Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 27, Number 1, January-March 2019
Dossier « Perspectives franco-brésiliennes autour de l’agroécologie »
Page(s) 20 - 38
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2019017
Published online 29 May 2019

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2019

L’agroécologie soulève une problématique de définition et de frontières. Nous avons montré l’effet de facteurs institutionnels exogènes sur la production académique relative aux agricultures écologisées, dans laquelle l’agroécologie est devenue une forme importante (Ollivier et Bellon, 2013)1. De nombreux agroécologues scientifiques revendiquent un projet interdisciplinaire ou transdisciplinaire, qui remet en cause les frontières disciplinaires internes à la science et la hiérarchie entre les savoirs scientifiques et non scientifiques (Dalgaard et al., 2003 ; Méndez et al., 2016). Wezel et al. (2009) notent que la notion se déploie dans et à l’interface des arènes scientifiques, des mouvements sociaux et des pratiques d’agriculteurs. Par ailleurs, en France et au Brésil, deux grands pays agricoles, l’agroécologie s’affirme aussi dans les politiques publiques. Plusieurs travaux (Bellon et Ollivier, 2012 ; 2018 ; Brandenburg et al., 2015 ; Rivera-Ferre, 2018) indiquent que l’agroécologie s’est développée par des circulations entre ces différents mondes sociaux en engendrant ainsi une évolution de ses significations, au point que l’agroécologie est qualifiée de « territoire en dispute » (Giraldo et Rosset, 2018). Ces constats mettent en exergue l’ambition portée par l’agroécologie de dépasser les frontières entre mondes sociaux et entre disciplines. Il reste cependant à mieux spécifier la manière dont l’agroécologie se construit et se développe aux frontières de différents espaces.

Nous proposons d’analyser les circulations entre monde scientifique et monde politique, au sens de politique publique et de mouvements sociaux, en se focalisant sur la dynamique et les modalités de construction de politiques de recherche en agroécologie dans deux grandes institutions de recherche agronomique, l’Embrapa au Brésil et l’Inra en France. Cette étude resitue ces exercices programmatiques dans leurs contextes sociopolitiques respectifs, en particulier en lien avec l’émergence dans chacun de ces deux pays de mouvements sociaux et de politiques dédiés à l’agroécologie.

Notre cadre analytique mobilise plusieurs concepts issus des science and technology studies (STS) dont certains travaux ont abordé les relations entre la science et d’autres secteurs de la société. En particulier, nous mobilisons la notion de frontière, utilisée par de nombreuses études de STS (Lamont et Molnár, 2002). Elle permet de penser la construction des démarcations, mais aussi des zones de transaction que les acteurs fabriquent continuellement entre différents mondes sociaux, définis par des activités, des valeurs, des rationalités et des identités propres (Granjou et Mauz, 2012 ; Lamont et Molnár, 2002). La notion reconsidère la vision fonctionnaliste qui conçoit la science comme un espace social autonome protégé par des normes de démarcation. Ces études analysent la manière dont la science est coproduite par ses dynamiques internes, mais aussi par des processus sociaux, politiques ou économiques externes (Pestre, 2003). De cette vision a émergé le concept de régime de production des savoirs (Pestre, 2003). Ce terme désigne des périodes où se stabilisent, momentanément, des assemblages de normes, d’institutions, de croyances, de pratiques et de savoirs légitimes organisant l’interface de la science avec l’économie, la politique et la société.

Bonneuil et Thomas (2009) ajoutent que les régimes relèvent de l’ajustement de logiques multiples, en synergie ou en tension, qu’ils nomment, en se référant à des travaux antérieurs (Aggeri et Hatchuel, 2003 ; Gaudillière et Joly, 2006), « modes de polarisation ». Dans leur étude de l’amélioration des plantes, ils identifient cinq modes de polarisation des recherches (Tab. 1) que nous mobilisons dans notre analyse empirique.

Sur un plan plus microscopique, Gieryn (1983) a conceptualisé le travail de frontière – ou de démarcation (boundary-work) – pour montrer comment les chercheurs cherchent à distinguer leurs pratiques de celles d’autres disciplines scientifiques ou encore de « non-sciences », en produisant une image leur assurant autorité sociale et cognitive, crédibilité, autonomie et opportunités vis-à-vis d’acteurs extérieurs.

Le travail de frontière peut être partiellement décrit par le concept de cadrage (framing) (Frickel et Gross, 2005). Ce concept, issu de la sociologie interactionniste des mouvements sociaux (Benford et Snow, 2000), décrit la construction d’un cadre d’interprétation des problèmes et de prescription de solutions. En fonction de la situation, l’acteur produit une représentation problématique et singulière du réel (un cadre), en sélectionnant, et donc en évacuant, des informations en phase avec ses intérêts et ses valeurs en vue de convaincre ses interlocuteurs, qu’ils soient financeurs publics, privés ou citoyens.

Nous analysons les exercices de programmation de la recherche, car les institutions de recherche y opèrent un cadrage. Plus ou moins en lien avec une demande sociale ou politique, ils mettent en avant et stabilisent une problématisation singulière qui articule des enjeux, des concepts et des actions de recherche à mener pour orienter les choix collectifs et individuels des chercheurs. La mise sur agenda (« agenda-setting »), au sens fort de la sociologie des problèmes publics, c’est-à-dire le travail de définition, de sélection et de hiérarchisation des problèmes traités par une autorité (Hassenteufel, 2010) d’un tel cadre au sein d’une organisation est une forme d’institutionnalisation. En effet, au moins pour un temps, une convention de sens réglant l’organisation et les actions individuelles et collectives légitimes est stabilisée (Tournay, 2009). Ces moments de construction de sens permettent de révéler le travail de frontière qui s’opère dans les institutions scientifiques. Bien plus que l’adhésion univoque des chercheurs à un cadre officiel (Hubert et al., 2012), la programmation de la recherche permet d’expliciter, parfois lors de controverses, les segmentations internes, des valeurs et des identités (Granjou et Mauz, 2012).

Nos matériaux d’analyse sont constitués des documents, primaires ou secondaires, qui portent sur les exercices de programmation, des quinze dernières années, à différents niveaux d’organisation des deux instituts. Ils diffèrent dans leur organisation et leur mode de programmation, ce qui ne permet pas d’en faire une comparaison totalement symétrique.

L’Inra, sous tutelle des ministères chargés de la recherche et de l’agriculture, est présidé par un PDG nommé en conseil des ministres après une audition et un avis de l’Assemblée nationale. Il comprend un collège de direction, treize départements à orientation plutôt disciplinaire, huit métaprogrammes thématiques et transversaux aux départements, dix-sept centres régionaux dans lesquels sont réparties plus de deux cents unités de recherche ou expérimentales sous tutelle d’un ou plusieurs départements. Nous avons étudié les documents d’orientation produits par la direction générale et les schémas stratégiques des départements abordant l’agroécologie.

L’Embrapa est sous la tutelle du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de l’Approvisionnement (Mapa) et non du ministère du Développement agraire (MDA) créé en 1999 pour s’occuper de réforme agraire et d’agriculture familiale et promoteur important de l’agroécologie2. Ce mode d’organisation reflète la bipolarité de l’agriculture brésilienne. L’Embrapa comprend une présidence et 47 unités de recherches décentralisées. Le modèle d’organisation a été choisi « pour faciliter les interactions avec les agriculteurs et la société » (Martha et al., 2012), il est territorialement décentralisé et organisé par priorités i) de produits (soja, coton, café) ; ii) de biomes (Cerrado, Amazonie occidentale,…) ; ou iii) de thèmes (agrobiologie, transfert de technologie, environnement…). Sa planification est produite de manière centralisée par une instance dédiée qui identifie un programme national finançant des portefeuilles de projets regroupés dans des macroprogrammes (Oliveira Penteado et al., 2014).

Nous ne visons pas une évaluation de ces politiques mais nous cherchons à identifier les cadrages de l’agroécologie produits au sein des deux instituts. Afin de mieux saisir les différents contextes et appropriations de ces discours institutionnels, nous mobilisons d’autres sources : rapports d’activité ou d’évaluation, prises de position publiques, communiqués de presse ou encore bases bibliographiques. Notre analyse s’appuie aussi sur nos implications personnelles respectives dans des groupes de travail liés à ces programmations, ce qui nous permet d’observer de l’intérieur la construction de ces politiques de recherche.

