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Nat. Sci. Soc.
Volume 25, Number 2, April-June 2017
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Page(s) | 189 - 208 | |
Section | Repères – Events & books | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2017021 | |
Published online | 11 August 2017 |
Ouvrages en débat
Comment les économistes réchauffent la planète
Antonin Pottier
Seuil, 2016, 326 p.
Antonin Pottier s'attelle à une tâche ambitieuse et salutaire : montrer en quoi la théorie économique façonne la problématique du réchauffement climatique afin de l'adapter à son propre cadre analytique. Il montre de surcroît, de manière très convaincante, comment le discours économique, entendu ici comme la transposition, un peu dévoyée, de cette théorie dans l'espace public, inhibe la lutte contre le réchauffement climatique et minore − souvent à contre-courant des autres disciplines − la nécessité d'une réduction rapide et de grande ampleur des émissions de gaz à effet de serre.
A. Pottier se livre à un travail de dévoilement de la rhétorique de l'économiste, à une étude critique de ses fondements théoriques et de ses effets concrets dans le champ des politiques climatiques. Si l'auteur est économiste, l'ouvrage s'adresse à tous : les querelles d'experts sont rendues accessibles, et c'est là une des grandes qualités du livre, par un travail d'explicitation et de simplification des enjeux théoriques, ainsi nettoyés de leurs scories mathématiques et techniques.
Le propos du livre s'inscrit dans une double perspective. Tout d'abord, une perspective historique qui rend compte de la prise de conscience du réchauffement et des négociations internationales, permettant de mieux comprendre l'influence du point de vue des économistes sur les politiques climatiques. Ensuite, une perspective épistémologique : l'absence d'ancrage empirique de la théorie économique lui confère une grande plasticité et lui permet de s'appliquer, aux prix de quelques contorsions que l'auteur met au jour, à des objets divers, parmi lesquels le réchauffement climatique.
Les chapitres 2 et 3 sont consacrés à une délimitation de la « théorie économique » et à la mise au jour du « discours économique » qu'elle diffuse dans la sphère publique. La théorie économique est ici la théorie néoclassique, définie à la fois par sa position dominante dans le champ académique, par sa production de savoirs abstraits, et enfin par un cadre analytique relativement homogène : d'un côté, des Homo œconomicus rationnels ; de l'autre, la coordination marchande de leurs actions individuelles, dans un cadre de concurrence parfaite. Dans ce cadre, la théorie établit un résultat majeur : les théorèmes de l'économie du bien-être, qui associent l'équilibre marchand obtenu à un optimum de Pareto, situation efficace au sens où le bien-être d'un agent ne peut plus augmenter qu'au détriment d'un autre. Ce critère d'efficacité constitue la boussole normative de la théorie, constamment orientée vers la quête de cette optimalité. À partir de cette théorie, se déploie ensuite un discours économique dominant, celui bien connu de l'efficacité des ajustements marchands, permettant l'harmonisation des décisions individuelles, pour peu que les prix d'équilibre puissent émerger… Les théorèmes de l'économie du bien-être sont en effet convoqués, dans le registre discursif, pour étayer la métaphore de la main invisible et l'efficacité de l'institution marchande.
A. Pottier insiste à juste titre sur les critiques portant sur l'irréalisme des hypothèses : la théorie s'appuie sur une axiomatique désincarnée et décrit un monde imaginaire, très éloigné du monde réel. Si ces critiques sont connues, l'intérêt de l'ouvrage réside dans la mise au jour d'un va-et-vient constant des économistes entre le registre théorique, seule caution scientifique, et le registre discursif, facilitant l'imprégnation de l'espace public. On pourrait ajouter aux critiques évoquées par l'auteur des critiques internes, portant sur la cohérence de la théorie : le théorème de Sonnenschein, établi en 1974, montre que l'équilibre concurrentiel n'est pas stable. En d'autres termes, quand bien même l'économie serait conforme au monde théorique idéalisé, elle n'a aucune raison de converger vers l'équilibre et donc vers l'optimum : les ajustements marchands convoqués par le discours économique ne l'y conduisent pas, même en situation de concurrence parfaite. De manière plus générale d'ailleurs, la théorie peine à expliquer les ajustements de prix qu'elle attribue au marché, dans un cadre de concurrence parfaite où les agents sont supposés n'avoir aucune influence sur les prix (hypothèse dite de price-taking). L'autorégulation des marchés − autre nom de la stabilité − reste donc en théorie un pur postulat, rarement explicité comme tel, y compris dans l'ouvrage.
Ce discours économique, malgré ses fondements lacunaires, influence durablement les politiques climatiques. Les chapitres suivants (chapitres 4 à 8) montrent comment l'analyse coût-bénéfice des politiques climatiques, portée par le discours économique, fait obstacle à une action collective ambitieuse. Cette démonstration, systématique et documentée (cf. l'étude des travaux de Nordhaus ou de Stern), constitue le grand apport de l'ouvrage. Le rôle premier de l'économiste est d'évaluer le coût de l'action, voire de le minimiser : face à des objectifs exogènes (politiques) de réduction des émissions, il détermine le surcoût des politiques de réduction, par rapport au statu quo. Il peut ainsi choisir la technologie la moins coûteuse mais aussi la trajectoire de réduction la moins coûteuse, c'est-à-dire la répartition de ces réductions dans le temps de manière à atteindre l'objectif fixé au moindre coût. Les évaluations d'efficacité-coût, comme celles pratiquées par le GIEC, par exemple, affichent une lutte contre le changement climatique peu coûteuse, compatible avec des réductions ambitieuses.
Une étape est franchie quand l'analyse économique abandonne la recherche de l'efficacité-coût à objectif donné pour déterminer elle-même, de manière endogène, l'objectif de la politique climatique. Se joue ici la quête évoquée plus haut de l'optimalité (au sens de Pareto), et donc d'un niveau de réchauffement climatique dit optimal. La détermination de ce niveau optimal passe alors par l'analyse coût-bénéfice : le coût des politiques climatiques doit être mis en regard des bénéfices attendus, afin que l'objectif de réduction maximise le bien-être collectif (les bénéfices moins les coûts). L'auteur montre bien que ce changement de méthode substitue à un choix politique, vécu comme arbitraire par l'économiste, une détermination économique des objectifs de réchauffement (comme en témoignent les controverses multiples, mises en perspective dans l'ouvrage).
La quête du réchauffement optimal a de surcroît deux conséquences importantes. Tout d'abord, elle suppose une évaluation des dommages évités. Or, celle-ci, même limitée aux dommages marchands, reste contestable : postulat d'une réallocation optimale des ressources entre secteurs d'activité via les ajustements de prix attribués aux marchés (conformément au discours économique souligné plus haut) ; ou encore postulat d'une capacité d'adaptation (rationnelle et spontanée) des agents aux prix mais aussi aux modifications du climat. À contre-courant des résultats émanant d'autres disciplines, ces évaluations conduisent à une minimisation des dommages et donc de la gravité du réchauffement. A. Pottier montre alors de manière convaincante ce que cette sous-estimation doit au discours économique qui, ancré dans la croyance en une économie de marché stable et résiliente et en des individus rationnels prompts à l'adaptation, est aveugle aux tensions et à l'incertitude du monde réel.
Ensuite, la quête du réchauffement optimal a pour conséquence de placer au centre des controverses la question du taux d'actualisation. Les coûts d'une réduction d'émissions sont immédiats quand les bénéfices sont à venir. Ainsi, l'analyse coût-bénéfice doit décider de la manière dont le futur est valorisé par rapport au présent − valorisation incarnée par le taux d'actualisation utilisé dans les modèles. Plus ce taux est élevé, plus le poids accordé aux bénéfices futurs est faible. La théorie économique considère que ce taux doit représenter les préférences individuelles à travers des paramètres psychologiques, comme la préférence pour le présent, parfaitement impossibles à quantifier, mais supposés mesurés en pratique par le taux d'intérêt. Une petite variation dans le taux d'actualisation choisi entraînant une grande variation des bénéfices attendus de la lutte contre le réchauffement, les controverses font rage au sein des économistes. A. Pottier en souligne bien les enjeux implicites : tout d'abord, une dépolitisation des choix collectifs, au profit d'un débat technique sur le choix du taux d'actualisation approprié, débat réservé aux initiés − et donc aux économistes ; ensuite, la croyance en ce que les prix de marchés, ici les taux d'intérêt, reflètent correctement les préférences individuelles ; et enfin, une sous-estimation de la nécessité d'agir rapidement sur le réchauffement liée au choix d'un taux d'actualisation trop haut. Au cours de ces chapitres, l'auteur montre, de manière systématique, comment la quête du réchauffement optimal évacue le politique au profit de débats techniques, alors que ces derniers abritent toujours en réalité les choix idéologiques inhérents au discours économique.
Les deux derniers chapitres sont consacrés au moyen privilégié par la théorie économique pour réduire les émissions : l'établissement d'un prix unique du carbone sur un marché dédié à l'échange de permis. Cette solution est justifiée par l'efficacité-coût qu'elle est censée garantir et s'appuie toujours sur les mêmes hypothèses : des producteurs rationnels maximisant leur profit (et comparant le coût de la dépollution avec le prix du permis) et, toujours, des ajustements marchands supposés coordonner leurs choix autour d'un prix unique du carbone. L'auteur souligne le caractère irréaliste et trop simplificateur des hypothèses : la prise en compte du monde réel justifie, d'une part, l'usage de prix différenciés et, d'autre part, l'usage d'instruments alternatifs. Donner un prix unique au carbone n'est pas toujours le moyen le plus efficace d'orienter les comportements, notamment en l'absence de changement des mentalités et d'une reconfiguration des secteurs concernés (comment, par exemple, réduire les émissions dans l'habitat sans repenser concrètement le secteur de la rénovation thermique). Pour autant, la solution d'un marché du carbone continue d'être privilégiée par le discours économique. L'ouvrage montre notamment, de manière originale, comment elle a entravé les négociations sur le climat depuis une vingtaine d'années, négociations enlisées dans la question préalable de l'allocation initiale des permis que l'économiste suppose en général hors champ.
On peut compléter cette analyse en évoquant le rôle joué par le concept d'externalité, concept absent de l'ouvrage mais qui constitue une des racines théoriques de la focalisation des économistes sur les solutions marchandes. L'externalité est l'effet de l'activité d'un agent (typiquement une pollution) sur le bien-être d'un autre, sans contrepartie monétaire. C'est un marché manquant, une défaillance de marché : elle est source d'inefficacité puisque celui qui produit l'externalité n'a, en l'absence de prix, aucun intérêt à prendre en compte les dommages collectifs de son activité. Présentée parfois comme une critique à l'analyse néoclassique (les marchés sont en pratique défaillants), elle est en réalité parfaitement assimilée par cette dernière. Si les pollutions sont des effets sans prix ou sans marché, la solution − contenue dans la définition − n'est pas de prendre acte de l'incapacité des prix ou des marchés à réguler les pollutions, mais précisément de créer des prix ou des marchés là où ils sont absents. Toute la rhétorique économique peut à nouveau se déployer : l'internalisation des externalités consiste donc à créer un prix du carbone (administré ou marchand) pour réguler les émissions, au nom de la restauration de l'optimalité. Avec pour principale conséquence de disqualifier d'emblée les instruments réglementaires (comme les normes ou les quotas) jugés rigides et inefficaces économiquement, quand bien même leur efficacité environnementale est en pratique bien avérée…
Nathalie Berta
(Université de Reims Champagne-Ardenne, EA6292 Regards, Reims, France)
nathalie.berta@univ-reims.fr
Scénarios de transition énergétique en ville. Acteurs, régulations, technologies
Gilles Debizet (Ed.)
La Documentation française, 2016, 200 p.
