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Nat. Sci. Soc.
Volume 33, Number 2, Avril/Juin 2025
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| Page(s) | 120 - 121 | |
| DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2025052 | |
| Published online | 30 October 2025 | |
Éditorial
L’Océan et la recherche scientifique à l’épreuve des tensions géopolitiques. Les leçons de la 3e Conférence des Nations unies sur l’Océan
Organisée à Nice début juin 2025, la 3e Conférence des Nations unies sur l’Océan (UNOC 3) n’avait pas pour but de négocier un nouvel instrument de droit international. Ces conférences ont pour seule vocation, tous les trois ans, de faire un point d’étape sur la mise en œuvre du 14e objectif de développement durable (ODD 14) dédié à la protection et à l’utilisation durable de l’Océan d’ici 2030. Mais elles présentent l’intérêt majeur d’aborder l’ensemble des enjeux liés à l’Océan, en rompant avec l’approche sectorielle propre à d’autres enceintes multilatérales telles que, par exemple, les conférences des parties sur le climat et la biodiversité, l’Autorité internationale des fonds marins, les négociations sur le traité portant sur la haute mer, l’Organisation maritime internationale ou encore l’Organisation mondiale du commerce.
Le multilatéralisme est critiqué de toutes parts pour son inefficacité, le caractère trop peu équilibré de sa gouvernance, mais aussi purement et simplement au motif que toute règle internationale contraindrait trop les intérêts et la souveraineté de superpuissances politiques, militaires et économiques, comme les États-Unis. À quoi donc servirait encore de jouer selon les règles ? La grande majorité des pays de la planète a toutefois apporté une réponse très claire : même quand une superpuissance décide de faire cavalier seul, définir des règles communes informées par la science est une meilleure option de sécurisation et de protection pour l’avenir.
Quel meilleur objet que l’Océan et la connaissance de ce milieu essentiel à la vie sur Terre pour démontrer à la fois l’inévitable interdépendance entre pays autour d’un bien commun dont nous dépendons tous, la nécessité de la coopération internationale pour le protéger, et les risques pour tous et pour chacun d’aventures individuelles d’appropriation par la force de ses ressources ? L’actualité démontre en effet qu’il y a lieu de craindre des stratégies de désinvestissement de la recherche publique ou de refus du partage des connaissances, et des formes d’exploitation extractives qui ne prendraient pas en compte une approche de précaution pour un milieu dont la richesse minérale semble n’être rien à côté d’une richesse biologique encore trop mal connue.
L’Océan est à tout le monde et à personne. C’est donc l’objet idéal pour expliquer à tous, y compris au grand public que, dans un monde de rapports transactionnels à court terme, voire de conflits, nous avons besoin de construire des formes de coopération basées sur des intérêts communs à long terme. Symboliquement, la conférence de Nice est donc un signal politique clé d’un point de vue géopolitique, malgré l’absence de délégation officielle des États-Unis (en présence toutefois de deux membres d’un comité consultatif présidentiel).
La séquence de Nice a été très riche, avec trois événements spéciaux qui ont précédé l’UNOC 3 : le congrès scientifique « One Ocean Science » qui avait notamment pour mission de formuler des recommandations à l’intention des chefs d’État et de gouvernement, le Forum sur l’économie et la finance bleues de Monaco, et la coalition des villes et régions côtières « Ocean Rise and Coastal Resilience ». Ces événements ont rassemblé de nombreuses délégations désireuses de soutenir des démarches de coopération, comme un signal que beaucoup d’États, d’autorités locales et d’acteurs privés y croient et y tiennent encore.
Au-delà du symbole, quels sont les résultats concrets de cette conférence ? En premier lieu, elle a été très utile pour mieux définir ce qu’on peut attendre d’un tel événement. Plutôt que de rechercher systématiquement à y édicter de nouvelles règles, il s’agit de démontrer combien les gouvernements sont sensibles à une pression d’émulation et au rythme politique impulsé par ces moments médiatiques, définissant des engagements concrets et une accélération de la mise en œuvre des règles. En témoigne l’accélération remarquable des ratifications du traité sur la protection de la biodiversité en haute mer, qui ont bondi à 50 durant l’UNOC. 60 ratifications étaient nécessaires pour son entrée en vigueur, ce qui est désormais acquis depuis septembre 2025, et la dynamique enclenchée à Nice se poursuit encore. Sur la négociation en cours d’un traité pour lutter contre la pollution par les plastiques, une coalition d’une majorité de pays (plus de 95) s’est exprimée à Nice début juin en faveur d’un texte ambitieux, réduisant non seulement la pollution à l’aval, mais aussi et surtout la production de plastique. Cela n’a malheureusement pas suffi pour parvenir à un accord en août 2025. Les pays producteurs de pétrochimie constituent, sans surprise, une minorité de blocage très active, mais il convient de souligner, pour la suite de cette négociation internationale, l’ampleur de la coalition qui s’est formée en faveur de la régulation, sous l’impulsion de pays du Sud comme le Rwanda.
