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Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 2, Avril/Juin 2023
Dossier « Recherches sur la question animale : entre mobilisations sociétales et innovations technologiques »
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Page(s) | 263 - 266 | |
Section | Association NSS-Dialogues – NSS-Dialogues association | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2023043 | |
Published online | 29 November 2023 |
Unité et diversité du vivant. Réflexions pour un séminaire interdisciplinaire de l’Association NSS-Dialogues
Unity and diversity of life. Preliminary reflexions for an interdisciplinary seminar of the NSS-Dialogues Association
Dans le cadre des réflexions en cours au sein du comité de rédaction dont il a été rendu compte dans des éditoriaux de la revue, un groupe de travail s’est penché sur le renforcement des relations entre l’association NSS-Dialogues et la revue elle-même, et plus particulièrement sur le rôle d’animation de la communauté scientifique que l’association assurait il y a quelques années.
L’une des propositions de ce groupe vise à la mise en place d’un séminaire bimestriel commençant dès cette fin d’année 2023 et portant sur la question qui nous a semblé particulièrement d’actualité, de l’unicité et de la diversité du vivant. Ci-après, on trouvera le texte de cadrage rédigé par Pierre Cornu (membre du comité de rédaction) et Bernard Hubert (corédacteur en chef de la revue et vice-président de l’association NSS-D).
Le programme des séminaires, régulièrement actualisé, sera disponible sur le site de l’association. Ces événements sont largement ouverts aux membres de l’association ainsi qu’à tous ceux de leurs collègues qui se sentiraient intéressés.
Le comité d’organisation de ce séminaire bimestriel est composé de Pierre Cornu, Bernard Hubert, Sébastien Caillault, Nathalie Frascaria, Vincent Leblan, Claude Millier et Olivier Petit.
Un processus de relance conjointe de l’association NSS-Dialogues et de sa revue Natures Sciences Sociétés, initié en 2021, a permis de vérifier que le collectif qu’elles rassemblaient avait toujours en partage une pratique réflexive de l’interdisciplinarité et une éthique de la recherche comme contribution au bien commun à la fois impliquée (il en va de quelque chose pour la recherche scientifique et technique) et située (les sciences ne constituent pas des extériorités par rapport au monde du changement global). Mais il est apparu également au cours des rencontres thématiques organisées au sein de ce collectif que la substance des concepts qui figurent dans le titre même de la revue devait être remise sur le métier à la lumière des bouleversements de l’économie de la connaissance et des formes de l’agir du temps présent.
Natures, sciences, sociétés : comment ces concepts résonnent-ils, comment se répondent-ils dans un monde sous stress systémique global ? Et dans leurs pratiques de recherche embarquées dans les fluctuations de ce monde, les membres du collectif NSS partagent-ils plutôt des objets situés dans l’espace-temps – l’agriculture, la forêt, l’eau, la ville… – ou une attention pour des modes de relations entre objets – échanges, exploitation, cohabitation, coévolution... ? Entre les concepts constitutifs de la devise de la revue, et donc entre la connaissance, ses porteurs et ses objets, faut-il présupposer ou au contraire proscrire un ordre prédéterminé ? L’emboîtement des pluriels (Natures, etc.) constitue-t-il une pluralité indéfinie ou une unité systémique circonscrite ? Et pour synthétiser le problème, le « programme » de NSS est-il une totalité (l’ensemble des faits de nature et de société mis en sciences actionnables) ou, au contraire, un antidote à toute totalisation (par le postulat de l’irréductibilité du social et de la nature à un quelconque discours d’autorité) ?