Avec les énergies renouvelables, les technologies de stockage de l'électricité et les réseaux intelligents, de nouveaux acteurs seront amenés à jouer un rôle dans la gouvernance du système énergétique. Quels sont ces acteurs et comment, compte tenu de leur nature, de leur taille, de leurs intérêts, peuvent-ils influencer la transition énergétique et dans le même temps contribuer à remodeler le paysage urbain ? En outre, ces sources et ces technologies décentralisées posent la question du niveau optimal qui permettrait de garantir l'autonomie énergétique. S'agit-il encore de l'État comme dans le passé, ou bien de la région, de la ville, du quartier même, voire de l'îlot ou du bâtiment ? Ces constats, ces interrogations sont au cœur du projet de recherche Écoquartier Nexus Énergie et, en particulier, de l'exercice de prospective qui en constitue l'étape finale sinon l'aboutissement et dont l'ouvrage rend compte. Se focalisant sur « cet impensé de la transition énergétique : les échelles intermédiaires entre les grands réseaux d'énergie et les consommateurs finaux » (p. 10), cette recherche entreprend d'explorer les « transformations sociétales dans les espaces urbanisés induites par la mobilisation massive d'énergies (renouvelables) in situ et intermittentes à la place d'énergies (fossiles) importées et stockables » (p. 167). L'approche prospective ayant été choisie, quatre scénarios contrastés ont été élaborés ; leur présentation constitue à la fois le premier chapitre et le propos essentiel de l'ouvrage. Les trois chapitres plus courts qui suivent exposent les résultats d'étapes préliminaires à la construction des scénarios. Ainsi, le chapitre 2 revient en quelques paragraphes sur la théorie dite multiacteurs multiniveaux des transitions avec ses concepts maintenant bien connus de régime, de paysage et de niche. Les auteurs distinguent trois régimes énergétiques en milieu urbain − électricité, gaz, chaleur − qui font l'objet d'une présentation succincte ; ils montrent ensuite comment les nouvelles sources d'énergie que sont le solaire (thermique et électrique) et le bois-énergie bousculent les régimes sociotechniques en place et décrivent enfin les régulations transitoires qui accompagnent leur développement. On trouve aussi, dans ce chapitre, les résultats de trois études qui illustrent ces cas de figure. Le chapitre suivant passe en revue les technologies qui seront probablement matures en 2040 (avec une attention particulière aux réseaux de chaleur et de froid et aux synergies entre chaleur et électricité) et leur potentiel en termes d'autonomie locale, en cherchant à déterminer l'échelle à laquelle elles peuvent se révéler les plus intéressantes. Un dernier chapitre (court) est consacré à la définition de la notion de modèle d'affaires et à un examen de la façon dont les entreprises engagées dans les expériences analysées au chapitre 2 ont ou non été amenées à modifier le leur.
Une courte conclusion vient mettre en perspective les quatre scénarios, synthétise leurs principaux enseignements et en propose une analyse transversale. L'ouvrage comporte également une bibliographie et un appendice exposant de manière succincte (trop, peut-être) la méthodologie du projet Nexus en général et la méthode suivie pour la réalisation de l'exercice prospectif, en particulier. D'autre part, de nombreuses illustrations en couleurs et une mise en page aérée apportent un certain agrément de lecture à un ouvrage qui reste nécessairement assez technique par la nature même de la thématique abordée et la complexité de l'approche interdisciplinaire adoptée.
La prospective s'appuie sur un certain nombre d'éléments considérés comme acquis, à savoir, par exemple, que le prix des énergies fossiles va augmenter davantage que le coût du renouvelable (la parité étant atteinte en 2025 pour le tarif réglementé) ; que l'Union européenne continuera de prôner la libéralisation du marché de l'énergie ; que la part des énergies renouvelables intermittentes dans le mix énergétique augmentera sensiblement (mais que leur localisation variera selon les scénarios), etc. Ces paramètres importants de la transition énergétique étant fixés, l'exercice va pouvoir se dérouler dans l'espace jusqu'ici relativement peu exploré des « modalités de coordination de l'énergie dans les espaces bâtis, et leurs effets sur les plans économique, territorial et technologique » (p. 11). L'hypothèse fondamentale est que le choix des techniques, les modes de régulation et l'échelle sur laquelle ils vont se déployer sont étroitement déterminés par la nature de l'acteur « pivot », celui qui disposera de la capacité à « mobiliser d'autres acteurs en fonction de son intérêt pour les enjeux, de sa légitimité et de son pouvoir de coercition » (p. 14) et pourra de ce fait prendre le leadership dans la transition énergétique. Joueront tour à tour le rôle d'acteur pivot : les grandes entreprises, les collectivités locales, l'État (dit « prescripteur ») et les acteurs coopératifs. La perspective étant exploratoire plutôt que normative, les scénarios à l'horizon 2040 consistent en visions contrastées de la façon dont le pilotage de la transition énergétique par l'un de ces grands acteurs est susceptible de modeler l'environnement urbain et le système énergétique. La description de chacun des scénarios ne suit pas un canevas strictement identique et certains sont plus documentés que d'autres. Néanmoins, les questions de gouvernance, de tarification, d'échelle d'inscription territoriale ainsi que de relations entre la ville et son hinterland sont communes aux quatre scénarios.
Le scénario « grandes entreprises » explore ce qui pourrait arriver si les collectivités locales décidaient de confier à des grandes entreprises la maîtrise de la transition énergétique. Une telle orientation conduirait à accélérer le déploiement de l'économie de fonctionnalité dans la ville (ou en tout cas dans d'importants secteurs ou quartiers des villes), l'entreprise ou le consortium de grandes entreprises en charge du projet vendant non pas de l'énergie « brute » mais du service (par exemple, du confort thermique) sous forme de solutions intégrées nécessitant des interventions dans les trois secteurs de l'énergie proprement dite, de l'information et du bâtiment. La ville, ou du moins des pans entiers de celle-ci, est alors remodelée en vue de permettre la rentabilisation des investissements consentis. De façon générale, ce scénario se caractérise par un risque de disparités sociales importantes en termes de nombre, de qualité et de fiabilité des services aux consommateurs en fonction du type de logement occupé et du revenu. Un tel scénario est assez vraisemblable au vu des stratégies que ne manquent pas de déployer de grandes entreprises du secteur de l'énergie, mais aussi du BTP et même des nouvelles technologies de l'information (Google, pour ne citer qu'elle). C'est que l'enjeu dépasse la seule problématique énergétique et embrasse toute une série de services (mobilité et santé, par exemple) et de technologies au point que c'est de l'utopie d'une « ville intelligente » qu'il est question au final.
Dans le scénario 2, ce sont les collectivités locales (communes ou structures intercommunales) qui prennent elles-mêmes le rôle actif et planifient la production, la distribution et le stockage de l'énergie. Leurs motivations principales sont la réduction de la facture énergétique, l'équité dans l'accès à l'énergie, la création d'emplois et de valeur ajoutée à l'échelle locale. L'accent est en effet mis sur le caractère local des sources d'énergie et la réduction de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Les collectivités mobilisent à cette fin les différents leviers dont elles disposent : fiscalité de l'énergie et de l'habitat, règles d'urbanisme, supervision des réseaux d'énergie, offre de logements, etc. Le potentiel local de production d'énergie (photovoltaïque, éolien, méthanisation des déchets, cogénération) et de stockage est exploité au maximum et, pour le reste, des partenariats sont mis en place avec l'hinterland. Ce scénario se traduit par une importante différenciation territoriale en fonction des potentiels locaux et des orientations politiques des décideurs politiques.
Dans le troisième scénario, précisément, c'est l'État qui prend la main. Il s'agit en quelque sorte d'une espèce de retour en arrière, à une ère d'avant la décentralisation territoriale. L'état se substitue aux acteurs locaux dans la maîtrise d'ouvrage de projets de grande envergure comme les hôpitaux, les universités, les bâtiments administratifs, et privilégie les installations de type industriel (éolien offshore, grandes centrales solaires…) planifiées au niveau national. Le niveau local jouit donc d'une autonomie réduite et son rôle se résume peu ou prou à celui de relais du pouvoir central. Le fait que les décisions soient prises à l'échelon le plus élevé permet la réalisation d'économies d'échelle et une homogénéité des solutions techniques et organisationnelles à travers tout le territoire tout en assurant une cohésion d'ensemble. Le souci de cohésion s'exprime aussi sur le plan social, ce qui conduit à maintenir la péréquation tarifaire, à garantir une accessibilité universelle et une sécurité d'approvisionnement pour tous.
Le quatrième scénario donne à voir un futur où les initiatives citoyennes, l'associatif et le mouvement coopératif montent en puissance et s'installent comme acteurs pivots de la transition énergétique. La coopérative devient la forme institutionnelle privilégiée de copropriété des logements et de gestion des différentes fonctions associées. Alors que ces aspects étaient peu abordés dans les scénarios précédents, les modes de vie et pratiques liés à l'habitat font l'objet de développements plus détaillés. On voit comment la ville se trouve transformée sous l'effet du développement d'un modèle coopératif fortement imprégné de sensibilité, voire d'idéologie écologiste, que ce soit dans l'habitat ou dans l'énergie.
Au fond, les quatre scénarios correspondent assez étroitement à quatre modèles économiques bien différents : l'économie fonctionnelle avec le scénario « grandes entreprises », l'économie circulaire avec le scénario « collectivités locales », l'économie industrielle classique avec le scénario « État prescripteur », l'économie de partage ou des « communaux collaboratifs » (Jeremy Rifkin1), voire des « communs » (au sens de Pierre Dardot et Christian Laval2) avec le scénario « acteurs collaboratifs ». Il aurait sans doute été intéressant que les auteurs exploitent davantage ces affinités.
Le changement de perspective qui consiste à analyser la transition énergétique sous l'angle de la ville et de ses relations avec son hinterland, et de le faire dans une optique prospective, permet de mettre au jour des enjeux et des incertitudes qu'un point de vue plus macroscopique et moins tourné vers l'avenir ne permet guère de déceler. On est ainsi amené à scruter des formes et des niveaux de régulation diversifiés, à imaginer des interactions et des jeux de pouvoir entre acteurs autour de l'énergie au niveau local, à s'interroger sur les risques d'une valorisation tous azimuts de l'autonomie énergétique et à aborder bien d'autres problématiques encore. À ce propos, on regrettera toutefois l'absence de la mobilité, dimension essentielle de l'urbanisation et de la transition énergétique. Quoi qu'il en soit, l'ouvrage est de nature à intéresser tous ceux qui, scientifiques, décideurs politiques locaux, entrepreneurs dans l'énergie ou le bâtiment, ou « simples » citoyens, voient dans la transition énergétique une obligation morale à l'égard des générations futures, une mutation inéluctable ou, plus prosaïquement, une opportunité à saisir.
Paul-Marie Boulanger
(Institut pour un développement durable, Ottignies-Louvain-la-Neuve, Belgique)
pm.boulanger@skynet.be
Écologies urbaines. Sur le terrain
Sabine Barles, Nathalie Blanc (Eds)
Économica/Anthropos, 2016, 374 p.
Rédigé sous la direction de Sandrine Barles et de Nathalie Blanc, respectivement directrice et directrice adjointe, de 2010 à 2013, du programme interdisciplinaire de recherche Ville et environnement (PIRVE) soutenu par le CNRS et le ministère de l'Écologie, cet ouvrage s'inscrit dans le prolongement de Écologies urbaines publié en 2010 chez les mêmes éditeurs et coordonné par Olivier Coutard et Jean-Pierre Lévy auxquels les auteurs ont succédé à la direction du PIRVE. L'ambition de cet ouvrage est d'offrir un panorama sinon exhaustif du moins problématisé des résultats des recherches financées pour tout ou partie par ce programme interdisciplinaire entre 2008 et 2012. Ainsi, l'exercice va au-delà d'une simple restitution de résultats, il se présente et se revendique comme un double manifeste : d'une part, parce qu'il appelle à la structuration d'une « écologie urbaine » qui rassemblerait en les entrecroisant ses courants historiques et ses courants actuels, de la sociologie de l'École de Chicago à l'étude de la biodiversité, en passant par l'ingénierie urbaine, pour constituer le socle d'une recherche environnementale urbaine renouvelée, et, d'autre part, parce qu'il promeut une « interdisciplinarité radicale ». Cette dernière n'est, au final, pas précisée, même si l'on comprend bien qu'elle engage à une interdisciplinarité large, poreuse et non hiérarchisée s'attachant aux objets hybrides qui composent l'environnement urbain. Et c'est en définitive par la notion connexe d'« intercognivité », qui lui est systématiquement associée, qu'elle se dévoile dans ses acteurs (non seulement les chercheurs des différents domaines disciplinaires académiques mais aussi les acteurs, habitants, gestionnaires, aménageurs, politiques, etc. des milieux urbains) et, surtout, dans ses méthodes, demandant un engagement de la recherche, une prise de risque scientifique pour une élaboration collective du savoir. Ainsi, les 12 recherches sélectionnées pour cet ouvrage, parmi les 37 projets soutenus par le PIRVE, se veulent représentatives de la démarche scientifique soutenue qui implique une portée tant scientifique qu'opérationnelle.
