Open Access
Editorial
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 30, Number 3-4, Juillet/Décembre 2022
Page(s) 224 - 225
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2023012
Published online 10 April 2023

Objet de controverse depuis la fin des années 1990, les organismes génétiquement modifiés (OGM) préparent leur grand retour dans le débat public. Mises au point chez les bactéries en 1973 et les plantes en 1983, les techniques de modification génétique permettent de transférer des gènes d’un organisme à l’autre, qu’ils soient de la même espèce (cis-génèse) ou d’espèces différentes (trans-genèse). L’application de cette technologie à l’amélioration végétale a suscité un fort engouement et, aujourd’hui à l’échelle mondiale, 190 millions d’ha sont emblavés en plantes transgéniques (ce qui équivaut à peu près à la superficie cultivée en France). En même temps, la culture des plantes transgéniques a entraîné des inquiétudes et des régulations et elle est bannie dans une soixantaine de pays.

Après de longs débats, l’Europe a adopté une directive en 2001 qui définit les conditions de culture des plantes génétiquement modifiées. Aujourd’hui, elle est limitée à 110 000 ha en Espagne et au Portugal, soit 0,1 % des superficies européennes, mais des quantités très importantes de soja et de maïs génétiquement modifiés sont importées chaque année comme alimentation animale.

Inchangé depuis une vingtaine d’années, ce statut des plantes génétiquement modifiées en Europe pourrait évoluer rapidement. L’élément déclencheur est l’émergence de nouvelles technologies de production des plantes génétiquement modifiées, comme la technologie CRISPR-Cas91 basée sur l’édition des génomes aux moyens d’outils d’une grande finesse qui rendent indétectables les modifications proposées.

Les nouvelles attentes sociétales en faveur d’une agriculture plus durable poussent aussi différents acteurs à proposer un allègement de la régulation des plantes génétiquement modifiées pour en faciliter le développement afin de concilier productivité et durabilité.

L’évaluation de l’innovation transgénique a fait l’objet de nombreuses réflexions et débats. En Europe, le point de cristallisation est la directive 2001/18 qui définit ce qu’est une plante transgénique et fixe les règles d’évaluation des risques selon les usages. Le choix européen a été de considérer le risque comme un objet de politique publique sans s’intéresser à la pertinence de l’innovation qui, elle, est laissée à la liberté du marché. Le rôle de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de comités nationaux a été d’évaluer ce risque dans l’absolu, sans tenir compte du niveau de pertinence de l’innovation proposée. Les risques peuvent être liés à la santé et à l’environnement. Certains, comme l’allergénicité ou l’impact sur la biodiversité, sont très difficiles à évaluer et restent controversés. D’autres, notamment les impacts socioéconomiques, ne sont pour l’instant pas évalués. La France avait fait figure de pionnière sur cette évaluation large et multidisciplinaire des risques mais le Haut Conseil des biotechnologies qui portait cette initiative a été dissous le 1er janvier 2022, suite à d’importantes dissensions internes.

Le débat porte aussi sur la nature même de la plante transgénique. Si, pour les généticiens moléculaires, la technique utilisée est ce qui détermine la différence entre une plante transgénique et une plante obtenue par multiplication classique, pour les juristes, le cadre est plus large. La directive 2001/18 définit un « organisme génétiquement modifié (OGM) » comme « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». En conséquence, un organisme dont le génome a été modifié par une technique indétectable sera considéré comme un OGM par les juristes car obtenu par un processus non naturel.

La motivation du législateur européen est bien de prémunir la société contre les risques éventuels que pourrait introduire toute modification artificielle du vivant. Le changement de contexte technique et l’évolution des enjeux globaux poussent certains à demander une nouvelle discussion de ce cadre législatif. L’argument principal est que la frontière entre modification naturelle du génome (l’apparition de mutations) et modification artificielle basée sur l’intervention de l’homme serait de plus en plus ténue vu l’évolution des technologies disponibles. Faute de pouvoir tracer cette frontière, le législateur propose aujourd’hui d’assimiler certaines techniques de modification génétique à un processus naturel et donc de lever l’obligation d’une évaluation du risque pour de nouvelles technologies.

Si cette adaptation du cadre juridique peut sembler logique dans une perspective d’évaluation des risques, une vision systémique oblige à considérer deux autres éléments : les déterminants de la durabilité et les paradigmes d’innovation. Dans une perspective de développement durable, l’évaluation du risque implique une approche comparative inscrite sur le long terme. La focalisation de l’évaluation actuelle sur la dimension toxicologique, qui est par construction un risque circonscrit et indépendant du temps, a créé un angle mort sur les risques systémiques et à long terme, comme le risque de dissémination dans l’environnement, sans possibilité de réversibilité. Dans ce cas, ce n’est pas tant la méthode utilisée pour réaliser la modification génétique qui pose question mais bien la nature de cette modification : la nouvelle caractéristique acquise par la plante modifiée. Si une plante transgénique s’avère toxique ou allergène, on peut la retirer des étagères et des chaînes alimentaires. Si cette même plante devient envahissante dans les écosystèmes naturels ou agricoles, il est impossible de l’éliminer et l’ampleur des conséquences est imprévisible et indéterminée2. On mobilisera ici le principe de précaution – qui a déjà fait débat dans NSS3 – dans une perspective où l’objectif est de passer d’une politique d’évaluation des risques aux grandes orientations politiques et à leur pilotage4.

