Open Access
Issue
Nat. Sci. Soc.
Volume 26, Number 2, April-June 2018
Dossier « La fabrique de la compensation écologique : controverses et pratiques »
Page(s) 215 - 222
Section Regards – Focus
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2018038
Published online 01 August 2018

© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2018

La possibilité de compenser des impacts écologiques résiduels provenant de projets d’aménagement via le mécanisme d’offre de compensation a été introduite en 2016 dans la loi relative à la biodiversité1. La compensation écologique constitue la dernière étape de la séquence « éviter-réduire-compenser » relative aux impacts environnementaux des projets d’aménagement. La mise en place d’une offre de compensation implique donc la création d’un site naturel de compensation par un opérateur tiers. Ce dispositif vise une meilleure efficacité organisationnelle et écologique par rapport aux opérations menées de manière individuelle, au cas par cas, directement par les maîtres d’ouvrage mais après la réalisation des aménagements (mécanisme ex post).

Un site naturel de compensation permet donc d’anticiper de futurs besoins de compensation sur une zone déterminée en conduisant ex ante des opérations portant une plus-value environnementale dont les coûts pourront être par la suite transformés en unités de compensation potentiellement revendables à des aménageurs devant compenser. Ce type de dispositif suscite de nombreuses craintes, quant à la limitation des étapes préliminaires que sont éviter et réduire ou encore à la déresponsabilisation des aménageurs (Béchet et Olivier, 2014 ; Moreno-Mateos et al., 2015) mais il a également plusieurs intérêts. Il permet en effet de créer un gain écologique avant l’aménagement (pour éviter la période de latence des actions ex post) et de mutualiser les obligations de compensation de plusieurs petits projets d’aménagement en une seule grande opération de compensation gérée par une structure spécialisée ; enfin, il mobilise des ressources privées additionnelles aux budgets de la nation dévolus à l’action environnementale (Calvet et al., 2015).

Mise en place du premier site naturel de compensation français

Le 11 mai 2009 a été inauguré sur le site de Cossure (du nom de l’ancienne bergerie qui s’y trouvait), commune de Saint-Martin-de-Crau (Bouches-du-Rhône), le premier site naturel de compensation français créé par la filiale Biodiversité de la Caisse des dépôts et consignations (CDC Biodiversité), sous l’égide du ministère en charge de l’écologie (MEDDE). Les enjeux de conservation sont en effet particulièrement importants dans la plaine de Crau (Buisson et Dutoit, 2006 ; Dutoit et al., 2013 ; Tatin et al., 2013). La végétation de type steppique, originale et à forte diversité qui y dominait à l’origine (les « Coussouls2 de Crau ») résulte d’un contexte écologique particulier et de six mille ans de pâturage ovin (Henry et al., 2010). Cet écosystème abrite aussi des espèces animales rares dont certaines sont endémiques (Buisson et Dutoit, 2006) et font l’objet de protections réglementaires aux niveaux national et international. Pourtant, la superficie de cet écosystème n’a cessé de diminuer depuis le XVIe siècle, passant de plus de 50 000 ha à environ 10 000 ha en 2000, suite à de forts changements d’usage pour les cultures, l’urbanisation et l’industrialisation (Buisson et Dutoit, 2006).

Dans ce contexte, l’abandon en 2006 d’un verger industriel de 357 ha sur le site de Cossure, situé en limite de la réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau (RNNCC) (7 400 ha), a constitué un fort enjeu local de reconquête de la biodiversité (Dutoit et Oberlinkels, 2010, 2013). Ce site était en effet précédemment constitué d’une végétation de type steppique transformée pour partie en cultures maraîchères puis en verger intensif de pêchers et abricotiers entre 1987 et 1992. Le 8 septembre 2008, la CDC Biodiversité signe le rachat des 357 ha du site de Cossure pour y réaliser le premier site naturel de compensation par l’offre français pour un montant de 5,5 millions d’euros, soit 40 % du budget total alloué, qui est de l’ordre de 12,5 millions d’euros (Calvet et al., 2015).