C'est avec soin et à propos que la structure même de l'ouvrage cherche à rendre cette ambition. Le livre est subdivisé en trois parties qui traitent successivement des formes de nature en ville (comme structure spatiale, composante de la citadinité ou marqueur des dynamiques des territoires urbains), puis des méthodologies à développer pour mieux saisir ces natures urbaines et, enfin, des fragilités de la ville au travers des problématiques environnementales. Chacune est introduite par un texte rédigé par deux scientifiques de disciplines différentes (Alexis Sierra [géographie] et Thierry Tatoni [écologie] ont rédigé le premier texte, Gérard Hégron [ambiances urbaines, modélisation et développement urbain durable] et Jean-Paul Thibaud [sociologie] le deuxième, et Cyria Émelianoff [aménagement et urbanisme] et Olivier Petit [économie] le troisième) traduisant ainsi cette volonté de croiser les regards et de mettre en perspective les travaux dont il est rendu compte. Le dernier chapitre de chaque partie est consacré à un texte rendant compte du point de vue d'un acteur (celui de François Noisette, ingénieur du corps des IPEF pour la première partie, celui d'Anne-Marie Roméra, présidente de la commission Aménagement durable des quartiers d'affaires de l'AFNOR pour la deuxième, et celui de Pierre-François Clerc, ingénieur du corps des IPEF pour la troisième). Ces textes font une synthèse de l'opérationnalité des projets présentés mais ils cherchent aussi à ouvrir des pistes réflexives sur les objets urbains et les questions posées à la ville et sur les modalités d'une intercognivité effective. L'ouvrage se clôt d'ailleurs par une postface ouverte à l'un de ces acteurs (Jean-Charles Lardic, ingénieur du corps des IPEF, directeur de la prospective de la ville de Marseille) en forme de plaidoyer pour une refondation de l'action publique. Cette refondation, selon lui, devra passer par une nouvelle gouvernance territoriale s'appuyant pleinement sur l'interdisciplinarité et la participation des acteurs du terrain autour d'une véritable systémique d'un développement local durable pris dans sa complexité.
C'est là l'originalité et l'un des intérêts majeurs de cet ouvrage que de pleinement restituer, dans sa structure même, les ambitions d'une interdisciplinarité radicale et d'une recherche tournée vers l'action. Le sous-titre, Sur le terrain, traduit non seulement une entrée privilégiée par les terrains d'études (essentiellement français, même si trois des projets ont porté sur des villes des Suds) mais aussi l'implication des chercheurs dans ces terrains.
La première partie de cet ouvrage, intitulée « Entre campagne et ville : Hybrides natures urbaines », rassemble quatre restitutions de projets qui interrogent, à la lumière des sciences humaines et des sciences de la nature, des types, des formes et des usages de natures dans les espaces urbains. On peut s'étonner de cette référence à la campagne dans le titre tant les différents projets (à l'exception du premier qui interroge la biodiversité liée à l'agriculture urbaine dans des petites villes du haut bassin de l'Amazonie brésilienne) s'attachent à des formes et à des pratiques de nature spécifiquement intra ou péri-urbaines. Ce titre est finalement le reflet, tout comme le recours à la notion d'hybridité, d'une difficulté intrinsèque à cet objet qu'est la nature urbaine, et que ces travaux peinent aussi à dépasser, à savoir la possibilité de penser et de dire les natures urbaines comme des éléments à part entière. Systématiquement, de manière implicite ou explicite, les natures sont présentées soit en référence au rural ou au sauvage, soit par les catégorisations institutionnelles (trames vertes et bleues) sans qu'elles soient véritablement remises en question. Ces travaux qui ont permis de mettre au jour des formes et des pratiques originales de nature, propres à l'urbain, auraient ainsi gagné à interroger cette spécificité et, dans le cadre d'une écologie urbaine pleine et entière, à proposer une redéfinition de la nature dans ses particularités urbaines.
Intitulée « Les sens de la ville : théories, expériences et mesures », la deuxième partie est consacrée à rassembler des réflexions et des propositions méthodologiques pour analyser non plus seulement la matérialité ou les pratiques des environnements urbains, mais leurs perceptions sensibles. Ainsi, plutôt que de s'attacher à rassembler les différentes acceptions de l'écologie urbaine, les coordonnatrices de cet ouvrage ont fait le choix de mettre en avant les innovations en termes d'entrée et de méthodologie pour analyser les environnements urbains qui ont pu se structurer avec le soutien du PIRVE.
Les quatre contributions sont ainsi recentrées sur la restitution des réflexions théoriques et méthodologiques qui ont prévalu dans les quatre recherches présentées sans toutefois véritablement dévoiler les résultats qu'elles ont permis d'obtenir. C'est donc un manifeste dans le manifeste qui est ici défendu : en faveur d'une prise en compte et d'une revalorisation du sensible et de l'esthétique dans l'analyse mais aussi dans l'aménagement et la gestion des natures en ville. Cette ouverture s'inscrit bien dans cette logique d'une systémique nécessaire pour étudier mais aussi piloter la complexité de projets urbains durables tel que repris dans la postface de l'ouvrage.
La troisième partie s'inscrit quelque peu en rupture avec les deux précédentes. Intitulée « Les temps de la fragilité », elle permet d'introduire les problématiques et les enjeux sous-jacents à toutes ces analyses des environnements urbains, à savoir ceux du développement durable urbain. Deux directions y sont proposées : la première, peut-être la plus classique dans ses objets, s'attache aux risques (les villes littorales méditerranéennes françaises face à la montée du niveau des mers et la diffusion de la dengue à Ouagadougou, Libreville et Ventiane) ; la deuxième, comme en écho à la première partie, revient elle aussi sur ces natures particulières à la ville mais les présente comme étant en danger ou comme des contraintes (la préservation de la Canne de Pline à Fréjus et la mesure des climats périurbains à Toulouse). Dans la perspective d'une réflexion sur la ville durable, y compris prospective, il y a donc là non seulement matière à explorer les échelles d'analyse des enjeux (comme les fragilités), comme cela est fait en introduction et en clôture de cette partie par les scientifiques et l'acteur de terrain sollicités, mais aussi à envisager la définition de natures spécifiquement urbaines tant dans leur matérialité que dans les pratiques dont elles sont l'objet, sans avoir recours aux référentiels du rural ou du sauvage.
En refermant ce livre, le lecteur pourra éprouver un sentiment de frustration sur le plan théorique. Cet ouvrage, qui s'est attaché à ouvrir des pistes par le biais de regards multiples et croisés, dans l'esprit d'un manifeste pour une « nouvelle » approche (les écologies urbaines) et une démarche alternative (l'interdisciplinarité radicale) de la recherche sur les environnements urbains, ne permet finalement pas de proposer un bilan, notamment théorique, ce qui relevait de la gageure. Si c'est bien là l'ambition légitime d'un programme tel que le PIRVE, on aurait pu attendre d'un tel ouvrage, parce qu'il se présente comme un manifeste, qu'il propose aussi des bases théoriques, et pas seulement méthodologiques, en vue d'asseoir de futures recherches. Souhaitons que l'on puisse, au plus tôt, trouver les moyens de continuer à soutenir et de prolonger les « écologies urbaines » dans une « interdisciplinarité radicale » par de futurs appels à projet institutionnels (CNRS, ministères, ANR…) afin de ne pas rompre cette dynamique.
Wandrille Hucy
(Université de Rouen Normandie, UMR6266 IDEES, Mont-Saint-Aignan, France)
Wandrille.hucy@univ-rouen.fr
L'eau dans les pays en développement. Retour d'expériences de gestion intégrée et participative avec les acteurs locaux
Francis Rosillon
Éditions Johanet, 2016, 416 p.
La Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) est devenue, depuis la conférence de Dublin en 1992, le concept principal auquel font référence les réformes des politiques de l'eau mises en place dans le monde. L'ouvrage intitulé L'eau dans les pays en développement. Retour d'expériences de gestion intégrée et participative avec les acteurs locaux est dirigé par Francis Rosillon, maître de conférences en sciences de l'environnement à l'Université de Liège (Belgique). L'auteur a écrit seul ou en collaboration avec d'autres chercheurs ou acteurs l'ensemble des chapitres. Il retrace neuf expériences de mise en œuvre de la GIRE dans lesquelles il a été impliqué ces 20 dernières années afin de rendre compte de sa diffusion dans les pays du Sud. Cet ouvrage, agrémenté de nombreuses illustrations et photos, constitue une sorte de carnet de voyage qui nous fait découvrir la mise en application locale de la GIRE sur trois continents : l'Europe (Belgique), l'Afrique (Algérie, Burkina Faso, Cameroun, Côte d'Ivoire, Maroc et République démocratique du Congo), et les Amériques (Bolivie et Haïti). Chaque chapitre dispose de sa propre bibliographie et peut être lu indépendamment.
Après une courte introduction à la GIRE et à ses principes, l'auteur décrit, dans le chapitre 1, l'expérience du contrat de rivière de la Semois, une des premières en Wallonie (Belgique). Il nous présente donc le contexte institutionnel national et local dans lequel elle a été initiée, la volonté forte des acteurs locaux de se réapproprier leurs cours d'eau afin de retrouver une relation plus équilibrée avec la nature environnante. Il révèle également les effets du contexte supranational (l'application de la directive-cadre européenne sur l'eau) sur l'évolution du contrat de rivière, notamment son extension au versant français (Semoy) du bassin. L'auteur se pose alors la question de la pertinence de la transposition de cette expérience de contrat de rivière dans d'autres contextes socioéconomiques, culturels, climatiques.
Ces expériences dans les Sud lui apportent l'occasion d'y répondre. Sont ainsi décrits des contrats de rivière au Burkina Faso (chapitre 2), en République démocratique du Congo (chapitre 3), en Bolivie (chapitre 4) et en Haïti (chapitre 7). Les autres chapitres s'éloignent progressivement de cet instrument de gestion intégrée des ressources en eau. Le chapitre 5 décrit la mise en place d'un comité de bassin dans l'Algérois. Les chapitres 6 (à propos du Maroc) et 8 (à propos du Cameroun) s'interrogent sur l'intérêt que pourrait apporter l'application des principes de la GIRE à l'amélioration de la gestion de l'eau dans ces deux situations.
L'ouvrage s'appuie sur une certaine unité de présentation des études de cas qui en facilite une étude comparée, plus riche − il nous semble − que ne le serait une lecture linéaire, chapitre par chapitre. Chaque chapitre commence par une description du contexte institutionnel et législatif du secteur de l'eau de l'étude de cas et de son évolution. L'origine de la demande est le plus souvent évoquée de façon succincte. Puis l'auteur nous présente le territoire dans lequel s'inscrit la réflexion. Les données socioéconomiques, hydrologiques, environnementales (forêt, biodiversité, etc.) ainsi que la nature des enjeux et des problématiques de l'eau sur chaque territoire (qualité, disponibilité, accès, usages multiples et conflits potentiels ou réels) sont le plus souvent fournies. Après avoir présenté l'organisation sociale de la gestion de l'eau, les auteurs décrivent ensuite la mise en œuvre concrète de la GIRE et sa traduction en programme d'actions. Lorsque ces actions sont effectives, quelques exemples de réalisations sont alors donnés. La dernière partie du chapitre, le plus souvent, rend compte des difficultés rencontrées ou se conclut par des recommandations quant au futur des espaces de concertation mis en place.
