hypothesis », paru dans lʼAmerican Journal of Epidemiology, il émet lʼhypothèse que lʼALAN pourrait favoriser le développement du cancer du sein (Stevens, 1987). Partant, il entend expliquer en partie la croissance de ce risque à lʼéchelle internationale ainsi que certaines variations dans sa distribution spatiale. Les processus physiologiques justifiant, dans cette publication, les relations causales entre lʼALAN et cancer du sein nʼont pas tous été validés par les études plus approfondies qui ont suivi. Mais cette étude a néanmoins permis de mettre en lumière le rôle majeur de lʼalternance lumière/obscurité dans la rythmicité circadienne de sécrétion de la mélatonine. Incidemment, elle a contribué à fonder un champ de recherche novateur et particulièrement fertile depuis le début des années 2000 : celui des impacts sanitaires de lʼALAN.

Il est aujourdʼhui établi que lʼALAN affecte la santé humaine par le dérèglement du rythme nycthéméral20, de lʼalternance naturelle dʼun jour et dʼune nuit, alternance correspondant à un cycle biologique de 24 heures. Pour lʼêtre humain comme pour la plupart des espèces complexes, cette rythmicité jour/nuit est liée aux phases de veille et de sommeil, et lʼalternance naturelle lumière/obscurité est le premier « donneur de temps » pour lʼhorloge interne de lʼhomme. Une exposition à la lumière durant la nuit occasionne des troubles du nycthémère et peut participer dʼun dérèglement de la sécrétion de la mélatonine (hormone chronobiotique dont la sécrétion déclenche à sa suite de nombreux processus tels que la régulation des cycles veille/sommeil, de la sécrétion du cortisol, de la température corporelle, du système immunitaire, de la pression sanguine, ou encore des métabolismes cellulaire et osseux). Parallèlement, les chercheurs montrent des effets non négligeables de la mélatonine sur la vitesse dʼapparition et de développement de certains cancers. Les publications sur ces différentes questions sont nombreuses. On trouve chez Schernhammer et Schulmeister (2004), Megdal et al. (2005), Reiter et al. (2007), Navara et Nelson (2007) et dans les travaux récents de Stevens (2009 ; 2011) des synthèses et des évaluations détaillées des recherches actuelles en la matière.

Lʼenvironnement nocturne : lʼavènement dʼune notion socioécosystémique

Lʼinstitutionnalisation de lʼenvironnement nocturne : des nuisances lumineuses aux paysages nocturnes

La mise en évidence des coûts écologiques et sanitaires de lʼALAN enrichit lʼ« éclairer juste » des enjeux de la protection de lʼenvironnement nocturne. En 2007 en France, lʼAssociation nationale pour la protection du ciel et de lʼenvironnement nocturne (ANPCEN) arrive, par lʼintermédiaire de lʼassociation France nature environnement (FNE), à porter la pollution lumineuse jusquʼà la table des négociations du Grenelle de lʼenvironnement. Lʼarticle 36 du projet de loi Grenelle I de 2008 dispose : « Les émissions de lumière artificielle de nature à présenter des dangers ou à causer un trouble excessif aux personnes, à la faune, à la flore ou aux écosystèmes, entraînant un gaspillage énergétique ou empêchant lʼobservation du ciel nocturne feront lʼobjet de mesures de prévention, de suppression ou de limitation ». Le 29 juin 2010, la Chambre basse adopte le projet de loi portant engagement national pour lʼenvironnement, loi dite « Grenelle II » : lʼarticle 173 inscrit la prévention de la pollution lumineuse dans le Code de lʼenvironnement. Le décret du 12 juillet 201121 crée dans la partie réglementaire un chapitre spécifique à la pollution lumineuse, qui définit les installations concernées et le zonage permettant dʼadapter les exigences aux enjeux spécifiques des espaces (agglomération, espaces naturels, sites astronomiques).

