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Nat. Sci. Soc.
Volume 31, Number 4, Octobre/Décembre 2023
Dossier « La recherche au défi de la crise des temporalités »
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Page(s) | 515 - 529 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2024015 | |
Published online | 18 July 2024 |
Dossier : « La recherche au défi de la crise des temporalités » : Mauvais temps sur la métropole grenobloise ? Pour une analyse transdisciplinaire de la relation aléas hydroclimatiques/tempo sociétal/timing organisationnel★
Adverse weather on the Grenoble metropolitan area? A transdisciplinary analysis of the relationship between hydro-climatic hazards, societal tempo, and organizational timing
1
Économie, Université Grenoble Alpes, CNRS, IEPG, PACTE, Grenoble, France
2
Sciences sociales de l’eau, Université Grenoble Alpes, CNRS, INRAE, IRD, Grenoble INP, IGE, Grenoble, France
3
Hydroclimatologie, Université Grenoble Alpes, CNRS, INRAE, IRD, Grenoble INP, IGE, Grenoble, France
4
Sociologie, Université Grenoble Alpes, CNRS, IEPG, PACTE, Grenoble, France
5
Économie, Université Grenoble Alpes, CNRS, IEPG, PACTE, Grenoble, France
6
Hydrostatistiques, Université Grenoble Alpes, CNRS, INRAE, IRD, Grenoble INP, IGE, Grenoble, France
* Auteur correspondant : yvan.renou@univ-grenoble-alpes.fr
Déployant une méthodologie originale, cet article étudie la nature du couplage entre l’évolution climatique à l’échelle métropolitaine et les stratégies d’adaptation socioéconomique mises en œuvre pour y faire face. L’analyse située du système métropolitain grenoblois illustre notamment comment le rythme de l’organisation collective peine à suivre l’évolution climatique locale. Ce « climat de mauvais temps » trace, via la notion de régime de risque d’inondation, la fréquence des extrêmes hydroclimatiques, le rythme d’adaptation des territoires et les modalités concrètes d’organisation collective. Pour affronter ces enjeux temporels, il semble urgent qu’émergent des coalitions transdisciplinaires localisées. Structurées scientifiquement et politiquement, ces dernières sont appelées à coproduire une information climatique robuste et pertinente et à imaginer des stratégies soutenables pour le territoire. Afin de consolider analytiquement cette dynamique, nous invitons à un approfondissement de l’enjeu temporel au sein de la perspective des communs.
Abstract
The paper examines the nature of the linkage between climate change and the socio-economic adaptive strategies deployed at the metropolitan scale using an original methodology. A situated analysis of the Grenoble metropolitan system illustrates the struggle of the collective organization in keeping pace with the local climate evolution. This ‘climate of bad timing’ links the frequency of hydro-climatic extremes, the adaptive pace of territories and the concrete modalities of collective organization within the flood risk regime. To face these temporal challenges, there is an urgent need for developing localized transdisciplinary coalitions. In bridging science and policy, these coalitions would be positioned to co-produce robust and relevant climate information and devise sustainable strategies for the territory. Here, we suggest a more in-depth examination of the role of time in a commons perspective.
Mots clés : ville / changement climatique / extrêmes socioenvironnementaux / temps / communs
Key words: city / climate change / socio-environmental extremes / time / commons
Voir dans ce numéro le texte de présentation du dossier par P. Cornu et J. Theys, ainsi que les autres contributions qui le composent.
© Y. Renou et al., Hosted by EDP Sciences, 2023
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
De larges coalitions d’acteurs – épistémiques et opérationnelles – ont maintenant pris conscience de la vulnérabilité urbaine face aux variations climatiques ainsi que de leurs capacités transformatrices des socioécosystèmes impactés. Cependant si les « mega-cities » se structurent scientifiquement et politiquement (C40 et ICLEI)1, les villes moyennes (entre 500 000 et 5 millions d’habitants)2, qui croissent davantage que les mégapoles, nécessitent plus de protection contre les extrêmes et semblent moins bien fédérées et capables de réagir (Birkmann et al., 2016 ; Paterson et al., 2017). Cette asymétrie en termes d’adaptation climatique incite à réorganiser les institutions locales autant que les structures physiques de protection et leur ingénierie (Birkmann et al., 2014 ; Gralepois et Rode, 2017). L’enjeu vers lequel semblent converger de nombreux analystes consiste dès lors à réaligner territorialement les arrangements institutionnels, les modèles économiques et les schémas interprétatifs distribués spatialement. Il s’agit donc de reconfigurer les anciens « régimes de risques » (Wissman-Weber et Levy, 2018) pour les rendre plus plastiques, c’est-à-dire robustes et adaptatifs (Borgomeo et al., 2018). Le but est de sécuriser dans le temps des enjeux territorialisés face à la survenue potentielle d’événements climatiques susceptibles d’outrepasser les limites acceptables d’un « corridor » d’adaptation locale (Linnenluecke et Griffiths, 2011 ; Reghezza-Zitt, 2019).
Pour faire face à la forte singularité de chaque configuration urbaine et éviter que les villes moyennes affrontent de manière isolée le risque de « maladaptation », un appel à des analyses en termes de compréhension et de modélisation croisées (géophysique et socioéconomique) est régulièrement formulé. Le projet Climat-Métro se situe explicitement dans cette perspective et propose une compréhension stylisée des capacités adaptatives d’une métropole alpine face aux extrêmes climatiques. Son objectif est double. Premièrement, il embarque des chercheurs dans le fonctionnement ordinaire des administrations de Grenoble-Alpes Métropole pour y récolter les informations qualitatives pertinentes et réfléchir aux conditions de développement de sciences « impliquées » (Coutellec, 2015). Il favorise ensuite l’encadrement interdisciplinaire de « thèses jumelles » (géosciences et sciences sociales) dans le temps et sur le temps (Dubar et Rolle, 2008) en s’intéressant à l’évolution du mode d’occurrence temporelle des extrêmes hydroclimatiques à l’échelle physique de l’agglomération ainsi qu’à la stratégie d’adaptation locale des acteurs socioéconomiques. Cette compréhension stylisée est censée informer une réflexion prospective visant l’identification de trajectoires de développement territorial soutenable (Brown et al., 2009 ; November et al., 2020).
