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Journal
Nat. Sci. Soc.
Section Vie de la recherche – Research news
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2025028
Published online 16 July 2025

© M. Poupaud et al., Hosted by EDP Sciences

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

Les enjeux de l’empreinte environnementale de la recherche

Les conséquences sociales des dégradations environnementales d’origine anthropique et, inversement, les conséquences environnementales de l’aggravation des difficultés sociales, remettent en cause l’habitabilité du monde. Notre mode de vie doit « se renégocier pour retrouver le lien avec la planète » (Crosnier, 2020). Cet impératif s’adresse aussi au secteur de la recherche, qui contribue à documenter et encourager les transitions socio-écologiques (Noiville, 2023). En effet, les scientifiques font face au paradoxe, voire à l’hypocrisie, qui émerge lorsqu’ils mettent en lumière le rôle des activités humaines dans le changement climatique et qu’ils insistent parfois pour que les individus changent de comportements ; tout en continuant de leur côté à émettre plus de gaz à effet de serre que la moyenne, mettant ainsi à mal la crédibilité des messages issus de leurs travaux de recherche (Anderson, 2013 ; Attari et al., 2016 ; Plieninger et al., 2021 ; Blanchard et al., 2022). À ce constat se superpose celui d’un « surpâturage » de certains sites d’étude, sur lesquels l’impact environnemental des activités scientifiques est mis en cause (Strouk, 2022). Au-delà de l’empreinte carbone ou plus largement environnementale de la recherche, son accélération associée à une bureaucratisation galopante et à la course aux publications, d’une part, les incitations à la mobilité dans une quête de reconnaissance scientifique et institutionnelle, d’autre part, sont dénoncées comme des sources de dégradation des conditions de travail et de perte de créativité pour relever les grands défis de notre époque (Paasche et Österblom, 2019). Une « révolution dans nos pratiques de recherche » est aujourd’hui nécessaire (Baxerres, 2023), ce qui appelle la question suivante : « comment continuer à produire des connaissances et des idées dans un monde aux ressources limitées ? » (Ben-Ari, 2023, p. 552).

Depuis les années 2000 (avec une intensification depuis la fin des années 2010), les publications sur « l’empreinte carbone1 » de la recherche se multiplient, reflétant une mobilisation grandissante des scientifiques pour l’évaluation et la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (Berné et al., 2022 ; Hardy et Noûs, 2023). Dans ce secteur, les déplacements – notamment le transport aérien (Blanchard et al., 2022) – représentent un poste majeur d’émissions de gaz à effet de serre2. Ce constat apparaît d’autant plus frappant dans la recherche en partenariat avec les Suds. Par exemple, dans le bilan carbone de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) publié début 2024, les vols européens et internationaux représentent près de 90 % des déplacements professionnels3. Dans le bilan carbone 2019 et 2020 d’une unité mixte de recherche (UMR) basée à Montpellier et travaillant principalement avec les Suds, les trajets en avion occupent la majorité des émissions annuelles (Castella et al., 2022). Les partenariats Nord-Sud impliquent en effet de nombreux déplacements, qui mettent en contradiction les pratiques de recherche avec l’idée de sobriété énergétique. Cette contradiction peut produire un sentiment de dissonance cognitive, de perte de sens, face au décalage entre, d’une part, les discours et thématiques des institutions de recherche impliquées dans les Suds, notamment l’IRD4 et le Cirad5, et d’autre part, l’empreinte carbone de nos pratiques professionnelles.

En 2021-2022, en marge de nos principales activités de recherche, nous avons développé une initiative interdisciplinaire ancrée à Montpellier6 visant à explorer les points de vue des acteurs et actrices de la recherche en partenariat avec les Suds concernant l’empreinte carbone de ce secteur. Cette initiative s’est fondée sur l’hypothèse qu’une meilleure compréhension de la diversité de ces points de vue – et des pratiques associées – pourrait servir de levier pour un changement des pratiques.