Le 17 août 2015, le problème de la pollution lumineuse est inscrit dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte22. Son traitement est adossé au plan climat-air-énergie territorial (PCAet) que les territoires – par lʼintermédiaire des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ou par celui de lʼétablissement public chargé du schéma de cohérence territoriale (Scot) pour les territoires regroupés au sein dʼun Scot – doivent mettre en œuvre. Là encore, cʼest le Code de lʼenvironnement qui se trouve modifié. Son article L229-2623 dispose désormais que « Lorsque cet établissement public exerce la compétence en matière dʼéclairage […] ce programme dʼactions [le PCAET] comporte un volet spécifique à la maîtrise de la consommation énergétique de lʼéclairage public et de ses nuisances lumineuses. »

Le 8 août 2016, une troisième grande étape de reconnaissance institutionnelle de lʼenvironnement nocturne est franchie. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages24 entérine la dimension environnementale de la problématique de la pollution lumineuse en inscrivant explicitement la notion dʼenvironnement nocturne dans le Code de lʼenvironnement. Lʼarticle L110-2 dudit Code dispose ainsi désormais quʼ« Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de lʼenvironnement, y compris nocturne. » Par ailleurs, une notion nouvelle fait son apparition, revendiquée de longue date par les astronomes25 : les « paysages nocturnes26 ». Lʼarticle L110-1 du Code de lʼenvironnement est désormais ainsi formulé : « Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de lʼair, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs dʼusage. »

Trois dispositifs légaux apparaissent donc en une dizaine dʼannées, qui établissent un nouveau principe directeur de lʼaménagement en liant transition énergétique et protection de la biodiversité27. Cette liaison sʼopérationnalise dans les dispositifs de territorialisation de lʼenvironnement nocturne.

La territorialisation de lʼenvironnement nocturne : valorisation, protection, labellisation

La territorialisation de lʼenvironnement nocturne – que nous définissons comme lʼ« […] établissement de zonages, de règles nouvelles, dʼaires de protection qui entraînent une requalification de lʼespace […]28 » – se décline dans différentes modalités de lʼaction publique. Pour les unes, lʼenvironnement nocturne est un objet dʼactivités récréatives prenant comme support la nuit « naturelle » et comme objets les phénomènes et les transformations de lʼenvironnement qui lui sont liés (ciel étoilé, phénomènes célestes, bruits de la faune nocturne, etc.). Plusieurs territoires ruraux se saisissent actuellement de cet engouement pour lʼenvironnement nocturne et lʼérigent en ressource territoriale, notamment par des stratégies de développement (éco)touristique (Lapostolle et al., 2015). Pour les autres, il sʼagit de diffuser cette préoccupation par des labels englobants qui établissent des règles nouvelles. Cʼest le cas du concours « Villes et villages étoilés29 » qui fixe de nombreuses cibles :

« la promotion et la mise en œuvre, par les communes qui concourent, dʼun éclairage extérieur visant à prévenir, limiter et supprimer les nuisances lumineuses et notamment soucieux des impacts sur la biodiversité et les paysages nocturnes, sur le sommeil et la santé des habitants, des économies dʼénergies, de la limitation des gaz à effet de serre induits, de lʼéco-conception et du recyclage des matériels utilisés, ainsi que de la capacité dʼobservation du ciel nocturne pour les générations actuelles et à venir30 ».

Avec 570 communes ainsi primées depuis 2009, ce label diffuse la problématique des pollutions lumineuses ainsi que de « bonnes pratiques » en matière dʼéclairage. Sa portée reste cependant très limitée et son mode dʼaction tient plus de la dissémination spatiale tous azimuts des marqueurs territoriaux du label (panneaux aux entrées dʼagglomérations) que dʼune réelle cohérence en termes de protection territorialisée de lʼenvironnement nocturne.

Bien plus fortement, la territorialisation de lʼenvironnement nocturne se lit dans une dernière modalité dʼaction : la mise en protection du ciel étoilé grâce à de nouveaux zonages construits sur la logique classique centre-périphérie. La dynamique de développement de « réserves de ciel étoilé » (Charlier et Bourgeois, 2013 ; Bénos et al., 2016) dans les espaces nord-américain et européen constitue le marqueur le plus prégnant de ce processus. Initié en 1993 aux États-Unis avec la création de la réserve de ciel étoilé du lac Hudson (Michigan), ce nʼest quʼà la fin des années 2000 quʼil prend véritablement son essor. Il se base sur une logique de labellisation de qualité environnementale territoriale portée par différentes associations issues du Dark-sky movement, comme la Royal Astronomical Society of Canada (RASC) et lʼIDA. Plus de 100 territoires sont, à lʼheure actuelle et à lʼéchelle mondiale, labellisés par lʼIDA suivant lʼintensité des mesures de protection prises par les collectivités locales31. Ces zonages de protection du ciel étoilé ont initialement permis la valorisation de hauts lieux de lʼobservation astronomique et sont aujourdʼhui recherchés par les aires protégées « classiques » qui élargissent ainsi la portée de leurs mesures de protection au ciel étoilé.