La participation des acteurs à la gestion locale de l'eau est l'un des principes de la GIRE. Il existe une sorte d'idéal-type de l'opérationnalisation de la GIRE dans lequel le processus serait initié par une demande locale. Les exemples exposés dans cet ouvrage montrent que cette initialisation par le local est peu fréquente et que les formulations de la demande d'origine sont au contraire très variées. Dans la vallée de la Semois (chapitre 1), le contrat de rivière résulte d'une coalition de causes parmi lesquelles on trouve l'inquiétude des pêcheurs concernant la dégradation de la qualité de leur rivière et les tensions entre les membres d'une association de protection de la nature et les services du ministère wallon de l'Équipement et des Transports à propos des travaux à entreprendre pour assurer la navigabilité du cours d'eau. Le contrat de la rivière Sourou (chapitre 2) initié par une étudiante burkinabè, celui de la rivière Lukaya (chapitre 3), par la coopération technique belge, celui de la rivière Moustiques (chapitre 6), par deux ONG belge et haïtienne, ou même l'accord social autour de la rivière Tolomosa (chapitre 4) à la suite du projet de coopération scientifique, montrent bien que les acteurs locaux ne sont pas toujours à l'origine de la demande. Dans l'Algérois (chapitre 5), l'initiative de la concertation entre acteurs multiples est portée par l'Administration centrale appuyée par la coopération belge ; il peut aussi s'agir d'un vœu formulé par des chercheurs, comme dans l'oasis marocaine de Figuig (chapitre 6) ou dans le bassin versant de l'Abiergué (chapitre 8). De fait, bien souvent ce sont les acteurs extérieurs aux sociétés des territoires ciblés (Administration nationale ou déconcentrée, étudiants, chercheurs, membres d'ONG nationale ou internationale) qui vont introduire localement les germes du concept de GIRE en explicitant des enjeux communs (notamment environnementaux). Les acteurs locaux n'ont pas nécessairement conscience du caractère commun de certains de leurs enjeux ni de la possibilité de résoudre des problèmes de gestion en entrant dans un processus de concertation multiacteurs.
Dans le processus de diffusion du concept de GIRE à l'échelle locale, l'État joue un rôle privilégié. C'est lui en effet qui met en place les outils législatifs adéquats favorisant la décentralisation de la gestion des ressources, décrète le bassin versant comme territoire prioritaire de la gestion de l'eau et permet le développement d'espaces locaux de concertation. Les différentes expériences présentées rappellent l'importance de l'attachement des acteurs locaux à leur territoire ou à leurs ressources en eau : ainsi sont décrits, par exemple, les phénomènes de patrimonialisation des éléments de la nature en Bolivie (chapitre 4). Mais cet attachement aux ressources et à leur mode de gestion, même inscrit dans une tradition ancienne comme dans l'oasis de Figuig (chapitre 6), évolue lui aussi du fait de l'apparition de nouveaux enjeux, de nouveaux intérêts, de nouveaux acteurs. D'autres situations sont décrites où l'État est complètement absent du secteur de l'eau, comme c'est le cas en Haïti (chapitre 7) ou au Cameroun (chapitre 8). Dans ces contextes d'anarchie ou de désorganisation sociopolitique, se traduisant notamment par des niveaux de pauvreté élevés et une dégradation des écosystèmes prononcée, seuls des acteurs de la société civile (les ONG nationales ou internationales) cherchent à améliorer la gestion de l'eau et promeuvent un traitement intégré des différentes dimensions du développement impliquant eau, santé et environnement dans une même réflexion. Les chapitres 4, 7 et 8 permettent d'observer les articulations entre la GIRE et d'autres concepts connexes tels que GIRH (Gestion intégrée des ressources hydriques), ECOSANTE (liant santé humaine et santé des écosystèmes) ou GIEV (Gestion intégrée de l'eau en ville).
L'introduction du concept de GIRE et sa traduction concrète en actions passent par l'identification d'un problème commun que des acteurs vont chercher à résoudre. La première étape d'un processus de GIRE vise donc à faire prendre conscience aux acteurs de l'imminence de situations problématiques qui concernent plusieurs d'entre eux. Elles peuvent être problématiques en termes de quantité − accès à l'eau, droits d'usage, délimitation des usagers au bassin versant ou au-delà, disponibilité des ressources selon les saisons (pénurie ou inondation), recours à des ressources conventionnelles ou non (eau dessalée, eau usée purifiée ou traitée) −, en termes de qualité − pollution d'origines humaine, animale, agricole, industrielle, réseau d'assainissement sous-dimensionné, obstrué, voire absent −, ou entraîner la dégradation des écosystèmes − déforestation des bassins versants, développement anarchique de l'urbain, érosion des pentes. Ces différents enjeux se combinent de façon complexe rendant la solution optimale impossible à trouver sans la concertation d'acteurs disposant de connaissances multiples et variées (scientifiques, savoirs locaux, savoir techniques, etc.). Tel est l'un des quatre principes de la GIRE que les études de cas, pris dans les milieux rural, urbain ou périurbain, illustrent ici de façon diverse.
Les difficultés rencontrées dans la diffusion et la mise en œuvre de la GIRE sont évoquées à la fin de plusieurs chapitres mais nous aurions aimé que F. Rosillon mette à profit la somme d'expériences retracées dans cet ouvrage pour en faire une synthèse et une analyse critique approfondie. Il nous semble, par exemple, qu'il aurait pu revenir sur l'enjeu de la pérennisation de ces actions impulsées et/ou soutenues de l'extérieur dans les pays du Sud. Rendre compte de situations dans lequel l'auteur est directement intervenu en tant que scientifique sollicité par un gouvernement, une ONG, un représentant de la coopération belge, illustre un aspect fondamental. Seul le contrat de rivière de la Semois a été réalisé en cinq ans, les autres ont mis plus de temps que prévu (10 ans au Burkina Faso, 7 ans en République démocratique du Congo). Cela montre que la GIRE, depuis la sensibilisation jusqu'à la définition participative d'un programme d'action, est un processus qui s'inscrit dans le long terme et que les effets de sa mise en œuvre ne se font pas immédiatement sentir. Or les bailleurs qui financent ces activités attendent de plus en plus un rapide retour sur investissement. Ce cadre temporel de court terme semble inadapté à des processus qui, puisqu'ils visent à l'acquisition de nouvelles compétences, au changement de pratiques et de comportements, de points de vue sur les autres usagers et acteurs, ne peuvent s'inscrire que dans le moyen, voire le long terme.
Bien que cet ouvrage soit plus descriptif qu'analytique, son intérêt principal pour le lecteur de Natures Sciences Sociétés réside dans la variété des études de cas qu'il propose. Les efforts de vulgarisation que l'auteur semble avoir consentis rendent leur présentation accessible à un public pluridisciplinaire. Au-delà de la notion de GIRE, c'est la question de la diffusion dans les pays du Sud de concepts tels que les services écosystémiques, le développement durable, le changement climatique, pensés dans les institutions internationales pour mieux gérer les ressources naturelles, qui nous semble pouvoir être posée ici. Concepts qui alimentent les financements du développement et de la recherche pour le développement et que les gouvernements sous perfusion tentent d'appliquer pour accéder à ces nouvelles ressources. Mais au final, en quoi ces concepts modifient-ils réellement les modes locaux de gestion des ressources naturelles ? Les acteurs locaux se les approprient-ils pour transformer leurs rapports à la nature ? Comment les détournent-ils et les réadaptent-ils aux contextes locaux ? Ces questions fondamentales concernant la gestion de l'eau trouvent dans cet ouvrage un début de réponse.
William's Daré
(Cirad, UR Green, Nogent-sur-Marne, France)
williams.dare@cirad.fr
On ne badine pas avec le progrès. Barrage et village déplacé au Portugal
Fabienne Wateau
Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2016, 184 p.
Suite à des recherches de terrain au long cours, Fabienne Wateau nous livre ici un essai inédit dans lequel elle tente d'articuler deux vocables, « ethnographie » et « universel », en suivant un axe exploré lors de son HDR soutenue à l'EHESS en 2014. Pour ce faire, elle a conçu une pièce de théâtre pour faire interagir, en une même unité de temps et de lieu, les acteurs et les différentes scènes de cette histoire de barrage et de déplacements de population.
L'auteur, anthropologue rattachée au Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative à Nanterre, travaille depuis presque trois décennies sur les questions d'irrigation et de conflits de l'eau au Portugal. Elle compte de très nombreuses publications dans ce domaine, plus d'une soixantaine depuis l'époque où elle a intégré le Groupe Anthropologie du Portugal constitué à la Maison des sciences de l'homme dans les années 1980. Ce livre retrace l'histoire récente de la construction du grand barrage d'Alqueva, situé en Alentejo dans le sud-est du Portugal, et du déplacement du village de Luz, recréé à l'identique à 3 km de son ancien emplacement.
Les quelques lignes qui suivent ne sauraient résumer la longue et très riche introduction (p. 18-48) intitulée « L'universalité d'une histoire, la singularité des situations ». Ce long cadrage historique et géographique précède la pièce de théâtre en trois actes, d'abord publiée en portugais3, qui constitue le cœur de cet ouvrage-essai au titre très évocateur et un peu taquin de On ne badine pas avec le progrès. Cette entrée en matière lui permet de décrire en détail − cartes, plans et photos à l'appui − l'ancien village de Luz, englouti une fois achevé le transfert des corps vers le nouveau cimetière, puis le nouveau village reconstruit autant que possible à l'identique, à 3 km de là. L'argument thématique de la pièce de théâtre puise dans les propos des habitants, dans leurs échanges avec les différents intervenants et opérateurs in situ du projet, certains empreints de crainte ou de doute, d'autres d'espoir, mais tous manifestant des inquiétudes face aux incertitudes de leur nouvelle et étrange condition de riverains (malgré eux) du « plus grand lac artificiel d'Europe ». La pièce de théâtre ainsi composée est accompagnée d'une analyse des discours et du rôle de la presse à partir d'un dossier de coupures de deux des principaux quotidiens portugais couvrant la période 1998-2014. L'essai se conclut par un retour sur le « terrain », « Dernière virée à Alqueva », où F. Wateau dresse un état des lieux critique. Les nombreuses références bibliographiques et filmographiques − parmi lesquelles des films réalisés par l'auteur − ainsi qu'une chronologie très fine ferment cet essai de 176 pages.
Avec une emprise de 250 km2, dont 215 km2 du côté portugais, le grand barrage d'Alqueva forme aujourd'hui la plus grande rétention d'eau d'Europe. Pensé dès les années 1920, ce projet a été confirmé en 1957 sous la dictature de Salazar dans le cadre du Plan d'irrigation voulu dès les années 1930 pour cette province semi-aride. Pour construire un tel ouvrage sur le fleuve Guadiana, un des cinq fleuves communs au Portugal et à l'Espagne, il a fallu attendre la signature en 1968 d'un accord entre les deux pays. Mais, suite à des désaccords politiques entraînant la remise en cause de la pertinence du projet, celui-ci n'a eu l'accord définitif du gouvernement qu'en 1995, l'argument déterminant étant : « Le barrage s'impose comme une réserve stratégique d'eau pour le pays » (p. 43). Bénéficiant de l'aide financière de la Communauté européenne obtenue en 1997, le grand barrage d'Alqueva a finalement été construit et inauguré au début de l'année 2002. Un trait marquant de ce projet est la quasi-unanimité qui a entouré sa construction, rendant inaudibles les critiques pointant le risque économique et les impacts écologiques identifiés par des associations environnementalistes. Mais sur le plan de son édification, Alqueva fait figure d'un anti-Tignes (1946-1952), une histoire traumatique de barrage, du fait de déplacements de population, qui garde une valeur heuristique du point de vue des sciences sociales4 et qui a eu son équivalent au Portugal en 1972 avec le barrage de Vilarinho das Furnas, sur le fleuve Minho à l'extrême nord du pays (p. 36-37). À Alqueva, dès 1998, l'entreprise publique Empresa de desenvolvimento e infra-estruturas do Alqueva (EDIA) chargée de la mise en œuvre du projet « installe quatre de ses techniciens au vieux village, qui resteront jusqu'à cinq ans après le déménagement dans le nouveau village, soit de 1998 à 2007. Ces conditions de suivi de la population de Luz furent optimales. […] Pendant les moments plus traumatiques, comme le transfert du cimetière, des équipes de psychologues sont venues épauler les plus fragiles » (p. 109). Outre « des équipes plus ponctuelles [qui] sont aussi venues selon les occasions […] parallèlement, l'EDIA a recruté les architectes, les équipes d'archéologues et les cinéastes chargés de penser un musée de Luz » (p. 109). Manifestement, cette entreprise « a pris le temps de faire l'état des lieux des histoires traumatiques de barrages et de déplacements de population survenues dans le monde » (p. 109).