Une combinaison d’approches quantitatives, qualitatives et participatives

Lorsque cette initiative a débuté, des changements de pratiques de recherche étaient déjà à l’œuvre, fruits d’actions individuelles (par exemple, augmentation de l’usage du vélo pour les déplacements domicile-travail) et collectives (notamment en lien avec les activités de Labos 1point57), mais aussi de prises de position institutionnelles (par exemple, avis du Comité Éthique en commun INRAE-Cirad-Ifremer-IRD8 et du comité d’éthique du CNRS [Comets9]) ou nationales (la loi impose dorénavant aux établissements et organismes de recherche de réaliser un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre accompagné d’un plan de transition ; Comets, 2022). Cependant, la spécificité de la recherche en partenariat avec les Suds, amenant à de nombreux déplacements en avion, reste peu abordée dans les questionnements, recommandations et initiatives. Nous avons développé trois approches complémentaires pour explorer les pratiques et points de vue des acteurs et actrices de la recherche basés à Montpellier et travaillant en partenariat avec les Suds.

L’approche 1 (quantitative) a établi, à partir d’une enquête en ligne diffusée en 2019-2020 dans une trentaine d’unités de recherche basées à Montpellier et ayant pour cotutelle le Cirad, donc impliquées dans des recherches en partenariat avec les Suds, une typologie des points de vue des acteurs et actrices face au changement climatique et aux transformations qu’il requiert dans la recherche. Adapté de l’enquête nationale de Labos 1point510, ce questionnaire – auquel 402 personnes ont répondu – explorait les avis sur : (i) les pratiques individuelles ; (ii) les pratiques collectives au sein des unités de recherche ; et (iii) les pratiques institutionnelles. L’enquête incluait 44 questions, dont 28 fermées et 16 ouvertes. Des analyses multifactorielles et des méthodes de classification non supervisées ont été effectuées sur les données issues des questions fermées, tandis que les commentaires recueillis en réponse aux questions ouvertes ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu (Baradji, 2021). Sur les 364 personnes dont les réponses ont été analysées, la majorité (n > 300) avait un statut de chercheur ou chercheuse, entre 30 et 60 ans (n > 300), avec une majorité de genre masculin (n = 202).

L’approche 2 (qualitative) visait à documenter plus finement les points de vue sur les déplacements, qui sont au cœur des partenariats Nord-Sud, sur la base d’entretiens semi-directifs auprès d’un échantillon d’acteurs et actrices de la recherche collaborant avec les Suds, basés à Montpellier11. Trois catégories de « déplacements liés au travail » ont été pré-identifiées : (i) déplacements domicile-travail ; (ii) missions (réunions, terrains, colloques, etc.) ; (iii) expatriation dans un pays des Suds. Il s’agissait de comprendre les pratiques des personnes enquêtées et la raison de leurs choix, les adéquations et/ou décalages ressentis par ces personnes entre leurs pratiques professionnelles et personnelles, les éventuels changements de pratiques déjà réalisés ou envisagés, les obstacles et leviers identifiés et éventuellement expérimentés. Au total, 34 entretiens ont été réalisés en 2021-2022, auprès de 17 femmes et 18 hommes, incluant : 24 chercheurs et chercheuses (11 travaillant au Cirad, 10 à l’IRD, 3 au CNRS), 6 enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses (de l’Université de Montpellier ou de l’Université Montpellier − Paul-Valéry), 4 personnes en postdoctorat. Ces personnes enquêtées étaient membres de 6 UMR, basées à Montpellier et reflétant un large panel de disciplines scientifiques.

