Open Access
Numéro
Nat. Sci. Soc.
Volume 26, Numéro 2, April-June 2018
Dossier « La fabrique de la compensation écologique : controverses et pratiques »
Page(s) 203 - 214
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018030
Publié en ligne 31 août 2018

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

« Ainsi nous ne voyons jamais le véritable état de notre position avant qu’il n’ait été rendu évident par des fortunes contraires, et nous n’apprécions nos jouissances qu’après que nous les avons perdues. » (Daniel Defoe, Robinson Crusoë)

L’importation des méthodes de la sphère privée, regroupées sous la notion de New Public Management (NPM) [Hood, 1995], au sein de l’action publique depuis les années 1960 a promu la « culture du résultat » (Dreyfus, 2010) comme nouvel objectif de l’action publique via la diffusion de la performance (Salais, 2010 ; Jany-Catrice, 2012). Cette volonté se traduit par une mobilisation des instruments de pilotage économique, de l’évaluation (Lacouette-Fougère et Lascoumes, 2013) et la diffusion des principes de la concurrence au sein de l’action publique à des fins de rationalisation, d’efficacité et d’efficience (Dardot et Laval, 2009). Dans ce cadre, l’action publique voit sa demande en prestations de « conseils extérieurs » s’accroître (Cour des comptes, 2015), la concurrence du marché du conseil privé étant présumée sélectionner les opérateurs les plus aptes à développer les réponses performantes et ainsi assurer le « résultat » de la collaboration public / privé dans tous les secteurs de l’action publique. Comme l’explique Françoise Dreyfus (2010, p. 14) : « Le New Public Management préconise diverses solutions de nature à limiter l’emprise des fonctionnaires dans la mise en œuvre des politiques publiques ; celle-ci peut être effectuée par des opérateurs privés par voie contractuelle (contracting out) ou encore, sous certaines conditions, par le biais de partenariats public-privé. »

Or, ce recours aux cabinets de conseil comme acteurs des politiques publiques n’est pas sans conséquences dans la définition des dispositifs mobilisés lors de la mise en œuvre de l’action publique dans les secteurs de la santé (Belorgey, 2010), de la participation des habitants (Mazeaud et al., 2016) ou encore des politiques de biodiversité (Granjou, 2013).

Nous proposons ici d’étudier la traduction, telle qu’elle est en train de se faire, d’un instrument à travers l’étude de la compensation écologique1. Par « traduction », nous entendons la transposition des éléments du cadre cognitif d’une notion en principes normatifs, techniques et logiques ayant vocation à appréhender le réel pour l’évaluer et/ou agir sur ce dernier de manière pratique et mesurable (Lascoumes, 1996 ; Villalba, 2009a). En d’autres termes, la traduction consiste à faire passer une notion théorique en instrument de l’action en le dotant des valeurs référentes à son cadre cognitif.

Cette traduction est éminemment politique, en ce qu’elle marque une volonté de rupture avec l’existant et/ou peut être complétée par l’entrée de nouveaux acteurs dans la conduite de l’action publique (Lascoumes et Le Galès, 2005, p. 358). En conséquence, si les notions « émergent, se diffusent » et sont « traduites » (Villalba, 2009b), il apparaît que les consultants jouent un rôle conséquent dans la traduction. Ces acteurs, experts professionnels, participent à la définition du problème public en proposant un cadrage cognitif et normatif diffusant une vision particulière du problème et de ses solutions. En conséquence, au-delà de la définition d’une offre de service commercialisable en réponse à la commande publique, il s’opère également lors de l’étape de traduction la constitution d’une réalité ainsi que d’un monopole du savoir légitime et de sa déclinaison opérationnelle (Bezes et Musselin, 2015).

Nous nous intéressons à la notion de compensation telle qu’elle a été définie dans la doctrine « éviter, réduire, compenser » (ERC) fixée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016. Comme le développe le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer (Müller et al., 2017, p. 1), « la séquence éviter, réduire, compenser a pour objectifs d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et, si possible, de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits ». Nous verrons que devant la pluralité de possibilités normatives de compensation – compensation par l’offre ou par la demande, compensation des services écosystémiques, compensation des fonctionnalités écologiques, etc. –, l’action publique a recours aux cabinets de conseil spécialisés en ingénierie écologique pour définir sa réponse normative et arbitrer entre les instruments proposés. Ce recours à l’expertise extérieure n’est toutefois pas sans conséquences quant au cadrage (Gilbert et Henry, 2009) des politiques publiques de compensation et plus généralement de biodiversité et de fait quant à la définition politique de la diversité du vivant.

L’organisation du marché du conseil en matière de compensation s’organise ainsi autour de cabinets privés (Encadré 1) proposant une expertise en ingénierie écologique et devant manœuvrer avec la notion de compensation pour définir une offre susceptible d’être en adéquation avec les attentes de la commande publique. Or, toute entreprise de traduction normative est simplificatrice (Campana et al., 2007). Au-delà des nombreux biais techniques déjà soulevés (Maris, 2014), les instruments de valorisation de la biodiversité véhiculent une conception réductrice des principes de la compensation autour des seuls éléments appréhendables par l’action publique, circonscrivant bien souvent le débat et les arbitrages politiques autour des éléments supposés être les plus éclairants : les arguments techniques.

Typologie des cabinets de conseil de la compensation écologique

1. Le prestataire à statut unipersonnel ou de moins de trois salariés. Ces petites structures sont assez peu présentes sur le marché comme porteuses directes d’évaluation écologiques, mais elles se retrouvent ponctuellement dans des dossiers de réponse aux marchés publics dans le cas de groupement ou de sous-traitance exercée par des cabinets plus importants économiquement.

2. La petite structure salariant trois à dix personnes. Comme pour les prestataires précédents, ces petites structures travaillent plutôt de manière indirecte avec la commande publique. Elles vont être mobilisées par des cabinets de taille plus importante en fonction des missions à exercer et de la demande du client. Elles peuvent par ailleurs travailler en lien avec des cabinets d’évaluation généralistes qui auront besoin de leurs compétences en ingénierie ou en écologique pour décrocher un marché. Leur taille les empêche toutefois de sortir des marchés régionaux.

3. Des prestataires salariant plus de dix personnes. Pas plus d’une dizaine de bureaux d’études d’envergure régionale, voire nationale, relèveraient de cette rubrique. Ils peuvent prétendre à la fonction d’« ensemblier » et disposent de moyens de production cartographique conséquents. En moyenne, leur chiffre d’affaires est aux environs d’1,5 million d’euros par an.

4. Les grosses structures. Il s’agit de bureaux d’études de plus de cinquante salariés. Certaines de ces PME sont adossées à des « grands groupes ». Elles disposent des moyens techniques et juridiques qui peuvent les rendre indispensables pour la réalisation d’études d’impact de grandes infrastructures par exemple. Ces PME ont développé des agences couvrant le territoire national, possèdent des filiales en France et à l’étranger et leur chiffre d’affaires se situe en moyenne à 15 millions d’euros par an.