Dans une première partie, nous abordons pour chaque institution les contextes d’émergence et de développement d’un discours sur l’agroécologie. Ensuite, nous détaillons le travail interne aux institutions qui donne lieu à des implications contrastées et des controverses autour de différents cadrages de l’agroécologie. En conclusion, nous montrons quelles tensions reflètent les cadrages de l’agroécologie par les acteurs de ces deux institutions, tensions d’une part autour des frontières de la science avec la politique, où se révèlent différentes conceptions de la scientificité, et d’autre part autour des frontières de la science avec le monde économique, en particulier dans la situation bipolarisée de l’agriculture brésilienne.

De l’émergence à l’institutionnalisation de programmes de recherche en agroécologie

Dans quelles conditions l’agroécologie est-elle intégrée à la programmation scientifique de l’Embrapa et de l’Inra ? Elle se développe initialement hors des institutions de recherche, principalement sous l’égide de mouvements critiques du productivisme et de la recherche qui le soutient. En France, la recherche et les mouvements sociaux de l’agroécologie ont des trajectoires assez indépendantes (Bellon et Ollivier, 2012), alors qu’au Brésil ce lien structure des communautés scientifiques.

À l’Inra : relancer l’agronomie lato sensu par des emprunts à l’écologie

L’agronomie face à la crise de la modernisation agricole

Depuis la création de l’Inra en 1946, l’agronomie, au sens large de science de l’agriculture (Hubert B., 2013), a connu plusieurs développements sous l’impulsion d’enjeux sociétaux que l’on peut interpréter comme différents régimes de productions de savoirs. D’abord au service de la modernisation de l’agriculture française, avec pour identifiant principal l’agronomie, les desseins de l’institut évoluent, sous l’impulsion du PDG Jacques Poly (1978). Dans le cas de la recherche en amélioration végétale à l’Inra, Bonneuil et Thomas (2009) montrent ainsi le passage dans les années 1970 d’un « régime de progrès génétique planifié » – où les modes colbertistes et corporatifs pèsent sur la recherche pour contribuer à la modernisation agricole – au « régime de valeur ajoutée génétique mondialisée » – alliant l’excellence académique et une tendance à la polarisation marchande sous l’influence des industries amont ou aval.

Dans le même temps, la critique sociale puis environnementale de la modernisation émerge. Le « rapport Hénin », publié en 1980, établit le lien entre agriculture et pollution des eaux par le nitrate ; il catalysera la prise de conscience environnementale à l’intérieur et hors de l’Inra. Comme une des réponses à la crise du modèle de développement agricole, l’Inra crée en 1979 le département Sad (Systèmes agraires et développement). Ce département, en promouvant l’interdisciplinarité et une « systémique agraire » (Cornu, 2014), ambitionne de dépasser le réductionnisme de l’agronomie classique. La « systémique agraire » aborde l’agriculture en tant que système complexe qui intègre l’étude des faits techniques élémentaires, en les resituant dans les systèmes d’exploitation et d’activité inscrits dans un territoire (Cornu, 2014). Ce département reste néanmoins cantonné aux marges de l’Institut (Bonneuil et Thomas, 2009 ; Cornu, 2014) alors même que des collègues étrangers l’identifient comme acteur pionnier de l’agroécologie (Buttel, 2004).

Dans les années 1990, la prise en compte par la recherche des relations agriculture-environnement évolue vers une réflexion plus générale sur le lien recherche/société3 au moment où les crises sanitaires et les controverses publiques sur l’agriculture s’accentuent.

Dès la fin des années 1970, bien avant la mise sur agenda de l’agroécologie à l’Inra, des chercheurs, surtout en agronomie tropicale et en ethnosciences, s’y sont intéressés sporadiquement pour étayer leur critique du développement ou pour envisager les liens de l’écologie avec les milieux agricoles (Bellon et Ollivier, 2018). Par la suite, les écologues se saisissent finalement peu de la notion et de sa littérature. En 2004, des équipes d’écologie, jusque-là dispersées au sein de l’Inra, sont réunies dans un département disciplinaire « Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques » (EFPA) afin de faire de l’Inra un acteur majeur des recherches en écologie réservées jusqu’alors aux universités et au CNRS (Soussana, 2012). Mais ce département, centré sur les écosystèmes peu anthropisés, s’intéresse finalement peu à l’agriculture et à ses pratiques, et encore moins à l’agroécologie. Plus généralement, les écologues de la communauté scientifique française ne se penchent que tardivement sur les rapports entre écologie et agriculture puisqu’un groupe dédié n’est créé au sein de la Société française d’écologie qu’en 2016.

En fait, contrairement à l’école américaine d’agroécologie, initialement impulsée par des écologues qui s’associent ensuite à des sociologues (Sauget, 1993), l’agroécologie en France est davantage portée par des agronomes qui voient dans l’écologie une source de renouvellement de leur discipline (Hubert B., 2013). Durant les années 2000, des agronomes questionnent le passé (Robin et al., 2007), l’actualité (Doré et al., 2006) et le devenir (Chevassus-au-Louis, 2006 ; Doré, 2010) de leur discipline. L’agronomie est réorganisée à l’Inra dans un département Environnement & agronomie (E&A) en 1998 et dotée en 2008 d’une association nationale (Afa). Avec une acception plus large de l’agronomie, l’Inra s’implique dans un groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Relance agronomique » créé en 2011. Dans ce GIS, le terme agroécologie renvoie à différents dispositifs, à l’évolution de systèmes techniques et à la réduction de l’usage des pesticides.

L’agroécologie ou des notions proches servent de point d’appui pour relancer l’agronomie lato sensu. Par exemple, Guy Riba – alors directeur général délégué de l’Inra – propose « d’élaborer les concepts d’une éco-agronomie » et « de développer une écoagriculture » (Riba, 2005). Michel Griffon (2009) – ancien directeur scientifique du Cirad et directeur général adjoint de l’ANR – tout en promouvant l’agroécologie (Griffon et al., 2015) formalise la notion d’agriculture écologiquement intensive dans le cadre d’un groupe de travail du Grenelle de l’environnement animé par G. Riba. Bernard Chevassus-au-Louis (2006) – généticien des poissons, ancien chercheur (1976-2002) et directeur général de l’Inra (1992-1996) – propose de « refonder la recherche agronomique » par « l’élaboration d’une “agro-écologie” » puis d’une « agronomie intégrale ».

Cette refondation s’ancre aussi dans un contexte international qui légitime l’agroécologie, comme en attestent le rapport à l’Onu « Agroécologie et le droit à l’alimentation » (De Schutter, 2010) et l’évaluation internationale en matière agricole (McIntyre et al., 2009). Cette dernière affirme ainsi la nécessité de revoir le système agricole grâce à l’agroécologie et permet la rencontre de deux communautés épistémiques jusque-là peu en contact : les agroécologues américains et les tenants européens (au Cirad et à l’Inra) de la multifonctionnalité.

La production d’une politique d’orientation 2010-2020 pour l’agroécologie

Suite à l’indétermination initiale et au foisonnement lexical qui l’a accompagnée, l’agroécologie apparaît progressivement dans des documents d’orientation de l’Inra. Le document « Inra 2010-2020, une science pour l’impact » utilise significativement le terme, énoncé comme « chantier scientifique interdisciplinaire » pour répondre à un enjeu transversal : la sécurité alimentaire mondiale dans un contexte de changements globaux (Inra, 2010a).

L’affirmation de l’agroécologie va de pair avec une consolidation des relations de l’Inra avec la société civile. Ainsi, de manière inédite, la direction générale identifie en janvier 2010 les priorités de recherche soumises à une consultation électronique publique pour recueillir les avis d’organisations professionnelles ou de la société civile. L’agroécologie, présente dans la priorité 1 « Conjuguer les performances économiques, sociales et environnementales de l’agriculture » du document soumis (Inra, 2010b), ne suscite aucun débat chez les contributeurs.