L’approche 3 (participative) s’est fondée sur une saynète de théâtre-forum, créée et jouée par la troupe Agropolis. Le théâtre-forum consiste à mettre en scène une situation de crise, destinée à faire réagir le public, qui est invité par l’animateur à exprimer ce qu’il a vu, ses interprétations, ses émotions (Fourat et Jankowski, 2021). Des membres de ce public sont alors conviés à venir remplacer certains acteurs ou à ajouter de nouveaux acteurs dans la saynète, afin d’explorer des scénarios alternatifs ou d’imaginer des solutions de sortie de crise (Berchon et Bousquet, 2021). Jouée en octobre 2022 devant un public composé d’une soixantaine de personnes appartenant à la communauté scientifique montpelliéraine, la saynète « Adapt 3000 et le défi des pompons verts » s’est inspirée des résultats des approches 1 et 2, de récits d’expériences personnelles et d’improvisations théâtrales. Dans cette saynète, cinq personnages archétypaux (du point de vue de leur relation au changement climatique – voir Encadré 1) travaillent dans une entreprise de production de pompons à partir de laine de couleur rouge ou verte. Les pompons rouges sont faciles à produire et sont très demandés mais contribuent à de fortes émissions de carbone (c’est-à-dire les déplacements en avion vers les terrains aux Suds), les verts, au contraire, représentent de nouvelles pratiques de recherche plus respectueuses de l’environnement mais sont plus difficiles à produire. Au fil de la saynète, des flashs infos faisant état de catastrophes socio-écologiques poussent les cinq personnages à prendre position pour l’usage préférentiel de laine rouge ou verte12. Le but de cette saynète de théâtre-forum était d’offrir un nouvel espace de dialogue, en supposant qu’il permettrait des interactions informelles et des propositions plus spontanées vis-à-vis des transformations de pratiques requises par rapport au format plus classique des questionnaires en ligne et des entretiens.

Personnages de la saynète de théâtre-forum créée par la troupe Agropolis.

  • Emma Mission est très impliquée et dévouée à la mission et au mandat de l’entreprise : produire des pompons. La noblesse, l’utilité et la durabilité de la mission compensent bien quelques entorses inévitables aux injonctions de changement au nom du dérèglement climatique.

  • Cécile LaTek croit que la technologie va sauver le monde. Optimiste, elle est toujours prête à innover et à proposer de nouvelles solutions techniques, mais elle n’a pas de vision globale des enjeux socio-écologiques.

  • Edwige Sépa se questionne beaucoup sur les crises en cours mais n’arrive pas à agir et remet tout en question. Elle est toujours d’accord, tout le monde a raison. Et puis les gens ont bien réfléchi à la question, mieux qu’elle. Elle n’a pas la solution !

  • Ali Berté incarne les contradictions. Conscient du problème rouge, il sait qu’il faut aller vers le vert, mais ne le met pas en pratique et s’accorde des libertés en travaillant la matière rouge. Il ne changera que lorsque tout sera interdit.

  • Al Radic est engagée dans une dynamique vertueuse et milite pour des pompons verts auprès de ses collègues depuis de nombreuses années, quitte à se mettre en colère face à leur immobilisme. Elle en appelle à la responsabilité individuelle et collective et exige la mise en cohérence des paroles et des actes.

Cécile LaTek et Al Radic sont clairement « concernées » par l’impact de leurs pratiques au travail (même si elles envisagent des changements de pratiques très différents), alors que Ali Berté et Edwige Sépa sont « nuancés » et Emma Mission est « réticente ».

Pratiques observées et changements envisagés dans la recherche en partenariat avec les Suds

Une attente de changements de pratiques professionnelles largement partagée

L’approche 1 a mis en évidence trois profils-types : individus « concernés » (n = 173), individus « nuancés » (n = 160) et individus « réticents » (n = 26) ; auxquels s’ajoutent quelques individus ne se prononçant pas (n = 5). Les individus « concernés » sont favorables aux propositions de mesures et d’actions collectives ou institutionnelles face au changement climatique, les individus « nuancés » sont moyennement d’accord avec ces mêmes propositions, tandis que les individus « réticents » sont en désaccord. Ainsi, la grande majorité des enquêtés impliqués dans la recherche en partenariat avec les Suds trouvent nécessaire de réduire leur empreinte carbone et notamment leurs déplacements en avion.