Sur l’exploitation des grands fonds marins, Nice a plutôt été l’occasion de se compter entre alliés, encore minoritaires, en faveur d’une pause de précaution : le nombre de pays ayant rejoint cette coalition est monté grâce à l’UNOC 3 à plus de 35, alors qu’ils n’étaient qu’une vingtaine à Lisbonne en 2022. Plusieurs grands acteurs de la finance privée ont aussi signalé à Nice leur engagement à ne soutenir aucun projet d’exploitation. Tous ces signaux politiques et ces coalitions au service de causes communes et de règles coécrites sont significatifs, dans un monde traversé de conflits.
Pour ce qui concerne la mise en œuvre de ces engagements et des règles, déjà définies ou à venir, ces quatre moments à Nice et Monaco ont été l’occasion de démontrer des capacités très concrètes. Par exemple, à travers des projets locaux de tourisme durable côtier, conçus par et pour les communautés locales et les populations autochtones, en particulier des initiatives à forte valeur en capital naturel, qu’il s’agisse de biodiversité ou de carbone. Plusieurs acteurs du tourisme à grande échelle ont d’ailleurs indiqué qu’ils ne considéraient plus ces projets comme des niches marginales ou des exceptions, mais comme des sources d’inspiration et des orientations structurantes pour une transformation du secteur. Cette évolution vise à mieux respecter la capacité de charge des écosystèmes et à préserver la nature en tant que capital essentiel, socle même de l’industrie touristique. Ces engagements privés trouvent face à eux un certain nombre d’autorités publiques déterminées à mettre en place les conditions de politiques publiques nationales, régionales et globales nécessaires pour éviter une concurrence délétère et désespérée entre territoires pour attirer les investisseurs. On entre ainsi dans le concret, même si beaucoup reste encore à faire.
Autre exemple, l’émergence d’un écosystème extrêmement dynamique d’innovateurs et de start-up issues de la recherche publique ou privée, dans les champs des données, de l’intelligence artificielle ou des dispositifs d’observation satellitaire ou par drones, alliés à des structures de la société civile ou des organisations publiques ou internationales, qui tous ensemble permettent de croire à la promesse de suivi, de contrôle et de surveillance des activités en mer, sans lesquels les aires marines protégées resteront de simples parcs de papier.
Bien sûr, l’Océan demeure un enjeu de confrontation et de compétition, comme dans les nombreux cas de revendication d’extension du plateau continental ou de litiges de délimitation des eaux territoriales pour s’approprier de futurs gisements miniers ou énergétiques, ou encore dans les cas de l’océan Arctique ou de la mer de Chine méridionale, où la Chine construit des rapports de force. C’est également un espace stratégique en évolution très rapide, où la capacité d’observation se déploie de plus en plus vite. Cela permet à la fois de contrôler de mieux en mieux les activités en mer, mais cela rend aussi plus illusoire la dissuasion nucléaire par invisibilisation des sous-marins nucléaires. La connaissance de l’Océan est donc elle-même de plus en plus stratégique et risque d’être appropriée par des intérêts nationaux ou privés.
De l’avis général, le fait de faire précéder un événement multilatéral par un congrès scientifique, comme cela a été fait pour la première fois à Nice, s’est révélé une grande réussite. Ainsi, selon Peter Thomson, envoyé spécial pour l’Océan du secrétaire général des Nations unies : « Having the Science Congress directly prior to the UN Ocean Conference gave policy-makers the immense benefit of receiving the most recent scientific consensus on the ocean issues with which we are grappling. »
Le manifeste publié à l’occasion du congrès a été structuré autour de trois messages complémentaires : lorsque la connaissance scientifique est clairement établie, il n’est plus temps d’attendre avant d’agir ; en revanche, lorsque l’incertitude demeure, il est préférable de ne pas prendre des décisions porteuses de risques irréversibles et d’investir dans la recherche ; en toutes circonstances, il est essentiel de mettre la connaissance au service de l’action et l’action au service de l’intérêt commun.
Les sciences de l’Océan doivent elles-mêmes être protégées et soutenues en tant que bien commun, indispensable à la gouvernance de ces écosystèmes fondamentaux. De nombreuses règles, que les gouvernements ont choisies, pour la plupart, de soutenir – afin qu’elles entrent en vigueur et que leur application soit garantie –, reposent sur une approche fondée sur la connaissance et la précaution. Il s’agit non pas seulement de contrôler ou d’interdire certaines activités, mais surtout de répondre à un impératif de production de connaissances, afin de mieux comprendre la richesse biologique de l’Océan, son fonctionnement ainsi que les solutions à mettre en œuvre pour enrayer sa dégradation.
© S. Treyer et al., Hosted by EDP Sciences
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