Le périmètre retenu concerne 75 communes de l’unité urbaine INSEE, dont celles de Grenoble-Alpes Métropole. Cette « agglomération grenobloise » compte 94 bassins versants de torrents qui rejoignent l’Isère et ses affluents du Drac et de la Romanche. Son emprise est sensiblement plus petite que le bassin de l’Isère qui couvre 10 000 km2 environ en amont de la cluse de Grenoble. L’étude couvre ainsi un emboîtement spatial sur trois ordres de grandeur (10 à 10 000 km2) pour les bassins versants et d’un ordre de grandeur (1 500 à 15 000 km2) pour les domaines d’étude socioéconomique. Cette hiérarchie de bassins et de domaines répond à des phénomènes météorologiques d’échelles différentes, les réponses hydrologiques attendues se faisant dans des temps d’entretiens avec les protagonistes de la métropole grenobloise (Lutoff et al., 2018a). Le diagnostic préliminaire met en évidence un « climat de mauvais temps » relatif aussi bien aux fréquences des extrêmes hydroclimatiques (qui risquent de s’intensifier) qu’aux rythmes socioadaptatifs des territoires (bridés par l’inertie politico-institutionnelle) ou à l’agenda spatio-organisationnel des décisionnaires (contrarié par une « incertitude profonde » concernant le futur urbain). Affronter ces trois enjeux temporels – aléas hydroclimatiques, tempo géosocial et timing organisationnel – nécessite qu’émergent à un niveau localisé des coalitions transdisciplinaires consolidées scientifiquement et politiquement. L’enjeu est en effet de coproduire une information climatique robuste et pertinente afin d’imaginer et de spécifier des stratégies de développement soutenable par et pour le territoire concerné (Haasnoot et al., 2013).
Acteurs d’un tel processus, nous détaillons la démarche en cours sur le territoire grenoblois. Afin d’analyser le couplage entre l’occurrence des inondations catastrophiques et le rythme adaptatif du territoire grenoblois, nous introduisons une démarche de « descente d’échelles climatiques » qui lie la circulation générale de l’atmosphère à l’événement local. Cette démarche doit être articulée spatialement et temporellement à une approche en termes de « remontée d’échelles socio-économiques » pour comprendre quels sont les facteurs climatiques et socioéconomiques locaux gouvernant la catastrophe (Brown et al., 2012 ; Birkmann et al., 2014). Cherchant à constituer un corpus empirique riche et pertinent, nous avons eu recours à des enquêtes auprès de gestionnaires du territoire, examiné les archives historiques locales et constitué une base originale de données géophysiques (première partie). Nous avançons dès lors que, pour répondre à la vulnérabilité du territoire, les décideurs locaux ne doivent pas seulement viser la fluidité des relations d’interdépendances entre éléments du système urbain : ils doivent également exercer une vigilance analytique sur des sous-systèmes – les « microscènes » – qui constituent des points de fragilité du macrosystème urbain (deuxième partie). Stratégiquement, l’accent est ainsi mis sur les investissements immatériels (cognitifs et interprétatifs) nécessaires aux apprentissages collectifs sur le territoire urbain (troisième partie). In fine, l’enjeu essentiel semble bien de définir un « temps commun » rendant solidaires les aléas climatiques, les tempos hydrosociaux et les timings organisationnels au sein de la métropole grenobloise.
Faire face à la menace d’extrêmes hydroclimatiques : vers une analyse couplée des temporalités scientifiques et administratives ?
« Quelle est la sensibilité de la métropole au regard de l’eau et du changement climatique ? » nous demande le directeur des services techniques de Grenoble-Alpes Métropole. Renvoyant au slogan3 « Penser globalement pour agir localement », cette demande métropolitaine invite à décliner de manière située l’inclusion de l’adaptation climatique. L’urbanisation grenobloise hérite de l’endiguement de l’Isère et du Drac (Renou et al., 2020). Cette histoire est régulièrement émaillée d’incidents liés aux affluents torrentiels, difficiles à confiner et à raccorder aux rivières endiguées. Cette adaptation reflète un compromis équilibrant implicitement, au fil du développement urbain, protection et réparation des dégâts. Infléchir cette trajectoire en réponse à l’évolution du climat conduit aux limites d’une approche de l’adaptation climatique qui placerait la pensée à l’échelle planétaire pour ne considérer le territoire local que comme un espace de mise en œuvre de stratégies conçues ailleurs4.
Afin de coproduire une information climatique locale robuste et pertinente et imaginer des trajectoires de développement soutenable, nous proposons de déployer un « travail des échelles » complexe et exigeant, impliquant notamment un couplage des temporalités scientifiques et administratives (Rozance et al., 2019). L’examen des enjeux temporels de chaque logique d’action (scientifique et administrative) précède l’interrogation des postulats soutenant l’appel à leur couplage.
La mise en échelle des décisions d’adaptation : caractériser la fréquence des événements catastrophiques
Les connaissances actuelles sur l’évolution climatique de la région grenobloise sont fermes sur l’augmentation (avérée et plus marquée en été qu’en hiver) des températures. Elles le sont également pour les conséquences logiques de ce réchauffement sur l’enneigement et l’humidité des sols, qui diminuent (Lutoff et al., 2018b). A contrario, l’évolution des précipitations et des crues, telle que prévue par la modélisation, reste plus nuancée. L’observation récente nous apprend que l’amplitude des crues des grandes rivières n’a pas encore évolué dans les Alpes et que le changement de leur saisonnalité est discuté (Blöschl et al., 2017). Par contre, l’accroissement des laves et des crues torrentielles semble traduire une augmentation des orages violents et de leur intensité. La pluviométrie extrême journalière des dernières décennies dans les Alpes françaises témoigne globalement d’une augmentation dans le sud des Alpes et d’une diminution dans le nord des Alpes (Blanchet et al., 2021). L’agglomération grenobloise se situant à la croisée de différents climats (Auer et al., 2007), la pluviométrie extrême journalière n’y montre pas d’évolution homogène, même si les influences respectives des climats océanique et méditerranéen sur les extrêmes ont elles-mêmes évolué (Blanchet et al., 2021) en lien avec l’évolution de la circulation générale (Blanc et al., 2022). Il en est de même pour les débits des rivières pour lesquelles s’ajoute, lorsque l’on s’intéresse aux extrêmes, la difficulté de leur contrôle par des ouvrages. La projection climatique concernant les précipitations et les débits souffre donc de la complexité combinée des processus en jeu et de la singularité d’une situation régionale de carrefour climatique.