Irrigation, approvisionnement en eau, production d'électricité (ajoutée au projet en 1996), tourisme, autant d'objectifs mis en avant à l'origine du projet mais avec des succès divers. Douze ans après sa mise en service, le barrage constitue désormais la deuxième unité hydroélectrique du pays, avec une puissance installée initiale de 260 MW et qui a été doublée en 2012. Sur les 120 000 ha prévus en périmètre d'irrigation, 80 % sont aménagés en 2016, mais avec un taux d'utilisation, comme il est montré dans le livre, où seules quelques productions permanentes, l'oliveraie intensive essentiellement, ont eu du succès jusqu'à présent.
Sa justification première et prioritaire jusqu'à la décision de 1996 de la production d'électricité fut celle de l'irrigation, seul moyen envisagé depuis la fin du XIXe siècle de « sauver la région de la désertification tant physique qu'humaine5 ». La force mythique de cet objectif, si proche et jamais atteint, est l'élément central de la place qu'occupent les vastes terres de l'Alentejo dans l'imaginaire national. Et cette force était toujours à l'œuvre à l'orée du XXIe siècle car il s'agissait là encore d'estomper, idéalement par une réforme agraire, les disparités entre les classes sociales dans un espace de latifundia composé d'une minorité de grands propriétaires terriens et d'une multitude de salariés agricoles (p. 32). En revanche, l'ambitieux projet d'hydraulique agricole d'Alqueva implique des transformations des structures agraires qui se situent aux antipodes de la réforme agraire d'orientation collectiviste radicale qui fut la dernière qu'a connue toute l'Europe sur ces mêmes terres d'Alentejo en 1975-1976. L'objectif de la réforme structurelle actuelle, implicite, est de donner accès à des parcelles irriguées, d'assurer les prises d'eau, autant de promesses susceptibles de diluer tous les vieux ferments révolutionnaires mais qui, pour être tenues, doivent être réalisables. Or, les premières enquêtes dans la partie du périmètre d'irrigation effectivement mise en service montrent que l'agriculture familiale, minoritaire en Alentejo mais principale partie prenante d'un projet socioéconomique équitable englobant une pluralité de types d'agriculture, serait la grande perdante de la conception et de l'organisation des périmètres d'irrigation de l'Alqueva6.
Il s'agit bien d'une tentative de « révolution agricole », ce à quoi on assiste surtout jusqu'à présent. En effet, les principales transformations agroéconomiques en cours consistent à substituer aux cultures sèches traditionnelles et aux élevages extensifs quelques cultures irriguées, les seules rentables au vu du prix élevé de la ressource hydrique, ce qui revient à ouvrir toute grande la voie à un capitalisme agraire certes moins rentier mais beaucoup plus agressif du point de vue agroenvironnemental et social. Rompre en cela avec la vieille utopie conservatrice qui prônait « un transfert en nombre de petits paysans du Minho » (la région de microfundia, au nord du pays), comme cela avait été tenté sans succès probant dans les années 1960 et 1970 sur les premiers périmètres d'irrigation créés dans l'ouest de l'Alentejo. Un capitalisme agraire décomplexé, entrepreneurial et donc spéculatif, tel celui soufflant de plus en plus fort du côté espagnol. Celui-là même, en fait, qui a commencé à émerger en Estrémadure, plus en amont sur le bassin versant de ce même Rio Guadiana au début des années 1990, à coup de nombreux barrages, dont deux de dimension proche d'Alqueva, créés à la suite de l'ambitieux plan d'irrigation (1955) connu comme le Plan Badajoz7. Les travaux de Bernard Barraqué et Michel Drain8, cités page 44, ont clairement montré que la gestion de l'eau en Espagne se répercute au Portugal, en particulier sur le débit et la qualité de l'eau arrivant à Alqueva. Du reste, le développement fulgurant de plantations d'oliveraies irriguées en régime très intensif que l'on a pu observer dans la zone de Ferreira do Alentejo en 2008-2009, comme le rappelle F. Wateau, atteste de l'expansion de ce type d'oléiculture qu'Alqueva a rendu possible en Alentejo. En effet, c'est la communauté espagnole qui possède la maîtrise technique, les principaux circuits de transformation et de commercialisation de ce type d'oléiculture et qui recrute une abondante main-d'œuvre immigrée nécessaire à ce type de cultures permanentes irriguées, comme on l'observe désormais du côté portugais.
Dresser l'arrière-plan de la dramaturgie sociale à laquelle ressortissent les grands bouleversements des cadres de vie habituels, tels ceux provoqués par la construction d'un grand barrage, c'est permettre de détacher et de valoriser les situations observées et de les restituer à l'aide d'un cadrage type espace scénique et d'un jeu de rôles théâtralisé. Ces « rôles » mis en scène dans les trois actes de la pièce sont construits à partir du matériau ethnographique qu'est la parole saisie au vif et en situation, recueillie au moyen de nombreux enregistrements audio et vidéo pour rendre compte des échanges verbaux et gestuels dans des interactions observées ou sollicitées (discussion de groupe animée par l'anthropologue), impliquant au total 51 protagonistes9. Pour les restituer, F. Wateau opte ici pour ce que l'« approche anthropologique offre à travers un regard multifacette10 sur les différentes façons de concevoir une situation somme toute assez banale dans le monde, mais chaque fois débordante de doutes, d'espérances et d'émotions » (extrait du texte de présentation, en quatrième de couverture).
Cette approche anthropologique se distingue du compte rendu plus habituel des recherches effectuées sur le terrain et par observation participante, évoquant plutôt l'analyse dramaturgique développée par Erving Goffman, soit une forme d'exposition et d'écriture polyphonique empruntée au théâtre. En cela, cet essai suit d'assez près la « multivocalité » des interactions typiques d'une société villageoise particulière, caractérisée ici, comme le plus souvent dans cette province d'Alentejo, par une opposition « ville-campagne » bien marquée11 mais aussi par une sociabilité d'interconnaissance et un sentiment de communauté affirmé quoique discret et peu expansif.
Sur un plan plus général, cet ouvrage-essai consacré à la construction d'un grand barrage, le dernier de la péninsule Ibérique sinon de l'Europe occidentale, est une contribution à la réflexion sur la question de l'asymétrie entre le chercheur en sciences sociales, armé de cadres conceptuels et de grilles d'analyse fort divers, et les sujets d'étude mis en observation. Le fossé qui les sépare condamne maintes productions des sciences sociales à s'emmurer dans une sorte de solipsisme que seule la fouille de données (data mining) peut déterrer et recycler. C'est pourquoi, plus que jamais, les sciences sociales et humaines se doivent de s'enrichir des approches compréhensives du singulier pour être au plus proche de ceux avec qui elles travaillent pour comprendre et interpréter les trajectoires et les bifurcations du social qui y sont à l'œuvre, ne serait-ce que pour contrer leur tendance à une spécialisation toujours plus accrue. C'est à partir de cette perspective que la lecture de la pièce On ne badine pas avec le progrès est très stimulante.
Fernando Medeiros
(Université Paris Nanterre, UMR7533 Ladyss, Nanterre, France)
fernando.medeiros@wanadoo.fr
The arid lands. History, power, knowledge
Diana K. Davis
The MIT Press, 2016, 271 p.
Dans cet ouvrage à la fois précis et synthétique, Diana K. Davis nous fait profiter de sa remarquable compétence interdisciplinaire qui sied à tout scientifique de l'environnement : vétérinaire, géographe, philosophe et historienne, elle s'est spécialisée dans l'écologie politique et les zones arides ; elle enseigne à l'Université de Californie où elle travaille sur l'ensemble des zones arides dans le monde. La période qu'elle étudie s'étend de la plus haute Antiquité jusqu'aux temps présents.
Dans un premier chapitre qui contient à lui tout seul presque toutes ses observations et ses conclusions, elle nous présente sa vision et sa définition des zones arides et des « déserts », en insistant sur les multiples confusions entre « désertification », « déserts » et « zones arides », que certains francophones appellent « zones sèches ». Et elle nous dit d'emblée que la définition de la désertification n'est pas claire, qu'elle ne différencie pas les causes anthropiques des effets des sécheresses, et que de ce fait on est bien incapable de dire si ces processus augmentent ou régressent. Elle nous explique tout de suite que la désertification est généralement comprise comme le résultat de la dégradation des ressources sous l'effet de mauvaises pratiques, et tout spécialement sous l'effet de la déforestation et du surpâturage. Ces causes supposées ont été explicitées et définies à la Renaissance puis aux époques coloniales, en particulier par les forestiers français et anglais. Il en résulte des codes forestiers draconiens et répressifs, des tentatives de boisement en dépit du bon sens et des politiques de sédentarisation des éleveurs soupçonnés d'être non seulement les responsables de la désertification mais aussi de redoutables opposants aux régimes politiques en place, bref des rebelles incontrôlables. L'auteur expose aussi dans ce chapitre ce qu'elle détaillera dans les chapitres 4 et 5 et dans la conclusion : comment ont été définies les politiques de développement sous l'effet des régimes coloniaux, thèse qu'elle a développée dans ses ouvrages antérieurs ; et comment les Nations unies, y compris la Convention sur la lutte contre la désertification, ont été marquées par cet état d'esprit qui a dominé et qui, d'après elle, est toujours aussi prégnant malgré les avis de nombreux experts, de scientifiques et de représentants de savoirs locaux qui ne sont pas encore vraiment entendus.
Les chapitres 2 et 3 sont extrêmement surprenants : on y admire l'esprit universaliste de l'auteur qui a puisé dans la littérature tout ce qui a trait à l'aridité, la sécheresse, le climat, les ressources, l'agriculture, les forêts, l'élevage. On commence par les Grecs puis les Romains (de Strabon à Pline) qui considèrent que les déserts sont des faits incontestables et que l'homme n'y peut pas grand-chose. Mais ensuite l'analyse de la Bible laisse pantois : les déserts y sont considérés de façon ambivalente comme des territoires infernaux (dans le Nouveau Testament, par exemple, on note que c'est dans le désert que le Diable tente Jésus) ou comme des territoires où l'on va se ressourcer, où les ermites et les hommes sages vont faire retraite, où Moïse a reçu les Tables de la Loi, où les ascètes vont mener une vie rédemptrice. Cette fascination pour les déserts se perpétue aujourd'hui… L'Islam et les voyages de Marco Polo ne vont pas changer grand-chose à ces perceptions.