Au lancement de l’opération en 2008, la question de la possibilité de restaurer l’intégralité de l’écosystème historique qui préexistait s’est donc posée. C’est pour cette raison que la CDC Biodiversité a fait appel aux écologues chercheurs de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie (IMBE) qui ont été intégrés dans un comité local de pilotage. Ce dernier se réunit semestriellement et il est composé de représentants des organismes suivants : Caisse des dépôts et consignations [CDC] Biodiversité Sud-Est ; personnel des services déconcentrés du ministère en charge de l’écologie (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement [Dreal], direction départementale des territoires et de la mer [DDTM]) ; conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) ; chambre d’agriculture ; conservatoire d’espaces naturels de Provence-Alpes-Côte d’Azur (CEN Paca) ; instituts de recherche (Institut national de la recherche agronomique [Inra], IMBE, Domaine de la Tour du Valat). C’est dans cette instance qu’ont alors été abordées les questions et les décisions relatives aux techniques de réhabilitation, de gestion et aux suivis écologiques du site. La réhabilitation de l’ancien verger en espace pastoral constituait en effet une première en France, tant au niveau des techniques à utiliser que dans leur mise en place aux échelles d’espace (357 ha) et de temps (deux années 2009-2010) pour lesquelles elles devaient être opérationnelles. Cette expérimentation a donc mobilisé les connaissances des scientifiques pendant près d’une année sur le site pour la conduite et le suivi des travaux. Deux partenariats ont été mis en place sous la forme de conventions bipartites avec la CDC Biodiversité, l’une avec l’IMBE et l’autre avec le CEN Paca et la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, cogestionnaires de la RNNCC. En vue d’assurer la gestion et le suivi du site de compensation (suivis de l’avifaune steppique pour le CEN et de la végétation pour l’IMBE), ces conventions ont été reconduites à la suite des opérations de réhabilitation pour une durée de trois ans renouvelable entre 2011 et 2016.

Dans le même temps, les recherches scientifiques complémentaires consistant en des expérimentations de restauration ont été financées dans le cadre d’un programme consacré à l’ingénierie écologique (programme « Ingeco ») porté par l’Institut écologie et environnement du CNRS (Abbadie et al., 2015), la région PACA et la société fédérative de recherche (SFR) Tersys. Au total, 4 thèses de doctorat auront été dédiées entre 2008 et 2016 à cette expérimentation (Dutoit et al., 2015).

Après avoir présenté rapidement les interventions de réhabilitation et de restauration écologique sur le site de Cossure, nous proposons ici de synthétiser les principaux résultats des études consacrées aux effets des différentes techniques de réhabilitation et de restauration expérimentées sur la végétation, les insectes et l’avifaune mais aussi, d’exposer comment les avis émis par les chercheurs en écologie ont été pris en compte au niveau du comité de pilotage local et ont influencé le déroulement de l’expérimentation. Enfin, après plus de 7 années de suivis, nous conclurons sur le succès à court terme des interventions de réhabilitation et de restauration écologique expérimentales mises en place sur ce site pour les replacer dans le contexte de la création d’un site naturel de compensation.

Réhabilitation et restauration écologique expérimentale du site naturel de compensation

Dès le début des consultations, l’intégration de chercheurs écologues dans le comité de pilotage local de l’expérimentation a eu pour première conséquence de faire redéfinir ses objectifs initiaux. En effet, des résultats obtenus précédemment par les écologues de l’IMBE sur le même écosystème mais pour des interventions différentes (restauration de friches culturales et de terres remaniées par la mise en place de canalisations enterrées) avaient déjà démontré les difficultés scientifiques et les impossibilités techniques de restaurer sensu stricto l’intégralité de l’écosystème de type steppique qui préexistait avant la dégradation (Buisson et Dutoit, 2004 ; Buisson et al., 2006 ; Dutoit et al., 2011 ; Coiffait et al., 2012a, 2012b). Ce constat rejoint en cela les résultats des méta-analyses déjà réalisées sur ce sujet pour d’autres écosystèmes à l’échelle européenne ou planétaire (Rey Benayas et al., 2009 ; Moreno-Mateos et al., 2012).