Source : d’après Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (2011, p. 21), complété par l’auteur.

Par ailleurs, ainsi que l’explique Christiane Restier-Melleray (1990, p. 551), « toute analyse des situations d’expertise doit prendre en compte deux partenaires – l’expert mais aussi son commanditaire – et s’attacher à cerner les termes du contrat ». Nous proposons dès lors d’analyser la phase de mise en traduction du principe de la compensation par les cabinets de conseil dans un contexte de commande publique contraignant et dépendant des impératifs de la culture du résultat et de la performance traduite par le NPM.

Nous montrerons comment se professionnalise la communauté soumise aux règles du marché de la commande publique et la manière dont elle participe à une définition normative d’une notion inscrite dans la loi, contribuant ainsi à occulter les enjeux politiques du débat. En effet, en concentrant les échanges sur des éléments techniques, l’action publique et les consultants centrent les débats sur les procédures de traduction hétérogène de la compensation, au détriment du questionnement du sens des politiques d’aménagement.

La professionnalisation de la compensation : enjeux de légitimation, enjeux de résultat

L’importation des normes et pratiques de la « culture du résultat » au sein de l’action publique a amené cette dernière à mobiliser le conseil privé et son expertise à toutes les étapes de développement de ses politiques. Cet appel au conseil s’est opéré dans les politiques de compensation, amenant les experts de la question à se professionnaliser. Or, la constitution d’un nouveau marché de l’expertise n’est pas sans poser des questions de légitimation des savoirs, de légitimation des acteurs et des réponses à la définition politique que ceux-ci vont apporter à une action publique, elle-même soumise à la contrainte du résultat.

Le processus de professionnalisation comme valorisation d’un savoir-être

Dans son travail de thèse portant sur la constitution d’un champ de l’expertise en matière de participation, Magali Nonjon (2006) décrit la professionnalisation comme un « processus ». Elle s’appuie ainsi sur les travaux que Patrick Lehingue a mené sur les activités politiques, ce dernier expliquant que « l’on peut sommairement entendre par professionnalisation, le processus au terme duquel un savoir-faire pratique est érigé en profession, sur la foi de trois indicateurs traditionnellement mobilisés : recherche ou consolidation d’une dimension monopolistique, volonté (plus ou moins dicible) d’autocontrôle de l’activité et effort de légitimation des pratiques exercées » (Nonjon, 2006, p. 37). En d’autres termes, s’interroger sur la professionnalisation consiste à se questionner sur la mise en monopole d’un savoir-faire pratique évaluable et légitimant la communauté en capacité de le développer comme profession. Cela amène également à observer l’aptitude de cette communauté à constituer un secteur marchand compétitif impliquant le développement de certaines pratiques professionnelles, et participant de ce fait à la définition de l’objet professionnalisé et de ses conditions d’utilisation. Dès lors, s’intéresser à la professionnalisation des experts privés travaillant sur la compensation écologique nous amène à considérer ces derniers au regard de la légitimité qu’ils vont tenter de tirer de la valorisation de leur savoir-faire et ceci, via la traduction de la notion de compensation en instrument de politique publique sur un marché nouvellement créé par la puissance publique.

Un point de cette définition qui apparaît comme spécifique relève de ce que le savoir-faire professionnel serait d’abord un savoir « pratique ». Cette dimension sous-tend que la professionnalisation se fonde sur un corpus de gestes et techniques que le futur « professionnel » serait en capacité de mobiliser pour se « professionnaliser ». Appliquée aux consultants, il semble que cette définition ne soit pas tout à fait satisfaisante, dans la mesure où elle ne permet pas de refléter la capacité d’innovation des consultants dans la construction de ces savoir-faire, c’est-à-dire la capacité à produire de l’expertise par extension d’un bouquet de compétences ou encore par extension du secteur d’activité du cabinet par des recrutements spécifiques. De plus, cette définition évacue la notion de savoir-être qui nous semble être indissociable de cette activité professionnelle.

La capacité de l’expert à savoir faire est une condition nécessaire mais pas suffisante compte tenu de la capacité des cabinets de consultants à associer leurs compétences pour répondre aux offres de marché public2. C’est pour cela que l’expert mobilisé se positionne également par son savoir-être. Il est un passeur de science, c’est-à-dire une personne à même de vulgariser, de rendre appropriable au plus grand nombre une notion dont la définition théorique semble peu accessible de prime abord pour des raisons de connaissances, de perception d’éléments, de prise de conscience d’enjeux et de jeux préalables. L’enjeu pour le consultant est alors d’avoir un discours au contenu expert tout en restant appropriable pour son interlocuteur. La formation de ces consultants joue ici un rôle important dans leur capacité à se positionner dans cette fonction de traducteur, capable de trouver des réponses transmissibles aux attentes du client. Souvent issus des classes moyennes supérieures, ces consultants ont pour la plupart suivi des filières en ingénierie ou en écologie proposées par des écoles spécialisées (Écoles des mines, AgroParisTech). Beaucoup disposent d’un double cursus en ingénierie environnementale et en écologie, cette particularité étant très appréciée de la part des cabinets qui y voient la preuve d’une formation scientifique plus complète. Le consultant se doit d’être ouvert sur les sciences et capables d’en mobiliser les contenus afin d’apporter au client une réponse appropriable. Il est un traducteur (Bérard, 2009), comme l’explique une consultante lors d’un atelier interne ayant pour objectif de fonder une offre de conseil en compensation : « Cet outil on peut le digérer, le simplifier et le rendre pertinent pour les acteurs3. »

L’objectif pour les consultants observés au cours de notre enquête est alors de parvenir à identifier des éléments saillants de la notion de compensation tout en relevant les attentes de l’action publique sur cette question, à partir d’un travail d’analyse de la commande publique, d’expérimentations en cours, d’offres de service déployées par des cabinets concurrents, comme l’observait déjà Valérie Boussard (2009) à partir des consultants en conseil de gestion. L’enjeu consiste à traduire la compensation en instrument suffisamment technique pour apporter des gages de crédibilité et de scientificité tout en assurant l’appropriabilité de cette offre de service par l’action publique. C’est ce qu’explique très bien ce président et fondateur d’un des cabinets de conseil en « ingénierie environnementale » :

« Et je me suis dit “peut-être qu’il manque des acteurs”, c’est-à-dire des “sachants”, des gens qui savent à partir d’un texte de loi, d’une réglementation, traduire ça de manière simple, accessible et qui sont capables aussi d’avoir un bagage culturel qui leur permet de dialoguer avec tout le monde. […] On ne pourra pas gagner cette bataille de la biodiversité si on ne crée pas les outils qui permettent à un public de plus en plus large de s’approprier ces sujets-là et de faire sortir ces questions de la biodiversité de cénacles élitistes4. »