Il faut attendre la fin du Moyen Âge et la Renaissance, les voyages de Colomb, pour voir apparaître la théorie de la « dessiccation » et l'identification du rôle des populations autochtones dans la fabrication des déserts et de l'aridité. Cela a été théorisé par Montesquieu dans De l'Esprit des lois, quand celui-ci a énoncé que dans les régions chaudes (en Afrique et Asie centrale), il y avait des pouvoirs « despotiques » et des populations « serviles », que les Tartares, peuple d'éleveurs, avaient détruit l'Inde et la Méditerranée orientale « car ces gens-là ne plantaient pas d'arbres » … Et nous arrivons aux premières colonisations anglaises et françaises avec leur cortège de « savants » comme Pierre Poivre qui a fortement influencé cette théorie selon laquelle la destruction de la forêt induisait l'aridité et que si l'on continuait à détruire la forêt, la Terre serait inhabitable ! Diana K. Davis nous fait aussi une bonne description des « communs » et de l'impact de leur abandon sur les politiques coloniales en France et en Angleterre. Nous avons enfin droit à un éloge paradoxal de Buffon qui vante les pouvoirs conjoints de l'homme et de la nature.
Le chapitre 4 nous propose un surprenant voyage à travers toutes les zones arides et désertiques de la planète et la généralisation de cette idée dominante de l'homme destructeur des forêts et créateur de l'aridité… Les savoirs locaux ne sont guère mis en évidence et les recommandations portent essentiellement sur les reboisements. On assiste à la naissance des tout-puissants services forestiers, d'abord coloniaux puis au sein des nouveaux États dans les années 1960. Ils ne remettront pas en cause l'origine anthropique de la désertification.
Des scientifiques comme Auguste Chevalier, au début du XXe siècle, puis Louis Lavauden, André Aubréville et même Louis Emberger ont fait la loi et peu de voix discordantes ont essayé de montrer que le climat pouvait jouer un rôle primordial. Il fallait reboiser, réglementer les terres de parcours, favoriser l'agriculture. Nous avons des descriptions admirables du Dust Bowl12 et des politiques anglaises dans les Indes de l'époque. Puis nous arrivons à l'époque actuelle : l'auteur nous fait une analyse à mon sens trop longue des acceptions de la désertification et des politiques définies par les Nations unies, notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, après la conférence de 1977 sur la désertification. Sont notamment décrits en détail les projets de l'Unesco et son programme sur les zones arides, ceux du Consultative Group for Desertification Control (Descon) de l'ensemble Unesco-Unep.
Ces projets, en fait, ne valaient pas grand-chose : j'ai représenté la France au Descon dans les années 1980 et j'ai pu constater que nous héritions des plus mauvais projets (ils ont par ailleurs été présentés au Programme des Nations unies pour le développement [PNUD] et à la Banque mondiale, qui les ont refusés !). L'impact de ce comité Descon a été mineur, y compris quand en 1992-1994 il a fallu définir la désertification pour le compte de la nouvelle Convention sur la lutte contre la désertification.
Diana K. Davis cite à raison ceux qui ont vilipendé les assertions ridicules comme « le désert avance de plusieurs kilomètres chaque année » : c'est ce qu'avait voulu me faire dire (et que j'avais catégoriquement refusé de confirmer !) une grande chaîne de télévision française qui m'avait interviewé à ce sujet en 2006.
De même, l'auteur évoque à juste titre les réticences suscitées par les « barrages verts » ou celles envers la « Grande muraille verte » au Sahel, projet du président sénégalais de l'époque censé « arrêter » le désert. On peut regretter qu'elle n'ait pas mentionné la remarquable expertise réalisée en 2008 par l'Observatoire du Sahara et du Sahel sur ce type de projets.
Elle rappelle enfin avec à-propos quelques réalisations remarquables comme les projets pastoraux, financés au Tchad par l'Agence française de développement ou basés sur les savoir-faire locaux en Syrie (qu'en reste-t-il aujourd'hui ?), ou bien encore, au Niger, des actions d'envergure de « reverdissement » et de restauration, réalisées sur des périodes de plus de 20 ans.
Les conclusions, en revanche, sont quelque peu décevantes. L'auteur pointe à raison l'existence de nouvelles définitions des approches de la désertification − qui a trop souvent servi d'alibi, sans grand succès d'ailleurs, pour drainer des crédits − et par conséquent de nouveaux paradigmes de lutte contre la dégradation des ressources, tenant davantage compte des changements climatiques. Cependant, elle ne prend pas en considération les nouvelles tendances de ce début du XXIe siècle ni les questions de coûts de la désertification, pourtant admirablement analysées par ses collègues américains de la Florida Atlantic University et quelques universitaires français.
En effet, nous sommes maintenant sous l'influence du marché et comme il n'est pas question de réglementer les émissions de gaz à effet de serre, la préservation de la biodiversité et la dégradation des ressources naturelles, des économistes ont mis au point et fait adopter des systèmes qui devraient permettre de « sauver » la planète : le marché des permis d'émettre des gaz à effet de serre, les mécanismes du développement propre (MDP), les mécanismes REDD+, le système des compensations (on dégrade ici mais on restaure là), et maintenant le concept de « neutralité en matière de dégradation des terres ». Ces mécanismes n'ont pas vraiment porté leurs fruits et ils recèlent de véritables dangers car ils font appel à des fonds privés, qui, par définition, cherchent la rentabilité : d'où des risques d'accaparement de terres, sous prétexte de restauration, et d'accroissement de la pauvreté sans augmentation de la qualité de l'environnement. Il aurait été intéressant d'avoir l'avis de Diana K. Davis sur ces questions relativement absentes du livre.
The arid lands, en résumé, est un livre tonique, parfois dérangeant, presque exhaustif sur des questions qui concernent la moitié de la planète et un tiers de ses habitants.
Marc Bied-Charreton
(Président d'honneur du Comité scientifique français de la désertification [CSFD], Agropolis Montpellier)
bied-charreton.marc@wanadoo.fr
Manifeste pour une géographie environnementale. Géographie, écologie, politique
Denis Chartier, Estienne Rodary (Eds)
Presses de Science Po, 2016, 440 p.
This book derives from a conference titled “Géographie, écologie, politique. Un climat de changement” held in Orléans in 2012. As its title unambiguously announces, this volume is a manifesto that aims to shake up the discipline of geography by promoting a closer engagement with ecology and politics to advance understanding of environmental change dynamics. In their introduction, the editors bemoan the fact that geography occupies a marginal position in contemporary environmental debates in France. They ask geographers why this is so and what potential exists to reverse this situation. Manifeste pour une géographie environnementale hopes to inspire and guide a new generation of geographers to engage with environment and society issues from an interdisciplinary perspective that is at once geographical, ecological, and political. They call this new direction “environmental geography”.
In fact, neither the goal nor research direction is new. As many of the contributors note, a robust human-environment tradition existed in the late 19th century work of French geographers like Élisée Reclus and Paul Vidal de La Blache. But the rise of environmental determinism and possibilism in the early 20th century and the academic division of geography into its physical and human subfields impeded the development of nature-society scholarship as a core focus of the discipline. The human-environment tradition was further marginalized between the 1950s and 1970s when quantitative approaches and spatial analysis dominated the discipline. As a result of these divisions and paradigmatic shifts, geographers did not play a leading role in the birth of environmental studies on university campuses in the 1970s and 1980s. This was true in both the Anglophone and French scene. The editors see the current “irruption” of environmental problems as a new opportunity for geographers to take a leading role in the study of environment-society relations.
The book is divided into three sections. Following the editors' introduction, which includes their seven-point manifesto, the first section, “Premières charges”, highlights the obstacles and opportunities facing French geographers seeking to renew the human-environment tradition. Christophe Grenier and Baptiste Hautdidier argue in separate chapters that environmental skeptics are important forces impeding this effort. The skeptics denial of ecological limits serves as an example of the politics of environmental knowledge that run through this book.
The second and longer section titled “the history of missed opportunities” reflects on the relationship between geography, ecology, and politics the late–19th and early 20th centuries. Philippe Pelletier discusses the influence of Darwinian ideas on the integrated nature-society perspectives of Ernst Haeckel, Élisée Reclus and Vidal de La Blache. He finds Reclus's focus on human adaptation to environments and Vidal's concept of milieu as important precursors to environmental geography. While geographers like Reclus wrote about the impact of humans on the biophysical world, some promising concepts like Raubwirtschaft or “the pillage economy” developed by Karl Ritter and Ernst Friedrich never took hold on French soil.
A salient theme in this historical section is the parallel development of nature-society studies in Anglophone geography. Jean-Marc Zaninetti and Kent Mathewson discuss the work of Carl Sauer who pioneered the human-environmental tradition in American geography in the first half of the 20th century. Sauer's interdisciplinary approach fused anthropology, geography, and history in his writings on plant dispersals and agro-biodiversity, indigenous agricultural knowledge and natural resource management, and on the destructive impact of humans on the environment. They view Sauer as “a pioneer of political ecology,” an approach to human-environmental relations that is currently thriving in Anglophone geography and becoming a prominent branch in French environmental geography.
Political ecology emerged in the United States and United Kingdom in the 1970s and 1980s, most prominently in the writings of Piers Blaikie, Harold Brookfield, and Michael Watts. This interdisciplinary perspective emerged as a critique of neo-Malthusian analyses of environmental degradation, famine, and natural resource conflicts. Its practitioners examine social and environmental interactions from combined political economic and ecological perspective. Political ecologists draw upon a diverse set of social and ecological theories to frame and analyze the problems they investigate. As Christian Kull and Simon Batterbury note in their contribution, early political ecology drew upon French neo-Marxist anthropology (Claude Meillassoux, Pierre-Philippe Rey). In the 1990s, French post-structural social theory (Michel Foucault, Jacques Derrida, Bruno Latour) and ecological theory (non-equilibrium systems) became influential.
The third part of Manifeste pour une géographie environnementale presents seven case studies that draw upon a wide body of social theory and research methods to analyze a range of political ecological issues. David Blanchon's research on water management practices mixes science and technology studies, actor network theory, and neo-Marxist theory with water. Drawing on the urban political ecology research of Erik Swyngedouw and Amita Baviskar13, he shows how this mixture results in new concepts like the “hydrosocial cycle”, “waterscape,” and “socionature” that are helpful in framing research questions related to water scarcity and conflicts.
Sébastien Caillault advances environmental geographic analysis in his critique of the notions of “saturated spaces” and “good” and “bad” fires in southwestern Burkina Faso. His multi-scale historical analysis transcends the fixed categories that inform conventional environmental policy (espace fini, feux précoces, feux tardifs) which typically demonize resource users. His approach questions these representations and shows farmers and herders managing resources in more nuanced and sophisticated ways that are often invisible to policy makers.
The contributions by Pierre Gautreau on access to and control of environmental knowledge via private and public websites, by Frédérique Blot on the links between psychotropic drugs and water pollution, and by Olivier Soubeyran's on the frightening relationship between counter-terrorism, socionatural disasters, and resilience thinking are exemplary pieces of environmental geographical scholarship. Their focus on the politics of environmental knowledge and their interdisciplinary and relational approaches illustrate the diversity of research questions, theories, and methods that characterize this vibrant reworking of the human-environment tradition in French geography in the 21st century.
Denis Chartier and Estienne Rodary's manifesto contains seven theoretical positions: a cosmopolitical geography that insists that all environmental problems are political problems; a post-deterministic geography that integrates nature-society relations in a non-deterministic manner; a rough world geography that embraces the heterogeneity of actors and scales as the foci of inquiry; a situated geography in which history and locality matter greatly; a geography of justice that makes environmental justice a necessity; an affective geography that transcends rational perspectives and embraces empathy, emotion and sensitivity to “primordial energies”; and a geography of liberation, a letting go of the desires to control space and territory and to demonstrate caring and connection with Earth. With reference to Latour14, the editors call their manifesto a “gaïagraphie” that urges its readers to connect with and care for the living forces of the world in a political ecologically engaged manner.
Why the term “environmental geography” to describe such bold initiatives? The editors are reticent on this topic. They state in the introduction that the adjective “environmental” is meant simply to indicate that geography has been transformed by its engagement with political ecological questions. Why not then use the term “écologie politique,” the French translation of its English cousin, “political ecology”? For a work whose subtitle is “Géographie, écologie politique,” this alternative term seems highly appropriate. But as Denis Gautier and Tor Benjaminsen note in their edited collection on the political ecology approach15, the French term “écologie politique” is too closely associated with green party politics and environmental movements in France, which is why they chose to use the term “political ecology” in their work.
