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Nat. Sci. Soc.
Volume 25, Number 1, January-March 2017
Dossier « L’agriculture dans le système alimentaire urbain : continuités et innovations »
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Page(s) | 36 - 47 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2017013 | |
Published online | 31 May 2017 |
Dossier « L’agriculture dans le système alimentaire urbain : continuités et innovations » – Comprendre la complexité des liens ville-agriculture : intérêt d’une approche par le système agri-urbain. Le cas de Bobo-Dioulasso, Afrique de l’Ouest ★
Understanding the complexity of agriculturalurban relationships through a systemic approach. The case of BoboDioulasso, West Africa
1
Géographe, Cirad, UMR Innovation,
Montpellier, France
2
Géographe, Inra, UMR Innovation,
Montpellier, France
* Auteur correspondant : robineauophelie@gmail.com
Reçu :
8
Septembre
2015
Accepté :
14
Septembre
2016
L’agriculture urbaine est en expansion dans de nombreuses villes du monde. Son analyse invite à dépasser les frontières séparant traditionnellement les études urbaines des études agricoles. Cet article souligne l’intérêt du concept de système agri-urbain pour penser la complexité des relations ville-agriculture. À partir de l’étude d’une ville d’Afrique de l’Ouest, son objectif est d’élaborer une grille de lecture de ces relations à l’échelle territoriale de la ville et de sa région. Trois groupes d’interactions ville-agriculture sont distingués : les interactions spatio-historiques entre nature, agriculture et ville, les interactions entre le système urbain actuel et l’agriculture, et enfin les interactions au sein du système agraire urbain. Il s’agit de repérer, dans l’ensemble de ces relations, ce qui explique la diversité des agricultures urbaines et les facteurs qui influencent leur devenir.
Abstract
Urban agriculture, a widespread phenomenon across the world, invites us to new ways of analyzing two spheres traditionally considered separately: the city and agriculture. This article seeks to emphasize the importance of the agriurban system concept to analyze the complexity of cityagriculture interactions. Taking the case study of a West African city, its objective is to develop an interpretative framework of these interactions at the territorial level of a city and its region. We propose a systems approach based on the intersection of three groups of interactions: i) spatial and historical interactions between nature, agriculture and the city, ii) interactions between the current urban system and urban agriculture, and iii) interactions within the agricultural system. The aim is to identify how a variety of relationships between city and agriculture are developed and what is at stake for the durability of urban agriculture. Firstly, we show the historical contribution of agriculture to the development of the city: farmers have mobilized local resources to develop a diversity of urban or periurban farming activities. Secondly, analyzing the agriurban system reveals specific forms of urban governance and the weight of informality in the development of urban agriculture. Finally, our analysis highlights the weight of croplivestock and ruralurban interactions in the functioning of the agriurban system.
Mots clés : agriculture urbaine / élevage urbain / territoire / système agriurbain / Burkina Faso
Key words: urban agriculture / urban livestock / territory / agricultural urban system / Burkina Faso
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2017
Les liens entre ville et agriculture existent depuis l’origine des villes. Ils ont cependant constamment évolué au cours du temps, se déployant à distance ou à proximité, s’organisant indépendamment ou sous l’influence directe des gouvernements urbains. Aujourd’hui, l’agriculture urbaine est un phénomène qui se développe dans toutes les villes du monde, au Nord comme au Sud, recouvrant des réalités multiples, tant dans les types d’agricultures concernés que dans leurs contributions ou fonctions pour la ville et son développement.
Dans les pays du Sud, l’agriculture urbaine est un phénomène largement décrit dans la littérature (Smit et al., 1996 ; Mougeot, 2000 ; De Bon et al., 2010 ; Hamilton et al., 2014), surtout depuis que les Nations unies ont pointé son rôle dans la réduction de la pauvreté et l’approvisionnement alimentaire. Dans ces pays, l’agriculture urbaine est caractérisée par ses interactions fortes avec la ville, par la proximité ou par le lien économique et social (Mougeot, 2000). Les travaux disponibles soulignent la diversité des acteurs et des espaces agricoles concernés (Franck, 2007 ; Dauvergne, 2011 ; Dossa et al., 2011) et analysent le rôle que joue l’agriculture urbaine dans l’approvisionnement des marchés urbains (Moustier et Danso, 2006 ; Crush et al., 2011 ; Mawois et al., 2011). Des recherches abordent les problèmes techniques de l’agriculture urbaine au Sud, avec notamment l’utilisation des eaux grises et des déchets urbains, et les problèmes sanitaires que cela peut engendrer (N’Dienor, 2006 ; Danso et al., 2008 ; Njenga et al., 2010). Les aspects économiques, sociaux et politiques sont également abordés, sous l’angle des conditions économiques d’une activité agricole majoritairement pratiquée par des citadins précaires (Schilter, 1991 ; Dabat et al., 2006), ou via l’étude de la place accordée à l’agriculture dans les politiques urbaines (Smith, 1999 ; Prain et al., 2010 ; Dubbeling et al., 2011). Au cœur de toutes ces approches, les problématiques foncières sont une constante des études d’agriculture urbaine, notamment en termes de mécanismes de marchés et de compromis entre parties prenantes (Simon et al., 2004 ; Diop Guèye et al., 2009).