Cette consultation « civique », et plus généralement le dialogue science-société, s’incarne aussi dans des conventions-cadres des relations de l’Inra avec des acteurs de la société civile tels que France Nature Environnement (FNE), la Confédération paysanne, l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab), la Fédération nationale des centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (FNCIVAM), mais aussi le groupe Avril, présidé à cette période par le président de la FNSEA. L’agroécologie est vue comme la « démarche commune » pour construire « une relation durable avec FNE » (Inra, 2014).

En termes d’animation scientifique, l’agroécologie donne lieu à partir de 2010 à un « chantier » piloté par la direction scientifique Environnement avec un volontarisme assez inédit, alors même que de nombreuses interactions existent entre la direction de l’Inra et le ministère de l’Agriculture (Guillou et al., 2013 ; Inra et Maaf, 2013), porteur à partir de 2012 d’une politique promouvant l’agroécologie.

Pour construire une culture commune de l’agroécologie, est organisé un cycle de conférences ouvertes aux chercheurs de renommée internationale, des réunions de travail entre membres de la direction, avec des partenaires et porteurs d’innovations et enfin une étude bibliométrique. Par ces opérations, la direction de l’Inra fabrique un cadre légitime de l’agroécologie pour ses chercheurs. Tout en produisant une représentation d’un domaine scientifique très englobant, le chantier définit l’agroécologie « comme intersection entre sciences agronomiques, écologie et biodiversité » (Soussana, 2012) avec trois grands axes : mobilisation de la biodiversité fonctionnelle, bouclage des cycles et changements d’échelle. L’agroécologie offrirait ainsi l’opportunité d’une nouvelle exploration des processus et mécanismes du vivant pouvant être valorisés en agriculture.

L’Embrapa, la Révolution verte, le dualisme étatique et la critique du mouvement agroécologique

L’Embrapa, bras armé de la Révolution verte, et la critique du mouvement agroécologique

Forgé par des technocrates du Mapa, des experts américains et des intérêts privés, l’Embrapa, créé en 1973 durant la période dictatoriale (1964-1985), est l’acteur central et efficace de la Révolution verte (Nehring, 2016). L’Embrapa est ainsi considérée comme un modèle de réussite fondé sur un soutien financier continu (personnels scientifiques, collaboration internationale), des interactions étroites avec l’État fédéral, fortement interventionniste, avec des partenaires privés, avec pour mission le développement de l’agrobusiness brésilien recourant à des recherches techniques finalisées (Correa et Schmidt, 2014 ; Oliveira Penteado et al., 2014 ; Martha et al., 2012). Le modèle, qui relève d’un régime liant mode étatique et mode marchand, marque encore la culture de l’institut (Martha et al., 2012 ; Mussoi, 2011). Grâce à d’importants gains de productivité, en particulier par l’amélioration variétale ou encore la transformation radicale du Cerrado, le Brésil est ainsi devenu le troisième exportateur agricole mondial (Nehring, 2016).

Des mouvements sociaux ruraux contestent l’exclusion des petits producteurs et de certains territoires induite par cette révolution (Baptista da Costa et al., 2015 ; Petersen et al., 2013). Sous la dictature, ces mouvements paysans prolétariens ou religieux s’organisent et promeuvent l’agriculture alternative – conceptualisée dès les années 1960 – et les technologies appropriées pour accroître la souveraineté alimentaire des paysans (Meek, 2014). Cette période coïncide avec l’émergence de l’agroécologie scientifique à l’échelle internationale4 et nationale (Altieri et Nicholls, 2017 ; Padula et al., 2013). Le livre fondateur de Miguel Altieri (1983) converge avec des réflexions menées par des agronomes, dans les universités et quelques centres Embrapa (Gomes et al., 2011). En organisant la conférence de Rio en 1992, le Brésil prend aussi une part active dans la remise en cause du modèle de développement, portée par les notions d’écodéveloppement puis de développement durable.

Ces événements induisent une remise en cause du modèle d’organisation de l’institut (Oliveira Penteado et al., 2014 ; Ribeiro, 1999). En 1983, l’unité Agrobiologie est créée. Dès 1985, Luiz Pinheiro Machado, précurseur de l’agriculture alternative et PDG de l’Embrapa pendant un an, tente de construire un programme national en contrepoint à la position dominante, en mettant l’accent sur le développement de technologies plus adaptées à la réalité de la petite production et le respect de ressources naturelles (Sambuichi et al., 2017). Si sa proposition échoue, d’autres documents programmatiques (Embrapa, 1989 ; Flores, 1991) appellent, tout en restant technocentrés, à un « saut qualitatif » grâce à « une attention à l’approche agroécologique de la recherche » accompagnée de nouveaux principes tels que la participation de la société, une plus grande décentralisation et coopération avec la recherche et le secteur privé, l’interdisciplinarité ou le renforcement des unités dans « des régions de faible qualité de vie » et en direction des « petits producteurs » (Silva H.D. et al., 2002). Mais cette proposition de restructuration fait face à la situation macroéconomique difficile des années 1990, induisant au contraire une baisse des investissements alloués à l’Embrapa (Martha et al., 2012), et par ailleurs à une instabilité politique de son ministère de tutelle.

À la fin des années 1990, le mouvement social se structure encore davantage et devient audible auprès des institutions gouvernementales, y compris de la recherche. L’agroécologie prend d’abord place à l’Embrapa par la voie de l’agriculture biologique que le Mapa administre sous l’influence des organismes de certification internationaux (Schmitt et al., 2017). En 1993, une station expérimentale dédiée à cette agriculture est créée. En 1999, la première Rencontre nationale de recherche en agroécologie a lieu à l’Embrapa Agrobiologie avec d’autres organismes de recherche et le mouvement AS-PTA5 (Embrapa, 2006). En 2000, un groupe de travail, coordonné par Embrapa Agrobiologie, identifie dans un document-cadre les besoins de recherche dans le domaine de l’agriculture biologique au Brésil (Neves et al., 2000), étape importante dans l’incorporation de l’agroécologie à l’Embrapa.

En 2003, l’arrivée au pouvoir d’une coalition plurielle menée par Lula (Parti des travailleurs) ouvre une fenêtre d’opportunité pour le mouvement social de l’agroécologie. Plusieurs éléments permettent l’expression et le développement d’acteurs jusqu’alors minoritaires (Schmitt et al., 2018) : la reconfiguration de l’espace politique fédéral, c’est-à-dire l’atténuation provisoire de l’influence de la Bancada ruralista – la coalition multipartisane au Congrès défendant les intérêts des propriétaires ruraux et de l’agrobusiness (Bruno, 2017) –, la consolidation du MDA et la mise en place de dispositifs participatifs et intersectoriels à tous les niveaux d’organisation de l’État. L’Embrapa reçoit aussi de 2003 à 2009 un soutien financier accru (Martha et al., 2012).

L’Association brésilienne d’agroécologie (Aba), créée en 2004, réunit les acteurs de la recherche, dont des chercheurs de l’Embrapa (Aventurier et al., 2015). L’Aba organise tous les deux ans les Congrès brésiliens d’agroécologie (CBA) où plusieurs milliers de personnes, chercheurs ou société civile, échangent autour de communications scientifiques et techniques, de positions politiques et de témoignages d’acteurs. Cette diversité d’expériences – scientifiques, politiques et pratiques – jugées indissociables contribue au renforcement de l’agroécologie (Ferguson et Morales, 2010). L’Aba cherche aussi à influencer les politiques publiques et insiste sur l’importance de la recherche pour la promotion de l’agroécologie. L’Aba et certaines organisations, comme en 2005 le Mouvement des sans-terre, interpellent l’Embrapa pour qu’il s’investisse davantage en agroécologie. On note au passage que l’ancrage sociopolitique et productif de l’agroécologie au Brésil diffère fortement de celui rencontré en France. Le cas de l’agriculture de conservation illustre pleinement cette différence. Au Brésil, la base sociale de l’agroécologie est la petite agriculture familiale, tandis qu’en France l’archétype de l’agroécologie pour les acteurs dominants de l’agroécologie (Cirad, Michel Griffon, ministère de l’Agriculture) est l’agriculture de conservation (Bellon et Ollivier, 2018) dont le développement est d’abord le fait de grands exploitants liés à des firmes (Ekboir, 2003 ; Goulet, 2008).