I suspect there are other, more strategic reasons why Denis Chartier and Estienne Rodary prefer “environmental geography”. They seek to transform the discipline of geography, particularly its human-environment tradition. “Environmental geography” is a more expansive term that welcomes a variety of approaches to explore the environment-society interface. That is, political ecology is just one path among many in what Noel Castree, David Demeritt, and Diana Liverman16 call “the fertile ‘borderlands’ where geography's various traditions of scholarship − not only human and physical, but also regional and GIS − come together and connect with each other and with cognate traditions of environmental work outside geography” (p. 2).
Manifeste pour une géographie environnementale is more than a manifesto. It is an inspirational guide for exploring and integrating the “fertile borderlands” of the natural and social sciences that should appeal to geographers and non-geographers alike. The bibliographies accompanying each chapter and the detailed index at the end of the volume will greatly facilitate this renewal of the French human-environment tradition.
Thomas J. Bassett
(University of Illinois at Urbana-Champaign, Department of Geography & Geographic Information Science, Champaign, États-Unis)
bassett@illinois.edu
Les SHS et les questions environnementales, manières de voir, manières de faire
Philippe Béringuier, Frédérique Blot, Anne Rivière-Honegger (Eds)
Sciences de la société, 96, Presses universitaires du Midi, 2016, 205 p.
Le numéro thématique de la revue Sciences de la société publié en 2016 se consacre à une analyse, par diverses postures et problématiques de recherche, des manières de faire de l'investigation sur l'environnement dans les disciplines de sciences humaines et sociales (SHS). Il comprend 11 articles de sociologues, de géographes et d'anthropologues, écrits, pour 8 d'entre eux, à plusieurs mains. Il propose un retour réflexif sur des pratiques de recherche qui partagent toutes un intérêt pour l'interdisciplinarité, le souci empirique de retranscription du terrain et l'exposition de méthodes d'enquête plus ou moins originales. Il est le fruit d'un des ateliers du colloque intitulé « Dynamiques environnementales, politiques publiques et pratiques locales : quelles interactions » organisé par l'UMR5602 Géode en juin 2013, à Toulouse, qui a donné lieu à plusieurs séminaires en 2013 et 2014 organisés par la même UMR et l'école doctorale SHS de l'Université de Lyon. Le numéro de Sciences de la société affiche un double objectif : former, dans un premier temps, des étudiants en SHS de l'environnement et favoriser un retour réflexif de la communauté des chercheurs sur leurs activités, dans un deuxième temps.
L'interdisciplinarité concerne avant tout l'analyse rétroactive que les chercheurs font de leur pratique, grâce aux décalages générés par la confrontation à d'autres sciences et singulièrement aux sciences exactes (agronomie, chimie, écologie, etc.). En s'insérant dans des projets ayant recours à des disciplines étrangères aux SHS, les différents textes de ce recueil exposent des problèmes de coproduction du savoir, abordent la coulisse de la recherche, ou encore décrivent des méthodologies innovantes. En complément de ce regard rétrospectif des équipes de chercheurs sur elles-mêmes, l'article de Klervi Fustec et Julie Trottier17 propose une analyse objective et statistique de la place des SHS financées par l'Europe dans le domaine de l'eau et du changement climatique.
Plusieurs articles reviennent sur l'expérience d'apprentissage qu'a représentée la recherche à plusieurs disciplines. Aurélie Roussary et Valérie Deldrève18 décrivent les évolutions de leur grille de lecture sur plusieurs projets de recherche « côté cuisine », dans le domaine de la création d'un parc national et la protection de sources d'eau potable, en montrant comment des principes d'action publique louables finissent par questionner le sociologue sur les inégalités qu'ils génèrent. Claude Compagnone19 revient sur les attentes potentiellement sclérosantes que des disciplines comme l'agronomie ont de l'apport du sociologue avec lequel elles travaillent pour un sujet comme le changement de pratiques agricoles. Le changement est-il une catégorie opérationnelle pour le sociologue ou une idéologie de la modernisation ? Thomas Debril, Pierre-Marie Aubert et Antoine Doré20 se risquent à une réflexion sur la manière de faire avec les acteurs qu'on étudie, en partageant avec eux l'action en train de se faire, au-delà de la commande faite au sociologue de documenter la plus ou moins grande irrationalité des comportements des acteurs par rapport aux programmes publics dont ils sont la cible. Ils insistent sur les processus d'apprentissage que cela génère pour les acteurs avec lesquels le chercheur fait la recherche. Comme le dit Julien Rebotier21 : « La recherche se fait “en société”, non pas au-dessus ou à côté » et il s'agit d'interroger la pratique de recherche au regard « d'une forme de solidarité irréductible avec ce qui est décrit, dont on ne peut s'extraire » (p. 154).
Cette perspective, à la fois engagée et critique, bénéficie de la confrontation entre disciplines différentes dans et hors les SHS. Cela se joue au niveau des objets étudiés, par exemple « l'anthroposystème de montagne », analysé par Dolores De Bortoli, Pascal Palu et Dominique Cunchinabe22, ou l'analyse systémique du dérangement des animaux par Laine Chanteloup, Clémence Perrin-Malterre, Antoine Duparc et Anne Loison23. Dans le cas de la montagne, ce qui est recherché, c'est une perspective intégrée entre nature et société, autour d'un « système interactif composé par les écosystèmes et les sociétés qui y vivent et les utilisent » (p. 30). Dans le cas de l'évitement des animaux, il s'agit de construire, dans la réserve nationale de chasse et de faune sauvage (RNCFS) des Bauges qui est intégrée depuis 1995 dans le parc naturel régional du même nom, des cartographies de trajectoire communes entre visiteurs et bêtes sauvages. La confrontation interdisciplinaire a également une vertu de retour réflexif dans le cas de la remise en cause de la coupure épistémologique entre science et non-science pour conférer à des savoirs différents une égale légitimité, ce que s'attache à montrer l'article de Debril, Aubert et Doré évoqué plus haut. Mais parfois cette égalité vire à la compétition, comme avec le savoir agronomique décrit par Compagnone. L'auteur expose les cas de « bornage interprétatif » (p. 133), ces zones ou des explications disciplinaires différentes se disputent l'interprétation des faits, et où on s'aperçoit qu'une explication sociologique peut aussi avoir des implications plus ou moins heuristiques en agronomie ou dans d'autres sciences, et donc remettre en cause l'indifférence avec laquelle se traitent les disciplines entre elles. Félicia Drouilleau24 revient également sur la difficulté que peut avoir l'anthropologue dans une recherche pluridisciplinaire quand ce dernier ou cette dernière a pour tâche exclusive de mener des entretiens avec des gens qu'il/elle n'a pas choisis et dont il/elle ne connaît pas l'insertion dans le sujet investigué.
Enfin, l'intérêt du numéro tient à la diversité des apports méthodologiques évoqués. La posture scientifique originale se nourrit en effet souvent d'un décalage, dans la méthodologie qu'elle emprunte, par rapport aux canons de la discipline de SHS considérée. C'est ce qu'illustre la contribution25 de Sabine Girard, Lisa Rolland et Anne Rivière-Honegger qui revient sur l'usage du dessin comme instrument d'enquête. Les auteurs ont demandé à des personnes participant à une commission locale de l'eau de faire des dessins à l'appui d'entretiens non directifs. Le dessin est à la fois moins précis mais plus ouvert que la carte ou le schéma, et le rendu est ainsi plus riche. Chanteloup, Perrin-Malterre, Duparc et Loison, dans le cadre de leur recherche sur les sports de nature et la faune sauvage, posent des GPS sur les animaux et les promeneurs pour décrire des trajectoires de rencontre ou d'évitement en pleine nature. On peut aussi citer l'approche « méréologique » de Geoffrey Carrère et Denis Salles26 qui, dans le cadre d'objets transdisciplinaires, à partir d'un appui de la démarche sociologique sur des analyses chimiques de molécules, cherche à décrire les interdépendances entre une totalité et des particularités en son sein. En matière d'analyse des résidus urbains, le diagnostic chimique établi à partir de la concentration dans l'eau, de produits de protection, de désherbage, de traitement antipuces, etc., par lessivage du sol, renseigne sur des pratiques sociales. Drouilleau, quant à elle, étend la question du territoire en anthropologie à l'analyse du web et des controverses virtuelles qui s'y rapportent. L'institution n'est alors plus seulement abordée par une analyse située, monographique et locale, mais le terrain anthropologique est recherché sur internet.
Au total, les recherches réunies dans ce numéro étudient aussi bien le cadre naturel (les réserves de chasse, les commissions locales de l'eau), le cadre bâti (le « système maison » pour De Bortoli, Palu et Cunchinabe), que les pratiques agricoles pour Compagnone ou la politique du médicament pour Carrère et Salles. Les questions sociologiques sont diverses : les inégalités environnementales, l'action en train de se faire, le territoire, la place des SHS de l'environnement dans les contrats de recherche, ou bien encore la formalisation d'une discipline (l'anthropologie).
On regrettera cependant une quasi-absence de cadrage théorique. L'introduction a certes le mérite de réunir des travaux aux horizons variés, mais on pouvait s'attendre à y trouver aussi un positionnement par rapport aux grands courants en présence : théorie de l'acteur réseau, analyse systémique, political ecology, etc. En revanche, le parti pris de réunir des disciplines différentes de SHS dans une présentation cohérente est tenu. On voudrait, à l'avenir, voir plus d'études, qu'elles soient issues de commandes publiques ou privées, qui acceptent, comme dans ce numéro, le dialogue à l'intérieur et à l'extérieur des SHS et s'attachent à comprendre les milieux et les cartographies d'acteurs. On peut voir dans les présentes contributions une intégration réussie entre compte rendu de recherche sous contrat et perspective académique.
Florian Charvolin
(CNRS, UMR5283 Centre Max-Weber, Lyon, France)
Florian.charvolin@gmail.com
Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux
Sue Donaldson, Will Kymlicka
Alma, 2016, 400 p.
« Rats le bol !27 » de ces individus nauséabonds qui pullulent dans nos égouts et abondent dans nos rues. Qui en effet n'a pas eu une réaction révulsée en apercevant un rat courir le long des murs de sa ville ? Si les rats provoquent l'horreur des urbains, leur surpopulation peut aussi engendrer la dégradation des infrastructures : ils rongent les câbles électriques jusqu'à provoquer des courts-circuits. Pourtant, au-delà des problèmes liés à leur surpopulation, sous leur pelage ou leur plumage les rats comme les autres animaux liminaires − ces « espèces non domestiques qui se sont adaptées aux espaces habités par les êtres humains » (p. 297) − cachent une individualité, une subjectivité qui amène certains philosophes à leur attribuer des droits. Dans Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux28, les philosophes canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka proposent ainsi de protéger les animaux liminaires sous le statut de « résidents ». Là où Martha Nussbaum, malgré la théorie des capabilités qu'elle développe pour les animaux, échoue à faire une place aux rats au sein de sa théorie de la justice (« In the case of a rat the harm is not comparable to the harm of killing a healthy dog; a rat has many fewer interests and capabilities to be frustrated29 »), S. Donaldson et W. Kymlicka les intègrent à la leur en encourageant les humains à protéger ces êtres sensibles qu'ils placent sous une nouvelle catégorie d'animaux à côté des animaux domestiques et des animaux sauvages.
Cet ouvrage de S. Donaldson et W. Kymlicka reprend les travaux que ce dernier publie en philosophie politique en transposant sa théorie libérale aux animaux non humains : l'idée consiste à promouvoir l'émancipation des individus humains comme non humains à partir de leur contexte relationnel, autrement dit, à partir de la nature des relations qu'ils nouent avec d'autres individus. Entre alors en jeu un équilibre subtil entre universalité des droits, d'une part, applicables en toute circonstance, pour toutes les espèces animales, et particularisme circonstanciel, d'autre part, avec toute une série de droits spécifiques attribués en fonction des relations que les animaux entretiennent avec les humains.