Pour faire face à ces difficultés, le projet Climat-Métro s’appuie sur des travaux qui admettent la difficile interprétation locale de scénarios climatiques globaux (McNie, 2007). La méthode « decision scaling » répond à l’effet d’amplification démesurée des incertitudes lorsque l’on utilise une approche « descendante » ou « top-down » pour étudier l’impact climatique (Brown et al., 2012) [Fig. 1]. Le couplage de plusieurs scénarios climatiques régionaux avec la modélisation physique d’un hydrosystème aboutit, par combinaison des incertitudes, à autant de scénarios d’impact dont l’interprétation pratique est difficile. On préfère dès lors s’interroger sur la sensibilité du système impacté sans préjuger des scénarios climatiques testés, d’où le terme « scenario-neutral » également utilisé pour désigner cette approche (Prudhomme et al., 2010). Cette approche « bottom-up » se place à un niveau d’analyse où incertitude climatique et complexité de la vulnérabilité sont suffisamment contenues. Elle partage en fait l’analyse en deux mouvements : une « descente » de paramètres climatiques clés au niveau régional et une « remontée » de la vulnérabilité du système physicosocial vers ces paramètres.
L’approche en termes de decision scaling nous engage dans la construction d’une base de données originale fondée sur la collecte d’événements hydroclimatiques remarqués sur la période 1850-2019 (Creutin et al., 2022) [Encadré 1 et Fig. 2]. Cette base historique explore par construction le domaine de vulnérabilité mentionné (Fig. 1) au sens où elle date, et donc elle pointe, des situations atmosphériques de grande échelle qui ont provoqué des désordres sociohydroclimatiques. Les à-coups climatiques provoquent en outre des catastrophes relativement rares et portant sur une gamme d’échelles spatiales considérable allant de la parcelle urbaine au bassin hydrographique amont (3, voire 4 ordres de grandeur). Relier directement ces désordres à la situation atmosphérique évite dès lors la définition de l’aléa de référence par le dépassement d’une valeur seuil de pluie ou de débit en un ou quelques points de mesure (difficilement réalisable faute de données).
Une approche nouvelle fondée sur la notion d’événement hydrométéorologique remarqué.
Un événement hydrométéorologique catastrophique est la combinaison de plusieurs phénomènes physiques (pluie abondante, sols saturés, fonte de neige, écoulement des torrents et rivières) et socioéconomiques (défaillance de protection, mobilité perturbée, dégâts). Un événement est remarqué au sens où des traces écrites en ont été conservées en raison des désordres causés. Nous faisons l’hypothèse que les désordres répondent à certaines formes d’extrêmes hydrométéorologiques. Cette hypothèse, sans doute forte, est nécessaire car nous ne disposons pas des données nécessaires aux différentes échelles et pour les différentes variables. En considérant une profondeur de temps longue, nous quittons la période de forte instrumentation (par exemple le milieu du XXe siècle pour la pluviométrie journalière). De ce fait, nous quittons également l’analyse d’une « variable d’intérêt » unique, comme le dépassement de seuil pluviométrique ou de débit, par exemple.
Au bilan, les multiples échelles et variables concernées par la question posée ainsi que la rareté rendent nécessaire l’utilisation d’informations très variées allant de la surveillance géomorphologique à la documentation historique. La connaissance des dates des événements hydrométéorologiques ayant causé́ des désordres sur le périmètre de l’agglomération donne d’ores et déjà une idée de la fréquence empirique des événements provoquant des croisements de crues fluviales et/ou torrentielles dans l’agglomération. Elle permet dans une deuxième étape de caractériser les « concours de circonstances défavorables » ayant conduit à ces événements hydrométéorologiques, d’analyser en particulier leur signature pluviométrique et atmosphérique.
Les bases de données disponibles sont des inventaires de crues torrentielles ou fluviales documentées à partir d’observations de terrain faites par des professionnels de l’environnement mais également par des historiens, des journalistes et le public. Le service Restauration des terrains de montagne de l’Office national des forêts qui a réuni ces données est un observateur historique privilégié de l’impact climatique en zone de montagne. Il a collecté depuis 1860, avec la constance d’un service de l’État, des informations physiques et humaines sur les petits bassins versants montagneux qui constituent une base de données exceptionnelle. La base distingue Crues torrentielles et Inondations (fluviales) par la taille (<100 km2) et le temps de réponse (<12 h) des bassins versants. En complément, notre travail s’appuie sur la base des arrêtés de catastrophes naturelles ouverte en 1982 et sur les compilations historiques réalisées par différents scientifiques, par exemple Denis Cœur (2008).
Cette base prépare une deuxième étape de caractérisation du lien de ces désordres aux conditions climatiques génératrices (Creutin et al., 2022). Elle répond ainsi en partie à la surprise des gestionnaires d’être confrontés en peu de temps à plusieurs événements réputés rares sur un territoire restreint comme la métropole (étonnement qui renvoie à la définition même de l’aléa de référence et de sa période de retour). Ainsi, les données historiques montrent que, pendant un siècle, de 1850 à 1950, les trois types d’événements enquêtés – fluviaux, torrentiels et croisant crues fluviales et torrentielles – ont eu des fréquences d’occurrence comparables avec des périodes de retour de 5 à 10 ans. Depuis, l’aménagement des torrents et des rivières, l’évolution de l’occupation des sols et de la population ainsi que des changements dans les modes d’observation sont sans doute à l’origine d’une évolution marquée de ces fréquences. Si les événements fluviaux maintiennent leur fréquence, les événements torrentiels deviennent presque annuels, et les événements croisant phénomènes fluvial et torrentiel semblent disparaître (Fig. 2).
Dans ce changement de modalités du risque, l’évolution éventuelle de l’aléa est mêlée à l’évolution technique de la construction des barrages en amont de la métropole et du renforcement des digues ainsi qu’à l’évolution de la vulnérabilité avec l’accroissement de la population et ses mouvements.
L’incertitude concernant l’évolution future des conditions hydrométéorologiques invite dès lors à concevoir l’adaptation de manière évolutive, en mettant l’accent sur l’interaction entre sous-systèmes locaux et système urbain global. Cela implique d’être en mesure de rendre effectif le couplage entre les démarches scientifiques présentées et le fonctionnement des services administratifs concernés. Les entretiens réalisés nous ont permis d’en proposer une première appréhension.