L’investissement interne et externe de l’Embrapa

La trajectoire de l’agroécologie à l’Embrapa est étroitement liée aux mouvements sociaux et aux politiques publiques, en particulier du MDA (Abreu et al., 2013 ; Luzzi, 2007 ; Petersen et al., 2013 ; Schmitt et al., 2017). L’agroécologie gagne du terrain dans l’institut grâce à la nomination de présidents successifs favorables : Clayton Campanhola (2003-2004) – docteur en entomologie et économiste, conseiller au Mapa, auteur de communications au CBA, employé par la suite au siège de la FAO aux côtés de son directeur général brésilien, José Graziano da Silva (Loconto et al., 2018) – puis Silvio Crestana (2005-2009), docteur en physique du sol. Dans cette fenêtre d’opportunité, l’Embrapa organise en 2005 un grand événement avec des agents des principales unités de recherche, des représentants d’organismes publics et des mouvements sociaux actifs ou intéressés par l’agroécologie (Luzzi, 2007 ; Sambuichi et al., 2017). Dans la foulée, un groupe de travail pluri-acteurs rédige le Référentiel en agroécologie (Embrapa, 2006). Ce document remis par S. Crestana au ministre Roberto Rodrigues propose un cadrage de l’agroécologie en tant qu’instrument de transition. Il promeut l’investissement significatif de l’Embrapa dans plusieurs domaines : la formation (Balla et al., 2014), le renforcement de l’Assistance technique et extension rurale (Ater), le soutien aux processus de certification participative et à la valorisation de l’agroécologie, et la participation aux instances des politiques publiques. Ce document est suivi d’effets organisationnels puisque cette proposition s’inscrit ensuite dans la programmation officielle de l’Embrapa, à la fois dans le macroprogramme 1 « Grands défis nationaux » et dans le macroprogramme 6 sur l’agriculture familiale créé à l’arrivée de Lula. Les responsables d’unités sont invités à suivre un cours sur l’agroécologie. À partir de 2007, de nouveaux profils de recrutement sur l’agroécologie et l’agriculture familiale sont instaurés. Un Forum permanent d’agroécologie, créé en 2008 à la fin de la présidence Crestana, permet un dialogue paritaire entre représentants de l’Embrapa et de la société civile pour mettre en cohérence les actions de recherche et de transfert de technologie sur des demandes sociétales. Des séminaires régionaux et nationaux de formalisation d’expériences en agroécologie sont organisés. De 2009 à 2012, le projet « Transition agroécologique : construction participative de connaissances pour la durabilité » du macroprogramme 1 concrétise l’institutionnalisation de l’agroécologie à l’Embrapa. Ce projet, représentant alors 23 % du budget spécifique alloué par l’Embrapa, organise un réseau national et soutient 59 actions de 365 chercheurs (soit 15 % de l’effectif) issus de 20 unités Embrapa (qui en compte 47) en association avec différents partenaires : des universités (7), des instituts de recherche (4), mais aussi des ministères fédéraux (Mapa, MDA), des institutions d’assistance technique privées et publiques, des associations et des coopératives d’agriculteurs (Neto, 2013).

En 2012 et 2015, le MDA sollicite l’Embrapa en tant que partenaire ou responsable de plusieurs dispositifs publics découlant du Plan national d’agroécologie et de production biologique (Planapo, Tab. 2) (Sambuichi et al., 2017 ; Schmitt et al., 2017). La création, par l’État fédéral, des nucleos (noyaux) d’agroécologie pour soutenir les initiatives locales d’agriculteurs associant l’enseignement et la recherche est « d’une importance fondamentale dans le processus d’institutionnalisation de l’agroécologie dans l’enseignement supérieur et l’Embrapa » (Silva L.M.S. et al., 2017). L’Embrapa est présente dans environ 15 % de ces nucleos. Mais son financement public est très irrégulier et a connu un pic en 2013 (environ 6 millions d’euros), ce qui a permis cette année-là la création d’environ 90 nucleos, sur 157 au total (Silva L.M.S. et al., 2017).

En effet, l’évolution du contexte politique de l’Embrapa, l’arrivée à partir de 2013 de ministres de centre droit, propriétaires terriens et liés à la Bancada ruralista ainsi que la nomination de présidents de l’Embrapa spécialistes de génétique, modifient l’investissement de l’institut en matière d’agroécologie. Le document de programmation Vision 2014-2034 (Embrapa, 2014) minimise la place accordée à l’agroécologie. Ce document, construit sous la présidence de Mauricio Lopes, biologiste moléculaire, à partir de groupes de travail composés de chercheurs de l’Embrapa, de représentants du Mapa, d’entreprises, de syndicats agricoles, et d’ONGs et du MDA en position minoritaire, ne comprend qu’un thème transversal intitulé « Agriculture familiale, production biologique et agroécologique ». L’agroécologie, si elle permet la reconnaissance des expériences d’inter-, voire de transdisciplinarité, contrastant avec la logique disciplinaire et de transfert des technologies (et al., 2017), reste marginale dans les rapports de force et les ambitions de l’Embrapa, explicitement tournée vers « les grands développements technologiques » promus par le président Lopes.

Tab. 2

Comparaison et évolution du volume, du rang et de la part relative des publications consacrées à l’agroécologie des instituts. (sources : Web of Science [Wos], bases bibliographiques ProdInra [Inra] et Alice [Embrapa], rapports d’activités). Web of Science : 1650 publications de 1956 à 2018 (requête avec les mots « agroecology » ou « agro-ecology »). ProdInra et Alice (alimentée par l’Embrapa depuis 1997) : la requête portait sur le titre, le résumé et les mots-clés, mais pas sur les affiliations. Rapports d’activités : bilans sociaux consultables à l’adresse http://bs.sede.embrapa.br et base des projets Embrapa sur www.embrapa.br/en/busca-de-projetos.

Cadrages, controverses et appropriations : les tensions entre scientificité et ancrage sociétal

L’analyse détaillée des documents internes à l’Inra et à l’Embrapa montre à la fois des points communs – tels que les approches systémique et interdisciplinaire – mais aussi des différences de cadrage de l’agroécologie, en particulier d’intégration des dynamiques sociétales et politiques externes. Comme l’indique le tableau 2, l’agroécologie progresse dans les deux institutions même si son importance relative reste très limitée. Mais, dans les deux cas, l’appropriation de la notion diverge. Alors que l’agroécologie à l’Embrapa met fortement en avant la dimension sociale et la référence aux petits agriculteurs familiaux, l’Inra est tourné vers l’excellence scientifique internationale. Enfin, des disparités internes émergent au sein des institutions en lien avec des dynamiques politiques externes.

Inra : les multiples cadrages de l’agroécologie

Plusieurs interprétations de l’agroécologie coexistent au sein de l’Inra. Elles sont très liées à des cadrages organisationnels ou disciplinaires. Ces différenciations s’inscrivent dans les tensions à propos du rapport science/société. Les trajectoires personnelles des chercheurs constituent également une clé de lecture.

Un premier cadrage, académique et biotechnique, produit par la Direction de l’Inra, conçoit l’agroécologie comme « nouvelle science » entre agronomie et écologie. En 2009, pour préparer son document d’orientation, Guy Riba demande à Thierry Doré, professeur d’agronomie et futur président de l’Afa, de rédiger une note interne sur les définitions de l’agroécologie (Doré, 2009). Cette note distingue cinq acceptions. Quatre d’entre elles sont regroupées car elles proposent de « faire une agronomie différente » dans une logique de refondation de l’agronomie. Une autre acception, plus interdisciplinaire, se réfère à « l’écologie des systèmes alimentaires » (Francis et al., 2003), impliquant des dimensions socio-politiques et convoquant les acteurs (Warner, 2007). Face au « risque de confusion » et aux « effets délétères » d’une trop grande polysémie, la note préconise « que l’Inra stabilise son utilisation officielle du terme » et propose sa propre définition6 fondée sur le couplage de l’agronomie et de l’écologie. Par la suite, l’Inra adopte cette proposition dans son document d’orientation (Inra, 2010a) et l’animation de son chantier.