Ce rapide paysage des travaux montre que l’agriculture urbaine est un domaine aujourd’hui largement investi par la recherche, sous des angles multiples. Cependant, ces recherches se focalisent souvent sur le type majeur d’agriculture urbaine, le maraîchage, ou privilégient une catégorie d’agriculteurs urbains, ou une dimension spécifique des relations de l’agriculture avec la ville. A contrario, les analyses systémiques qui permettraient de comprendre comment s’élabore une diversité de relations entre l’agriculture et l’urbain, font encore défaut. Ainsi, en Afrique subsaharienne, malgré l’importante littérature existant sur l’agriculture urbaine et les liens urbain-rural, peu d’études ont été conduites à l’échelle de la ville ou de la région (Aubry et al., 2012 ; Robineau, 2013).
Notre article se situe dans cette perspective d’une lecture systémique des relations ville-agriculture. Il s’agit de repérer, dans l’ensemble de ces relations, ce qui fait lien, synergie, et qui explique in fine pourquoi telle forme d’agriculture existe, perdure, se recompose ou disparaît. Une telle perspective a été initiée dans le projet ANR DAUME1, qui a proposé le concept de système agri-urbain pour décrire la diversité des relations qui se nouent entre l’agriculture et l’urbain, à différentes échelles d’espace et de temps (Valette et al., 2012 ; Soulard, 2014). En s’inscrivant dans cette même approche, notre article propose l’analyse complète du système agri-urbain d’une ville moyenne d’Afrique de l’Ouest, Bobo-Dioulasso au Burkina Faso2. Son objectif est d’élaborer une grille de lecture des interactions ville-agriculture à l’échelle territoriale de la ville et de sa région.
Cadre d’analyse et terrain d’étude
Développer une approche systémique s’avère pertinent pour analyser les différentes dimensions des interactions ville-agriculture. Rountree (1977) soulignait qu’« un système ne peut pas être analysé en considérant ses composants séparément, car ce sont les interrelations et les interactions de ses composants qui produisent son identité et son intégrité organisationnelle ». S’intéresser aux chaînes causales complexes et aux interactions apparaît alors nécessaire pour expliquer l’organisation d’un système. Mais le problème du système agri-urbain est qu’il repose sur des entités d’analyse habituellement séparées. D’une part, le concept de système agraire a été utilisé dans les études rurales pour décrire les interactions entre une société agricole, ses activités et son environnement politique et naturel (Cholley, 1946 ; Cochet, 2011). D’autre part, le concept de système urbain a été développé dans les études urbaines pour décrire un réseau d’espaces urbains interdépendants, à l’échelle régionale comme à l’échelle de la ville (Berry, 1964). Le concept de système agri-urbain vise donc à dépasser ces frontières d’analyse de la ville et de l’agriculture, en plaçant le focus sur les interactions entre celles-ci. Le système agri-urbain est défini comme l’ensemble des relations et interactions qui s’établissent entre l’agriculture et l’urbain, en considérant d’emblée qu’elles sont multidimensionnelles et dynamiques (Valette et al., 2012). Le problème des limites spatio-temporelles du système reste toutefois entièrement posé, car a priori il n’y a pas de limites aux relations ville-agriculture.
Pour se saisir du système agri-urbain, les analystes choisissent de se focaliser sur une entité de base, qui peut être l’unité d’activité agricole appréhendée dans ses multiples relations à l’urbain (Soulard et Aubry, 2011), la région urbaine elle-même et son espace d’aménagement (Forster et Escudero, 2014), ou bien encore le système alimentaire urbain, qui considère les relations entre une ville et son hinterland3 alimentaire (Blay-Palmer, 2010 ; Corsi et al., 2015). Ainsi, le concept de city-region − « ville territoire » −, utilisé en premier lieu par les urbanistes dès les années 1950, a été remis au goût du jour par des praticiens de l’aménagement territorial pour réfléchir de manière opérationnelle aux relations entre alimentation, agriculture et nature dans le développement des territoires. La « ville territoire » émerge alors comme échelle d’analyse pertinente des relations entre ville, agriculture, nature et alimentation.
Cadre d’analyse
À partir de ces concepts, nous proposons de développer un cadre d’analyse systémique basé sur le croisement entre trois groupes d’interactions ville-agriculture (Fig. 1).
Les interactions spatio-historiques entre nature, agriculture et ville visent à décrire les rapports nature-société négociés sur le temps long. Pour reprendre l’expression de Picon (1978) à propos de la Camargue, il s’agit de se référer au temps économico-historique de la construction des rapports nature-société, en repérant les permanences et les changements qui ont façonné l’histoire agri-urbaine d’une « ville-région ». Les travaux des géographes et historiens ont en effet montré le rôle des héritages sur le temps long dans la compréhension des dynamiques contemporaines du développement. Par exemple, tout en réfutant tout déterminisme, Gourou (1984) montre que les interactions entre riz et civilisation ont façonné les paysages asiatiques combinant forte densité humaine et intensité agricole. Les travaux contemporains peuvent s’inspirer de ces approches en mobilisant l’écologie ou l’agronomie du paysage pour comprendre des systèmes territoriaux aux interfaces entre systèmes socioéconomiques et socioécologiques (Busck et al., 2006). En résumé, il s’agit de prendre en compte dans l’analyse les « temps sociaux » au sens de Braudel (1985), qui ont façonné la dynamique actuelle, du temps long des héritages inter-générationnels aux temps événementiels des initiatives du quotidien. Dans notre recherche, une revue de littérature sur les villes africaines et sur l’histoire de Bobo-Dioulasso a permis de reconstituer les grandes phases de développement de la ville et de son évolution agricole. La compréhension de l’histoire récente s’est appuyée également sur l’analyse de photographies aériennes de 1981 et 1999 de l’Institut géographique burkinabé, ainsi que sur des entretiens avec des responsables locaux (chefs coutumiers et autorités municipales).