Fig. 1 La démarche de « decision scaling » (source : d’après Poff et al., 2016). |
Fig. 2 L’évolution historique du nombre d’événements hydroclimatiques provoquant des co-occurences de crues catastrophiques de rivières et/ou de torrents dans la plaine grenobloise. |
Les acteurs métropolitains et le changement climatique : verrous et désajustements
Lorsqu’ils décrivent la sensibilité de la métropole aux effets du changement climatique ainsi que sa dynamique d’adaptation, les acteurs évoquent, d’une part, les conditions nécessaires à un changement de paradigme (adapter le rythme, embrasser les échelles) et, d’autre part, les obstacles génériques qu’ils identifient dans le développement de l’innovation, l’organisation du système et la circulation de l’information. Nous proposons une synthèse des différents verrous et désajustements perçus (Lutoff et al., 2018b)5.
Pluralité des rythmes du changement climatique et de l’action publique
À l’instar d’autres métropoles de taille comparable, on observe un processus d’adaptation lente alors qu’émerge un impératif de réponses rapides interrogeant in fine les possibilités d’une transition urbaine. Historiquement, la temporalité de l’action publique correspond à des alternances peu prévisibles entre périodes de stabilité et événements de rupture. Cependant, les nouvelles techniques de management public tendent à accélérer l’agenda de l’action publique et multiplient les ruptures depuis 2000. À titre d’illustration, la durée de vie des réseaux d’assainissement et des eaux pluviales peut aller jusqu’à 150 ans tandis que le temps de l’amplification majeure de l’urbanisation a été dans l’agglomération grenobloise d’environ 50 ans (1930-1980) et que la durée d’un mandat d’élu local est de six ans. Dans ce contexte, un élu va souvent préférer attendre plutôt que d’adapter ses pratiques6. La question est alors celle de la survie du système métropolitain en milieu anthropisé.
Multiplicité des échelles et action publique adaptative
Un second élément issu des entretiens est la notion d’échelles. Le « travail des échelles » s’entend au fil de nombreuses remarques de nos interlocuteurs et a trait à l’emboîtement territorial des échelles spatiales (de la parcelle à l’agglomération), mais également à la hiérarchie hydrographique (des torrents aux grandes rivières). L’adaptation ne peut pas reposer uniquement sur la puissance d’intervention métropolitaine. Pour réussir, une stratégie adaptative doit harmoniser des procédures sociales et des processus physiques en termes de solidarité sociale, environnementale et financière à travers une multitude de dimensions.
La conformité contre l’innovation
Une difficulté de l’adaptation au changement climatique est celle d’avoir à agir à la fois « avec » et « au-delà » du cadre institutionnel : les collectivités locales ont en effet un cadre réglementaire à respecter et les territoires doivent être en conformité avec les prescriptions de l’État et de l’Union européenne, plus complexes. Les collectivités locales déploient d’importantes ressources pour conformer leurs équipements et actions au cadre institutionnel, ce qui obère une partie de leur capacité d’action. De plus, si les collectivités se limitent à appliquer ce cadre, elles se coupent souvent de la capacité d’innover. En effet, l’institutionnel s’adapte de « bas en haut » et consacre les bonnes idées « après coup » (le « coup » pouvant être un événement déclencheur comme une crise climatique). L’un des enjeux est donc de favoriser l’innovation, notamment l’innovation sociotechnique, qui fait émerger de nouveaux dispositifs modifiant les cadres cognitifs et interprétatifs des acteurs en responsabilité au sein des collectivités afin de permettre la construction de stratégies de développement soutenable.
Fragmentations, rigidités et inerties du système et du territoire
Un autre obstacle à l’adaptation qui ressort des entretiens est celui de l’organisation des services de la métropole en silos, qui induit une réflexion morcelée sur le changement climatique. Des initiatives variées émanent des différents services, sans qu’émerge une vision globale de ces enjeux à l’échelle de la métropole. De plus, les entretiens ont montré que la réflexion sur la sensibilité au changement climatique s’organise dans des services dédiés (service Environnement air climat, Direction de la planification territoriale et urbanisme, etc.), dont la capacité à infléchir les pratiques et les stratégies d’action des autres services est limitée. Cette organisation en silos est contraire à la nature transversale de l’adaptation au changement climatique et appelle une évolution des structures de gouvernance7. L’échelle des problèmes est devenue globale et trans-sectorielle, mais les compétences demeurent attachées à des services particuliers. À la fragmentation de l’organisation s’ajoutent des « inerties » (l’existence de sentiers de dépendance8) qui entravent l’évolution des pratiques face au changement. Des solutions historiques, justifiées à une époque mais qui ont cessé d’être optimales ou rationnelles, perdurent. Les faire évoluer impliquerait un coût ou un effort trop élevés sur le moment, alors que ce changement pourrait être pertinent à long terme9.
Un manque d’information et de savoir-faire
Les habitants de la métropole semblent peu informés sur la question du changement climatique et les enjeux qu’il pose, notamment en termes d’extrêmes de précipitations. A contrario, la nécessité d’apporter une réponse au changement climatique semble évidente au sein des services de la métropole. L’une des explications se trouve dans la jeunesse de l’institution, qui n’exerce que depuis peu certaines compétences en lien avec le climat10, et qui n’a donc que peu de recul sur les événements passés11. Il faut également rappeler l’importance des logiques techniques qui peuvent conduire à privilégier le curatif sur le préventif. Le travail des échelles qui doit permettre de coupler les temporalités de la recherche et celles de l’administration s’avère donc particulièrement difficile du fait de la complexité de l’enjeu scientifique et d’un territoire étudié « en transition institutionnelle ». Mais, plus fondamentalement, c’est bien la compréhension du système urbain qu’il s’agit de reconsidérer afin de le préparer à des dérèglements climatiques survenant par à-coups.
Comprendre le système hydrosocial urbain : une constellation de tempos émergents
Inspirée par l’institutionnalisme critique (Pelling et Dill, 2010 ; Solecki et al., 2017), notre démarche propose de rompre avec la logique intégrative du structuralisme hydraulique et de bénéficier des apports poststructuralistes (Wissman-Weber et Levy, 2018). La complexité croissante des systèmes urbains se laisse en effet difficilement appréhender par la logique fonctionnaliste. Le risque inondation est analysé à l’aide des notions de contrat hydrosocial et de régime de risque. La mise à l’épreuve de ces notions sur le territoire métropolitain de Grenoble nous conduit à envisager ce dernier comme un « système de sous-systèmes » travaillé par des désalignements (les « misfits » d’Ingold et al., 2018) et requiert alors de procéder à une analyse approfondie de microscènes du risque (Decrop et al., 1997)12.