Une grande partie des personnes enquêtées (approches 1 et 2) attendent des prises de position venant des institutions de recherche pour des pratiques plus sobres. Un certain nombre de freins institutionnels à la réduction des déplacements professionnels vers les pays des Suds existant à ce jour ont été cités, notamment : les incitations multifacettes, de la part des institutions et des bailleurs de fonds, à multiplier les déplacements, notamment dans les systèmes de recrutement et d’évaluation13, et la non-prise en compte des questions environnementales par les agences de voyages avec lesquelles nos institutions travaillent.

Un continuum de pratiques individuelles concernant les déplacements vers les pays des Suds

Les trois profils distingués dans l’approche 1 s’inscrivent dans un continuum de positionnements concernant les déplacements professionnels dans le cadre des partenariats Nord-Sud. L’approche 2 a permis de mieux comprendre cette diversité et a montré que les raisons sous-jacentes aux modes et rythmes de déplacements vers les Suds (missions ou expatriations) sont enchevêtrées dans un faisceau de facteurs individuels, dans lequel les questions environnementales ne sont généralement pas au premier plan, tandis que les questions personnelles sont souvent centrales. Par exemple, le fait d’avoir des enfants en bas âge (surtout mentionné par des femmes), la fatigue liée aux déplacements ou encore des problèmes de santé contribuent à limiter les déplacements vers les Suds au-delà de la prise en compte des questions environnementales.

Parmi les personnes enquêtées dans l’approche 2, certaines ont fait une large part de leur carrière (voire toute leur carrière jusqu’au moment de l’entretien) en expatriation, tandis que d’autres n’ont jamais été affectées à l’étranger (y compris des employés de l’IRD et du Cirad). Ces personnes présentent l’expatriation tantôt comme une solution pour réduire les déplacements professionnels, tout au moins dans une certaine mesure, tantôt comme l’inverse (y compris du fait de l’empreinte carbone des vacances passées en France métropolitaine) :

Je pense que quand on est en expatriation, on peut être amené à faire beaucoup de déplacements. Lorsque j’étais en Amérique centrale, j’ai profité de toutes les opportunités pour donner des cours, connaître la région, etc. et je pense donc que mon empreinte carbone était particulièrement élevée, du fait de mon expatriation. […] je ne suis donc pas du tout d’accord avec cette façon de voir l’expatriation comme une option « low carbone » de présence sur le terrain. (chercheuse en poste permanent)

Quant au départ (ou non-départ) en expatriation, tout comme le retour d’expatriation, ils peuvent là encore être fortement liés à des questions personnelles, telles que le devoir moral pour des chercheurs d’origine étrangère recrutés par le Cirad ou l’IRD d’aider leur pays de naissance, la carrière des conjoints ou conjointes, l’éducation des enfants ou encore l’orientation sexuelle et le modèle parental (envers lesquels il existe un manque de tolérance dans certains pays).

La pandémie de Covid-19 a favorisé l’usage de la visioconférence dans le secteur de la recherche et amélioré l’opinion des scientifiques à ce sujet (Berné et al., 2022). Notre étude suggère toutefois que les points de vue relatifs à l’usage de la visioconférence dans le cadre de partenariats Nord-Sud restent mitigés. La visioconférence est présentée comme un moyen de réduire les déplacements, notamment ceux considérés comme « inutiles » ou « forcés », mais aussi de faciliter la participation à des réunions, séminaires ou formations par des partenaires des Suds qui n’auraient pas nécessairement pu y assister en présentiel pour des raisons financières ou autres (visa, par exemple) ; d’où des effets positifs en termes de diversité, d’équité et d’inclusion (Berné et al., 2022). Toutefois, cette option est aussi présentée comme n’étant pas idéale, ni pour construire et maintenir les partenariats aux Suds, ni pour former et encadrer les étudiants des Suds, ni pour mener à bien une recherche qualitative aux Suds (par exemple, manque d’expérience sensible des territoires, risque de surinterprétation, etc.).