Les interactions entre le système urbain actuel et l’agriculture permettent de décrire ce qui compose aujourd’hui les relations entre activités urbaines et agricoles. Il s’agit d’analyser l’agriculture à partir du système urbain, c’est-à-dire étudier ce que la morphologie urbaine offre comme lieux agricoles possibles, le système économique de la ville et la place qu’y occupe l’agriculture, les caractéristiques du système alimentaire urbain, et enfin la gouvernance locale. L’échelle d’analyse correspond aux limites d’aménagement et de gouvernance de la ville. Des entretiens avec une diversité d’acteurs ont permis de saisir la façon dont l’agriculture est prise en compte dans les politiques publiques, ainsi que les mécanismes informels à l’œuvre pour le maintien et la tolérance d’activités agricoles en ville. Les entretiens ont été réalisés avec des acteurs institutionnels (élus, agents des services techniques municipaux, agents des ministères), des responsables d’organisations agricoles et de quartier, ainsi que des agriculteurs de différents profils (éleveurs porcins, avicoles et bovins à gros et petits effectifs exerçant en des lieux contrastés de la ville, maraîchers urbains des différents espaces cultivés). Enfin, l’analyse de plusieurs documents de projets, de politiques publiques, de textes réglementaires touchant l’activité agricole, ainsi que de données statistiques sur la démographie a été effectuée.
Les interactions entre les systèmes de production agricole et leur environnement urbain se déploient au sein de ce que Soulard (2014) nomme le « système agraire urbain ». Il s’agit de décrire le fonctionnement interne des relations entre agricultures mobilisées dans la conduite des activités d’agriculture et d’élevage. Dans ce cas, l’agriculture urbaine est vue comme un méta-système d’activités de production agricoles diverses, complémentaires ou concurrentes, à analyser suivant leur propre logique de fonctionnement. Les familles d’interactions analysées ici incluent l’urbain et le rural afin de donner à voir les relations entre le système agraire urbain et les systèmes ruraux de la région environnante. Ceci renvoie à la notion de système agraire territorialisé (Rieutort, 2011), qui consiste à analyser le système agraire au prisme de son inscription dans un méta-système territorial au sens de Moine (2006), c’est-à-dire à travers « les boucles de rétroaction qui lient un ensemble d’acteurs et l’espace géographique qu’ils utilisent, aménagent et gèrent ». Ainsi, l’échelle d’analyse n’est pas fixée au départ, mais se révèle par l’analyse des lieux fréquentés ou mis en relation dans les activités productives : ces relations peuvent être limitées à l’intra-urbain, voire au quartier, ou s’étendre à la périphérie rurale, et parfois bien au-delà. Un travail de terrain a permis de cartographier les espaces agricoles de la ville, ainsi que les différentes installations et établissements agricoles et agroalimentaires. Les entretiens avec les agriculteurs de profils différents (voir ci-dessus), ainsi qu’avec les acteurs de la commercialisation, portaient sur les ressources urbaines mobilisées dans l’agriculture (types, lieux, acteurs et autres activités impliqués, types de négociations) et la façon dont activités urbaines et agricoles interagissent dans leur fonctionnement ; ceci afin de reconstituer le fonctionnement des différents systèmes agricoles. Trois familles d’interactions ont été analysées : les flux de matière, les marchés agricoles et les interactions internes aux systèmes agricoles par la combinaison d’activités.
La collecte des données a été effectuée entre mars 2011 et mars 2013 (Robineau, 2013). 150 entretiens ont été réalisés : 20 entretiens auprès d’acteurs institutionnels et 130 entretiens auprès d’agriculteurs et d’acteurs de la commercialisation de produits et sous-produits agricoles. Les données ont été analysées en reconstituant les trois familles d’interactions ville-agriculture décrites ci-dessus.
Fig. 1 Cadre d’analyse d’un système agri-urbain. |
Terrain d’étude
Peuplée de 700 000 habitants, Bobo-Dioulasso est la seconde ville du Burkina Faso. Elle est située à 360 km au sud-ouest de Ouagadougou, la capitale administrative du pays. Elle se trouve au cœur de la région des Hauts-Bassins, au climat tropical, dotée d’une pluviométrie de 900 à 1 200 mm par an, ce qui a de tout temps favorisé le développement d’une agriculture diversifiée. Bobo-Dioulasso est localisée dans une région au milieu naturel riche de son hydrographie de surface et de ses massifs forestiers, dont certains sont protégés.
Bobo-Dioulasso, des liens ville-agriculture construits sur le temps long
Une des caractéristiques de Bobo-Dioulasso est la permanence de liens forts avec son agriculture sur plusieurs siècles d’histoire.