La direction de l’Inra prescrit ce cadrage de l’agroécologie comme « nouvelle science7 ». Dans un entretien8, Marion Guillou, alors PDG, affirme :

« Nous devrons changer de concept de production agricole. […] Revoir les modes de production passe entre autres par une meilleure compréhension de la dynamique des sols et de l’interaction entre les éléments inertes et vivants. […] C’est ce que j’appelle l’agroécologie, une science toute jeune à la convergence de l’agronomie et de l’écologie ».

Cornu et al. (2018) notent que pour elle « l’agro-écologie n’est pas un reniement, mais un prolongement de l’agronomie au sens large […] vectrice potentielle d’une régénération de la dynamique ingénériale de l’agronomie française ».

Cette position rend invisible l’agroécologie historique américaine qui assume une critique écologique, politique et sociale de la modernisation (Altieri, 2002 ; Gliessman, 2013). La direction de l’Inra y voit une forme d’activisme illégitime pour un chercheur. Le directeur scientifique responsable du chantier opère sur ce point un travail de frontière en affirmant :

« L’agro-écologie a plusieurs sens. C’est d’abord une science, née dans les années 1930, au carrefour de l’agronomie et de l’écologie. À partir des années 1960, l’agroécologie émerge comme mouvement social et comme pratique […]. Relativement peu de travaux scientifiques s’en réclament […] Nous revendiquons dès lors le droit de parler d’“agro-écologie” (avec un tiret), afin de renouveler la vision scientifique des interactions et des convergences possibles entre ces disciplines » (Soussana, 2013).

Ce cadrage mobilise le département E&A comme en témoigne son schéma stratégique (Richard, 2016). Alors que certains départements ne s’engagent pas du fait de la distance de leurs objets avec ceux de l’agroécologie telle que définie par l’Inra, d’autres en profitent pour construire une position différente vis-à-vis de l’agroécologie. Des chercheurs du département dédié à l’élevage sont missionnés pour mener une réflexion scientifique ad hoc qui débouche sur une publication programmatique sur un domaine jusque-là peu couvert par l’agroécologie (Dumont et al., 2013). Des chercheurs du département de génétique et d’amélioration des plantes, parfois investis en agriculture biologique ou sélection participative, saisissent quant à eux cette occasion pour contribuer à ce qu’ils considèrent être un changement de paradigme en amélioration des plantes, prolongé par la réflexion en termes de services écosystémiques, tout en incluant les biotechnologies (Litrico et al., 2014). Le cadrage académique de l’Inra porte ses fruits (Tab. 2.) : entre 2010 et 2016, l’Inra, dont la moitié des publications sont issues du département E&A, passe au premier rang mondial des publications en agroécologie.

Un second cadrage de l’agroécologie comme vecteur de performance et de compétitivité se développe à la tête de l’Inra, selon une polarisation colbertiste et marchande. Il est coproduit par l’interaction de certains responsables de l’Inra avec la sphère politique. Le ministère chargé de l’agriculture recourt abondamment aux services de l’Inra pour légitimer sa politique. Avant d’être ministre, Stéphane Le Foll initie le Groupe Saint-Germain, comprenant des chercheurs de l’Inra, pour élaborer des propositions de réforme de la politique agricole (Groupe Saint-Germain, 2008). L’Inra coproduit avec le ministère plusieurs dispositifs : les conférences nationales annuelles « Produire autrement », le colloque « Agroécologie et recherche » en 2013, le Symposium de la FAO en 2014 ainsi que des expertises. L’agroécologie-comme-nouvelle-science contribue au débat climatique puisqu’elle sert de point d’appui lors de la COP21 à l’initiative française du « 4 pour 10009 », promue par le responsable scientifique du chantier agro-écologie. Ces expertises, le rapport Guillou (2013) et les expertises réalisées pour le Commissariat général à la stratégie et la prospective (CGSP) (Guyomard et al., 2013) contribuent à cadrer l’agroécologie selon la « double performance10 ». Ce cadrage, présent dès une version préliminaire du document d’orientation de l’Inra ou sous la plume du futur ministre Le Foll (2010), réduit le paradigme de la durabilité en évacuant sa dimension sociale et en se concentrant sur la compétitivité. En février 2015, « S. Le Foll souhaite lancer le programme Agriculture-Innovation 2025, en réponse aux préoccupations du monde agricole » (@INRAlerte, 2016). Les présidents de l’Inra et de l’Irstea (Bournigal et al., 2015), dans le rapport Pour une agriculture compétitive et respectueuse de l’environnement, lient la « transition agroécologique » au développement de technologies (numérique, robotique, biotechnologique…) pour une « compétitivité durable ».

Un autre cadrage de l’agroécologie intégrant davantage la dimension sociale émerge cette fois-ci chez certains acteurs au sein de l’institut. Des critiques internes s’élèvent en réaction à ces deux cadrages de la direction de l’Inra jugés trop restrictifs (nouvelle science ; double performance et compétivité). Dès lors, les contours de l’agroécologie s’élargissent, alimentés par des débats sur ses différentes versions (faible ou forte), la diversité des agricultures en coexistence, la question alimentaire… Ces contours s’enrichissent aussi des travaux sur les processus d’innovation et de transition qui s’approprient l’agroécologie comme un nouveau champ d’investigation.

Au sein de l’Inra, lors de, et en réponse à, la préparation du document d’orientation de 2010, le département Sad défend une « agroécologie pour l’action » explicitée dans une note de cadrage (Tichit et al., 2009). Réactivant son héritage, le Sad s’inspire de l’acception de Francis et al. (2003), évacuée du cadre légitime de la direction de l’Inra, pour justifier la pertinence d’approches systémique, interdisciplinaire et/ou transdisciplinaire avec les acteurs de terrain et pour traiter ainsi le caractère multidimensionnel de l’agroécologie. Si le département Sad a activement participé au chantier, il peine à élargir les contours de l’agroécologie et le rôle des acteurs dans son développement et, ce faisant, à légitimer les questions de recherche portées par les sciences sociales ou les postures de recherche impliquée.

Une position proche est relayée sur un autre mode par le syndicat Sud, élu minoritaire au conseil scientifique et au conseil d’administration de l’Inra. Sud critique de manière récurrente la stratégie de la direction : « de ne pas prendre en compte l’agroécologie pour l’action et de ne pas associer les agriculteurs porteurs d’alternatives à la construction de ce document, quand dans le même temps, un poids démesurément important est donné aux approches de modélisation11 ». Il déplore également « la place majeure que devront tenir les technologies dans l’agroécologie plutôt que de parler de la co-construction de ce nouveau modèle avec tous les acteurs concernés ». Cette critique est encore plus vive au moment du rapport Agriculture-Innovation 2025 : « Les rédacteurs ont […], peut-on craindre, tué le concept d’agroécologie, tant leurs propositions sont éloignées de la définition originelle de l’agroécologie12 ». Le cadrage par la performance est lui aussi critiqué. Les rapports remis au CGSP, dont les préconisations alimentent le rapport Guillou, donnent lieu à de vives controverses, mobilisant une centaine de chercheurs de l’Inra tant sur la méthode que sur les conclusions politiques qui en sont issues (Lamine, 2017). Sud critique le dernier document d’orientation dans lequel « la performance des systèmes reste l’étalon majeur et la dimension participative du monde agricole qui est l’essence même de la mise en œuvre des pratiques agroécologiques n’est toujours présente que marginalement13 ».