Même si je suis d’accord sur le fait qu’il va falloir changer la pratique de nos métiers, je dois aussi me rendre à l’évidence qu’aucune visioconférence ne remplace une rencontre réelle entre les personnes et le relationnel qui peut se créer entre des partenaires de projet autour d’une visite terrain ou d’un dîner. On monte bien mieux un projet lorsqu’on est face à face qu’à distance. Cela voudrait dire moins de partenariats pluripays par exemple ? (extrait de réponse aux questions ouvertes de l’enquête en ligne, chercheur en poste permanent)

Parmi les personnes enquêtées, le terrain est présenté comme le cœur du métier, associé aux valeurs de coopération, donc impliquant des déplacements aux Suds indispensables et souvent non négociables. De plus, les missions « lointaines » font clairement partie de l’attrait des métiers de la recherche en partenariat avec les Suds.

Des espaces de dialogue pour transformer les pratiques dans la recherche en partenariat avec les Suds

À partir des profils types proposés par l’approche 1, cinq personnages ont émergé progressivement lors des séances de création de la saynète de théâtre-forum (Encadré 1).

L’espace d’échanges offert par la saynète de théâtre-forum a exploré des scénarios de changements de pratiques plus transformationnels que ceux que les membres de la communauté scientifique semblent prêts à envisager individuellement d’après les résultats des approches 1 et 2. À l’issue de la première version de la saynète jouée par la troupe, débouchant sur une situation de crise et de démission de deux des personnages, quatre scénarios alternatifs ont été explorés avec le public (Tab. 1). Un scénario ouvre la voie à des actions militantes de blocage de l’institution, un autre à un processus de transformation intérieure des membres de l’équipe de direction, tandis que les deux derniers mettent en lumière le besoin de mécanismes de concertation et d’espaces sécurisés de dialogue pour que la diversité des situations individuelles puisse être abordée comme une richesse pour l’engagement et l’action (Paasche et Österblom, 2019). Les scénarios explorés ont ensuite permis des échanges au sein du public, par exemple sur le niveau d’engagement ou l’équité des partenariats Nord-Sud (voir Annexe 1).

Tableau 1

Les quatre scénarios et remplacements proposés par le public au cours de la saynète de théâtre-forum jouée lors de l’événement de restitution des résultats du projet DiFUSE en octobre 2022.

Changements institutionnels, collectifs ou individuels ?

L’approche 1 renforce l’idée de la nécessaire prise en main de la transformation au niveau institutionnel (Ben-Ari, 2023 ; Berné et al., 2022). C’est d’ailleurs une dynamique qui est en cours : par exemple, l’IRD souhaite réduire l’impact environnemental de ses activités tout en prenant en compte ses spécificités, « dans un esprit de justice sociale14 ». Cependant, l’approche 2 montre l’importance de considérer les contraintes personnelles et l’approche 3 montre que des espaces collectifs de dialogue, comme le théâtre-forum, permettent d’envisager d’autres types/modes de transformation. Finalement, notre étude confirme qu’il est essentiel que les institutions accompagnent les réflexions et initiatives impulsées « par le bas », notamment au niveau des unités de recherche, à travers des démarches participatives (Ben-Ari, 2023 ; Baxerres, 2023).

Conclusion

Face au changement climatique, l’ajustement des pratiques de la recherche en partenariat avec les Suds pour aller vers une science responsable (Coutellec et Jean, 2024) requiert des impulsions institutionnelles mais aussi la mise en dialogue des freins et leviers prenant en compte les réalités du personnel de la recherche. Notre étude suggère, à partir du cas montpelliérain, qu’une grande majorité des acteurs et actrices de la recherche en partenariat avec les Suds trouvent nécessaire de transformer leurs pratiques, notamment de réduire leurs déplacements en avion, pour diminuer l’empreinte carbone de ce secteur. Toutefois, les pratiques actuelles de déplacement aux Suds restent variées, tout comme les points de vue sur la manière de promouvoir une recherche plus sobre. Le cas de l’expatriation illustre bien ce dernier point : elle est vue comme une voie de réduction ou au contraire d’augmentation de l’empreinte carbone de la recherche en partenariat avec les Suds. De nombreux facteurs influencent la limitation ou non des déplacements vers les Suds (missions/expatriations), ceux de nature personnelle (importance des valeurs de coopération et des travaux empiriques, attrait vers des pays « exotiques », parentalité, bien-être/santé) semblant prévaloir sur ceux de nature environnementale.