Selon Fourchard (2001), cette ville trouve ses origines dans l’installation d’agriculteurs d’ethnie Bobo avant le XVe siècle. Elle s’appelait alors Sya. Elle se développa ensuite par l’arrivée des commerçants Dioulas et d’autres migrants venus du Sud. Le véritable essor de la ville daterait des XVIIIe et XIXe siècles, avec le développement des échanges marchands de produits agricoles. Bobo-Dioulasso doit en effet son développement à sa position historique de carrefour commercial de produits agricoles, au croisement de plusieurs routes reliant le Sahel à la zone côtière (Commune de Bobo-Dioulasso, 2007).
Au début du XXe siècle, la situation géographique de Bobo-Dioulasso suscita la convoitise des colons français, qui s’y installèrent et développèrent la ville coloniale. L’expropriation des habitants des quartiers africains fut alors de rigueur pour créer de nouveaux quartiers coloniaux, un camp militaire, ainsi que des forêts protégées (Fig. 2) destinées à fournir en bois la construction du chemin de fer devant relier Bobo-Dioulasso à Abidjan, en Côte d’Ivoire (Fourchard, 2001). En renforçant les axes commerciaux et le rôle politique de la ville, les colons ont conforté le rôle de carrefour commercial de Bobo-Dioulasso. Ils introduisirent également une production maraîchère dans la ville et à sa périphérie, qui était destinée à les nourrir, et ce n’est qu’après l’indépendance du pays que cette production allait être reprise par les agriculteurs Bobo et prospérer. La colonisation a surtout été marquée par le développement d’agro-industries tournées vers l’exportation. Les colons décidèrent en effet de faire de la région du sud-ouest du Burkina Faso un grand bassin de production cotonnière. Les premières industries de traitement des fibres du coton ouvrirent en 1923. L’arrivée du chemin fer en 1934 accentua ce rôle commercial de la ville, qui accueillit le premier aéroport du pays à cette même période. L’économie coloniale a ainsi conforté le rôle de Bobo-Dioulasso comme plaque tournante des échanges agricoles dans cette partie de l’Afrique de l’Ouest. L’essor commercial de la cité attira aussi des populations de l’ouest de la Haute Volta et des colonies voisines.
Après l’indépendance, l’agriculture régionale se transforma sous l’impulsion de grands projets agricoles financés par des programmes de coopération internationale, comme ce fut le cas de l’aménagement de la plaine rizicole de Bama à partir de 1968, à plusieurs dizaines de kilomètres au nord de la ville. Cette plaine évolua peu à peu vers une importante zone de production maraîchère, suivant une évolution similaire à celle d’autres espaces de production maraîchère et fruitière de la région (Tallet, 1999). Ces derniers visaient dans un premier temps l’approvisionnement de Bobo-Dioulasso, qui, à l’instar de nombreuses villes subsahariennes (Coquery-Vidrovitch, 2006), a connu une forte croissance après l’indépendance. Même si la production cotonnière est restée la principale production agricole de rente de la région, l’expansion de Bobo-Dioulasso a stimulé le développement d’un des principaux bassins de production maraîchère du pays.
Entre 1960 et aujourd’hui, la région a accueilli de nombreux migrants ruraux des régions et des pays voisins. Ces familles ont conservé des activités agricoles une fois installées en ville, soit en appoint, soit pour générer des revenus. Sa population passa de 52 000 en 1960 à près de 500 000 habitants en 2010 ; les prévisions annoncent la poursuite de cette croissance démographique pour les décennies à venir (Commune de Bobo-Dioulasso, 2007). Cette croissance urbaine s'accompagna d'opérations de construction de lotissements, qui cependant ne furent pas suffisantes ni assez accessibles pour satisfaire la demande de nombreuses familles modestes, qui s’installèrent alors dans des zones d’habitat spontané. Lors de son arrivée au pouvoir en 1983, Thomas Sankara décida de remédier à ce problème avec le Programme populaire de développement, dont le slogan était « une famille, un toit » : de vastes zones d’habitat planifié furent construites pour résorber l’habitat illégal, empiétant chaque fois plus sur les terres agricoles4. À Bobo-Dioulasso, seules les forêts protégées, le camp militaire et les zones non constructibles, le long du ruisseau traversant la ville, résistèrent à cette urbanisation.
Dans les années 1990, la Banque mondiale finança le plan directeur d’aménagement urbain, dont le cahier des charges exigeait la création de zones protégées. C’est ainsi qu’après une période d’urbanisation fortement consommatrice d’espace dans les années 1960-1980, des zonages d’espaces à épargner apparurent : une zone périurbaine de vergers de manguiers au nord de Bobo-Dioulasso fut déclarée non constructible (Fig. 2), et des trames vertes furent tracées au sein même de la ville, reliant les forêts protégées préexistantes5. De nouveaux espaces naturels protégés furent ainsi intégrés au plan urbain, et nous verrons qu’elles joueront un rôle dans le maintien ou la relocalisation de certaines activités agricoles.