Contrairement à ce que pensent les enthousiastes des technologies, la (non) durabilité en agriculture est bien plus une question de modèle de société qu’une question d’innovation. Ce qui affecte aujourd’hui le climat et la biodiversité, c’est un modèle de consommation basé sur une nourriture au prix le plus bas et un modèle de production basé sur la maximisation des rendements. Ce couple, né au début des trente glorieuses, a perdu beaucoup de sa pertinence mais reste encore dominant dans les champs et les discours.

La grande majorité des plantes génétiquement modifiées en culture aujourd’hui sont liées à la simplification de systèmes de cultures industriels à grande échelle fondés sur l’utilisation d’herbicides ou la résistance intégrée aux insectes. Au cœur de cette vision productiviste et simplificatrice, les biotechnologies ont une longue histoire de promesses non tenues, notamment en termes de rendement ou de résistance à la sécheresse. Or, dans un monde aux ressources limitées, les promesses des uns tuent les projets des autres. Les différents paradigmes d’innovation sont en compétition. Les importants subsides mobilisés pour développer et soutenir le secteur des biotechnologies auraient pu être affectés à d’autres paradigmes d’innovation comme l’agroécologie ou l’agriculture biologique5. Les solutions biotechnologiques sont à la fois très coûteuses et basées sur une approche réductionniste par opposition à des approches systémiques, basées sur la mobilisation de processus naturels et une vision renouvelée des modèles agricoles pour répondre aux trois enjeux majeurs : changement climatique, sécurité alimentaire et biodiversité6. À l’opposé d’une approche d’adaptation technologique des modèles actuels pour en assurer la pérennité, l’application des principes de l’agroécologie demande de repenser les objectifs, les indicateurs et les trajectoires des systèmes agricoles et alimentaires7.

Si on veut reconsidérer aujourd’hui le rôle des biotechnologies et des plantes transgéniques dans une trajectoire de développement durable, ne faudrait-il pas inverser la séquence ? Sortir de cette logique anachronique qui consiste à justifier l’innovation par ses impacts potentiels pour ouvrir une réflexion plus large partant des enjeux et d’une vision systémique et pluridisciplinaire de ceux-ci ? Si l’objectif est d’augmenter la durabilité des systèmes agricoles et alimentaires, quels sont les paradigmes d’innovation à considérer, comment comparer leurs avantages et inconvénients respectifs dans le cadre global des modèles agricoles qu’ils renforcent ? Une fois ces trajectoires définies et débattues en société, il sera possible de situer la pertinence des différentes innovations pour atteindre ces horizons désirables. Ce changement de perspective ne préjugerait pas du potentiel de l’innovation biotechnologique mais la situerait par rapport à d’autres options peut-être tout aussi pertinentes.


1

Doudna J.A., Charpentier E., 2014. The new frontier of genome engineering with CRISPR-Cas9, Science, 346, 1258096, https://doi.org/10.1126/science.1258096.

2

Colombo S.M. et al., 2018. Potential for novel production of omega-3 long-chain fatty acids by genetically engineered oilseed plants to alter terrestrial ecosystem dynamics, Agricultural Systems, 164, 31-37, https://doi.org/10.1016/j.agsy.2018.03.004.

3

Boy L., 1999. La nature juridique du principe de précaution, NSS, 7, 3, 5-11, https://doi.org/10.1016/S1240-1307(99)80541-X.

4

Grison D., 2008. Comment débattre des OGM ?, NSS, 16, 348-354, https://doi.org/10.1051/nss/2008065.

5

Vanloqueren G., Baret P., 2009. How agricultural research systems shape a technological regime that develops genetic engineering but locks out agroecological innovations, Research Policy, 38, 971-983, https://doi.org/10.1016/j.respol.2009.02.008.

6

Hubert B., 2020. Agriculture et alimentation. Les modèles de production questionnés : l’impératif du changement agroécologique, Raison présente, 213, 85-96, https://doi.org/10.3917/rpre.213.0085.

7

HPLE, 2019. Agroecological and other innovative approaches for sustainable agriculture and food systems that enhance food security and nutrition, Rome, FAO.


© P. Baret, Hosted by EDP Sciences, 2023

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