Cette étude témoigne également de la complémentarité des outils et méthodes que les scientifiques ont aujourd’hui à leur disposition pour documenter, analyser et mettre en débat la complexité des positionnements face à la nécessaire transformation des pratiques de recherche. L’approche quantitative a mis en évidence des tendances générales, tandis que l’approche qualitative a permis de nuancer cette typologie, et que le théâtre-forum a offert un espace propice à la réflexivité et à l’échange. Cette initiative a plus généralement contribué à mobiliser la communauté scientifique montpelliéraine autour des enjeux climatiques liés aux pratiques de la recherche en partenariat avec les Suds (voir Annexe 2). Il est désormais important de poursuivre les réflexions sur la spécificité des recherches menées avec les Suds (notamment dans des collectifs, via Labos 1point5, au sein des institutions et avec les bailleurs de fonds) en donnant la voix aux partenaires des Suds et en abordant frontalement la question de l’équité Nord-Sud dans le secteur de la recherche. Ces réflexions mériteraient aussi de s’ouvrir à la société civile, aux Nords comme aux Suds, qui questionne (peut-être de plus en plus ?) les valeurs et la finalité même de la recherche.

Remerciements

Nous tenons à remercier les nombreuses personnes qui nous ont apporté leur aide ou manifesté leur appui, en particulier (par ordre alphabétique) : Abdoulaye Baradji, Tamara Ben-Ari, Bernadette Bensaude-Vincent, Yannick Biard, Aurélie Binot, Chloé Galant, Pierre-Olivier Gaumin, Julien Mary, Sophie Molia, Symphorien Ongolo, Jean-Baptiste Sauret.

Annexe 1. Synthèse visuelle de l’événement final organisé en octobre 2022

Cette synthèse, réalisée par Aya Berteaud, reprend les différents échanges ayant eu lieu suite à la présentation des résultats de DiFUSE et à la saynète de théâtre-forum. Il a été notamment question : du rôle de l’individu, des institutions et de la responsabilité politique pour initier des changements de pratiques dans la recherche en partenariat avec les Suds ; du niveau d’engagement nécessaire entre lanceurs d’alerte, actions-chocs et discussions collectives pour permettre à une diversité de nouvelles pratiques d’émerger ; de l’équité des partenariats Nord-Sud.

Pour un accès à une version numérique et donc plus lisible de cette synthèse visuelle : https://difuse.hypotheses.org/activite-4.

Crédit : Sketchnote réalisé par Aya Berteaud − ayadesign (https://fr.linkedin.com/in/ayaberteaud).

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Annexe 2. Impacts du projet DiFUSE

Un objectif de DiFUSE était de contribuer à la structuration à Montpellier d’une communauté scientifique mobilisée pour une mise en cohérence du fonctionnement du secteur de la recherche en partenariat avec les Suds (orientations stratégiques, modes d’organisation, pratiques) au regard des enjeux climatiques. Il est difficile de mesurer l’impact de cette initiative de ce point de vue. On peut toutefois noter que l’équipe a été auditionnée en septembre 2021 par la commission « Enseignement supérieur − Recherche − Valorisation − Transfert − Innovation » du conseil économique, social et environnemental régional (CESER) − Occitanie dans le cadre d’un chantier sur la structuration du milieu académique dans cette région autour des transitions. Par ailleurs, nos résultats ont impulsé le projet interétablissements « Responsabilité des instituts de recherche face aux urgences écologiques et sociales » (Respires), qui « a pour ambition de favoriser l’engagement et le passage à l’action collective au sein des établissements de recherche » montpelliérains15. Respires s’intéresse notamment à l’impact d’une potentielle dissonance cognitive ressentie par les acteurs et actrices de la recherche sur leur qualité de vie au travail. Ce projet s’est basé sur les profils-types issus de notre approche 1 (quantitative) pour créer un questionnaire d’enquête. Enfin, l’équipe de DiFUSE a participé à des discussions avec des membres du Comité Éthique en Commun INRAE-Cirad-Ifremer-IRD, qui a depuis diffusé le rapport de son auto-saisine sur le thème « Quels droits et devoirs pour les scientifiques et leurs institutions face à l’urgence environnementale16 ? ».