En décembre 2013, la réserve internationale de ciel étoilé (RICE) du pic du Midi est labellisée par lʼIDA. Ce label reconnaît à la fois la qualité exceptionnelle du ciel étoilé haut-pyrénéen et le projet de territoire pour le préserver et le valoriser. Le référentiel de la transition énergétique a joué un rôle prépondérant dans lʼappropriation de cette démarche par les élus locaux, en sus de la dimension touristique fortement présente (Bénos et al., 2016). Mais au-delà, la RICE du pic du Midi adjoint aujourdʼhui à la protection du ciel étoilé la protection de la biodiversité. Elle tente, avec lʼaide du parc national des Pyrénées, de territorialiser une « trame noire32 » (Challéat, 2010 ; Sordello, 2017b). Il sʼagit ici de définir et de restaurer les réservoirs de biodiversité et les continuités écologiques nocturnes afin dʼendiguer la fragmentation des habitats (Jongman, 2002) et lʼimperméabilisation écologique des espaces par lʼALAN (Sordello, 2017a). En appui sur le cadre de travail du réseau écologique (Boitani et al., 2007), la logique réticulaire de la trame noire vise donc une plus grande intégration des dynamiques temporelles des processus écologiques dans la planification de la conservation de la biodiversité, ainsi quʼun approfondissement et une extension de la lutte contre la pollution lumineuse en direction de la biodiversité ordinaire et au sein des espaces ordinaires, ruraux comme urbains (Fig. 1).

La ville de Lille travaille ainsi à la restauration des continuités écologiques nocturnes et souhaite expérimenter une trame noire dans le parc de la Citadelle et le long du Canal de la Deûle33. De son côté, la ville de Rennes a inscrit la trame noire dans le cahier des charges de son nouveau schéma directeur dʼaménagement lumière (SDAL34) : certains espaces sont volontairement laissés dans lʼobscurité. La trame marque ainsi une rupture avec la protection zonée classique, souvent réservée aux espaces abritant une « nature remarquable » : la logique réticulaire permet la diffusion spatiale de la protection de la biodiversité. Les évolutions de la lutte contre la pollution lumineuse illustrent particulièrement bien ces changements : en liant biodiversité et transition énergétique, la territorialisation de lʼenvironnement nocturne donne à voir de nouveaux principes dʼaménagement de lʼespace.

thumbnail Fig. 1 La « trame noire », un outil dʼaménagement pour lutter contre la fragmentation des habitats par la lumière artificielle (réalisation : S. Challéat).

Simulation dʼune politique de réduction globale des intensités de lʼALAN (diminution du halo lumineux) et, localement, de restauration des continuités écologiques nocturnes. Une « trame noire » permet de lutter contre la fragmentation des habitats par lʼALAN via une réduction du mitage des espaces (a), lʼidentification et la protection de réservoirs de biodiversité nocturne (b), la restauration de continuités écologiques (f) et de corridors noirs (c + d), ou encore lʼaugmentation de la perméabilité écologique entre espaces urbains et ruraux (e).