Toutefois, traduire une notion théorique et son cadre cognitif en instrument normatif ne se fait pas sans simplification et réduction. Comme le rappelle Bruno Villalba (2011, p. 41), « cette réduction procède à la fois par sélection des règles et procédures les plus efficientes et simplification pour permettre leur appropriation par la puissance publique (qui finalement reste le maître d’œuvre et le financeur) ainsi que par les partenaires d’une opération ». La traduction de la compensation fonctionnant ainsi par sélection et réduction participe à définir la notion en la dotant d’un cadre normatif. Or, ce cadre normatif est assez hétérogène. Il varie en fonction des cabinets de consultants ayant opéré la traduction de la compensation, du fait de leurs compétences internes, d’opportunités de développement, de leur volonté d’investir un instrument particulier (ou de réorganiser un instrument déjà existant), de la volonté de se distinguer vis-à-vis de la concurrence sur le marché, ou plus indirectement du fait de leurs valeurs ou de l’éthique dont ils se revendiquent. Des consultants au sein d’un cabinet spécialisé depuis vingt ans dans l’évaluation environnementale vont ainsi remobiliser leurs savoir-faire dans le cadre de la compensation écologique et valoriser les anciennes pratiques et réalisations. Présentée comme « la nouvelle offre » du cabinet, cette reconversion d’outils d’évaluation écologique sera valorisée dès la page d’accueil de son site internet. À l’inverse, un cabinet « jeune » entrant sur ce marché se heurte à des obstacles pour s’y installer. Ce cabinet de dix salariés en pleine expansion voit ce nouveau marché comme une possibilité d’augmenter son chiffre d’affaires. Souhaitant se démarquer des autres offres, il tente alors de reconvertir son savoir-faire antérieur en évaluations « participatives » et développe une offre en lien avec les populations et acteurs locaux des zones à évaluer (associations naturalistes ou non). Mais sans réelles références et valorisant la « nature vécue » par les populations, ces consultants nouvellement arrivés se heurtent à la nécessaire capacité à afficher une méthode scientifique dite « objective », fondée sur la supposée neutralité du savoir des sciences environnementales et de l’ingénierie.

La traduction hétérogène de la compensation opère des simplifications de la notion, chacune liée aux spécificités de l’instrument alors établi. Une traduction évince d’autres outils ou unités que l’on pourrait trouver dans une autre traduction, qu’elle soit concurrente ou complémentaire. Les cadres cognitifs de la compensation se trouvent ainsi traduits en de multiples instruments concourant chacun à simplifier un des angles théoriques de cette notion. Cette diversité relève d’une modalité de professionnalisation distinctive sur le marché de la compensation et permet aux consultants de se démarquer les uns des autres sur le marché du conseil. Elle est également destinée à appréhender les attentes de la commande publique pour pouvoir procéder à une mise en conformité du savoir expert avec les aspirations de l’action publique.

Enfin, cette phase de professionnalisation conduit les cabinets à définir des modes de financement, car la rentabilité économique est une préoccupation de taille pour ces structures privées soumises au marché. Différentes modalités sont alors imaginées, qu’il s’agisse d’investissements en recherche et développement valorisés par des crédits d’impôt, de l’élaboration de barèmes de prix ou d’expérimentation en lien avec des institutions, collectivités ou entreprises partenaires. À ce titre, le cabinet Egis a pu accueillir une doctorante en contrat Cifre5, dont les travaux de recherche portent sur la « prise en compte des services écosystémiques dans l’analyse des variantes et dans l’évaluation économique des projets d’infrastructures de transport6 ». D’autres cabinets testent des instruments expérimentaux à titre gratuit sur les territoires, d’autres encore participent à des projets de recherche ou délèguent gracieusement leur personnel en charge de développer la traduction de la compensation auprès d’opérateurs d’aménagement afin de développer un instrument commercialisable par la suite.

Ces différentes modalités de légitimation permettent à la communauté des consultants de professionnaliser leur expertise de traducteur afin de répondre à la demande de l’action publique. Cette dernière, en tant que commanditaire, reste en effet juge de l’adéquation entre l’instrument proposé et ses propres attentes (Restier-Melleray, 1990).

Le marché de la compensation comme opportunité de légitimation d’une culture épistémique

La légitimité de l’expertise revêt ainsi une importance prépondérante pour ces consultants soumis aux règles de la concurrence économique (Henry, 1997) sur un marché où peu d’acteurs peuvent pérenniser une activité économique de conseil. Comme l’explique Corinne Delmas (2011, p. 12), l’expertise « constitue une situation dans laquelle [les acteurs] sont pris et dont ils se saisissent ». Le marché de la compensation revêt ce caractère d’opportunité économique, important pour une communauté dont les caractéristiques professionnelles étaient jusqu’alors assez peu identifiées. Comme l’expriment certains enquêtés :

« Alors moi ma difficulté souvent c’est lorsqu’on me demande “qu’est-ce que tu fais ?” Alors je commence à expliquer “je fais ci, je fais des études d’impact, je travaille sur les aires protégées, sur les plantes, etc.”, personne ne comprend en général (rires) et la fois suivante où je vois les personnes “au fait, tu peux me répéter ce que tu fais ?” Je crois que l’on souffre de ne pas avoir vraiment de nom et d’être identifiés clairement7. »

« Moi je sais que des fois je remplis des formulaires d’inscription dans les menus déroulants “votre activité professionnelle”, je ne trouve pas. Je ne trouve pas. Mon métier n’existe pas. Et je l’ai exercé à différents statuts et dans différentes entreprises8. »

Les consultants dans le domaine n’avaient jusqu’ici que peu de visibilité et de légitimité. En professionnalisant leurs ressources, ces consultants vont parvenir à capter le marché de la compensation, tout en proposant des traductions hétérogènes de la notion. Ainsi, sans viser à l’exhaustivité, il est possible de distinguer plusieurs types de compensation. Il existe la compensation par l’offre, dans laquelle les banques de compensation9 jouent un rôle, ou la compensation par la demande, dans laquelle l’aménageur opère par lui-même les actions de compensation, du fait des impacts générés sur l’environnement par son activité. De même, il est possible de classifier les différentes modalités de compensation en fonction des milieux à compenser ou de l’unité de mesure mobilisée pour évaluer l’action compensatoire : l’espèce, les fonctionnalités écologiques, les services écosystémiques. Néanmoins, un dénominateur commun subsiste entre ces traductions : la prédominance de la « culture épistémique10 » (Knorr-Cetina, 1999) de l’ingénierie écologique dans laquelle « une attention toute particulière est apportée à l’efficacité du travail réalisé, en termes économiques » (Levrel et al., 2015, p. 285).