Enfin, la nomination en 2016 d’un nouveau PDG, porteur d’une polarisation à la fois colbertiste et civique, révèle des tensions avec celle, académique, de nombreux chercheurs de l’institut. C’est l’expression d’un colbertisme, dans la mesure où ce nouveau PDG est le directeur de cabinet du ministre chargé de l’agriculture. Le 6 juillet 2016, S. Le Foll affirme sur France Inter que cette nomination permet de conforter sa politique agroécologique à l’Inra au-delà de la probable alternance politique. De fait, cette continuité s’incarne dans la rédaction d’un texte programmatique commun avec le Cirad, acteur historique en matière d’agroécologie (Côte et Soussana, 2016), d’un nouveau document d’orientation (Inra, 2016) et du lancement d’une prospective sur l’agroécologie.

Ces initiatives entérinent une inflexion du cadrage déjà envisagée en 2012 par l’Inra dans le sens d’une polarisation plus civique : « Le périmètre initial avait été centré sur les interactions entre écologie et sciences agronomiques, ce qui […] induisait une asymétrie des disciplines (peu d’ouverture aux sciences humaines et sociales). Ce périmètre présentait ainsi le risque de restreindre le champ d’impact du chantier en le déconnectant des acteurs, des filières et des territoires » (Soussana, 2012). Un nouveau compromis émerge autour de la notion d’innovation, fortement promue par le nouveau PDG, le ministère de l’Agriculture ou le Conseil économique, social et environnemental (Claveirole, 2016). L’innovation et l’accompagnement de la transition agroécologique sont un moyen de donner des gages aux critiques à propos de la question sociale.

Le nouveau document d’orientation 2016-2020 (Inra, 2016) constitue une synthèse qui atténue le cadrage académique initial au profit i) de la performance (« [#3Perf] » dans le texte), avec sa logique marchande faisant la part belle au biocontrôle ou à l’agriculture numérique et ii) d’une logique civique donnant une place aux acteurs, sous l’angle particulier de l’innovation.

La tension avec l’académisme est manifeste, à l’occasion de la nomination du nouveau PDG qui suscite de vives réactions publiques de la direction et de chercheurs déplorant, entre autres, que l’Inra soit dirigé par un homme sans thèse et ancien directeur de cabinet de Stéphane Le Foll (@INRAlerte, 2016), et dont le leitmotiv est l’innovation. Par exemple, la CGT note : « Ce document [d’orientation] a visiblement été rédigé à l’attention des ministères et n’est pas un document de recherche. […] Faire de l’innovation technologique une orientation stratégique de notre institut, c’est prendre le risque de reléguer un organisme de recherche unique au monde et reconnu internationalement pour son excellence à un rôle de grand institut technique au service du patronat et de l’agroalimentaire mondial14 ». Comme le notent Bonneuil et Thomas (2009), la frontière entre polarisations civique, corporative et marchande est ténue dans la mesure où il est nécessaire d’en préciser les bénéficiaires : les citoyens, les agriculteurs, les filières ou les industries ?

Embrapa : un cadrage de l’agroécologie comme instrument de transition à l’épreuve de la crise institutionnelle et des tensions de la science avec le politique et l’économique

Une fenêtre d’opportunité politique a permis de mettre sur agenda l’agroécologie à l’Embrapa, vue comme instrument de transition, ce qui a légitimé pour un temps l’engagement de chercheurs dans des approches transdisciplinaires en lien avec les mouvements sociaux. Les chercheurs de l’Embrapa interviewés par Mussoi (2011) témoignent en effet, malgré des progrès, de difficultés de mise en pratique du cadrage de la transition agroécologique. Un chercheur note qu’après la production du référentiel (Embrapa, 2006) et le développement de projets fructueux, l’agroécologie a connu un recul à partir de 2010, cantonnée dans une logique de substitution d’intrants. Un autre chercheur évoque le renforcement de certaines unités, mais bien en deçà des soutiens à l’agrobusiness. Un troisième fait état des difficultés de coordination interne à l’Embrapa et des « contraintes de fluidité avec les agendas gouvernementaux » en raison, d’une part, de l’intermittence des relations avec le MDA et, d’autre part, de « l’hégémonie de l’agro-industrie dans tous les espaces subordonnés au Mapa ».

Depuis, l’Embrapa dans son ensemble a vécu un retour de balancier tout en entrant dans une crise externe et interne qui remet en cause sa politique agroécologique et tout son modèle institutionnel. Sur un plan externe, en parallèle à la crise politique de la coalition gouvernementale Roussef, le MDA, dirigé de 2003 à 2015 par des ministres du Parti des travailleurs, est rétrogradé en 2016 sous la présidence Temer en secrétariat d’État au sein du ministère du Développement social, perdant ainsi sa faible capacité à peser sur l’Embrapa. Le poids du Mapa pour contrer l’investissement de l’Embrapa en agriculture familiale et en agroécologie s’est alors accru. Les relations de l’Embrapa avec les ministres de l’agriculture successifs (six en huit ans), parfois grands propriétaires terriens et membres de la Bancada ruralista, se sont dégradées. Alors que le président Crestana démissionne en 2009 pour raisons personnelles, son successeur, Pedro Arraes, est débarqué en octobre 2012 par le ministre de l’Agriculture, Mendes Ribeiro (Ana et Aba, 2012). Tout en niant une influence partisane au sein de l’Embrapa, le nouveau président Lopes a remis en cause des projets impulsés par Lula (Lopes, 2014 ; Sassine, 2014). C’est en fait le modèle institutionnel de l’Embrapa qui est décrié. Dans une situation économique difficile, Blairo Maggi, ministre de l’Agriculture entre 2016 et 2019, également premier producteur mondial de soja, a déploré le coût de l’institut et préconisé sa privatisation partielle, une réduction du personnel ainsi que des coupes budgétaires très importantes (Porto, 2018). Ce contexte politique houleux a des conséquences sur le développement de l’agroécologie à l’Embrapa. Cette crise institutionnelle, où se mêlent des intérêts et des jeux politiques nationaux la dépassant, rend difficile la mutation agroécologique de l’institut. La porosité de la frontière entre la recherche à l’Embrapa et le contexte politico-économique rend l’agroécologie fortement dépendante des aléas politiques.

Par ailleurs, la participation de l’Embrapa à une politique intersectorielle agroécologique est critiquée par certains scientifiques qui mettent en cause le manque de scientificité de l’agroécologie. Ainsi, Abramovay (2007) affirme que « l’agroécologie ne peut être une doctrine de l’État ». Pour lui, la science agroécologique n’est pas en capacité d’apporter des solutions à des dilemmes complexes – par exemple produire tout en préservant l’environnement – qui relèvent de choix politiques et sociaux. Il affirme que l’agroécologie doit rester dans une double posture académique et critique, non doctrinaire, en dehors de la négociation sociale.

Les liens à la politique et aux mouvements sociaux exacerbent ce débat. D’un côté, des chercheurs et des mouvements sociaux revendiquent cette base scientifique, mais en transcendant « les limites de la science elle-même » pour « résoudre des problèmes non incorporés par la science classique » (Embrapa, 2006), c’est-à-dire en privilégiant des approches systémiques et transdisciplinaires au service des agriculteurs familiaux dans les pratiques de recherche en agroécologie. Cela amène d’ailleurs des acteurs à contester le maintien de l’unité « Transfert de technologies », d’inspiration diffusionniste et en contradiction avec les réflexions sur les technologies appropriées constitutives d’une agroécologie sud-américaine (Fressoli et Arond, 2015). D’un autre côté, certains auteurs plaident pour davantage de scientificité. Pour Benedito Silva Neto (2015), dans les débats qui portent sur l’agroécologie, les questions scientifiques paraissent secondaires par rapport aux aspects politiques. Abramovay (2000) suggère d’accroître la crédibilité des travaux en agroécologie en les confrontant à des communautés et critères scientifiques élargis.

Un sociologue, ancien conseiller du Mapa, recruté sur concours à l’Embrapa en 2011 après avoir pris sa retraite d’une université publique, affirme de manière polémique que l’agroécologie dissimulerait une fiction politique douteuse (Navarro, 2015). Jugeant le terme agroécologie trop imprécis, il conteste la solidité de ses fondements épistémologiques ainsi que l’ontologie des agroécologues. Pour lui, la primauté accordée au local(isme), qualifiée d’« inductivisme naïf », ne réduit-elle pas les possibilités d’extrapolation au profit d’une focalisation excessive sur les singularités empiriques ? La logique de complexification des systèmes est-elle réellement bénéfique pour les petits producteurs, alors même que l’agroécologie n’a pas, selon lui, fait la preuve de sa performance ? Cette critique acerbe suscite une vive polémique chez les agroécologues qui répondent à cet « autisme scientifique » (Souza Silva, 2013) notamment en précisant ce qu’est l’épistémologie de l’agroécologie (Caporal et al., 2011 ; Gomez et al., 2015 ; et al., 2017).