Contrat hydrosocial, régime de risque et microscènes
Première originalité, notre projet complexifie le modèle physique d’ingénierie classique utilisé pour formaliser le risque. Il s’agit d’y intégrer les processus socioéconomiques qui travaillent le territoire. De nature systémique, les temporalités des différents protagonistes qui y participent sont rendues solidaires et cohérentes via l’élaboration d’un « contrat hydrosocial ». Une première définition de cette notion gestionnaire a été proposée par Novalia et al. (2018). Une deuxième acception, plus politique, a trait à la distribution spatiale et sociale des droits et des responsabilités qui est opérée sur le territoire (en l’occurrence pour la prévention du risque torrentiel) : cette distribution renvoie, selon des processus variés, à des enjeux d’inclusion et de domination entre les protagonistes mobilisés afin de garantir un certain niveau de stabilité et de sécurité au territoire et à ses habitants (Pelling et Dill, 2010). Enfin, une conception plus économique du contrat hydrosocial considère une gestion du risque « stratifiée » par la période de retour de l’aléa, qui pilote le basculement entre stratégies de réduction des risques et de financement des réparations de la catastrophe. L’analyse s’appuie sur des représentations du « risque acceptable » partagées par les acteurs de la métropole. Elle reflète les divers équilibres souhaités entre tolérance du risque, projets d’aménagements et activité socioéconomique, de l’échelle parcellaire de l’établissement industriel à celle du système métropolitain. Le contrat hydrosocial est alors compris comme un assemblage politico-économique articulant : i) une configuration d’acteurs porteurs de temporalités et de valeurs hétérogènes ; ii) un arrangement institutionnel instrumentant leur coordination ; et iii) des infrastructures matérielles maillant l’espace. L’intégration de ces apports au sein d’une approche poststructuraliste (Wissman-Weber et Levy, 2018 ; Solecki et al., 2017) permet ensuite de consolider la notion en l’insérant dans celle plus globale de régime de risque inondation. De nature dialectique, ce dernier ouvre l’analyse au potentiel transformateur (émergences) de l’aléa climatique.
La seconde originalité consiste à comprendre les régimes de risque comme régulant non pas un territoire homogène et « intégré » mais des « espaces d’activités » différenciés, coévoluant de manière plus ou moins coordonnée et disposant de temporalités spécifiques (Solecki et al., 2017)13. Ces derniers peuvent dès lors être appréhendés comme des configurations sociohydrologiques où un évènement hydrométéorologique rare a causé, ou peut causer, un désordre hydraulique et social spécifique. Le projet est de décrire et de comprendre plusieurs scènes (Fig. 3) comme des situations de gestion territorialisée structurées par des régimes de risques localisés à la dynamique évolutive et impactant potentiellement la régulation du système urbain dans son ensemble14.
Notre approche est appliquée à l’une des microscènes retenues. Il s’agit d’« ausculter » la manière dont les « battements réguliers » de ce milieu de vie singulier se trouvent bouleversés par l’émergence de tempos hydrosociaux reconfigurants et de renseigner les effets produits selon différentes dimensions et à divers niveaux et échelles du système urbain.
Fig. 3 Les microscènes étudiées du système métropolitain grenoblois (© J. Buyck, d’après Ambrosino et Buyck, 2018). |
Considérer le tempo hydrosocial reconfigurant des microscènes urbaines : le cas du Verderet
La microscène du bassin versant du Verderet, petit affluent rural et urbain de l’Isère, est exemplaire. Le croisement des données hydroclimatiques et des informations des gestionnaires de la maîtrise des inondations15 permet d’identifier trois régimes de risque distincts. Ces derniers ne renvoient pas à des époques successives. Chaque nouveau régime intègre le précédent, les transitions s’effectuant lentement. Il est donc dépositaire de l’héritage organisationnel transmis, mais doit composer avec des modifications importantes du bassin versant (urbanisation), de l’hydrologie (tendances climatiques) et de l’administration publique (extension des prérogatives publiques, concertation).
Jusqu’au XVIIe siècle, le bassin versant aval du Verderet dans la plaine d’Eybens à Grenoble était un vaste marécage où se déversait régulièrement un bras du Drac dénommé le « Draquet » ou « Petit Draq ». Marécageuse, la plaine d’Eybens était peu peuplée puisque les villages sont tous sur le piedmont. Les endiguements du XVIIe siècle ont modifié la morphologie de la rivière et contenu le Draquet16.
Régime organique urbain (XVIIe siècle-années 1950)
Au-delà des fonctions anciennes d’assainissement et de collecte des excreta par les communautés d’habitants, le Verderet est utilisé comme un moteur économique du territoire. Au XIXe siècle, le Verderet alimente des bassins piscicoles, des abreuvoirs, des moulins et des usines hydrauliques, des teintureries et rouissages du chanvre et du lin et des turbines des tuileries (production hydroélectrique). Ce « régime organique urbain » est caractérisé par deux traits distinctifs : 1) une implication forte des communautés d’habitants (auto-organisation et modèle des communs) dans les fonctions « organiques » d’assainissement et de protection contre les inondations du Verderet ; 2) des usages productifs concurrents qui se traduisent par une pollution chronique du cours d’eau.
Régime de croissance urbaine soutenu par le public
À partir de 1950, les discours et les pratiques concernant le Verderet évoluent. La centralisation de la gestion et de la production électrique à l’échelon national (EDF) met fin à l’exploitation hydraulique du cours d’eau. L’époque est également au triomphe du génie civil (le cimentier grenoblois Vicat est déjà à cette époque une multinationale bien établie) avec pour conséquence le remplacement des berges naturelles par des murs de soutènement. La sociologie habitante s’est également transformée : les ouvriers et cadres d’entreprises de haute technologie remplacent les agriculteurs. Dans ce contexte, les crues de 1965 et 1968 donnent lieu à des contestations de l’action municipale par les riverains. Cependant, les édiles eybinois n’ont que peu de pouvoir face aux grands projets d’aménagement portés par l’État et ses administrations. En 1968, les Jeux olympiques de Grenoble se préparent : l’État construit la rocade sud et buse le Verderet au niveau de la rocade sans que les élus locaux aient leur mot à dire. Après la crue de 1968, l’inondation n’est définitivement plus une affaire « habitante » : destruction des murs de défense contre les crues et des digues privées chez les riverains, renforcement des ouvrages, installation des infrastructures complémentaires de gestion des crues torrentielles (peigne hydraulique). Soutenue par l’implantation de grandes entreprises à proximité du Verderet (société Hewlett Packard© en 1971), la commune d’Eybens connaît un développement urbain majeur entre 1974 et 2000 (61 % des constructions y sont postérieures à 1974). L’élection d’un nouveau maire en 1983 marque le début d’une prise de conscience par les acteurs publics de la menace d’inondation à l’échelle du territoire. Les études menées entre 1984 et 1991 proposent un plan de défense contre les crues17.