Aujourd’hui, le paysage urbain de Bobo-Dioulasso offre de nombreuses traces de l’histoire agricole de la ville (Fig. 2). Le marché du bétail, encore localisé dans l’enceinte urbaine, continue à être un pôle d’échanges entre les régions sahéliennes du nord et l’expédition du bétail vers le sud, jusqu’au Nigéria, tout en générant des activités d’embouche au sein de l’espace urbain. Introduit par les colons, le maraîchage s’est développé après l’indépendance, tant dans l’espace urbain, le long du ruisseau Houet, qu’en périphérie, le long des autres cours d’eau. La ville héberge un marché de gros drainant les produits maraîchers provenant de l’ensemble de la région. L’agro-industrie est également présente, via la localisation en ville des entreprises de transformation du coton. Les espaces protégés de l’urbanisation se sont transformés en ressources pour les citadins pratiquant l’agriculture urbaine : les forêts protégées, d’où les populations avaient été chassées par les colons, sont redevenues des zones exploitées par les agriculteurs. Enfin, le schéma d’aménagement de la ville a instauré la protection de la nature en ville et sa mise en valeur agricole par des microprojets. Même si les espaces concernés sont restreints, et que leur devenir reste incertain, ces initiatives reconnaissent la présence de l’agriculture comme composante de la ville contemporaine.
L’histoire de Bobo-Dioulasso illustre les transformations cumulatives d’un système agri-urbain qui évolua au gré des fonctions commerciales, industrielles et politiques développées par une ville au centre d’un grand bassin agricole. Elle nous apprend aussi que les formes d’agriculture observées aujourd’hui s’ancrent dans des relations internes et externes à l’espace urbain. Essayons maintenant d’en comprendre le fonctionnement.
Fig. 2 Organisation de l’espace agri-urbain de Bobo-Dioulasso en 2013. |
Le système urbain et l’agriculture : entre économie informelle et gouvernance tacite
Le système urbain de Bobo-Dioulasso se caractérise par un tissu urbain lâche, une économie largement basée sur l’informalité et une gestion publique combinant décisions formelles et arrangements informels. L’agriculture s’articule avec ce système urbain dans ses dimensions spatiales, fonctionnelles et sociopolitiques.
Le tissu urbain de Bobo-Dioulasso comprend des zones d’urbanisation planifiée (nommées « zones loties »), des zones d’habitat spontané (« zones non loties ») et des espaces naturels protégés. Au centre, la zone d’urbanisation planifiée présente un plan orthogonal, un tissu urbain lâche entrecoupé d’espaces non bâtis, peu d’édifices hauts et des unités loties − les concessions familiales −, formées de grandes cours entourées d’un ou plusieurs logements. La frange urbaine se compose de zones d’habitat spontané et d’espaces naturels ou agricoles qui marquent des limites à l’urbanisation (Fig. 2). Dans les zones d’habitat spontané, le tissu urbain est dense, les cours sont de petite taille et l’organisation spatiale ne suit pas de forme géométrique particulière. L’agriculture est présente au sein des trois types d’espace : dans les zones bâties, où elle s’insère dans les interstices en bord de rue (cultures basses de saison des pluies), dans les cours (élevages), sur les zones non aedificandi le long du ruisseau qui traverse la ville (maraîchage) ou sur les trames vertes. Les zones non bâties et les forêts protégées accueillent quant à elles de l’élevage semi-extensif et des cultures vivrières de céréales.
L’économie de Bobo-Dioulasso est marquée par l’importance des activités informelles6, qui permettent à de nombreux habitants d’exercer une activité, que ce soit dans l’habitat, le transport, le commerce, l’agriculture ou la gestion des déchets. L’agriculture n’est pas exclusivement une stratégie de survie des plus pauvres ; elle est aussi devenue un investissement lucratif pour des citadins aisés qui y voient un moyen de compléter leurs revenus et préparer leur retraite. Outre le maraîchage, pratiqué par près de 1 200 familles, de plus en plus de citadins pratiquent l’élevage de porcs, de bœufs (embouche bovine), de chèvres, de moutons et de poules, pour générer des revenus et tirer parti de la proximité des débouchés urbains ; nous avons estimé qu’il existe plus de 600 élevages porcins et bovins dans la ville. Bien souvent, l’agriculture n’est pas l’unique source de revenus des ménages qui la pratiquent. La quasi-totalité des agriculteurs urbains combine des activités agricoles avec des emplois urbains, allant du travail saisonnier dans des agro-industries à de petites activités commerciales (commerce de rue, couture, etc.). À titre d’exemple, de nombreux maraîchers urbains combinent la production commerciale maraîchère en ville avec la production vivrière de céréales dans les forêts protégées, et un travail saisonnier dans les usines de traitement du coton. Enfin, au-delà de l’aspect économique, l’agriculture s’articule aussi de manière technique avec le système urbain de Bobo-Dioulasso. La ville dispose d’un schéma directeur de gestion des déchets, mais les capacités financières limitées de la municipalité rendent sa mise en œuvre difficile. De nombreux déchets jetés dans la rue et le long du ruisseau sont alors recyclés par les maraîchers pour fertiliser leurs parcelles. Un circuit parallèle d’acheminement des déchets urbains s’est créé, impliquant les maraîchers, des charretiers, des chauffeurs de camions de la municipalité, ainsi que des associations spécialisées dans la collecte des déchets ménagers.