L'entrée des animaux dans l'agora
Dans Zoopolis, S. Donaldson et W. Kymlicka analysent les principales contributions académiques sur l'émancipation animale dans une entreprise qui tend à l'exhaustivité. Ils dressent ainsi la critique de la théorie traditionnelle des droits des animaux et y opposent un nouveau socle conceptuel partant de droits positifs et relationnels30, théorisant de cette manière l'entrée des animaux dans la sphère politique, au-delà de la sphère éthique (p. 9). Pour ce faire, les auteurs partent du concept de citoyenneté qu'ils déclinent sous trois facettes en fonction des trois types de relations qu'ils identifient entre animaux et humains : la citoyenneté en tant que telle pour les animaux domestiques (chapitre 3 et 4), la souveraineté pour les animaux sauvages, dont l'indépendance des communautés souveraines est garantie dans le cadre de la justice internationale (chapitre 5), et la « résidentialité » pour les animaux liminaires (chapitre 6), comme nous l'avons évoqué en introduction.
S. Donaldson et W. Kymlicka s'attachent dans un premier temps à décrire les relations de réciprocité et de confiance entre animaux domestiques et humains dans le cadre de ce qu'ils appellent des « communautés mixtes31 ». Comme chez Nussbaum, l'extension de la justice aux animaux domestiques passe d'abord par la critique de la formulation traditionnelle de celle-ci : les théories du contrat, et notamment celle qui fonde la vision rawlsienne de la citoyenneté, échouent à prendre en compte une partie de ses membres, au premier rang desquels les enfants et les personnes en situation de handicap. Les auteurs évoquent notamment les travaux d'Eva Kittay, professeur de philosophie à la Stony Brook University de New York, qui soulignent l'excès de rationalité dans la définition traditionnelle de la justice : la raison, sur laquelle s'appuie l'exercice de la citoyenneté, fait défaut à certains membres de la communauté politique (comme les personnes atteintes de graves déficiences intellectuelles), et de manière générale peut faire défaut à tout un chacun au cours de sa vie (lors de l'enfance, de la maladie ou de la vieillesse). Aussi, la participation politique active rendue impossible compte tenu de l'incapacité de raisonnement intellectuel avancé est ici remplacée par un modèle d'agentivité dépendante. Les individus incapables de participer de manière traditionnelle à la vie politique entrent dans l'agora grâce à d'autres individus qui les aident à développer leur agentivité de manière relationnelle. Dans le cas des handicapés, par exemple, le personnel soignant « interprèt[e] leur langage corporel, les subtilités de leurs expressions, de leurs gestes ou des sons qu'ils émettent » (p. 151).
L'idée est transposée au cas des animaux domestiques auxquels le droit de participer à la vie politique est reconnu grâce au statut de citoyen. S. Donaldson et W. Kymlicka leur attribuent ce faisant trois droits : « la résidence (les animaux sont ici “chez eux”), l'intégration au peuple souverain (leurs intérêts doivent être pris en compte dans la définition du bien commun) et l'agentivité (ils doivent être en mesure de participer à l'élaboration de règles de coopération) » (p. 145). Ils précisent que leur participation politique, comme dans le cas des personnes en situation de handicap, est facilitée par les humains qui entretiennent des relations de confiance avec eux. Mais au-delà des droits, la participation politique implique également des responsabilités : quels sont dans ce contexte les devoirs que les humains peuvent imputer aux animaux non humains ? C'est avant tout le respect des normes sociales que les animaux domestiques doivent intégrer. Ces derniers sont en effet capables de comprendre les règles de coopération, de réciprocité et d'équité, comme le montrent les nombreux exemples mis en avant par S. Donaldson et W. Kymlicka.
En attribuant le statut de citoyen aux animaux domestiques, les auteurs leur reconnaissent un ensemble de droits et de devoirs impliquant leur intégration à la communauté politique, ce qui nécessite la mise en place de mesures dans neuf domaines juridiques en particulier. Il s'agit notamment de la socialisation de base, qui permettra aux animaux d'intégrer pleinement la communauté politique ; la liberté de mouvement et le partage de l'espace public ; le devoir de protection, impliquant la criminalisation des pratiques de souffrances infligées aux animaux ; le travail animal, qui doit être strictement réglementé ; les soins et interventions médicales, garanties par l'État ; le sexe et la reproduction, qui doivent redevenir autonomes et non pas contraints ; ou encore le régime alimentaire, recommandé végétalien en ce qui concerne les chiens et les chats.
Bien qu'audacieux et en ce sens innovant (le concept de citoyen ne manquera pas d'étonner), Zoopolisse veut pragmatique : il ne s'agit pas comme dans le jaïnisme indien de prôner la non-violence absolue au point d'interdire d'arracher des racines, tubercules ou bulbes sous peine de tuer des vers de terre. L'idée consiste plutôt à considérer les intérêts en présence, ceux des humains et des animaux non humains, en tentant de les concilier. Certaines situations rendront difficiles les compromis, aussi les auteurs invitent-ils à la mise en place de bénéfices compensatoires comme des programmes de réensauvagement, ou des compensations symboliques. Écrit dans un souci de vulgarisation cher aux Anglo-Saxons, ce livre au style très clair rend par ailleurs accessible la cause animale au grand public : ici point de jargon, la majorité des concepts-clés est définie de façon précise et les exemples abondent. Les auteurs impliquent et mettent en scène le lecteur en faisant appel à sa propre expérience et à son imagination, bien souvent pour mettre en lumière ce qu'il jugerait inacceptable pour des humains et le transposer ensuite au cas des animaux.
Les portes closes de la citoyenneté
La principale critique que nous adressons à l'approche menée par S. Donaldson et W. Kymlicka tient à l'ouverture des portes du royaume de la citoyenneté aux non-humains. Martha Nussbaum, tout comme l'ensemble des auteurs partisans des droits pour les animaux, avait déjà proposé d'en forcer la serrure avec Frontiers of justice, mais dans ce livre les auteurs vont encore plus loin dans la démarche en accordant la citoyenneté aux animaux domestiques. Si la notion recèle une véritable efficacité symbolique, elle paraît néanmoins difficilement valable sur le plan théorique. En effet, les auteurs relatent nombre d'expériences interspécifiques impliquant des animaux dont le rôle et la participation sociale sont rendus évidents ; pourtant, tous les exemples cités relèvent de la sphère domestique, du cercle familial. Certes ces relations entre humains et animaux illustrent la réciprocité et la coopération de deux espèces, mais elles restent toujours intimes, à l'instar de Lulu le cochon qui sauve sa compagne humaine Joanne Altsmann (p. 171). Que se passe-t-il dans la sphère politique, dans la rue ? Nos congénères non humains sont-ils capables de manifester leurs préférences dès lors qu'elles dépassent leur propre échelle, dès lors qu'elles impliquent la collectivité ? La politique en ce sens se situe au-delà des considérations individuelles, au-delà des intérêts particuliers, et plus qu'en la somme de ces derniers ; elle consiste en l'art de la chose publique, en ce qui me dépasse en tant que sujet, ce qui est plus grand que moi, c'est-à-dire l'intérêt général, le bien commun. La zoopolis dont rêvent les auteurs s'apparente en ce sens à la simple agrégation d'espaces privés, la somme de relations interindividuelles, et échoue dans cette mesure à faire des animaux des acteurs politiques. Si nous acceptons les deux premières déclinaisons de la citoyenneté que proposent les auteurs pour les animaux domestiques (la résidence et l'intégration au peuple souverain), il nous semble que la troisième (l'agentivité) − la plus importante à nos yeux − ne peut qu'échouer devant les frontières de la politique en raison de l'incapacité des animaux à participer à la formulation du vivre-ensemble.
Aussi, plutôt que de droits des animaux, pourquoi ne parlerions-nous pas de devoirs humains vis-à-vis des animaux ? Les propositions de S. Donaldson et W. Kymlicka ne s'en trouveraient pas amoindries, puisque toutes impliquent la mise en œuvre de mesures par les humains eux-mêmes : les droits qu'ils appellent de leurs vœux pour les animaux ne sont pas autre chose que des devoirs humains, des responsabilités quant à la prise en charge des intérêts de membres de leur communauté de vie. Car le point de départ des auteurs n'est pas autre chose que celui de la communauté de vie, celle qui regroupe des individus, entremêlés dans des relations sociales, qui partagent le même milieu. C'est avant tout à partir de ce constat que les deux philosophes pensent l'entrée des animaux domestiques dans la citoyenneté, entraînant dans le même mouvement un changement drastique de perception des non-humains. Considérer les animaux comme des partenaires sociaux c'est reconnaître leur agentivité, leur capacité à nouer des relations, et c'est là la pierre angulaire de l'émancipation animale qui, sans requérir l'attribution de droits aux animaux, peut s'établir grâce à la formulation d'obligations des humains à l'égard de ceux-ci.
Ce qui compte en somme, c'est le jeu de cordes dans lequel sont entrelacés les individus, c'est le nœud d'interactions dont parle Michel Serres32, c'est aussi le réseau latourien reliant les actants entre eux. Chez Bruno Latour les actants sont en effet des puissances d'agir, des forces qui s'exercent les unes sur les autres dans le cadre d'un réseau illimité qui implique à la fois humains et non-humains33. Au-delà des animaux, ce sont aussi les plantes, les machines, les robots qui sont relationnels, qui influencent les trajectoires individuelles et orientent les structures sociales. Formuler des devoirs humains envers les animaux ne peut-il pas être en ce sens compris comme une première étape vers la nécessaire extension, cette fois encore plus élargie, des devoirs humains envers l'ensemble des membres non humains des collectifs ?
Agathe Couvreur
(Institut d'études politiques de Lille, France)
agathe.couvreur@hotmail.fr
Wateau F., 2014. « Querem fazer um mar… ». Ensaio sobre a barragem de Alqueva e a aldeia submersa da Luz, Lisboa, Imprensa de ciências sociais. Les deux versions diffèrent sur certains points, la publication française ajoutant une présentation actualisée du contexte et des réévaluations plus récentes de l'évolution des différents objectifs et usages de ce grand barrage.
Figueira E., Coelho I.G., 2005. Alqueva e a agricultura familiar. O caso da Freguesia da Amieira, Évora, Eco-Humanus. Voir également l'enquête réalisée en 1992 : Casinha R., 1995. Família e empresa agrícola. Importância da mão de obra familiar na estratégia técnico-económica da empresa agrícola no Alentejo, Lisboa, ISA. Et aussi : Casinha R., Figueira E., 1995. A mão de obra familiar na empresa agrícola alentejana, Economia e Sociologia, 60, 47-70.
Pérez-Bote J.L., Pula Moreno H.J., 2002. Usos del agua y problemática ambiental en la cuenca media del Guadiana, Revista de estudios extremeños, 58, 2, 723-729, http://www.ucm.es/data/cont/media/www/pag-37595/PerezBote2002b.pdf.
Barraqué B. (Ed.), 1995. Les politiques de l'eau en Europe, Paris, La Découverte ; Drain M., 2003. Les eaux partagées avec le Portugal, in Drain M. (Ed.), 2003. Politiques de l'eau en milieu méditerranéen. Le cas de la péninsule Ibérique, Madrid, Casa de Velazquez/Universidad de Alicante, 219-227.
Nussbaum M.C., 2009. Frontiers of justice. Disability, nationality, species membership, Cambridge, Harvard University Press, 387. Voir aussi l'article Couvreur A., 2015. Justice pour les bêtes. Martha Nussbaum et la question de la justice pour les animaux, Développement durable & territoires, 6, 3, doi: 10.4000/developpementdurable.11023.
Là où les droits négatifs équivalent pour l'essentiel à des interdictions, les droits positifs formulent des obligations. Il s'agit par ailleurs de droits qui sont « relationnels » dans la mesure où ils concernent non pas une monade recluse dans son individualité mais un individu enchâssé dans des relations sociales.
© NSS-Dialogues, EDP Sciences 2017
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