Par conséquent, si les consultants peuvent faire appel à d’autres champs scientifiques11, il s’agit de le faire en complément du cadre de l’ingénierie écologique et de traduire ces apports « extérieurs » pour les mettre en adéquation avec ce cadre. Dans les projets de recherche que nous avons pu analyser12, les sciences humaines ne sont pas évacuées, mais elles viennent pour la plupart compléter un propos exprimé via les cadres cognitifs et normatifs de l’ingénierie écologique. Cette prédominance offre une légitimité à l’ingénierie écologique et à son cadre, dans lequel s’inscrivent les consultants. En effet, comme l’explique une enquêtée : « Comment parler de compensation de la nature sans mobiliser les cadres d’interprétation de la science qui l’étudie13 ? »

Cette légitimité scientifique est alors associée à une monstration de l’efficacité des analyses et instruments développés, illustrant la réussite de ces entreprises par leur importance nationale et internationale :

« On a ces agences à travers tout le territoire avec, chaque fois, des salariés, des chefs d’agence, des ingénieurs, des chargés d’études, mais aussi une assistante, des gens qui travaillent, etc. Dans le monde aujourd’hui, on a finalement un savoir-faire en matière d’ingénierie de génie écologique, malheureusement j’utilise les termes encore, qui est assez rare dans le monde. Il faut le savoir. Nous sommes en France avec d’autres collègues qui ont des entreprises comparables, plutôt très bons dans ce domaine-là, et plutôt en avance. Donc c’est aussi en termes économiques une opportunité d’exportation de nos savoir-faire […]. J’ai un petit peu un côté aventurier qui fait que nous sommes allés monter une filiale en Chine depuis trois ans14. »

Les consultants se légitiment également via un important travail relationnel, à travers les colloques qu’ils co-organisent ou auxquels ils sont invités à s’exprimer, ou encore via une formalisation des savoirs, par la création de bases de données, de sites internet, l’édition d’ouvrages en partenariat avec des institutions reconnues telles que le Muséum national d’histoire naturelle. Ils présentent enfin leur réussite économique importante comme critère de performance dans leur secteur d’activité :

« Donc aujourd’hui ma seule entreprise c’est 240 salariés, 190 ingénieurs. Un chiffre d’affaires qui oscille entre 15 et 16 millions d’euros par an et 7 600 clients, 8 000 références, etc. Des données naturalistes, 8 millions de données référencées, mises dans une base de données et avec des échanges avec tout d’abord le Muséum d’histoire naturelle pour l’INPN (Inventaire national du patrimoine naturel), parce qu’aussi ce qu’on relève sur le terrain doit profiter à la collectivité nationale, je veux dire à tout le monde. Et puis beaucoup d’investissements R&D, 2 millions d’investissements sur les trois dernières années et aussi une partie de notre activité que j’adore et qui est très importante, c’est la partie édition, diffusion de la connaissance15. »

De la sorte, ces professionnels parviennent à se légitimer en accentuant une dimension méthodologique performante – source de gains économiques importants – et appropriable ayant fait ses preuves nationalement et internationalement. Ils contribuent à formaliser un marché du conseil en matière de compensation écologique dont l’image entre en adéquation avec la performance et la « culture du résultat » ayant cours au sein du principal financeur que sont les pouvoirs publics. Or, comme l’expliquent Claude Gilbert et Emmanuel Henry (2009, p. 16-17), « chaque définition entraîne en effet avec elle une certaine distribution des rôles entre acteurs, une hiérarchisation de ceux-ci ainsi qu’un certain type de distribution de responsabilités ». Ainsi, en devenant les « experts de la compensation », les consultants privés participent au « cadrage » politique de la notion de compensation et s’assurent un rôle important au sein des politiques publiques de biodiversité.

La professionnalisation de la compensation, telle qu’elle s’opère dans la culture épistémique de l’ingénierie écologique, et le cadre cognitif de la « culture du résultat » favorisent la traduction de la notion par des instruments techniques. En effet, cette professionnalisation lie la pérennité économique des consultants à la commande publique soumises aux impératifs du New Public Management. Un phénomène circulaire apparaît. La commande publique impulse une demande de conseil managérial et gestionnaire en adéquation avec son référentiel et en retour les consultants développent des instruments en réponse aux canons en vigueur au sein de l’action publique. Or, en favorisant ainsi un débat technicien et techniciste sur les modalités de gestion du vivant, les acteurs de ce processus circulaire vont contribuer à occulter les enjeux politiques. En conséquence, revenir sur les modalités de traduction de la compensation permet d’analyser le cadrage normatif véhiculé par les consultants soumis à la pression du résultat et d’analyser la place de ces derniers au sein des politiques de compensation.

La traduction de la compensation : instrumentation technique et cadrage politique

En préconisant une vision particulière du problème public, en pesant sur sa conception cognitive et par-là sur sa définition normative et donc sur son cadrage, les consultants vont favoriser l’action et les modalités d’action par lesquelles la puissance publique va exercer sa capacité à agir. Toutefois l’action publique n’est pas passive, « le destin social et professionnel de ces acteurs [apparaît], en effet, être étroitement lié aux évolutions de la commande publique » (Nonjon, 2006, p. 25). À ce titre, s’intéresser aux traductions des instruments – en ce que ceux-ci sont des construits (Lascoumes et Le Galès, 2005), et portent et promeuvent des représentations – retenues par l’action publique dès lors qu’elle traitera de la compensation permet de comprendre pourquoi ces instruments concentrent l’attention. Cela offre également la possibilité d’analyser les mécanismes participant à « occulter les enjeux politiques » (Poupeau et al., 2012) des débats sur la compensation écologique.

La traduction, une réponse technique devant satisfaire le « résultat »

La compensation écologique a donné lieu à une importante production de littérature, qu’il s’agisse de rapports de travail au sein du ministère en charge des questions environnementales, de productions d’institutions qui lui sont rattachées dont le Conseil général de l’Environnement et du Développement durable, de publications universitaires (dans les champs économique, philosophique, écologique, juridique, sociologique), ou encore d’articles de presse. Cet abondant registre discursif se concentre dans une très large mesure sur des questions de méthodes, de choix d’instruments ou d’unités d’expression de la compensation et porte donc avant tout sur les possibilités de traduire au mieux le cadre cognitif de la compensation en instrument de l’action publique. Comme l’explique ce haut fonctionnaire du Commissariat général au Développement durable : « On est vraiment dans des jeux sur des définitions. Mais c’est vraiment, c’est presque de la rhétorique après. C’est pas… On choisit où on met le curseur en termes de langage et on discute technique16. »

Les enjeux de la compensation relèvent à la fois d’interrogations techniques concernant l’élaboration d’instruments, d’analyses que ceux-ci vont participer à élaborer, et de questionnements sur les conditions de leurs utilisations17 par les opérateurs chargés de les appliquer. Ces interrogations sur la traduction, certaines même sur la traductibilité, de la compensation nourrissent l’idée de la nécessité d’une assistance méthodologique face à la grande hétérogénéité des traductions proposées sur le marché par les cabinets privés. Certaines collectivités se dotent alors de services dédiés ou de personnels dévolus à la question, nommés « chargé de mission biodiversité et territoires » ou plus fidèlement à la doctrine nationale « chargé de mission foncier – ERC ».