Les objectifs ont donc été limités à une réhabilitation plutôt qu’à une restauration. Contrairement à la restauration écologique sensu stricto qui vise à terme la remise en place de l’ensemble de la biodiversité et des fonctions d’un écosystème, la réhabilitation se limite à quelques composantes de la biodiversité ou fonctions des écosystèmes (Clewell et Aronson, 2010). La réhabilitation du verger abandonné a consisté finalement en « la reconstitution d’une végétation de pelouse sèche rase composée majoritairement d’espèces végétales sauvages caractéristiques de la Crau sèche sur la totalité du site (à l’exception des surfaces occupées par les bâtiments) dans le but d’offrir un habitat convenable à plusieurs espèces faunistiques caractéristiques de la Crau sèche, notamment l’outarde canepetière, le ganga cata et l’œdicnème criard » (MEEDDM, CDC Biodiversité, 2010).

Après un état écologique initial du site réalisé en 2008 par l’IMBE et le CEN Paca pour le volet avifaune (trois années après l’abandon de son exploitation), l’opération de réhabilitation de l’ancien verger de Cossure a débuté en 2009 par le retrait des 200 000 arbres fruitiers (pêchers et abricotiers), de 100 000 peupliers constituant 55 km linéaires de haies brise-vent, et de plus de 1 000 km de tuyaux d’irrigation goutte à goutte. Le terrain a ensuite été décompacté au bulldozer pour être enfin aplani par des niveleuses (Jaunatre et al., 2012). À la demande des chercheurs, une zone a été conservée au titre de témoin sans traitement de réhabilitation (pas de nivellement des buttes et pas de remise en place du pâturage), mais les arbres fruitiers dépérissant faute d’irrigation ont quand même dû être retirés pour éviter d’être des foyers d’infestations pour les vergers voisins encore en exploitation, notamment à cause du risque de transmission du virus de la sharka et de prolifération d’un coléoptère potentiellement ravageur des arbres fruitiers (le scolyte rugueux).

En 2010, deux bergeries ont été construites afin de permettre l’installation de deux éleveurs avec leurs troupeaux initialement constitués de 800 brebis chacun. Des conventions de pâturage ont été signées entre les éleveurs et CDC Biodiversité avec pour objectif principal de faire exercer une pression pastorale suffisamment importante au troupeau afin de maintenir une hauteur de végétation herbacée la plus basse possible. Le succès de la réhabilitation du site va donc fortement dépendre de sa gestion conservatoire assurée par le pastoralisme. Au niveau de cette phase de réhabilitation de l’habitat pour l’avifaune steppique, il est important de mentionner qu’aucun semis ou plantation n’a été effectué. La régénération de la végétation est alors uniquement fondée sur le stock semencier présent dans le sol ou à partir de la pluie de graines provenant des steppes voisines. Le coût de la réhabilitation des 357 ha a représenté environ la somme de 4 millions d’euros (soit près de 34 % du budget total alloué à l’opération Cossure).

Parallèlement, les écologues impliqués dans le projet ont mis en place les expérimentations portant sur la restauration écologique sensu stricto de la végétation steppique de référence (celle qui préexistait avant le verger et qui est encore présente tout autour) et son entomofaune associée afin d’améliorer les connaissances et les techniques de restauration de la steppe de Crau. Ces actions n’ont cependant pas été prises en compte dans le mécanisme de compensation. Elles ont consisté en la mise en place de différentes techniques de restauration écologique comme 1) le semis d’espèces nurses, pour lutter contre l’expression des espèces adventices et favoriser l’installation des espèces typiques de la végétation steppique ; 2) le transfert de foins, à partir de zones de steppe où les graines ont été aspirées ; 3) le transfert de sol, à partir de zones de carrières ou de plates-formes logistiques dont les extensions avaient préalablement été autorisées ou encore, 4) l’étrépage du sol qui consiste à retirer la couche superficielle du sol où se trouve la majorité des graines indésirables d’adventices et les reliquats des applications d’engrais datant de l’exploitation du verger. Toutes ces techniques ont été détaillées dans des publications précédentes (Jaunatre et al., 2014a, 2014b ; Dutoit et al., 2015).