Régime de planification intégrée
L’inondation du Verderet en 1991 cause un décès et 5 millions de francs de dégâts (48 habitations inondées de même que le local des pompiers et les ateliers municipaux). Cette crue marque un tournant dans l’action publique locale contre les inondations. Alors qu’en 1990, on continuait à recouvrir progressivement le Verderet (busage du pont des ateliers d’Eybens), le système de protection est modifié en profondeur. La première innovation est la mise en œuvre de technologies sécuritaires, qu’elles soient impulsées par la puissance publique ou les acteurs privés18. Une autre innovation importante concerne le changement d’échelle de traitement des problèmes de la commune vers le bassin versant19. Les acteurs publics lancent ainsi de nouvelles études pour repenser l’aménagement du Verderet (notamment l’étude du CETE Aix en 1994). L’État participe également à ce mouvement en contrôlant plus étroitement les pratiques habitantes. Enfin, à partir des années 2000, c’est la façon de penser la crue qui évolue : un nouveau paradigme de gestion intégrée des inondations s’impose sous l’influence de nouvelles doctrines de gestion environnementale importées en France depuis les Pays-Bas (Guérin et Bouleau, 2014). Ce nouveau paradigme se traduit dans les documents d’urbanisme et de prévention des inondations20 mais aussi dans les projets d’aménagement à l’échelle du territoire municipal21. Les élections municipales de 2014, qui voient l’élection d’une maire écologiste à Eybens, conduisent à conforter ce renversement de doctrine.
L’analyse historique sur longue période de la scène « archétypale » du Verderet permet d’éclairer la trajectoire temporelle de ce microsystème urbain grenoblois (Fig. 4). Elle témoigne ainsi : i) d’un couplage complexe de temporalités hétérogènes qui génère des désalignements répétés au sein et entre les niveaux et les échelles ; ii) d’un tempo hydrosocial généré, sous certaines conditions, par des extrêmes socioenvironnementaux (Balch et al., 2020) – alors appréhendés comme « outcome » (résultat émergent) – et déstructurant le régime de risque en vigueur ; iii) d’un timing adaptatif plus ou moins long, au cours duquel les protagonistes d’un régime de risque situé parviennent à en reconfigurer les relations internes et les frontières externes afin de composer de manière pertinente et robuste avec les nouveaux enjeux.
En reprenant les catégories proposées par Roberts et Pelling (2019), il nous semble alors possible d’avancer que l’évolution récente des régimes de risque d’inondation (de 1950 à aujourd’hui) témoigne du passage d’une transformation municipale « par intensification » du fait de la primauté de la valeur « attractivité économique » (régime de risque « hiérarchisé » et structuré de manière préférentielle autour de discours et d’institutions valorisant les technologies et la rentabilité) à une transformation « par extension » soutenue par l’émergence de la valeur « soutenabilité écologique » (régime de risque progressivement « hétérarchique », contribuant à réévaluer la place et la portée des dimensions sociales et écologiques dans les stratégies de développement urbain).
L’objectif générique consistant à s’adapter de manière itérative et soutenable aux tempos hydrosociaux susceptibles de provoquer des reconfigurations nécessite de penser la flexibilité du système urbain global (système de sous-systèmes) comme une propriété émergente et non intrinsèque (Blue et al., 2020). Une telle perspective invite à déplacer l’analyse vers les stratégies territoriales (préventives et préparatoires) et à enrichir l’étude du tempo hydrosocial par celle du timing organisationnel partagé (multi-niveaux et multi-échelles).
Fig. 4 Dynamique temporelle des régimes de risque : le cas du Verderet à Eybens. |
Stratégie adaptative et structuration socio-institutionnelle : coconstruire un timing commun
Plutôt qu’identifier une solution unique prise à un instant et valant généralement pour l’événement majeur, les politiques d’adaptation doivent imaginer, au niveau de la métropole grenobloise, un « pilotage » dans un réseau de solutions et de décisions prises au fil des événements et de la variation des enjeux (en cohérence avec la trajectoire de décisions passées). Ainsi, se protéger point par point de la crue décennale à centennale selon l’importance des cours d’eau ne garantit plus aujourd’hui que cette protection réponde de manière adéquate aux changements qui pourront demain concerner la ville dans son ensemble. Afin d’augmenter leur plasticité, les nouveaux régimes de risques ne doivent pas seulement viser la fluidité des relations d’interdépendance fonctionnelle entre éléments du système urbain mais également être structurés stratégiquement (i.e. temporellement). Il s’agit plus précisément d’autoriser des expérimentations croisées, sources d’apprentissages collectifs et d’ajustements temporels à différentes échelles. Pour ce faire, de nouveaux types d’investissements et de comportements s’avèrent nécessaires afin de nourrir le « timing métropolitain » et d’être en mesure de gouverner les discontinuités émergentes (Van Riper et al., 2018).