Lʼenvironnement nocturne, champ fertile pour lʼapproche socioécosystémique

Lʼenvironnement nocturne est aujourdʼhui transcrit dans des projets de territoire. Ce processus participe dʼun « transfert de lʼécologie à lʼaménagement du territoire, qui sʼaccompagne dʼune interprétation qui met en valeur de nouvelles priorités » (Franchomme et al., 2013). La réduction de la pression lumineuse sur lʼenvironnement pour protéger la biodiversité nocturne et préserver les services écosystémiques (quʼils soient culturels, de régulation ou de support [Gallaway, 2015 ; Lyytimäki, 2013]) liés à lʼobscurité est une de ces nouvelles priorités. Cette déclinaison spatiale des problèmes environnementaux signe un profond changement de paradigme qui remodèle nos cadres de pensée et dʼanalyse des relations hommes/milieux. La complexité a permis de penser les dimensions systémiques et interactionnelles entre éconosphère et biosphère, sociosystèmes et écosystèmes. Mais plus encore, plusieurs travaux (Latour, 2015 ; Descola, 2005 ; Serres, 1990) participent de la déconstruction de ces divisions. Le cadre de travail interdisciplinaire que pose Ostrom (2009) autour des social-ecological systems traduit la volonté de mieux intégrer les dynamiques dʼinteraction entre système écologique et système social. Il permet de résoudre en grande partie le schisme actuellement existant – par exemple autour de la notion dʼenvironnement – entre approches par les sciences de la société et approches par les sciences biophysiques (Janssen et al., 2011).

La construction et la légitimation scientifique, sociale et territoriale de la pollution lumineuse révèlent que lʼALAN nʼest pas que bénéfices mais également objet de dommages, et de plus en plus fréquemment perçu comme tel. La notion dʼenvironnement nocturne – qui entend dépasser le seul problème de la pollution lumineuse – nécessite de mieux connaître les perceptions et les usages de la lumière et de lʼobscurité. Autrement dit, il sʼagit de provoquer le débat sur ce qui justifie la protection de lʼenvironnement nocturne et sur les modalités de sa mise en œuvre. Ces réflexions sont fortement liées à la connaissance produite par les sciences du vivant et de la santé quant aux dommages infligés à la « ressource obscurité ». Elles ne peuvent cependant pas être menées sur la seule base de grandeurs physiques traduites en indicateurs « extériorisés », hors-sol et hors individus et doivent donc composer avec les approches et les résultats des sciences de la société, car « à chaque fois quʼil y a délimitation, classification et quantification du vivant, une vision du monde sʼexprime et des valeurs particulières sont mobilisées » (Devictor, 2015, p. 110).

Conclusion

Considéré quasi exclusivement en termes de bénéfices par les champs de lʼurbanisme et de lʼaménagement, lʼéclairage artificiel nocturne est aujourdʼhui requalifié en nuisance, voire en pollution35. Cette requalification environnementale fait suite à lʼémergence des savoirs développés par les sciences expérimentales, et plus particulièrement les sciences du vivant et de la santé. La mise en évidence des coûts écologiques et sanitaires de cet outil dʼaménagement enrichit lʼ« éclairer juste » des enjeux de la protection de lʼenvironnement nocturne (Fig. 2). Les différentes reconnaissances législatives des enjeux de la pollution lumineuse légitiment de nouvelles expériences de territorialisation de lʼenvironnement nocturne, entre processus de protection, de valorisation et de labellisation. De nouveaux outils à destination des décideurs territoriaux et plus particulièrement des praticiens de la conservation font leur apparition : la protection de lʼenvironnement nocturne devient un nouveau principe dʼaménagement du territoire. Suivant le modèle taches-corridors-matrice, les réserves internationales de ciel étoilé et autres zonages initialement fondés sur les besoins des astronomes peuvent être considérés comme les réservoirs de biodiversité nocturne dʼune « macro trame noire ». À une échelle plus fine, cette trame noire permet de diffuser la protection de lʼenvironnement nocturne jusque dans les espaces ordinaires, urbains compris.

Ces transcriptions territoriales de la protection de lʼenvironnement nocturne ne sont pour autant pas stabilisées et il convient certes de les observer, mais également de les alimenter de façon réflexive afin quʼelles ne soient pas construites hors-sol et hors individus usagers des espaces-temps nocturnes. Les dimensions sociales et environnementales sont trop souvent disjointes dans les décisions individuelles comme dans les politiques publiques, et lʼappréhension des impacts environnementaux sous forme de grandeurs physiques et non dʼeffets sur les individus accentue cette dissociation. La démocratie territoriale est donc lʼun des enjeux majeurs de la protection de lʼenvironnement nocturne comme nouveau principe directeur de lʼaménagement. Comme le soulignent Mathevet et al., (2012), « […] les décisions doivent être prises au niveau dʼorganisation où celles-ci génèrent leurs conséquences. Ceci implique la nécessité dʼinformer les acteurs et de les responsabiliser en les associant à la gestion du patrimoine naturel […] ». En ce sens, lʼobjet de recherche « environnement nocturne » a grand besoin dʼêtre étudié dans une approche réellement interdisciplinaire et pluriactorielle, suivant le cadre dʼanalyse des socioécosystèmes.