Le système alimentaire de la ville de Bobo-Dioulasso s’organise autour de l’articulation entre un approvisionnement régional et local, grâce à un commerce extérieur très développé, et une production agricole diversifiée. Agriculteurs urbains et ruraux bénéficient des opportunités commerciales offertes par la ville, d’une part comme lieu de consommation locale, et d’autre part comme carrefour régional pour l’exportation des produits agricoles bruts ou transformés. La production avicole et porcine hors-sol se développe en ville et dans la frange urbaine en réponse à la demande croissante en produits animaux par les citadins, et à la réduction des ressources foncières disponibles. Les débouchés de l’agriculture urbaine sont multiples : alors que l’élevage porcin à petits effectifs et l’élevage avicole ont des débouchés exclusivement locaux7, l’élevage porcin à gros effectifs et l’embouche bovine sont ancrés dans des réseaux d’exportation nationaux et internationaux. De la même manière, alors que la production maraîchère rurale (parcelles de 0,5 à 2 ha contre maximum 0,1 ha en ville) est plutôt orientée vers l’exportation à travers les marchés de gros, la production urbaine est plutôt orientée vers la consommation locale urbaine.
La gouvernance du système urbain de Bobo-Dioulasso intervient également dans l’agriculture, comme illustré à travers certains exemples dans la figure 3. Des négociations entre acteurs publics et autorités coutumières ont abouti à des accords, plus ou moins formalisés, permettant l’accès des agriculteurs aux espaces protégés. Les contrats d’agroforesterie dans les forêts protégées ont eu pour origine des négociations entre autorités coutumières et autorités environnementales, afin de permettre aux agriculteurs de poursuivre leurs activités agricoles malgré la perte de terres en front d’urbanisation. D’autre part, le maintien (précaire) d’un site maraîcher face à l’urbanisation est parfois longuement négocié entre les autorités traditionnelles et urbaines ; c’est ainsi qu’un site maraîcher de plus de 70 ha existe au sein du territoire du camp militaire. L’accès aux vergers de manguiers par les éleveurs de porcs à gros effectifs relève quant à lui de connivences personnelles entre ces derniers − souvent fonctionnaires ou médecins − et les élus locaux : l’accès privilégié à ces espaces propices à l’élevage (ombrage, accès à l’eau facilité et proximité de la ville) et l’obtention d’un titre foncier sont ainsi facilités. Les éleveurs de porcs à petits effectifs, qui exercent leur activité au cœur de la ville, doivent quant à eux pouvoir s’arranger avec leurs voisins pour développer leur élevage tout en évitant les nuisances et les plaintes aux services d’hygiène. En cas de plainte, le service d’hygiène intervient dans les négociations entre voisins et éleveurs en essayant de trouver un compromis permettant à l’éleveur de continuer son activité d’élevage malgré les réglementations urbaines l’interdisant. La tolérance du service d’hygiène envers les éleveurs urbains est gage du maintien de leur activité. Enfin, des projets agricoles ont vu le jour sur les trames vertes depuis les années 2000, à l’initiative d’ONG, en partenariat avec la municipalité.
Ainsi, l’analyse du système urbain de Bobo-Dioulasso nous apprend que l’expansion urbaine ne fait pas disparaître l’agriculture urbaine. Celle-ci résiste en continuant à occuper des espaces ouverts de la ville. Elle se déploie aussi dans des espaces qui ne disposent plus de foncier agricole. L’élevage hors-sol s’y développe, faisant vivre des ménages à revenu précaire. Parallèlement, l’agriculture offre un débouché économique pour des citadins aisés qui investissent dans des élevages périurbains. Peu visible mais bien présente, une gouvernance publique tacite accompagne ces développements agricoles.
Fig. 3 Interactions socio-politiques entre système urbain et agriculture : exemples d’échanges sous formes de négociations explicites ou d’accords tacites. |
Le système agraire urbain : entre agriculture et élevage, entre rural et urbain
Tout comme les interactions entre système urbain et agriculture, les interactions entre activités agricoles sont centrales dans le fonctionnement du système agri-urbain de Bobo-Dioulasso. En nous intéressant aux flux de matières nécessaires à l’activité de production, nous pouvons décrire comment fonctionne le système agraire urbain de cette ville.
Les interactions agriculture-élevage fournissent une première clé de lecture (Fig. 4). Elles portent principalement sur l’alimentation du bétail et sur la fertilisation des cultures. Les mobilités urbain-rural permettent aux éleveurs bovins installés en ville de faire paître leurs troupeaux pendant les cinq mois de la saison des pluies sur des pâturages situés à quelques dizaines de kilomètres de Bobo-Dioulasso. Le reste de l’année, les animaux sont gardés dans les cours urbaines où ils sont nourris des fourrages transportés depuis les zones rurales, et par des compléments alimentaires provenant des résidus des agro-industries modernes et traditionnelles implantées en ville. La ville offre en effet des résidus issus de l’extraction du coton produit dans la région et traité à Bobo-Dioulasso (usines SOFITEX et SN-Citec), de l’utilisation du mil et du sorgho pour produire de la bière industrielle (usine Castel®) et traditionnelle (le dolo), et des résidus du maïs moulu dans les moulins de la ville. Drêche de bière, son de maïs, tourteau de coton ou résidus de fibres de coton sont utilisés par les différents types d’éleveurs pour nourrir leurs bêtes, en hors-sol, tout ou partie de l’année. Des arrangements informels faisant intervenir les industriels, les éleveurs, les transporteurs et les revendeurs de sous-produits agricoles sont au cœur des échanges pour l’accès à ces sous-produits. Les déjections des élevages circulent également entre milieux urbain et rural. Elles sont parfois acheminées pour fertiliser les champs de bananes et de papayes situés à plus de 15 km de la ville, mais sont le plus souvent vendues aux maraîchers urbains, qui les utilisent pour fertiliser leurs parcelles. Systèmes maraîchers et systèmes d’élevage urbains sont ainsi interdépendants.