Une autre dimension de la crise institutionnelle concerne la frontière poreuse entre l’Embrapa et le secteur privé. Lors de la démission en 2012 du président de l’Embrapa, Pedro Arraes, une opposition interne tire le bilan dans ces termes : « Pionnière dans la course aux technologies agricoles au Brésil, l’Embrapa a perdu sa vision stratégique et son leadership dans la recherche en faveur des entreprises multinationales » (Mendes et Ferreira, 2012). Par la suite, le nouveau PDG de l’Embrapa, bien qu’ancien allié du Parti des travailleurs, se conforme à la politique libérale du gouvernement Temer et à ses ministres de l’agriculture issus de l’agrobusiness. La Vision 2014-2034 de l’Embrapa ou ses appels à projets récents témoignent d’un recentrage en faveur de l’agrobusiness aux dépens de l’agroécologie et de l’agriculture familiale. Le ministre Maggi affirme : « L’Embrapa doit être un lieu de haute technologie capable de rivaliser avec les grandes entreprises » (Porto, 2018). En effet, les grands producteurs, dont le ministre Maggi, déplorent de trop dépendre des recherches privées des multinationales alors qu’auparavant l’Embrapa leur fournissait 60 % des nouvelles variétés de soja15.

Face à cette situation en grande tension, les acteurs scientifiques de l’agroécologie et leurs alliés tentent de réagir pour s’opposer à une Embrapa « au service des entreprises de l’agrobusiness » (Ana et Aba, 2012). À l’occasion de la démission du président Arraes en 2012, l’Aba et l’Ana réclament la nomination d’un président « ouvert au dialogue avec les organisations et les mouvements sociaux qui défendent l’agroécologie », contrairement au président Arraes qui, selon eux, a clos l’espace ouvert par les deux présidents précédents (Ana et Aba, 2012). L’Ana et l’Aba militent pour le caractère public de l’Embrapa, c’est-à-dire sa capacité à être au service du plus grand nombre et à lutter contre la privatisation d’un bien commun (en particulier les banques de ressources génétiques détenues par l’Embrapa). En 2014, l’Aba signe un manifeste16 afin de contester l’interférence du sénateur Maggi, futur ministre de l’Agriculture dans les orientations de recherche d’un centre de l’Embrapa au détriment des agriculteurs familiaux. La même année, lors des troisièmes Rencontres nationales de l’agroécologie, 300 manifestants occupent les locaux d’un centre Embrapa et demandent au président Lopes de travailler davantage en faveur de l’agroécologie « pour la majorité de la population », c’est-à-dire les agriculteurs familiaux (Oliveira, 2014).

En 2018, Vicente Almeida, syndicaliste et chercheur à l’Embrapa travaillant sur les impacts des OGM et des pesticides, est limogé, ce qui suscite l’indignation17. À cette occasion et face à la multiplication des cas d’intimidation, l’Aba affirme : « Nous sommes confrontés à une situation limite, emblématique et représentative d’une tendance qui menace tous les professionnels engagés dans la construction de l’agroécologie […] compromettant ainsi la construction de l’agroécologie dans le pays ». Elle appelle à une plus grande autonomie de l’Embrapa vis-à-vis des intérêts privés et à la construction d’une stratégie « au service de la durabilité sociale et environnementale du pays ». En somme, le cadrage de l’agroécologie comme instrument de transition n’a pas résisté à l’alternance politique, au regain d’influence de l’agrobusiness et à la crise qui secoue le Brésil.

Conclusion : les instituts face aux tensions autour des frontières de l’agroécologie

Que pouvons-nous retenir de la mise en regard de ces deux situations ? Notre analyse montre que les mises sur l’agenda de recherche de l’agroécologie à l’Inra et à l’Embrapa, résumées dans le tableau 3, sont le fruit d’interactions de la recherche avec le monde politique et les mouvements sociaux, propres à leurs contingences nationales respectives.

L’état des lieux de Wezel et al. (2009), qui définit l’agroécologie comme l’articulation entre science, mouvement social et pratique est incomplet. Nous montrons en effet que certains mondes sociaux absents de ce modèle (les politiques publiques et le marché) sont pourtant très actifs dans le processus d’émergence et de définition de l’agroécologie. L’articulation entre ces différents mondes sociaux est loin d’être fluide car les acteurs négocient les frontières entre ces mondes en construisant différents cadrages de l’agroécologie. En considérant le développement de l’agroécologie comme un processus de légitimation dans un réseau d’arènes scientifiques, politiques, civiques et pratiques, Montenegro de Wit et Iles (2016) montrent que chaque arène fonctionne selon des procédures et des critères spécifiques pour juger de la crédibilité de l’agroécologie, ce qui induit également la diffraction du sens de l’agroécologie que nous avons observée. De fait, nous ne mettons pas en évidence la stabilisation d’un régime de production de savoirs propre à l’agroécologie, mais plutôt une confrontation entre logiques de régulation académique, étatique, civique et/ou corporatiste, au gré des conjonctures dans lesquelles se trouvent les institutions considérées.

Ces deux situations illustrent le long cheminement nécessaire à l’arrivée de l’agroécologie dans les institutions de recherche agronomique, depuis son émergence dans les années 1920 et sa structuration internationale aux États-Unis depuis les années 1970 (Wezel et al., 2009). Ces établissements, organiquement construits sur des logiques finalisées pour la production agricole, n’ont pas perçu la portée programmatique, pour la recherche, de la prise en compte de l’agroécologie scientifique. Dans les deux cas, le degré d’investissement paraît relativement modeste, même si une dynamique d’institutionnalisation de la recherche en agroécologie est engagée et incorporée par nombre de chercheurs.

À l’instar de Frickel et Gross (2005), nous montrons, d’une part, le rôle majeur des directions des instituts et, d’autre part, pour ces instituts pris dans une régulation étatique, le poids des fenêtres d’opportunité politique permettant de légitimer dans l’institution un sujet initialement traité dans ses marges par des pionniers.

Cela étant, l’évolution des contingences politiques nationales contrastées joue fortement sur les modes de cadrages – officiels ou internes – de l’agroécologie des deux institutions.

Au Brésil, la perception précoce de l’agriculture biologique comme opportunité pour l’exportation permet le développement de travaux sur l’agroécologie. Mais, c’est surtout l’arrivée de Lula à la tête du Brésil entraînant une polarisation étatique-civique qui a eu des effets importants, en particulier sur le positionnement de l’agroécologie comme alternative à la recherche dédiée à l’agrobusiness.

En France, la fenêtre d’opportunité est liée aux évolutions du débat international et aux crises environnementales et sanitaires des années 1990 qui amorcent la mutation interne de l’Inra vers une vision plus civique et une polarisation académique puissante. Cette mutation précède et facilite la mise en place, en 2012, d’une politique agricole dédiée, ces deux dynamiques se renforçant mutuellement autour de l’agroécologie.

L’Inra et l’Embrapa entretiennent des rapports différents avec les mouvements sociaux ou les questions sociales, ce qui influence les cadrages et les frontières disciplinaires internes de leurs agroécologies. Au Brésil, les mouvements sociaux et les questions de justice sociale nés sous la dictature ont su peser à certains moments à la fois sur une partie du gouvernement et sur l’Embrapa. L’agroécologie à l’Embrapa est surtout cadrée par la polarité civique relayée par l’État et son mode de gouvernance, alors que la polarisation académique est sujette à débat. En France, l’expression de la demande sociale est moins conflictuelle et plus tardive. L’agroécologie est un moyen pour l’élite agronomique de se légitimer en se mettant en phase avec les enjeux internationaux et sociétaux. Le slogan de l’Inra, « Science et Impact », traduit cette double polarisation académique-étatique, mais aussi civique avec le rééquilibrage récent qui met l’accent sur l’innovation et la transition comme une manière particulière d’aborder la question sociale.