thumbnail Fig. 2 Lʼenvironnement nocturne ou la construction dʼun nouvel objet de recherche (réalisation : S. Challéat).

Lʼenvironnement nocturne résulte ainsi de la requalification environnementale de lʼéclairage urbain suite aux travaux des astronomes, des écologues et des médecins, et trouve une transcription dans le référentiel dʼaction de « lʼéclairer juste ». Comme nouvel objet de recherche, il opère la jonction entre approches urbanistiques de lʼéclairage et approches par les sciences du vivant.

Remerciements

Je tiens à remercier lʼensemble des membres du collectif Renoir pour les discussions et les échanges ayant permis dʼalimenter, depuis 2013, les réflexions exposées dans cet article : Clémentine Azam, Rémi Bénos, Nicolas Bourgeois, Pierre-Olivier Dupuy, Frédérique Girard, Dany Lapostolle, Johan Milian et Thomas Poméon. Je remercie mes collègues Christelle Hinnewinckel et Magalie Franchomme (Université Lille 1, EA4477 TVES) de mʼavoir permis une observation participante au sein du programme Tramenoire (appel à projets de recherche Biodiversité 2014, région Nord-Pas-de-Calais). Je remercie également les structures territoriales mʼayant associé à leurs démarches de territorialisation de lʼenvironnement nocturne : la RICE du pic du Midi, le parc national des Pyrénées, le parc national des Cévennes, le parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises et le parc naturel régional des Baronnies provençales. Enfin, je remercie lʼensemble des acteurs socioprofessionnels rencontrés au fil des entretiens et des déplacements sur mes terrains de recherche depuis 2006.

Références


1

Lʼacronyme ALAN est utilisé dans cet article par souci de cohérence avec la bibliographie internationale, notamment en sciences expérimentales, sciences de la vie et sciences de la santé.

2

Pour diode électroluminescente, ou led (light-emitting diode) en anglais.

3

Cet article prolonge un travail de doctorat de géographie initié en 2006 et soutenu en 2010 à lʼUniversité de Bourgogne (Challéat, 2010). Il lʼenrichit dʼune analyse des évolutions législatives et des expériences récentes de territorialisation de lʼenvironnement nocturne menées par plusieurs territoires, quʼils soient urbains, périurbains ou ruraux.

5

afe-eclairage.fr, 2017. Lʼéclairage en chiffres, www.afe-eclairage.fr/afe/l-eclairage-en-chiffres-26.html.

6

Ibid.

7

Memorandum of understanding for the implementation of a European concerted research action designated as COST Action ES1204: Loss of the Night Network (Lonne) : https://e-services.cost.eu/files/domain_files/ESSEM/Action_ES1204/mou/ES1204-e.pdf.

8

Afe-eclairage.fr, 2017, op. cit.

9

Directive 2009/125/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation dʼexigences en matière dʼécoconception applicables aux produits liés à lʼénergie, Journal officiel de lʼUnion européenne, 31 octobre 2009, L 285/10.

11

Il y a en effet un risque dʼaugmentation des émissions de lumière artificielle et de la consommation énergétique suite à lʼintroduction sur le marché de technologies dʼéclairage plus efficaces.

12

Lʼefficacité lumineuse dʼune source est le rapport entre le flux lumineux émis par cette source lumineuse et la puissance absorbée par la source.

13

Dans un système physique, lʼefficience énergétique est atteinte lorsque la consommation est minimisée pour un service donné. Dans le cas de lʼéclairage artificiel, tout éclairage en dehors de la « surface utile » (le service à rendre) va à lʼencontre de la minimisation de la consommation, faisant ainsi diminuer lʼefficience énergétique de lʼinstallation et ce, même si lʼefficacité lumineuse de la source est optimale.