La saynète de théâtre-forum elle-même s’est poursuivie au-delà de l’atelier de restitution de DiFUSE en octobre 2022, à travers quatre représentations proposées par la troupe Agropolis à différents publics en 2023-2024. Les personnages archétypaux de la saynète se sont alors progressivement affinés, nuancés et enrichis, tandis que le public faisait systématiquement remarquer l’absence d’un personnage niant le problème (et, plus généralement, les urgences socio-écologiques). Un nouvel archétype réticent a également été ajouté par le public : les « climatosceptiques qui se fichent de tout ». De plus, de nouveaux scénarios de sortie de crise ont été explorés par le public, élargissant ainsi la palette de solutions collectives envisageables au-delà des logiques individuelles de transformation des pratiques.

Références

Citation de l’article : Poupaud M., Fache É., Castella J.-C., Antona M., Blanco J., Carrière S.M., Fallot A., Guichardaz A., Mariel J., Muñoz F., troupe de théâtre-forum Agropolis, Labeyrie V., 2025. Diversité des points de vue face à l’empreinte carbone de la recherche en partenariat avec les Suds. Nat. Sci. Soc., https://doi.org/10.1051/nss/2025028


1

Pour une définition et discussion de cette notion, voir notamment Hardy et Noûs (2023).

2

Il ne faut toutefois pas ignorer qu’il existe d’autres sources d’émissions de gaz à effet de serre relatives à la recherche (voir, par exemple, Blanchard et al., 2022).

4

Établissement public à caractère scientifique et technologique qui « défend un modèle original de partenariat scientifique équitable avec les pays du Sud et une science interdisciplinaire et citoyenne, engagée pour la réalisation des Objectifs de développement durable », voir https://www.ird.fr/.

5

Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (ayant un statut d’établissement public à caractère industriel et commercial) : « l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable des régions tropicales et méditerranéennes », voir https://www.cirad.fr/.

6

Projet DiFUSE (https://difuse.hypotheses.org/), qui a bénéficié du soutien financier et scientifique de la Maison des sciences de l’homme Sud (ou MSH-Sud ; UAR 2035, CNRS, Université Montpellier − Paul-Valéry, Université de Montpellier, Cirad, IRD).

7

« Labos 1point5 est un collectif de membres du monde académique, de toutes disciplines et sur tout le territoire, partageant un objectif commun : mieux comprendre et réduire l’impact des activités de recherche scientifique sur l’environnement, en particulier sur le climat », voir https://labos1point5.org/.

11

Le protocole a été soumis au comité d’éthique de l’Université Montpellier − Paul-Valéry, dont il a reçu un avis favorable (no 2021-05 CER UPVM).

13

Certaines publications mettent en avant la nécessité de prendre en compte l’empreinte carbone dans l’évaluation de la recherche, voir par exemple : Berné et al., 2022 ; Ben-Ari, 2023. D’autres études démontrent par ailleurs qu’il existe des liens entre empreinte carbone relative aux déplacements en avion (plus élevés dans certaines disciplines ; Blanchard et al., 2022) et indicateurs bibliométriques de succès académique et donc « visibilité scientifique » (Sautier, 2021 ; Berné et al., 2022).

Liste des tableaux

Tableau 1

Les quatre scénarios et remplacements proposés par le public au cours de la saynète de théâtre-forum jouée lors de l’événement de restitution des résultats du projet DiFUSE en octobre 2022.

Liste des figures

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