Les marchés de produits agricoles sont un autre vecteur d’interactions entre systèmes agricoles. La majorité des éleveurs pratiquant l’embouche bovine en milieu urbain achètent le bétail à des éleveurs ruraux semi-extensifs, l’engraissent en ville, puis l’exportent sur pied vers les pays voisins à travers le marché du bétail. Le maraîchage urbain est aussi fortement connecté au maraîchage rural à travers les prix du marché : les maraîchers urbains s’adaptent pour produire en contre-saison afin d’éviter les chutes de prix en période de forte production rurale (saison sèche et froide en décembre-janvier).
Enfin, des interactions s’observent aussi au sein même des systèmes agricoles. Les maraîchers urbains combinent la production maraîchère urbaine avec la production de céréales en frange urbaine : le maraîchage apporte les revenus nécessaires à l’achat de biens pour la famille et à l’achat d’intrants pour la production vivrière de céréales. Les éleveurs de porcs à gros effectifs de la frange urbaine ont des relations avec les services de la direction de l’élevage qui leur permettent de bénéficier de conseils techniques et de l’accès à des races améliorées ; cela leur confère le rôle de référents techniques pour les éleveurs de porcs urbains à petits effectifs, lesquels n’ont pas accès à ces services (conseils techniques et prêt de verrats de races améliorées). Grâce à des réseaux d’amitié, ces derniers peuvent ainsi avoir accès à des moyens de production améliorés. Ils procèdent ensuite à des échanges de verrats entre eux, permettant de diffuser les races améliorées et de gérer la diversité génétique des élevages.
Ainsi, le cas de Bobo-Dioulasso révèle l’importance des relations internes aux systèmes agricoles qui, grâce aux complémentarités des ressources produites, et aux mobilités agricoles entre le rural et l’urbain, sont à la base du fonctionnement territorial d’un système agraire urbain. La ville agricole ne se résume pas à ses terres agricoles et ses marchés alimentaires, elle est aussi un lieu de production de ressources productives, techniques et économiques mobilisées pour l’activité agricole.
Fig. 4 Les interactions socio-spatiales : un système agraire basé sur des échanges agriculture-élevage. |
Conclusion: le système agri-urbain, un concept opératoire ?
L’étude du système agri-urbain de Bobo-Dioulasso souligne l’intérêt et les difficultés d’une analyse systémique et multiscalaire pour comprendre les interactions ville-agriculture qui jouent sur le devenir de l’agriculture urbaine et apporte des enseignements utiles aux recherches sur l’agriculture urbaine.
Premièrement, l’analyse des interactions spatio-historiques entre nature et société révèle la place qu’a occupée l’agriculture dans le développement de la ville de Bobo-Dioulasso et la façon dont les agriculteurs ont mobilisé des ressources locales pour développer des activités agricoles urbaines ou périurbaines. Ces ressources sont à la fois du foncier agricole, des matières premières, des marchés et des savoirs techniques. Sur ce plan, Bobo-Dioulasso dispose de ressources agricoles rares pour une ville : des espaces « naturels » protégés qui peuvent se conjuguer avec l’agriculture, et des activités agroalimentaires qui procurent des produits et sous-produits agricoles. La présence de ces ressources tient à une histoire économique et environnementale particulière. Elle montre toutefois tout l’intérêt de penser simultanément l’agriculture et l’environnement, à la fois via les espaces de nature en ville et les circuits de recyclage de la biomasse dans les systèmes urbains. La question de la nature, souvent étudiée dans les villes du Nord (Blanc, 2010 ; Bourdeau-Lepage et Vidal, 2013), est également présente dans les villes du Sud, où elle s’articule avec des fonctions productives, alimentaires et énergétiques (Besse et al., 1999). Cette multifonctionnalité de la nature urbaine au Sud est une piste de recherche prometteuse.
Deuxièmement, considérer le système agri-urbain permet de dévoiler le poids de l’informalité dans le développement de l’agriculture urbaine. Les relations qui se tissent entre ville et agriculture urbaine sont portées par un ensemble d’arrangements entre acteurs qui forment le liant du système agri-urbain de Bobo-Dioulasso (Robineau, 2015). Si le poids des pratiques informelles s’explique par la faiblesse des politiques publiques, cela ne signifie pas pour autant l’abandon de l’agriculture urbaine par les autorités locales. Celles-ci opèrent plutôt un accompagnement tacite de son développement. Une telle conclusion nuance certaines analyses qui dénoncent la faiblesse des politiques publiques comme étant un obstacle majeur au développement de l’agriculture urbaine (Pearson et al., 2010). Cependant, cette action publique informelle peut aussi être source d’inégalité, en fermant les yeux ici sur des comportements clientélistes d’acteurs urbains proches des autorités locales (Dubresson et Yapi-Diahou, 1988), et en tolérant ailleurs des pratiques illégales d’agriculteurs démunis. Mais elle peut aussi laisser s’organiser un commerce informel de déchets et de sous-produits de l’agriculture, et offrir indirectement une voie de développement pour une microéconomie circulaire agri-urbaine.