Si on trouve bien des éléments de réponse à ces questions dans les archives et les mémoires de la revue, rien ne dit qu’ils forment une doctrine cohérente pour ceux qui se reconnaissent aujourd’hui dans le collectif et qui ont l’ambition d’en inscrire l’histoire dans une quatrième décennie. L’unité épistémologique est-elle gage de clarté ou risque de sclérose ? Et la diversité, en miroir, danger d’éclectisme ou source d’enrichissement ? La critique de la « raison occidentale » héritée des Lumières suppose-t-elle un renoncement à toute cohérence ou l’invention d’une cohérence d’un autre ordre ? Le pluriel assigné à chacun des concepts du titre de la revue signifie-t-il qu’ils doivent être interrogés dans leur pluralité ou que chacun est le bienvenu dans le collectif pourvu qu’il embrasse plusieurs formes de l’un d’eux ou l’interconnexion entre au moins deux concepts ou deux échelles ? Enfin, avec quelle analyse critique des compétences collectives ainsi rassemblées et, symétriquement, des faiblesses et donc des élargissements, recompositions ou alliances à envisager, peut-on produire une épistèmê à la fois inclusive et robuste, à la hauteur des défis du temps ?
C’est pour tenter de construire une réponse articulée et consistante à ces questions que l’association NSS-D a décidé d’organiser, à partir de l’année universitaire 2023-2024, un séminaire dédié à la dialectique de l’unité et de la diversité du vivant dans les approches de la crise du temps présent.
Une proposition de question-carrefour : la diversité comme enjeu de la relation entre sciences, natures et sociétés
En proposant une entrée par la problématique qui se trouve au cœur des controverses sur la possibilité de corriger la trajectoire en cours du système planétaire, à savoir la question du statut de la diversité du vivant – et, en miroir, de la diversité des sociétés1 –, ce projet de séminaire vise à la fois à réarmer conceptuellement la recherche inter et transdisciplinaire, et à l’inscrire dans une forme d’implication renouvelée dans les affaires de la cité, et ce à toutes les échelles pertinentes, depuis les socioécosystèmes locaux jusqu’au biogéosystème terrestre.
Si le processus de la crise globale à l’œuvre est déterministe ou gouverné par des verrouillages sociotechniques et cognitifs indépassables, toute réflexion stratégique est certes vaine. Mais s’il ne l’est pas, et si une issue autre qu’un effondrement s’avère possible, alors il importe par-dessus tout de concevoir l’intelligence collective nécessaire à son appréhension. Cette issue est-elle toutefois assimilable à une serrure unique, appelant à forger une clé unique, ou plutôt à une multitude de serrures actionnables chacune par une clé, ou une diversité de clés ? En cela, la prise de position en faveur d’une conception unitaire ou plurielle du vivant revêt une importance cruciale, aussi bien heuristique que politique. Les pensées de la crise contemporaine ont en effet pour pierre d’angle un paradoxe, celui de l’affirmation concomitante, issue justement de l’effort scientifique interdisciplinaire, de l’unité systémique du processus historique à l’œuvre dans la crise globale, et du caractère crucial de la diversité pour éviter que cette crise ne débouche sur un effondrement général.
Nous devons alors nous interroger :
Soit la diversité n’est que l’apparence dans laquelle se déploie le vivant, y compris dans ses déclinaisons sociales et culturelles. Intrinsèquement uni dans son développement historique, le vivant demanderait donc à être saisi comme une totalité interdépendante, dans une approche holiste assumée2 ;
Soit l’unité n’est que la forme intelligible pour le regard et pour l’agir humains que prennent les relations entre l’ensemble des éléments biotiques et abiotiques, matériels et immatériels, porteurs d’intentionnalités ou non, qui constituent l’emboîtement et l’interconnexion instables et changeants des existants et des systèmes en coprésence dans le monde. Auquel cas, la diversité est bien la seule entrée pertinente pour une compréhension par le bas, intrinsèquement constructiviste, de la dynamique des socioécosystèmes. Il s’agit alors de s’efforcer de saisir si et comment les existants interagissent à toutes les échelles possibles, et quel rôle y jouent les intentionnalités, rationalités et dispositifs techniques de toutes sortes inscrits dans la vie sociale et métabolisés dans les environnements construits dans la longue durée de l’anthropisation de la planète.