Toutefois, comme l’explique ce chef de service « environnement » chargé du suivi de la séquence ERC sur son territoire, « les services opérationnels n’ont pas le temps en fait de réfléchir à leurs propres besoins. Ils sont toujours dans l’urgence. Ils doivent répondre à la pression du politique18 ». La technicité de la compensation, telle qu’elle est perçue au sein de l’action publique du fait de la multiplicité des traductions et des débats, se heurte alors aux contraintes de l’administration (manque de transversalité, temps de l’action, réductions des moyens financiers, techniques, etc.). Les services dédiés vont alors mobiliser les instruments en place au sein de l’action publique contrainte au résultat, tels que le benchmarking (Bruno et Didier, 2013), pour identifier les bonnes pratiques et les adapter ou encore faire appel aux cabinets de consultants pour les aider à assurer leur mission. L’enjeu est de parvenir à favoriser l’appropriation de la notion par les commanditaires politiques. Kevin Matz relevait déjà ce phénomène dans ses analyses des politiques culturelles. Il note ainsi que « quand les experts produisent une mise en forme “politiquement digeste” des théories évoquées plus haut et leur confèrent un crédit symbolique et une caution professionnelle, les acteurs politiques en font une expertise mobilisable dans la formulation des questions culturelles et dotent ces producteurs en crédits (financier et symbolique) » (Matz, 2012, p. 159). Ainsi traduits par les consultants et sélectionnés par la puissance publique, les instruments de la compensation vont être mobilisés lors de programmes de compensation et être parfois élevés au rang d’exemples dans le cadre des compétitions territoriales, des dossiers de financements permettant de dégager des crédits régionaux, nationaux ou européens, de trophées dédiés à l’innovation territoriale, etc. Les instruments vont dès lors, entièrement ou partiellement, « échapper » à leurs créateurs et à leurs maîtres d’œuvre. Ils vont être érigés en exemples avec possibilité de visiter les sites sur lesquels les mesures compensatoires ont été opérées.

Toutefois, cette approche cognitive ne suffit pas à expliquer pourquoi certains instruments sont retenus et pas d’autres : l’appropriabilité tout comme l’exemplarité empirique ne sont pas les seuls critères de sélection des offres techniques des cabinets privés. Un autre critère du choix de l’action publique se porte sur les méthodes qui présenteraient une meilleure efficacité et une plus grande efficience19.

Face à ce qui est perçu comme une obligation morale de reconquête, l’action publique va se tourner vers les instruments les plus à même de répondre à l’injonction de l’efficacité et du résultat, c’est-à-dire ceux qui seront en capacité d’être en adéquation avec les logiques gestionnaires et managériales en vigueur au sein des politiques environnementales et ce, dans un délai relativement rapide. Ce référentiel du NPM s’est diffusé au sein des différents champs de l’action publique dont l’environnement (Petitimbert, 2016). Or, en sélectionnant les instruments consonants avec le cadre de référence managérial en place, l’action publique procède à une homogénéisation des pratiques. Elle favorise l’apparition d’un milieu professionnel spécialisé devant mettre en conformité ses offres de service avec les attentes de la puissance publique. Pour le sujet de la compensation, ce phénomène s’illustre tout particulièrement par la « charte d’engagement des bureaux d’études dans le domaine de l’évaluation environnementale20 » portée par le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie en mai 2015 et signée par cent-vingt bureaux d’études21. Cette charte, composée de huit engagements22, formalise non seulement les attentes de l’action publique vis-à-vis des savoir-être des cabinets de conseil mais également les attentes vis-à-vis des savoir-faire de ces derniers et des modalités d’action pratique qu’ils vont définir pour répondre à la commande publique. Via cette charte, la puissance publique fixe « ce qui est » et « ce qui doit être » en matière d’évaluation environnementale et formalise donc ce que les consultants privés doivent intégrer dans leurs traductions pour coller aux attentes publiques. Les consultants sont d’ailleurs tout à fait conscients de cette nécessité de satisfaire aux normes ainsi imposées : « Quoi qu’il arrive, on ne sera jamais les maîtres des marchés qui sont développés. Le problème c’est l’activité. Qu’on développe [des instruments], ok. Mais on ne peut pas créer ni le marché, ni les attentes. L’essence du métier de consultant c’est de répondre à un besoin. On répond aux appels d’offre publics, on subit donc les contraintes du marché23. »

Les enjeux de méthode, de résonnance avec les cadres cognitifs et normatifs du NPM déjà en place, de mise en conformité avec les critères de marchés publics, le cadre juridique, les représentations politiques, etc., contraignent alors les consultants à enfiler leur costume de technicien afin de légitimer leurs traductions et d’imposer ainsi leur définition, par ailleurs façonnée par l’action publique, sur le marché. À travers la problématisation se jouent également des questions de pouvoir. En effet, la distribution du rôle entre les acteurs sera faite suivant le cadrage du problème public adopté (Gusfield, 2009 ; Gilbert et Henry, 2009). Acteurs de la compensation, les consultants vont tenter de mettre à profit leur rôle d’expert au sein des différentes arènes qui sont à leur disposition pour établir les cadrages de la notion. Ils placent alors les débats sur les bases de leur identité sociale d’expert. Devant « fournir un avis scientifiquement ou techniquement fondé sur la question examinée dont ils sont reconnus spécialistes » (Delmas, 2011, p. 9), ils mobilisent les aspects les plus techniques de leurs traductions pour faire valoir la performance de leurs visions de la compensation et ainsi influencer la définition de production de la commande publique.

Mise en scène de l’efficacité et légitimation du recours aux consultants

Tout d’abord, la mise en avant de la technicité des débats autour de la notion de compensation s’opère via la dynamique engendrée par la loi de 2016. Les publications écrites à ce moment permettent de maîtriser le débat, de le façonner dans les termes et la manière d’aborder le sujet. Cela est particulièrement prégnant lorsque l’on s’intéresse aux presses généralistes ou de vulgarisation scientifique qui ont cherché à identifier des experts pouvant apporter des éléments de compréhension à leurs lecteurs. Les propos développés par ces experts avaient vocation à dénoncer les dommages ou les mérites de la loi et de l’approche normative qu’elle préconisait. Il était alors question de critiques à l’égard des banques de compensation dans leur fonctionnement ou dans leurs intentions théoriques24, de discuter le cadre légal25 et l’application de la séquence « éviter, réduire, compenser » eu égard aux autorités compétentes26, etc. Ces débats s’accompagnaient généralement d’illustrations d’exemples nationaux ou internationaux de mise en œuvre de mécanismes de compensation.

Ces illustrations sont par ailleurs souvent les mêmes (comparaison avec le cas états-unien, illustrations par les réserves d’actifs naturels, etc.), et se retrouvent également dans les colloques, séminaires et journées d’études organisés sur la compensation ou la séquence ERC. Ces colloques participent à la diffusion des débats techniques à travers un triple phénomène.