Troisièmement, notre analyse souligne le poids des interactions agriculture-élevage et urbain-rural dans le fonctionnement d’un système agri-urbain. L’élevage urbain est peu visible, et de fait peu souvent considéré dans les études sur l’agriculture urbaine. L’exemple de Bobo-Dioulasso permet de souligner le poids de l’élevage dans la durabilité de l’agriculture urbaine, et l’interaction qui s’opère entre la présence de cet élevage en ville, celle des industries agroalimentaires liées elles-mêmes aux filières de production agricole de la région, et les habitudes alimentaires locales, qui garantissent des débouchés locaux aux agriculteurs. L’élargissement de l’échelle d’analyse est nécessaire pour saisir ces interactions territoriales. C’est un véritable système territorial agricole qui se déploie, montrant que les ressorts de l’agriculture urbaine dépendent autant de la ville et de sa gouvernance que de la dynamique agricole régionale.
L’existence d’un véritable système agraire territorial, tel qu’observé à Bobo-Dioulasso, est sans doute constatable dans de nombreuses villes du Sud dotées de systèmes agricoles urbains bénéficiant de ressources périurbaines et rurales et de la coprésence en ville du maraîchage et de l’élevage (N’Dienor, 2006 ; Franck, 2007 ; Daburon et al., 2015). Une telle configuration agri-urbaine est probablement plus exceptionnelle dans les pays du Nord. Toutefois, de premières comparaisons pointent des similitudes, avec par exemple la présence − ou la réintroduction − d’animaux valorisant des espaces interstitiels (équidés, manades), ou encore l’existence méconnue de pratiques et d’accords tacites entre propriétaires, gestionnaires et usagers (Scheromm et Robineau, 2015). Ce décalage de contexte entre Nord et Sud devient alors fécond pour tirer de la comparaison des connaissances sur des déterminants de la durabilité agricole encore peu documentés.
En résumé, le cas de Bobo-Dioulasso a offert l’opportunité d’éprouver le concept de système agri-urbain. Cette approche permet de saisir une pluralité de liens que tisse la ville avec l’agriculture, révélant au passage certaines formes d’agriculture ignorées ou mal connues. Concept exploratoire, il conduit à dévoiler des pratiques, des usages et des arrangements entre acteurs de l’agriculture urbaine. Au-delà du cas de Bobo-Dioulasso, et plus largement des villes africaines, nos résultats soulignent l’importance d’une gouvernance adaptative dans la construction sans cesse renégociée des rapports entre ville, nature et agriculture. Cette réalité mouvante n’est pas seulement l’apanage des villes africaines, elle est une composante générale du processus de développement durable (Mathieu et Guermond, 2005 ; Hajek et al., 2015).
Remerciements
Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une thèse de doctorat en géographie financée par le Cirad et l’Inra. Ils bénéficient aussi des apports scientifiques du projet ANR DAUME (ANR-2010-STRA-007). Les auteurs remercient les acteurs de la ville de Bobo-Dioulasso et les agriculteurs pour leur accueil. Ils remercient également les lecteurs et éditeurs pour leur contribution à l’amélioration de la qualité du manuscrit.
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Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une thèse de doctorat en géographie sur l’agriculture urbaine à Bobo-Dioulasso soutenue en décembre 2013 (Robineau, 2013).
D’origine allemande, le terme hinterland (synonyme d’arrière-pays en français) désigne les territoires ruraux façonnés par la demande urbaine pour la nourriture, l’énergie, les matériaux de construction, et par les services offerts en retour par la ville (Billen et al., 2012).
Afin de faciliter la mise en place de ce programme, l’ordonnance portant réorganisation agraire et foncière fut adoptée en 1984. Un domaine foncier national fut créé, constitué de toutes les terres situées dans les limites du territoire national : il fut déclaré propriété exclusive de l’État, inaliénable, imprescriptible et insaisissable. Ceci mit hors-jeu les propriétaires fonciers coutumiers qui étaient désormais déguerpis des zones à urbaniser.
Voir à ce titre l’article Robineau et al. (2014) portant sur l’appropriation du modèle des trames vertes dans la ville de Bobo-Dioulasso.
Selon Yapi-Diahou (2007), le secteur informel représente au minimum 40 à 50 % des emplois dans les villes africaines.
Citation de l'article : Robineau O., Soulard C.-T., 2017. Comprendre la complexité des liens ville-agriculture : intérêt d’une approche par le système agri-urbain. Le cas de Bobo-Dioulasso, Afrique de l’Ouest. Nat. Sci. Soc. 25, 1, 36-47.
Liste des figures
Fig. 1 Cadre d’analyse d’un système agri-urbain. |
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Fig. 2 Organisation de l’espace agri-urbain de Bobo-Dioulasso en 2013. |
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Fig. 3 Interactions socio-politiques entre système urbain et agriculture : exemples d’échanges sous formes de négociations explicites ou d’accords tacites. |
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Fig. 4 Les interactions socio-spatiales : un système agraire basé sur des échanges agriculture-élevage. |
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