Enfin, la polarisation marchande transparaît aussi dans ces deux trajectoires. Le Brésil vit depuis quelques années, et plus encore avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir, le retour de la primauté donnée à l’agrobusiness et le regain d’influence de la Bancada ruralista en faveur de la spécialisation des recherches sur les hautes technologies liées au secteur privé et aux grands propriétaires. Cette tendance contredit les mouvements sociaux et la majorité des chercheurs investis en agroécologie (voir les positions de l’Aba) qui revendiquent la construction de technologies orientées vers l’inclusion sociale (Fressoli et Arond, 2015). En France, où la bipolarité de l’agriculture est moins intense, l’agroécologie est de plus en plus liée au marché. Ainsi, l’agriculture biologique est devenue un secteur économique reconnu. Des acteurs publics et privés cherchent à faire reconnaître les produits agroécologiques par le marché (Hurstel et Dorioz, 2017). Le ministère comme l’Inra ont développé un cadrage de l’agroécologie par la compétitivité. Dans ce cadre, un discours adossant l’agroécologie au développement de technologies high-tech émerge ces dernières années (Bellon-Maurel et Huyghe, 2017 ; Bournigal et al., 2015). Sans rejeter le potentiel de ces technologies, on note cependant la possible contradiction avec les réflexions historiques de l’agroécologie américaine (Fressoli et Arond, 2015) ou des acteurs du mouvement social français autour de la notion de technologie appropriée. En effet, les technologies et leur milieu associé sont susceptibles d’induire de nouvelles dépendances économiques et cognitives chez les usagers (Ollivier et al., 2018).

Comme nous l’avons montré à propos d’autres agricultures écologisées (Ollivier et Bellon, 2013), la dépendance à des fenêtres d’opportunité politique implique un fort risque de reflux. La fermeture de l’ère Lula-Roussef au Brésil est de ce point de vue patente. En France, le départ en 2017 de S. Le Foll – conséquence de l’alternance politique – et les dissonances entre les ministres Travert et Hulot avant leurs départs, ainsi que les renoncements du gouvernement Macron sur les dossiers des États généraux de l’alimentation ou du glyphosate posent la question de la continuité du soutien. Qu’en est-il donc des formes de pérennité institutionnelle de l’agroécologie ?

En interne, une continuité existe au sein des instituts par l’ancrage dans des pratiques scientifiques, dans leurs structures même, comme en atteste l’Inra qui met la transition agroécologique dans ses priorités.

En périphérie des instituts, l’agroécologie est impliquée dans divers instruments et organisations. On pense ici aux relais au sein de sociétés savantes revendiquant des liens à la société civile, la Sociedad Científica de Agricultura Latino Americana de Agroecología (Socla) ou Agroecology Europe, ainsi que l’inscription, soutenue par la France et le Brésil, de l’agroécologie dans l’agenda de la FAO (Loconto et al., 2018). Ce sont des espaces frontières où pourraient perdurer, au-delà des contingences politiques nationales, les interactions des scientifiques avec les acteurs politiques et des mouvements sociaux. On pense aussi aux cursus des écoles d’agronomie et d’agriculture ou encore aux instruments pour faciliter les démarches collectives d’agriculteurs, les nucleos au Brésil ou les groupements d’intérêt économique et environnemental en France. Dans ces deux cas, les politiques publiques ont eu d’importants effets sur la structuration des réseaux d’agroécologie dans le champ professionnel ou de la société civile (Bellon et Ollivier, 2018).

Tab. 3

Comparaison des mises à l’agenda de l’agroécologie à l’Embrapa et à l’Inra (source : les auteurs).

Remerciements

Nous remercions nos relecteurs ainsi que Claire Lamine pour son travail de coordination ainsi que les lecteurs anonymes pour leurs commentaires.

Références

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1

Cette recherche a été financée par le programme Capes-Cofecub (Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur [Brésil] et le Comité français d’évaluation de la coopération universitaire et scientifique) et le projet ANR Institutionnalisation des agroécologies (IDAE) [ANR-15-CE21-0006-05].

2

Voir dans ce numéro l’article de Lamine et al., « Alliances et controverses dans la mise en politique de l’agroécologie au Brésil et en France », doi:10.1051/nss/2019015.

3

Cf. l’évolution de la dénomination de la cellule environnement créée en 1986 pour animer une réflexion et produire des publications à destination du grand public : « Délégation permanente à l’environnement » en 1993, « mission Environnement-société » en 1998, puis « mission d’anticipation recherche/société & développement durable » en 2009 jusqu’à sa suppression en 2016.

4

Création de Maela (Mouvement agroécologique latino-américain) et du Consortium latino-américain d’agroécologie et développement (Clades) comprenant des chercheurs.

5

Association d’appui au développement de « projets de technologies alternatives » (créée en 1983) qui s’identifie à l’agriculture familiale et à l’agroécologie, http://aspta.org.br/

6

« compréhension, grâce notamment aux concepts et méthodes de l’écologie, des mécanismes, processus et régulations biologiques à l’œuvre dans les agro-écosystèmes appréhendés à différentes échelles, et valorisation des connaissances afférentes dans la conception et l’évaluation de systèmes techniques agricoles innovants » (Doré, 2009).

7

Voir les déclarations de Marion Guillou dans un article publié en 2010 dans le Nouvel Économiste, www.lenouveleconomiste.fr/marion-guillou-nous-creons-une-nouvelle-science-lagro-ecologie-5681/.

8

Entretien donné en 2010 au journal Les Échos, archives.lesechos.fr/archives/2010/Enjeux/00272-036-ENJ.htm

9

Initiative internationale sur la séquestration du carbone dans les sols devenue un instrument d’influence géopolitique française et une manière d’insérer positivement l’agriculture dans le régime climatique.

10

Les rapports CGSP sont commandés sous l’égide du Premier ministre Fillon en avril 2012 tandis que le rapport Guillou est commandité par S. Le Foll en vue de préparer sa loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.

11

Extrait du communiqué de presse du 10 décembre 2012, www.sud-recherche.org/SPIPprod/spip.php?article1600.

12

Extrait du communiqué de presse du 7 janvier 20167j, www.sud-recherche.org/SPIPprod/spip.php?article2303.

13

Extrait du communiqué de presse du 7 juillet 2016, www.sud-recherche.org/SPIPprod/spip.php?article2435.

14

Voir le message du 20 octobre 2016, www.inra.cgt.fr/actualites/messages/20oct16.htm

15

« Embrapa perde relevância para o  », Metrópolesó, 29 de abril 2018, www.metropoles.com/brasil/economia-br/embrapa-perde-relevancia-para-o-agronegocio.

Citation de l’article : Ollivier G., Bellon S., Deane de Abreu Sá T., Magda D., 2019. Aux frontières de l’agroécologie. Les politiques de recherche de deux instituts agronomiques publics français et brésilien. Nat. Sci. Soc. 27, 1, 20-38.

Liste des tableaux

Tab. 1

Modes de polarisation des recherches en agriculture (adapté de Bonneuil et Thomas, 2009).

Tab. 2

Comparaison et évolution du volume, du rang et de la part relative des publications consacrées à l’agroécologie des instituts. (sources : Web of Science [Wos], bases bibliographiques ProdInra [Inra] et Alice [Embrapa], rapports d’activités). Web of Science : 1650 publications de 1956 à 2018 (requête avec les mots « agroecology » ou « agro-ecology »). ProdInra et Alice (alimentée par l’Embrapa depuis 1997) : la requête portait sur le titre, le résumé et les mots-clés, mais pas sur les affiliations. Rapports d’activités : bilans sociaux consultables à l’adresse http://bs.sede.embrapa.br et base des projets Embrapa sur www.embrapa.br/en/busca-de-projetos.

Tab. 3

Comparaison des mises à l’agenda de l’agroécologie à l’Embrapa et à l’Inra (source : les auteurs).

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