14

« Éclairer juste » est la formulation, par lʼAdeme (Agence de lʼenvironnement et de la maîtrise de lʼénergie), des volontés dʼévolutions économiques, sociales et aujourdʼhui environnementales du design de lʼéclairage urbain. Voir www.ademe.fr/eclairer-juste.

15

La « confiscation cognitive » se rencontre dans les démarches expertes, techniques et standardisées dʼun urbanisme de plan qui, par la pratique du zonage fonctionnaliste, cible davantage les territoires que les populations et leurs diversités dʼusages. Sortir de la confiscation cognitive de la fabrique de lʼespace, cʼest porter attention, accorder une valeur et donner une voix à lʼensemble des usagers –  humains et non humains –, par exemple dans les projets dʼéclairage (Challéat et Lapostolle, 2017).

16

Une vidéo mettant en avant les divers points de vue des usagers a été réalisée par la commune dans le cadre de ce projet dʼaménagement, www.youtube.com/watch?v=D-rVzyovio8.

17

Comptes rendus des réunions publiques et résultats des enquêtes sont disponibles via le site de la ville de Crolles : www.ville-crolles.fr/vues/pages/la-mairie/grands-projets-eclairage-public.php.

18

« At its April 15, 1958 Council Meeting, the Mayor and Common Council of Flagstaff adopted Ordinance No. 440, an ordinance prohibiting the use of “any incandescent and arc-type search light, beacon light or similar lighting device designed to and capable of projecting a beam of light into the sky for a distance of one half (1/2) mile”. », http://flagstaff.az.gov/DocumentCenter/Home/View/15881.

19

Dès 1993, le National Park Service (NPS) reconnaît ainsi le ciel nocturne comme ressource à protéger et à surveiller : « Non-biological natural resources, such as geological, paleontological and Quaternary resources are important natural resources of the parks, as are air quality, night sky and natural quiet. », www.nps.gov/cany/learn/nature/upload/NightSky2003.pdf. La Natural Sounds and Night Skies Division sera par la suite créée au sein du NPS, www.nps.gov/orgs/1050/index.htm; elle abrite la NPS National Night Sky Monitoring Team.

20

Rythme fonctionnel pour les espèces suivant la variation de luminosité du jour et de la nuit. Le rythme nycthéméral se différencie du rythme circadien par le fait quʼil est géré par lʼintensité de la lumière.

21

Décret no 2011-831 du 12 juillet 2011 relatif à la prévention et à la limitation des nuisances lumineuses, Journal officiel, 13 juillet 2011, 0161, www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000024357936&dateTexte=&categorieLien=id.

22

Loi no 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, Journal officiel, 18 août 2015, 0189, www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031044385&categorieLien=id.

24

Loi no 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Journal officiel, 9 août, 0184, www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/8/8/DEVL1400720L/jo#JORFSCTA000033016238.

25

Plus précisément, si la notion de « paysages nocturnes » nʼest mobilisée que depuis peu par les associations de défense de lʼenvironnement nocturne, le milieu de lʼastronomie amateur opère de façon croissante, depuis les années 1980, un empaysagement de la nuit (Bénos et Challéat, 2014) qui peut être lu suivant le cadre dʼanalyse de lʼextinction de lʼexpérience de nature (Miller, 2005 ; Fleury et Prévot, 2017). Voir, par exemple, le dernier paragraphe de « La pollution lumineuse du ciel nocturne » article publié en 1982 dans le no 187 de la revue Ciel et Espace, https://renoir.hypotheses.org/files/2017/10/Ciel-et-Espace-n%C2%B0-187-mai-juin-1982-Ren%C3%A9-Verseau-La-pollution-lumineuse-du-ciel-nocturne.pdf.

26

Il est à noter que, suite aux évolutions numériques de la photographie (sensibilité des capteurs et montages en « time-lapse » notamment), les paysages nocturnes magnifiés sont de plus en plus présents dans lʼiconographie contemporaine de la wilderness et accompagnent les stratégies marketing de certains territoires (montagnes, déserts, territoires nordiques, etc.) (Challéat et al., 2015b).