Dans un premier temps, les colloques s’organisent souvent afin de pouvoir croiser les points de vue et favoriser les échanges entre universitaires et praticiens. Ces moments sont alors autant d’occasions de pouvoir afficher des postures, des savoirs et des traductions et de pouvoir confronter ceux-ci aux attentes des différents publics de la salle. De nombreuses questions de l’auditoire relèvent de l’exposition de cas concrets auxquels l’intervenant est lui-même soumis (« Comment feriez-vous dans mon cas ? », « Or, dans mon cas votre solution ne s’appliquerait pas ? »), elles dessinent alors une primo-rencontre entre offre et demande d’instruments de compensation. Dans un deuxième temps, les moments plus informels de repas, de pauses café ou de fins de sessions donnent lieu à des discussions sur les interventions et prêtent également à des présentations des cabinets, des offres de services et des missions « références » qui peuvent déboucher sur des sollicitations à intervenir et des échanges de coordonnées : « On plaisante toujours avec mon associée mais dans les colloques on vient à deux. Elle présente notre travail et moi je suis au bar à distribuer nos cartes de visite27. » Enfin, dans un troisième temps, ces colloques peuvent être considérés comme des lieux d’acculturation collective où s’observent la construction et la diffusion de la norme, où les clivages se révèlent et où parfois les antagonismes sont lissés. À ce titre, les conclusions de colloques, du fait que l’exercice demande une forme de reprise des échanges et débats, sont une occasion de réconcilier les divergences et de faire émerger des pistes de consensus qui participent à unifier les approches pratiques. Ils permettent ainsi de réduire les dissensus à partir de réflexions à visée technique et d’unifier les acteurs gravitant autour de la notion de compensation.

Par ailleurs, les mises en scène des présentations effectuées participent également de la technicisation de l’approche de la compensation. La démonstration et la monstration de la scientificité des approches proposées et soumises à l’assemblée des participants sont renforcées par la mobilisation d’objets associés par l’imaginaire collectif à l’expérimentation scientifique. La mobilisation de données chiffrées28 est alors conjuguée avec des cartographies, des tableaux et graphiques, des modélisations ou encore des photos présentant les différents stades de l’avancée du travail réalisé. Il s’agit alors pour le consultant de parvenir à valoriser le résultat. Le critère de scientificité devient l’enjeu et la valorisation du contexte – politique, technique, etc. – un élément de réussite. L’exemplarité du projet présenté joue en effet dans un premier temps sur l’idée de robustesse et sur la réception que le public va avoir du travail présenté, mais également sur l’envie, sur le désir de travailler selon le cadre technique proposé. « Le travail pour des consultants consiste alors à garantir une méthode “optimale”, “adaptée” ou encore “appropriée” (sic), qui se mue rapidement en marque de fabrique » (Poupeau et al., 2012, p. 13). La situation présentée et l’offre du cabinet de conseil doivent apparaître comme étant suffisamment reproductibles pour s’imposer sur le marché comme le standard en vigueur, comme étant la norme technique d’une « bonne compensation » efficace, sans toutefois révéler l’ensemble du mode opératoire. Le résultat prend alors le pas sur le cheminement pour y parvenir et le savoir devient une question de monopole.

Enfin, la valorisation des éléments techniques du débat a une portée complexifiante qui permet de justifier le recours à une expertise, au premier argument que cette demande de scientificité nécessite une pratique quotidienne spécialisée et qualifiée. Puisque le cabinet de conseil a développé sa traduction technique, il est le plus à même de la mettre en œuvre dans les conditions optimales de réussite. Il connaît les rouages de l’instrument, ce qui s’est passé lors du projet exemplaire et qu’il n’a pas présenté, les manières d’exposer le projet aux élus. Le deuxième argument recourt à l’extériorité du conseil comme atout et supplément de compétence. Le cabinet, puisqu’il est extérieur, ne souffrira pas de la confrontation aux acteurs locaux, réceptifs ou opposants au projet. Il a pu développer une méthodologie de concertation ou faire valoir son habitude à traiter avec les différents types de personnalités qu’il est amené à croiser quotidiennement dans l’exercice de ses fonctions. Il amenuise ainsi la portée politique de l’enjeu de compensation, puisqu’il sera en première ligne pour gérer les présentations d’éléments techniques à la population. Enfin, le troisième argument a trait au temps de l’action. Le marché notifié et la mission lancée, le consultant n’a pas à gérer la complexité des délais de l’administration, de la difficulté à mettre en branle la grande machine qu’une institution représente ; ce discours étant particulièrement intégré par les fonctionnaires eux-mêmes : « Surtout quand on raisonne “action publique” bon, l’action publique ça ne se fait pas en claquant des doigts quoi… c’est, ça demande du temps. Nous on n’est pas assez réactifs pour faire ça, le temps du politique n’est pas le même que celui des acteurs de terrain. On préfère passer par les cabinets qui en plus ont une compétence technique plus spécifique29. »

Cette concentration des débats sur l’aspect technique de la compensation va alors amener les acteurs à échanger et à émettre leurs points de vue sur les traductions possibles et les possibilités normatives de mise en œuvre de la notion. Or, en procédant de la sorte, les acteurs ne favorisent pas les débats portant sur les enjeux politiques et la finalité de cette action de reconstruction du vivant. En promouvant un argumentaire destiné à les placer sur le marché de la compensation et à répondre aux critères du résultat ayant cours au sein de l’action publique et qui leur sont imposés, les consultants véhiculent une vision partielle du débat au détriment du questionnement du sens politique des actions d’aménagement et de compensation sur le territoire.

Conclusion : questionner le sens de l’action de compensation

La professionnalisation de la compensation telle qu’elle s’opère au sein de la communauté des consultants favorise les débats portant sur la traduction de la notion et les modalités de mise en œuvre des instruments développés. La focalisation des débats sur les aspects les plus techniques s’opère dans un contexte de commande publique contrainte par les cadres cognitifs et normatifs du NPM. Ces derniers instillent l’injonction à la performance et la culture du résultat au sein de l’action publique qui, en retour, transmet ces obligations aux consultants afin qu’ils en fassent des objectifs lors de la traduction de la compensation en instruments opérationnels. Ainsi, par un phénomène circulaire d’adaptation / préconisation des traductions des consultants à la commande publique et de la puissance publique aux instruments des consultants, la circulation des normes du NPM s’opère et influence la perception de la compensation par les consultants théoriquement et surtout techniquement. Les débats se concentrent en effet, tant sur la forme que sur le fond, sur les aspects techniques de la compensation et la nécessité de recourir à l’apport d’un conseil extérieur face à une notion présentée et construite comme complexe.