Pour autant, ce serait appauvrir la perspective que de prendre pour axiome l’une ou l’autre de ces propositions. Au contraire, nous considérons qu’une pensée actionnable de la crise de la biodiversité ne peut être que dialectique, à savoir construite sur l’impossibilité de rallier l’ensemble des épistémologies et des modalités d’action à une perspective pluraliste ou unificatrice de la problématique du vivant et de ses émergences emboîtées, qui serait polyphonique au risque de l’insignifiance ou unitaire au risque du dogmatisme.
Pour mettre en œuvre cette dialectique, nous proposons de construire un dispositif dialogique ouvert, inscrit à la fois dans la continuité de l’histoire de NSS et de sa tradition d’accueil bienveillant des recherches « aux marges », et dans un sens renouvelé de l’urgence et de la responsabilité de la recherche, et notamment de la recherche publique.
Penser, chercher, agir en situation de perte d’évidence du rapport du vivant à la durée
Comment résoudre la quadrature du cercle d’une épistémologie à la fois plurielle et unitaire ? Nous proposons de le faire non par un retrait dans la théorie, mais en affrontant directement la question de ses finalités, c’est-à-dire en partant de la configuration historique dans laquelle elle se déploie et des défis dont elle se saisit. Cela nous amène à l’examen des conditions de possibilité d’un franchissement du « mur du devenir » produit par les rétroactions négatives de l’agir humain sur la biosphère, y compris et surtout, pour ce qui nous concerne, de l’agir scientifique et technique.
Bien sûr, les clés et les verrous évoqués plus haut sont des artefacts matériels et/ou immatériels, qui supposent de prendre en compte d’autres artefacts, à savoir des portes et des cloisons, et des existants qui les traversent ou non. Dès lors, quel est le rôle de la recherche : forger des clés, apprendre aux acteurs à le faire, ou prêcher le refus ou le contournement de l’obstacle par une stratégie de sortie ou « bifurcation » vis-à-vis du modèle innovation-efficience ? Dans ce contexte, faut-il plus, moins ou autrement de science ? Sortir de la raison ou la raisonner au second degré ? En visant quelle robustesse, quelle intégrité fonctionnelle, quelle résilience systémique ? Dans quelles formes délibératives et décisionnelles, en alliance avec qui et pour quoi ? Dans quelle prise en compte des inerties, des intérêts constitués, de l’ignorance fabriquée, des incommensurabilités cognitives présentes dans la saisie de la diversité ?
Tout ceci exige une réflexion collective à nouveaux frais, qui prenne en compte à la fois les temporalités et les échelles du continuum pensée-recherche-action des dispositifs impliquant le vivant comme objet et comme enjeu, et la diversité comme question, comme valeur et, possiblement, comme moyen. À la lumière d’une histoire naturelle et humaine réunifiée, nous pouvons considérer en effet le vivant comme une émergence au sein du monde physique, l’existence d’êtres capables d’intentionnalités comme une émergence au sein du vivant, et enfin les sciences et les modes de production de connaissance, dans toute leur diversité épistémologique et heuristique, comme des émergences cognitives au sein des intentionnalités humaines projetées dans le monde3. Nous pouvons en arriver alors à ce fait inédit, révélé de manière vertigineuse dans notre temps présent, que des êtres capables d’intentionnalités et ayant développé par les sciences et les techniques des capacités d’action massives sur leur environnement, se montrent capables, par la destruction volontaire ou involontaire de tout ou partie de la composante biotique de leur environnement – y compris eux-mêmes – de contrecarrer la tendance du vivant à se développer et à se diversifier en le précipitant dans l’abîme.