Effets de la réhabilitation et des expérimentations de restauration sur la biodiversité du site naturel de compensation

Dès la fin de la réhabilitation du site en 2010 avec le retour des troupeaux, divers suivis écologiques ont été réalisés sur la biodiversité du site en fonction de leur importance fonctionnelle mais aussi des compétences mobilisables et des compartiments accessibles. Ceux-ci ont concerné la végétation, l’avifaune (cible majeure de l’opération de compensation), certains ordres d’insectes comme les coléoptères et les orthoptères du fait de leur importante biomasse disponible pour les prédateurs et enfin, les fourmis moissonneuses (Messor barbarus L.) en raison de leurs rôles potentiels majeurs dans la redistribution des graines d’espèces typiques de la steppe. Certaines caractéristiques physicochimiques du sol ont également été mesurées avant la réhabilitation et trois années après la mise en place des différentes expérimentations.

Les résultats obtenus ont toujours été comparés à la steppe de référence qui entoure encore le site et à une situation sans action de réhabilitation (zone témoin mais dont les arbres ont quand même été retirés, cf. supra). Après 7 années de suivi (2010-2016), les résultats obtenus montrent que la réhabilitation a bien permis la création d’une formation végétale dominée par des plantes herbacées dont la hauteur et le recouvrement ne sont plus supérieurs à celle de la steppe de référence. En revanche, la diversité et la composition de la végétation restent respectivement inférieures et très différentes sauf pour les traitements de restauration les plus lourds qui impliquent d’importants impacts environnementaux (transfert et étrépage de sol). Une grande variabilité dans ces paramètres a également été mesurée par rapport à la relative stabilité de la steppe de référence voisine, à l’exception de ces deux dernières années (Fig. 1). En effet, de nombreuses espèces relictuelles de l’ancienne phase d’exploitation et d’abandon du verger (bromes, avoines, chardons, etc.) se sont maintenues du fait de la persistance d’un niveau de fertilité (P2O5, K2O, etc.) plus fort dans les zones réhabilitées que dans la steppe de référence (Jaunatre et al., 2014b). La conjonction avec des printemps humides (2010, 2011, 2013, 2015) a ainsi entraîné une forte productivité des espèces annuelles spontanées qui n’a pu être maîtrisée par les systèmes de pâturage mis en place durant ces années.

Aucun traitement n’a permis en 7 années d’atteindre la richesse et la composition spécifiques de la végétation de la steppe de référence et seuls les interventions les plus lourdes ont montré des différences significatives avec le témoin (Fig. 2). Des résultats plus contrastés ont été obtenus pour l’entomofaune (orthoptères et coléoptères). Ainsi, dès 2010, il a été mesuré un retour très rapide en composition, richesse spécifique et densité de toutes les espèces de sauterelles et de criquets les plus communes de la végétation steppique après la réhabilitation (Alignan et al., 2014). Les orthoptères ont donc été de bons indicateurs précoces de la mise en place d’une végétation herbacée (Alignan et al., 2018a) contrairement aux coléoptères, plus inféodés à la composition spécifique de la steppe et qui n’ont pas montré une forte résilience suite à la mise en place des différents traitements (Alignan et al., 2013a, 2013b et 2018b). La réintroduction de reines fondatrices de fourmis moissonneuses sur le site a, quant à elle, été un succès à court terme au niveau de la viabilité des individus transplantés et des nouveaux nids qui se sont ensuite développés. Cependant, un effet bénéfique sur la végétation n’a pas encore pu être mesuré faute de suivis sur le moyen terme. Bien que le site de Cossure ait offert l’opportunité de tester un nouveau protocole de réintroduction de fourmis, une recolonisation naturelle a aussi été mesurée à partir de ses bordures avec la steppe voisine rendant caduque la nécessité d’avoir recours à ce type d’intervention (Bulot et al., 2014, 2016).