27

Un nouvel arrêté visant à réduire significativement la pollution lumineuse est par ailleurs en cours de préparation. Il prévoit notamment de rendre obligatoire pour les collectivités la mise en place dʼun plan lumière comportant un volet visant à quantifier et à limiter lʼimpact de lʼéclairage public sur la biodiversité.

28

Raphaël Mathevet (2012, p. 35) définit ainsi la « territorialisation de la biodiversité ». Nous reprenons à notre compte et en partie sa définition, et lʼappliquons à lʼenvironnement nocturne.

29

Concours « labellisant », organisé par lʼANPCEN en partenariat avec le ministère de lʼÉcologie, les parcs nationaux de France, la Fédération des parcs naturels régionaux de France et la Ligue de protection des oiseaux.

30

Extrait du règlement à consulter sur le site de lʼANPCEN, www.anpcen.fr/docs/20170113115622_l4r3p2_doc198.pdf.

31

LʼIDA décerne les labels suivants, dans lʼordre décroissant dʼintensité des mesures de protection exigées pour leur obtention : International dark sky sanctuaries, International dark sky reserves, International dark sky parks, International dark sky communities, Urban night sky places et Dark sky developments of distinction, http://darksky.org/idsp/.

32

Un débat sémantique existe autour de la dénomination « trame noire », et dʼautres termes comme « trame sombre » (terme utilisé par le parc national des Pyrénées) ou encore « trame étoilée » (terme promotionnel utilisé par lʼANPCEN dans le cadre du concours « Villes et villages étoilés ») existent actuellement pour désigner peu ou prou cette notion. Cʼest par souci de cohérence avec le code couleurs de la TVB dont elle sʼinspire que nous utilisons « trame noire » comme unique dénomination.

34

Le SDAL de Rennes est réalisé par lʼagence Concepto : « Dans cette étude, la forme urbaine de Rennes a été un terrain particulièrement propice à lʼélaboration de principes permettant dʼapporter de lʼobscurité en ville et de moduler lʼéclairage selon les besoins et les pratiques nocturnes. La pierre angulaire du schéma directeur dʼaménagement lumière a donc été la réalisation dʼune trame noire, venant compléter les trames verte et bleue rennaises. », www.concepto.fr/portfolio_page/schema-directeur-damenagement-lumiere-rennes-france/.

35

Concernant la distinction théorique que nous établissons entre nuisance lumineuse et pollution lumineuse, voir Challéat, 2011 (p. 190-191). Mais au-delà des définitions et des travaux scientifiques – qui aujourdʼhui valident lʼusage du terme pollution lumineuse – cette distinction recouvre des enjeux politiques : le choix des termes nʼest pas neutre et détermine lʼétendue de la controverse sociotechnique entourant lʼALAN. Voir à ce propos Challéat et Lapostolle, 2014 (p. 318).

Citation de l’article : Challéat S., 2018. Le socioécosystème environnement nocturne : un objet de recherche interdisciplinaire. Nat. Sci. Soc. 26, 3, 257-269.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1 La « trame noire », un outil dʼaménagement pour lutter contre la fragmentation des habitats par la lumière artificielle (réalisation : S. Challéat).

Simulation dʼune politique de réduction globale des intensités de lʼALAN (diminution du halo lumineux) et, localement, de restauration des continuités écologiques nocturnes. Une « trame noire » permet de lutter contre la fragmentation des habitats par lʼALAN via une réduction du mitage des espaces (a), lʼidentification et la protection de réservoirs de biodiversité nocturne (b), la restauration de continuités écologiques (f) et de corridors noirs (c + d), ou encore lʼaugmentation de la perméabilité écologique entre espaces urbains et ruraux (e).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2 Lʼenvironnement nocturne ou la construction dʼun nouvel objet de recherche (réalisation : S. Challéat).

Lʼenvironnement nocturne résulte ainsi de la requalification environnementale de lʼéclairage urbain suite aux travaux des astronomes, des écologues et des médecins, et trouve une transcription dans le référentiel dʼaction de « lʼéclairer juste ». Comme nouvel objet de recherche, il opère la jonction entre approches urbanistiques de lʼéclairage et approches par les sciences du vivant.

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