Procéder de la sorte restreint la vision de la nature à un capital qu’il serait possible de gérer et de remplacer par de la technique, par des éléments construits et établis par la main humaine. C’est, comme l’explique Éric Katz, oublier le fait qu’« une nature “restaurée” est un artefact créé pour répondre aux intérêts des hommes et leur apporter une satisfaction » (Katz, 2007, p. 351). C’est donc placer l’utilité humaine devant la nécessité pour les systèmes naturels complexes de pouvoir fonctionner et se reproduire. Cela consiste finalement politiquement à lier le devenir du vivant aux besoins du présent, « à évaluer un produit tardif du système – la vie psychologique – et à lui subordonner tout le reste. [À prendre] le fruit pour l’arbre, le dernier chapitre pour l’œuvre entière » (Rolston, 2007, p. 176).

Références

  • Belorgey N., 2010. L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public », Paris, La Découverte. [Google Scholar]
  • Bérard Y., 2009. Gouverner à distance. Ingénierie-conseil, bureaucratie technique et transnationalisation des politiques publiques en Europe. Thèse de doctorat, Rennes, Université de Rennes 1. [Google Scholar]
  • Bezes P., Musselin C., 2015. Le New Public Management : entre rationalisation et marchandisation ?, in Boussaguet L., Jacquot S., Ravinet P. (Eds), Une « French touch » dans l’analyse des politiques publiques ?, Paris, Presses de Sciences Po, 128-151. [Google Scholar]
  • Boussard V., 2009. Les consultants au cœur des interdépendances de l’espace de la gestion, Cahiers internationaux de sociologie, 1, 126, 99-113. [Google Scholar]
  • Bruno I., Didier E., 2013. Benchmarking. L’État sous pression statistique, Paris, La Découverte. [Google Scholar]
  • Campana A., Henry E., Rowell J., 2007. La construction des problèmes publics en Europe. Émergence, formulation et mise en instrument, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg. [Google Scholar]
  • Conseil général de l’Environnement et du Développement durable (CGEDD), 2011. Compétences et professionnalisation des bureaux d’études au regard de la qualité des études d’impact (évaluations environnementales). Rapport, Paris, ministère de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement. [Google Scholar]
  • Cour des comptes, 2015. Le recours par l’État aux conseils extérieurs. Communication, Paris, commission des finances du Sénat. [Google Scholar]
  • Dardot P., Laval C., 2009. La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte. [Google Scholar]
  • Delmas C., 2011. Sociologie politique de l’expertise, Paris, La Découverte. [Google Scholar]
  • Dreyfus F., 2010. La révision générale des politiques publiques, une conception néolibérale du rôle de l’État ?, Revue française d’administration publique, 4, 136, 857-864. [Google Scholar]
  • Gilbert C., Henry E., 2009. Lire l’action publique au prisme des processus de définition des problèmes, in Gilbert C., Henry E. (Eds.), Comment se construisent les problèmes de santé publique, Paris, La Découverte, 7-33. [Google Scholar]
  • Granjou C., 2013. Micropolitiques de la biodiversité. Experts et professionnels de la nature, Bruxelles, Peter Lang. [Google Scholar]
  • Gusfield J., 2009. La culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Économica. [Google Scholar]
  • Henry O., 1997. La construction d’un monde à part. Processus de socialisation dans les grands cabinets de conseil, Politix, 10, 39, 155-177. [Google Scholar]
  • Hood C., 1995. The “new public management” in the 1980s: variations on a theme, Accounting, Organization and Society, 20, 2/3, 93-109. [Google Scholar]
  • Jany-Catrice F., 2012. La performance totale : nouvel esprit du capitalisme ?, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion. [Google Scholar]
  • Katz E., 2007. Le grand mensonge : la restauration de la nature par les hommes, in Afeissa H-S. (Ed.), Éthique de l’environnement. Nature, valeur, respect, Paris, Vrin, 347-371. [Google Scholar]
  • Knorr-Cetina K., 1999. Epistemic cultures. How the sciences make knowledge, Harvard, Harvard University Press. [Google Scholar]
  • Lacouette-Fougère C., Lascoumes P., 2013. L’évaluation : un marronnier de l’action gouvernementale ?, Revue française d’administration publique, 4, 148, 859-875. [Google Scholar]
  • Lascoumes P., 1996. Rendre gouvernable, de la « traduction » au « transcodage », l’analyse des processus de changement dans les réseaux d’action publique, in CURAPP, La gouvernabilité, Paris, Presses Universitaires de France, 325-338. [Google Scholar]
  • Lascoumes P., Le Galès P., 2005. L’action publique saisie par ses instruments, in Lascoumes P., Le Galès P. (Eds), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 11-44. [Google Scholar]
  • Levrel H., Frascaria-Lacoste N., Hay J., Martin G., Pioch S., 2015. Restaurer la nature pour atténuer les impacts du développement : analyse des mesures compensatoires pour la biodiversité, Versailles, Éditions Quae. [Google Scholar]
  • Maris V., 2014. Nature à vendre. Les limites des services écosystémiques, Paris, Éditions Quae. [Google Scholar]
  • Matz K., 2012. La culture au service du développement économique ou la neutralisation politique, in Dubois V., Bastien C., Freyermuth A., Matz K., Le politique, l’artiste et le gestionnaire. (Re)configurations locales et (dé)politisation de la culture, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du Croquant, 153-169. [Google Scholar]
  • Mazeaud A., Nonjon M., Parizet R., 2016. Les circulations transnationales de l’ingénierie participative, Participations, 14, 1, 5-35. [Google Scholar]
  • Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2015. Charte d’engagement des bureaux d’études dans le domaine de l’évaluation environnementale, Paris, ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie. [Google Scholar]
  • Müller A., Legendre T., Lemaître V., Darses O, 2017. La séquence « éviter, réduire et compenser », un dispositif consolidé, Paris, ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. [Google Scholar]
  • Nonjon M., 2006. Quand la démocratie se professionnalise… Enquête sur les experts de la participation. Thèse de doctorat, Lille, Université Lille 2. [Google Scholar]
  • Petitimbert R., 2016. Quantifier pour manager. L’émergence des paiements pour services environnementaux au sein des politiques publiques environnementales françaises, Développement durable et territoires, 7, 1, https://journals.openedition.org/developpementdurable/11203. [Google Scholar]
  • Poupeau F.-M., Guéranger D., Cadiou S., 2012. Les consultants font-ils (de) la politique ?, Politiques et management Public, 29, 1, 9-19. [Google Scholar]
  • Restier-Melleray C., 1990. Experts et expertise scientifique. Le cas de la France, Revue française de science politique, 40, 4, 546-585. [Google Scholar]
  • Rolston H., 2007 [1re éd. 1994]. La valeur de la nature et la nature de la valeur, in Afeissa H.-S. (Ed.), Éthique de l’environnement. Nature, valeur, respect, Paris, Vrin, 152-186. [Google Scholar]
  • Salais R., 2010. Usages et mésusages de l’argument statistique : le pilotage des politiques publiques par la performance, Revue française des Affaires sociales, 1, 129-147. [Google Scholar]
  • Vaissière A.-C., 2014. Le recours au principe de compensation écologique dans les politiques publiques en faveur de la biodiversité : enjeux organisationnels et institutionnels. Cas des écosystèmes aquatiques marins et continentaux. Thèse de doctorat, Brest, Université de Bretagne occidentale. [Google Scholar]
  • Villalba B. (Ed.), 2009a. Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion. [Google Scholar]
  • Villalba B., 2009b. Stratégies asymétriques d’appropriation du développement durable, in Villalba B. (Ed.), Appropriations du développement durable. Émergences, diffusions, traductions, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 13-38. [Google Scholar]
  • Villalba B., 2011. La professionnalisation de la ville durable : contribution à la standardisation du développement durable, in Béal V., Gauthier M., Pinson G. (Eds), Le développement durable changera-t-il la ville ?, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 37-57. [Google Scholar]