Vers une infrastructure cognitive et interprétative partagée
Les infrastructures cognitives et interprétatives qu’il s’agit de coconstruire sont des conteneurs de ressources pratiques et situées (des manières de dire, de faire, d’observer, de ressentir, de penser, d’interagir, de compter, de décrypter le passé et d’anticiper le futur, de se situer dans l’espace…) qui se structurent dans le temps long et constituent des appuis pour l’action et la décision sociopolitique face aux risques climatiques. Répondant aux impasses de l’urgence adaptative (sur ou sous-réactions face aux émotions citoyennes, domination conjoncturelle des gestionnaires de crise, priorisation du retour à la normale…), elles inscrivent l’action collective dans le moyen-long terme et amorcent des réponses aux paradoxes de l’adaptation : logique assurantielle de reconstruction à l’identique (versus transformation territoriale), logique électorale de prolongation de l’existant (versus portage politique volontariste), logique de mobilisation sociale horizontale prescrite (versus encapacitation coopérative institutionnalisée), logique de partenariats dépossédant la puissance publique de savoirs et savoir-faire (versus apprentissages multiples et autonomes)…
Plus que des savoirs gestionnaires ou ingénieriques experts, elles visent à générer des processus participatifs de déconstruction et de reconstruction des problèmes qui se présentent aux communautés humaines (problem framing versus problem solving). On passe alors d’une problématique de l’intégration des échelles et des enjeux (« chasse aux misfits ») [Ingold et al., 2018] à celle de la structuration itérative d’un champ organisé autour d’enjeux et projets partagés (« fit-for-purpose ») [Rijke et al., 2012]. Une telle perspective nécessite de considérer comme stratégique la spécification d’« investissements de formes » d’un nouveau type (Thévenot, 1986)22, c’est-à-dire des investissements socio-symboliques valuateurs et non simplement des investissements matériels à valoriser. La finalité visée est en effet d’être en mesure de penser et de concrétiser de nouvelles formes de vie autorisant la coexistence temporellement négociée d’actants humains et non humains confrontés au « trouble » de l’Anthropocène (Pieron, 2019)23.
Nourrir le timing métropolitain : structurer des trajectoires marquées par les « discontinuités »
Ces nouveaux axes de recherches sont pensés comme une impulsion académique afin de nourrir le timing adaptatif métropolitain et approfondir la dynamique transdisciplinaire autour du « travail des échelles du risque inondation ». Selon nous, l’accent doit être mis sur l’élaboration de stratégies relationnelles jouant des échelles et des niveaux afin de structurer des organisations adaptatives (Termeer et Dewulf, 2014), plutôt que sur un alignement institutionnel entre différentes échelles et niveaux censés solidariser une pluralité de territoires du risque au sein de l’agglomération urbaine. Pour le dire avec Cairns et al. (2021), il s’agit alors de s’appuyer sur un cadre analytique (Fig. 5) articulant conjointement « discontinuités de la gouvernance » (impulsées par les tempos désordonnants qui émergent à intervalles irréguliers au sein d’une pluralité de scènes et viennent reconfigurer les contrats hydrosociaux temporairement stabilisés) et la « gouvernance des discontinuités » (qui appelle des investissements diversifiés afin de nourrir les stratégies de prépar-actions, ré-actions et trans-actions sur les territoires impactés).
Face à l’accroissement annoncé de la fréquence des extrêmes socioenvironnementaux, des voix de plus en plus pressantes invitent à porter l’accent sur l’identification de stratégies de sécurisation assurantielle pensées de manière « étendue » : ces dernières devraient ainsi réintroduire une profondeur temporelle là où les analyses sont bien souvent a-historiques24. Au-delà, c’est bien la problématique de la « transformation comme libération » (Roberts et Pelling, 2019) qu’il s’agira d’investir (réduction des inégalités socioenvironnmentales et effort partagé de solidarité économico-financière). Cela impliquera notamment de repenser assez profondément les cadres cognitifs et interprétatifs qui renseignent les décisions politico-économiques (dépassement de l’effectivité systématique des Plans communaux de sauvegarde) et appuient le recours à des principes génériques de résilience (configuration des Orientations d’aménagement et de programmation). Les perspectives à approfondir concernent, notamment, l’intégration des « pertes et dommages » non économiques, les décisions en termes de coopération partenariale fondée sur des « coûts de cohérence ou d’incohérence organisationnelles » (Garschagen et al., 2020), et la construction « critique » de la validité et de la légitimité des régimes de sécurisation (Ingold, 2011).
Fig. 5 Discontinuités spatiotemporelles et gouvernance du risque d’inondation. |
Conclusion
Notre article interroge l’articulation des temporalités multiples qui structurent les régimes du risque d’inondation au sein de la métropole grenobloise. D’inspiration compréhensive, il défend une approche relationnelle des pratiques d’adaptation (Renou, 2019), contribuant ainsi à (re)structurer temporellement l’action collective d’un ensemble de protagonistes. Ces derniers sont rendus solidaires par un contrat hydrosocial itératif nécessitant des investissements d’un nouveau type (cognitifs et interprétatifs). Il est possible de résumer les points saillants de notre démarche articulant des enjeux méthodologiques, analytiques et programmatiques comme suit :
Consolider des démarches bottom-up en construisant des séries temporelles d’événements remarqués évite l’empilement des incertitudes climatiques « descendantes ». Cependant, le couplage entre les temporalités scientifiques et les temporalités administratives reste difficile car des facteurs conjoncturels et institutionnels maintiennent la gouvernance du système urbain grenoblois dans le temps linéaire et séquentiel du structuralisme hydraulique25.
L’emprunt à des approches poststructuralistes ouvre la boîte noire du système urbain (pensé à partir de microscènes du risque) et invite à porter l’analyse sur les temporalités systémiques de territoires localisés soumis à des désordres hydrauliques. La trajectoire du système urbain est alors ponctuée par le « tempo hydrosocial » des microscènes les plus sensibles du territoire sous observation.
Étendre les modalités du répertoire d’action territoriale (de la « ré-action » à la « prépar-action » en passant par les « trans-actions ») et investir dans des « fonctions support transdisciplinaires » renouvelle le contrat hydrosocial partagé (voire alimente des dynamiques de transformation sociale) et consolide l’agenda des stratégies adaptatives des acteurs métropolitains.
Face à l’avis de « mauvais temps » qui menace la métropole grenobloise, la démarche réflexive et transdisciplinaire (Avelino et Grin, 2017) engagée sur le territoire doit ainsi inciter à réfléchir plus intensément aux modalités de coopération entre scientifiques et administrations territoriales. L’enjeu est d’approfondir l’analyse de la séquence temporelle du triptyque aléas climatiques – tempo hydrosocial – timing organisationnel, afin de perpétuer le travail transdisciplinaire engagé. Après cinq années de conventionnement, le partenariat entre l’Université et la métropole grenobloise se renouvelle tant dans ses programmes de recherches26 que dans ses objets27. La progressive structuration relationnelle du territoire qu’il sous-tend apparaît in fine essentielle car cette dernière pourrait conférer un contenu précis à un dispositif que la métropole cherche à territorialiser, celui des « partenariats public-commun28 ». En effet, comme nous le rappelle Bernard Aspe (2018), « l’inséparation est bien un travail. Lequel n’est pas destiné à s’arrêter, sans doute ; mais il est en tout cas susceptible de trouver une forme. [...] L’inséparé, c’est donc un domaine de réalité nouveau, un espace qui n’existait pas jusque-là ; un espace, et surtout un temps. Ce qui existe avant tout en tant que figure (in-figurable) de l’inséparé, c’est le temps commun ».