Parce que cette situation est le produit historique de processus hybrides d’intentionnalités, d’effets d’intentionnalités métabolisées dans les choses, et de processus biologiques et physiques soit déterministes soit stochastiques, inscrits dans des cycles temporels désaccordés et néanmoins interconnectés, sa tendance n’est pas linéaire, et non prédictible encore par les outils d’une science quelconque. La seule certitude en l’état des choses, c’est qu’une dégradation significative de la biosphère et de sa diversité interne est déjà engagée et qu’une dégradation supplémentaire est inévitable à moyen terme ; d’autant que des arbitrages non encore opérés ne permettent pas de dire avec certitude quels « compartiments » du vivant en seront affectés le plus fortement, et à quel coût pour les droits et libertés des sociétés humaines.
La diversité demande-t-elle à être gouvernée ou émancipée ? Par imitation de sa propre logique ? Rationalisation ? Mise en œuvre d’un système de valeurs « réparateur » ? Avec quelle prise en compte de la conflictualité intrinsèque de l’agir humain et de la part de nihilisme qui l’habite aujourd’hui ? En d’autres termes, avec qui et quoi, contre qui et quoi s’agit-il de penser et d’agir, avec quels outils critiques et quelle capacité d’autoréflexion de la conscience scientifiquement informée ?
De fait, la dialectique unité/diversité ne peut opérer seulement dans le champ de la recherche scientifique, elle est un enjeu intrinsèquement politique, c’est-à-dire lié à des choix fondamentaux pour la préservation de l’habitabilité de la terre. Elle appelle donc une délibération élargie et inclusive, appelant à fonder une science de la diversité de second degré.
D’une question partagée à une stratégie collective
Passer avec armes et bagages du côté d’une théorie constituée ou d’un concept directeur du type « résilience », « soutenabilité » ou « transition » nous semble à ce stade prématuré et illusoirement fédérateur. Notre proposition est donc d’affronter directement le paradoxe de la situation décrite ci-dessus, celle que certains qualifient « d’anthropocène », et du mur du devenir qui le définit, c’est-à-dire d’en accepter la tension et les contradictions constitutives.
Cette dynamique intellectuelle, notre collectif doit se montrer capable de la faire vivre en son sein et avec l’appui de tous les porteurs de savoirs, d’expériences et d’idées susceptibles d’en nourrir le processus. Pour ce faire, il est nécessaire de procéder avec rigueur et méthode dans un cadre maîtrisé, avant éventuellement d’en diffuser les enseignements, dans une conception exploratoire de la recherche, tant sur les questionnements que sur les méthodes – avec, en perspective, l’actionnabilité et la mise en politique d’une telle science de la « socio-éco-diversité », capable de se prémunir du risque d’une confusion naïve ou instrumentale entre épistémologie et axiologie, mais également et surtout de développer un potentiel transformateur accordé au tempo des urgences du temps présent. Ce serait, assurément, la preuve de la pertinence renouvelée du pari initial de NSS.
Pierre Cornu et Bernard Hubert
Séminaire 2023-2024 « Penser, chercher, agir avec le vivant »
Séance du 12 décembre 2023 (9h30 à 12h30)
Unicité/diversité du vivant : quels concepts ?
Conférence introductive de Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle
Amphi Rouelle (MNHN, 57, rue Cuvier, bât 24, Paris 5e)
« biodiversité », « écosystème », « nature », « vivant » sont des mots dont la société s'est emparée. Quelles réalités se cachent-elles derrière ? Quelles représentations ? Nous verrons que le flou maintenu au cours des trente dernières années, voire certaines confusions, ont pu produire des holdup épistémologiques et politiques.
Ce séminaire est ouvert à une participation en présentiel de préférence. La possibilité de connexion à distance et les conditions seront précisées ultérieurement.
Inscriptions avant le 5 décembre en utilisant ce formulaire.
Contact : nss.dialogues@gmail.com
Citation de l’article : Cornu P., Hubert B., 2023. Unité et diversité du vivant. Réflexions pour un séminaire interdisciplinaire de l’Association NSS-Dialogues. Nat. Sci. Soc. 31, 2, 263-266.
© P. Cornu et B. Hubert, Hosted by EDP Sciences, 2023
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