1

La démonstration s’appuie sur un travail ethnographique de quatre années au sein d’un cabinet de conseil dans le cadre d’une thèse Cifre, ainsi que sur des entretiens semi-directifs menés auprès d’experts privés de la compensation, de hauts fonctionnaires, d’élus nationaux et de responsables associatifs (janvier 2015-mars 2017).

2

Il est ainsi fréquent de voir différents cabinets, pouvant même parfois être concurrents en temps normal, associer leurs compétences, leurs références, etc., pour répondre à certains marchés publics afin de pouvoir être plus compétitifs en termes de prix, de technicité, etc., et ainsi remporter le marché visé.

3

Extrait de carnet de terrain, 9 septembre 2015.

4

Intervention lors de l’atelier B24 du forum « Biodiversité et Économie » du 25 novembre 2016 à Paris.

5

« Le dispositif Cifre – conventions industrielles de formation par la recherche – subventionne toute entreprise de droit français qui embauche un doctorant pour le placer au cœur d’une collaboration de recherche avec un laboratoire public », www.anrt.asso.fr/fr/cifre-7843.

6

Travaux de recherche présentés à l’occasion du colloque « Éviter, Réduire, Compenser » qui s’est tenu du 30 au 31 mars 2017 à Montpellier (www.labex-cemeb.org/actualites/colloque-eviter-reduire-compenser), et issus du travail de thèse de Léa Tardieu, Integrating ecosystem services in the evaluation of transport infrastructure projects, 2014.

7

Intervention lors de l’atelier B24 du forum « Biodiversité et Économie » du 25 novembre 2016 à Paris.

8

Entretien réalisé le 25 novembre 2016 à Paris.

9

Même si leur principe relève de la même inspiration et des principes théoriques de la substituabilité, les banques de compensation elles-mêmes proposent des modalités de compensation très hétérogènes suivant qu’il s’agisse du modèle français des « réserves d’actifs naturels » ou des « mitigation banking » américaines.

10

C’est-à-dire la conception de l’approche empirique (du rapport au « terrain » et de l’établissement des données), de la représentation des instruments scientifiques et de leurs mobilisations, et de la place sociale de ces éléments cognitifs et normatifs.

11

Des réflexions interdisciplinaires ont d’ailleurs déjà été menées (Levrel et al., 2015).

12

Projets de recherche issus du programme de recherche Ittecop (www.ittecop.fr/) et programmes présentés à l’occasion de colloques tels que « Éviter, Réduire, Compenser » qui s’est tenu du 30 au 31 mars 2017 à Montpellier (www.labex-cemeb.org/actualites/colloque-eviter-reduire-compenser) ou encore le séminaire sur la phase d’évitement de la séquence ERC organisé par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, qui s’est tenu le 19 avril 2017.

13

Entretien réalisé le 21 mars 2017.

14

Intervention lors de l’atelier B24 du forum « Biodiversité et Économie » du 25 novembre 2016 à Paris.

15

Intervention lors de l’atelier B24 du forum « Biodiversité et Économie », du 25 novembre 2016 à Paris.

16

Entretien réalisé de 21 décembre 2015, Commissariat général au Développement durable.

17

Notamment sur le plan juridique et les conditions d’utilisation du cadre juridique (Vaissière, 2014).

18

Entretien réalisé le 16 février 2016 à Lille.

19

L’efficacité se rapporte à la qualité de la réponse fournie à la commande tandis que l’efficience se rapporte aux moyens mobilisés pour satisfaire la commande.

20

« Le terme “évaluation environnementale” correspond notamment à l’évaluation des incidences des projets de travaux, d’ouvrages et ou d’aménagements publics ou privés, permanents ou temporaires, et des plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2015, p. 1).

21

« Le terme “bureau d’études” doit se comprendre, au sens de la présente charte comme toute entité, quel que soit son statut juridique, réalisant entièrement ou partiellement ces évaluations [environnementales] » (Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, 2015, p. 1).

22

« Garantir l’indépendance », « Assurer un devoir de conseil et la confidentialité », « Travailler en toute transparence », « Proposer des moyens adaptés », « Identifier les compétences adaptées », « Mobiliser les compétences adaptées », « Disposer d’une capacité en organisation, en gestion de projet et d’un suivi de la qualité » et enfin « Être responsable ».

23

Entretien réalisé le 15 février 2017 avec le gérant d’un cabinet de conseil privé souhaitant se positionner sur le marché des évaluations environnementales.

24

Angela Bolis, Compenser par l’offre un « permis de détruire » la biodiversité ?, Le Monde, 20 mai 2016, www.lemonde.fr/biodiversite/visuel/2016/05/20/compenser-par-l-offre-un-permis-de-detruire-la-biodiversite_4923424_1652692.html#A5fWk17DTyih6vVt.99, consulté le 21 mai 2016.

25

Lorène Lavocat, Avec les « réserves d’actifs naturels », la loi sur la biodiversité facilite la marchandisation de la nature, Reporterre, 26 janvier 2016, https://reporterre.net/Avec-les-reserves-d-actifs-naturels-la-loi-sur-la-biodiversite-facilite-la, consulté le 21 mai 2016.

26

Le Figaro, Le Parlement adopte définitivement le projet de loi sur « la reconquête de biodiversité », 20 juillet 2016, Le Figaro, www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/07/20/97001-20160720FILWWW00307-le-parlement-adopte-definitivement-le-projet-de-loi-sur-la-reconquete-de-biodiversite.php, consulté le 20 juillet 2016.

27

Entretien réalisé le 15 février 2017 avec le gérant d’un cabinet de conseil privé souhaitant se positionner sur le marché des évaluations environnementales.

28

Dont est particulièrement friande l’ingénierie écologique. Voir « Les mondes des inventaires naturalistes », Études Rurales, numéro 195, 2015.

29

Entretien réalisé le 21 décembre 2015, Commissariat général au Développement durable.

Citation de l’article : Petitimbert R., 2018. La professionnalisation des consultants de la compensation : traductions instrumentales et enjeux de légitimation. Nat. Sci. Soc. 26, 2, 203-214.

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.