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Cette norme internationale générique (Birkmann et al., 2014) peut être redéfinie selon le territoire national considéré : en France, cette catégorie est réservée aux villes situées entre 20 000 et 200 000 habitants.
Slogan utilisé pour l’écologie depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992 et rappelant le caractère global et corrélé des questions environnementales. Attribué à René Dubos, il date en fait de la fin des années 1970 (Gianinazzi, 2018).
L’accès aux travaux du GIEC et à leurs fondements nationaux et internationaux mis à disposition par des plateformes climatiques nationales (site météo France) ou régionales (Pôle Alpin Risques Naturels) ne donne pas de « prise » sur la problématique d’adaptation locale. L’information climatique est surabondante et contradictoire. Son lien avec la trajectoire locale est complexe. L’évolution de la vulnérabilité du territoire de montagne très urbanisé et industrialisé de notre région à l’horizon 2050-2100 dépend de contraintes très incertaines qui dépassent les seules approches économique et démographique.
Les verbatim des entretiens peuvent être consultés in extenso en téléchargeant le rapport d’étude sur le site du projet Climat-Métro, https://climatmetro.wordpress.com.
À titre d’illustration, l’un des problèmes liés à la sectorisation des enjeux est l’intégration du changement climatique de manière incidente et par petites touches aux différents schémas et plans de développement (Plan de développement urbain, Plan local d’urbanisme intercommunal, Plan d’aménagement et de développement durable…). Celle-ci rend difficile la construction d’une représentation collective du changement climatique et d’une stratégie métropolitaine partagée.
On se réfère ici aux travaux de Haasnoot et al. (2013).
Notons cependant que la fragmentation politique du territoire a tendance à progressivement s’estomper depuis le passage en métropole qui a été imposé par la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, de 2014 et la mise en œuvre de la compétence GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) à partir de 2018. En effet, des compétences stratégiques sont désormais exercées par l’intercommunalité, ce qui favorise l’émergence d’une vision intégrée du territoire.
La survenue répétée d’extrêmes d’inondation – aléas rares et intenses – tend à rendre vulnérable la gouvernance routinière polycentrique et intégrative des systèmes urbains. Ils contribuent à désordonner l’ordinaire, à le rendre discontinu via l’expression de forces déstructurantes faisant basculer l’organisation stabilisée de formes de vie antérieures.
À ce titre, le principal aménagement réalisé a été le canal Jourdan (1684-1686), le premier endiguement continu du Drac dans la traversée de la plaine de Grenoble, qui a ouvert la possibilité d’urbaniser la plaine d’Eybens à condition de maîtriser le Verderet (Cœur, 2008).
1. 2012 : adoption du SCoT de la grande région de Grenoble (préservation des milieux aquatiques, de la « protection contre » au « faire avec ») ; 2. 2014 : adoption du PLUi de la Métropole (trame verte et bleue autour du Verderet, zones inondables inconstructibles, obligation d’infiltrer les eaux de pluie) ; 3. 2017-2018 : Stratégie locale de gestion du risque inondation (SLGRI) et délégation de la compétence GEMAPI (donner un espace élargi au cours d’eau et objectif d’atteinte du bon état écologique du Verderet).
L’une des pistes analytiques à approfondir serait en effet de réinvestir la notion de « milieu valuateur multi-local » élaborée par Jeannerat (2021) afin de l’adapter aux spécificités du champ du risque inondation.
Il ne s’agira donc pas de faire des schémas de couverture assurantielle la variable déterminante de processus décisionnels – car elle se révèle « impuissante » (Schäfer et al., 2019) à épuiser seule la complexité des enjeux soulevés localement – mais de s’appuyer sur elle afin de penser des stratégies « transformatrices » permettant de se maintenir dans l’espace d’adaptation urbain et donc de coconstruire localement des trajectoires de développement soutenables.
L’expression est empruntée à David Aubin (2007) et renvoie à « des stratégies adaptatives pilotées par l’ingénierie civile et agro-environnementale » afin de répondre aux enjeux hydrosociaux. Appliquée au champ du risque inondation, elle peut se concrétiser par la prégnance du modèle DPSIR (Drivers, Pressures, Stress, Impacts, Responses), proposé par l’Agence européenne de l’environnement, dans la manière de configurer localement des politiques locales d’adaptation au changement climatique.
Dans la continuité des travaux réalisés (Arik et al., 2023), une étude portant sur l’analyse comparative de la sensibilité urbaine au risque d’inondations entre Grenoble (F) et Trento (I) est en cours de réalisation. Par ailleurs, des demandes de financements complémentaires ont été déposées afin d’étendre, à l’échelle de la métropole grenobloise, l’analyse de la « gouvernance des discontinuités » aux épisodes de sécheresse.
Notion portée par certains services de la métropole visant à mobiliser le « commun » aux côtés de la puissance publique afin d’en faire une « infrastructure relationnelle ». Celle-ci est censée informer des stratégies collectives face à la complexification croissante des enjeux sur le territoire de l’agglomération grenobloise.
Citation de l’article : Renou Y., Brochet A., Creutin J.-D., Cartier S., Kharbouche M., Blanchet J., 2023. Mauvais temps sur la métropole grenobloise ? Pour une analyse transdisciplinaire de la relation aléas hydroclimatiques/tempo sociétal/timing organisationnel. Nat. Sci. Soc. 31, 4, 515-529.
Liste des figures
Fig. 1 La démarche de « decision scaling » (source : d’après Poff et al., 2016). |
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Fig. 2 L’évolution historique du nombre d’événements hydroclimatiques provoquant des co-occurences de crues catastrophiques de rivières et/ou de torrents dans la plaine grenobloise. |
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Fig. 3 Les microscènes étudiées du système métropolitain grenoblois (© J. Buyck, d’après Ambrosino et Buyck, 2018). |
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Fig. 4 Dynamique temporelle des régimes de risque : le cas du Verderet à Eybens. |
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Fig. 5 Discontinuités spatiotemporelles et gouvernance du risque d’inondation. |
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