Au niveau de l’avifaune, les oiseaux emblématiques sont très rapidement venus fréquenter le site. Les effectifs ont notamment été maximum pour l’outarde canepetière, le ganga cata et l’alouette calandre en 2011. Leurs effectifs ont ensuite diminué (sauf pour l’outarde canepetière en 2016) tout en restant toujours supérieurs en majorité aux comptages effectués en 2008, quand le verger a été abandonné mais avant sa réhabilitation (Fig. 3). Ils ont également connu entre 2012 et 2016 de fortes fluctuations en lien avec les variations climatiques, ayant elles-mêmes peut-être entraîné des modifications des pratiques pastorales et in fine de la hauteur de végétation mais aucune corrélation significative entre ces facteurs n’a pu être mesurée.

thumbnail Fig. 1

Évolution de la hauteur de végétation sur le site de Cossure entre 2010 et 2016. Chaque point représente la moyenne et les barres d’erreurs, les erreurs standards (source : les auteurs).

thumbnail Fig. 2

Évolution de la richesse en espèces végétales sur le site de Cossure entre 2010 et 2016. Quantité d’espèces mesurée sur 4 m2, chaque point représente la moyenne et les barres d’erreurs, les erreurs standards (source : les auteurs).

thumbnail Fig. 3

Évolution du nombre d’oiseaux steppiques présents sur le site de Cossure entre 2008 (verger abandonné) et 2016 (source : les auteurs).

Quel bilan près de 10 années après l’acquisition du site ?

La réhabilitation du verger de Cossure en espace de parcours pastoral a été une opération de grande ampleur qui a mobilisé des moyens scientifiques, techniques et financiers considérables. Les résultats des différents suivis réalisés montrent clairement que l’engagement de créer une végétation herbacée a bien été tenu et que son maintien semble garanti à l’avenir par la remise en place des pratiques pastorales. Aucune invasion d’espèces exotiques envahissantes arbustives (Micocoulier) ou herbacée (Séneçon du Cap) n’a été détectée de manière pérenne. En revanche, certaines espèces natives proliférantes (Ronces) et des reprises locales des anciens pêchers à partir de noyaux ou de racines ont été sporadiquement observées. La hauteur de la végétation, sa composition, sa richesse et sa diversité spécifiques ne sont cependant pas encore stabilisées et semblent encore très sensibles aux variations de la pluviométrie annuelle et du système pastoral recréé.

En 2014, un été particulièrement pluvieux a ainsi entraîné la prolifération d’une espèce originaire d’Amérique du Nord, l’Amaranthe blanche. En effet, préalablement contrôlée par les traitements herbicides lors de la phase d’exploitation des vergers, cette espèce s’est particulièrement développée à partir de son stock semencier contenu dans le sol en l’absence de la sécheresse estivale récurrente du climat méditerranéen. Les plantes se sont ensuite desséchées sur place après maturité des graines, ont roulé sur le sol lors d’épisodes venteux (mistral) et se sont accumulées au pied des obstacles rencontrés, entraînant ainsi la dispersion des graines. Plus de 5 ha du verger voisin en exploitation ont finalement été recouverts ainsi que plusieurs bergeries et les clôtures protégeant les troupeaux le long de la nationale N568 traversant le site. Loin d’être anecdotique, cet épisode a montré les limites de la maîtrise des opérations de réhabilitation écologique face à la complexité du vivant résultant de la diversité et de la richesse des stratégies adoptées par les différentes espèces pour se maintenir dans des environnements changeants.

La dynamique de la hauteur de végétation a certainement eu un impact sur la présence de l’avifaune steppique. L’outarde canepetière aurait ainsi été plutôt favorisée par des plantes herbacées hautes. Par contre, rien ne permet à l’heure actuelle de prédire que la trajectoire de la végétation atteindra, même sur le très long terme, celle de la steppe qui préexistait avant les phases de culture. Ainsi, seuls les traitements de restauration les plus lourds nécessitant le retrait du sol de l’ancien verger et le transfert de morceaux de sol de steppe relictuelle ont eu un effet significatif. Cela s’est cependant fait au prix de la destruction de morceaux de steppe ailleurs (site donneur), d’un coût financier considérable (15 000 – 25 000 €/ha) mais aussi d’un coût environnemental important (noria de camions) ne permettant pas de préconiser à l’avenir ces techniques de restauration non durables car basées sur l’exploitation de ressources non renouvelables (hydrocarbures) et à l’origine de multiples pollutions (CO2, SO2).

Le bilan écologique final des actions de réhabilitation du site naturel de compensation ne pourra cependant être effectué qu’avec un recul temporel plus important. C’est pourquoi, même après l’échéance des conventions de collaborations entre la CDC, le CEN et l’IMBE (2016), des suivis seront encore menés sur fonds financiers propres, notamment pour la végétation et l’avifaune, cibles des objectifs de l’opération de réhabilitation, afin de proposer des bilans réguliers sur des intervalles de temps plus longs.

En ce qui concerne la gouvernance, la présence des écologues au sein du comité de pilotage local de cette expérimentation a permis de constamment alimenter les opérateurs par des données abondantes, précises et régulières quant à ses impacts. Le volet scientifique a notamment été important grâce à l’investissement volontaire et motivé de la CDC Biodiversité (financement de l’état initial, de la mise en place des expérimentations et des suivis sur la végétation et l’avifaune) mais aussi grâce à des cofinancements obtenus auprès des partenaires publics. Ce montage a également donné l’occasion aux chercheurs écologues de valoriser leurs données scientifiques en toute indépendance tandis que les opérations de communication devaient légitimement faire l’objet d’un consensus au niveau du comité de pilotage local avant leur diffusion.

Conclusion

Le suivi écologique de la mise en place du premier site naturel de compensation par l’offre français par des écologues a mis en évidence le retour rapide des oiseaux steppiques après la réhabilitation du verger grâce à la reconstitution et au maintien d’une végétation herbacée via la réinstallation du pastoralisme. Cependant, leurs travaux ont aussi démontré les limites de ce dispositif d’offre de compensation qui n’a conduit à la réhabilitation que de certaines composantes et fonctions. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il est de même encore très difficile de prédire les résultats des actions engagées sur le très long terme ou même leur pérennité face aux aléas climatiques et d’exploitation. La collaboration d’écologues pour mesurer les effets de l’expérimentation – et non pas pour la justifier – a permis de mieux évaluer la première action de ce type en France via des approches expérimentales de terrain et les expertises délivrées lors des comités de pilotage locaux. Cette évaluation est d’autant plus importante lorsque ce genre d’opération est sujet à débats (Maris et al., 2010 ; Piermont, 2010 ; Dutoit, 2010 ; Dutoit et al., 2014 ; Béchet et Olivier, 2014).

Remerciements

Les auteurs remercient le CNRS (programme Ingecotech de son Institut écologie et environnement), la région Paca, la structure fédérative de recherche Tersys, le conservatoire d’espaces naturels Paca, la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône et CDC Biodiversité pour leur aide à la réalisation des recherches sur ce sujet.

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1

Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

2

Coussoul : du latin « cursorium », l’espace que l’on traverse, que l’on foule du pied. Le coussoul est un espace de parcours ovin depuis la période antique.

Citation de l’article : Dutoit T., Jaunatre R., Alignan J.-F., Bulot A., Wolff A., Buisson É., 2018. Regards d’écologues sur le premier site naturel de compensation français. Nat. Sci. Soc. 26, 2, 215-222.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Évolution de la hauteur de végétation sur le site de Cossure entre 2010 et 2016. Chaque point représente la moyenne et les barres d’erreurs, les erreurs standards (source : les auteurs).

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Évolution de la richesse en espèces végétales sur le site de Cossure entre 2010 et 2016. Quantité d’espèces mesurée sur 4 m2, chaque point représente la moyenne et les barres d’erreurs, les erreurs standards (source : les auteurs).

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Évolution du nombre d’oiseaux steppiques présents sur le site de Cossure entre 2008 (verger abandonné) et 2016 (source : les auteurs).

Dans le texte

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