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Nat. Sci. Soc.
Volume 32, Number 4, Octobre-Décembre 2024
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Page(s) | 527 - 528 | |
Section | Association NSS-Dialogues – NSS-Dialogues association | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2025024 | |
Published online | 28 April 2025 |
Raphaël Larrère, compagnon de route de NSS
Crédit : James Startt
Raphaël nous a quittés le 4 janvier 2025, quelques jours après nous avoir envoyé son avis de lecteur externe sur un manuscrit que nous jugions intéressant mais qui soulevait de nombreuses questions en l’état. Et, une fois de plus, Raphaël, avec sa finesse, sa culture et sa perspicacité, nous a aidés à proposer des modifications constructives aux auteurs.
Nous n’allons pas reprendre ici tout ce qui a déjà été dit et écrit sur sa carrière et qui est disponible ailleurs. Mais nous ne pouvons pas ne pas exprimer la peine et l’émotion que nous ressentons au moment du départ de ce collègue et ami d’un grand nombre d’entre nous, un compagnon de route de la revue depuis sa création, mobilisé à de nombreuses reprises, ainsi que son épouse Catherine, dans le travail éditorial au fil des années. Mais aussi en tant qu’auteur de plusieurs textes publiés dans nos pages1, sans compter les nombreuses analyses d’ouvrage. Nous ne pouvons pas oublier les mots justes et pertinents qu’il a énoncés quand nous l’avons sollicité, avec quelques autres collègues externes à la revue, pour procéder en 2000 à une évaluation de Natures Sciences Sociétés après un peu plus d’une quinzaine d’années d’existence (voir Encadré 1).
Extrait de la contribution de Raphaël Larrère à l’évaluation externe de Natures Sciences Sociétés en 2000.
« J’avais pris l’habitude de ne lire NSS que lorsque j’avais à me documenter sur un sujet dans le cadre de mon activité de chercheur. Je l’ai fait à diverses reprises et sur différents sujets. Chaque fois, j’ai récolté dans la revue des articles bien faits, intéressants, rigoureux, souvent originaux (et ceci, aussi bien sous la rubrique Articles que sous celles de Forum, de Libre opinion et d’Actualités de la recherche). Bref, la revue, de par la qualité de son contenu, constitue à mes yeux une référence incontournable. Elle est aussi fort utile pour guider une recherche bibliographique. J’ai pu vérifier qu’il en est de même pour plusieurs de mes proches ou de mes collègues.
Je tiens à préciser que, contrairement à une idée reçue, les articles de NSS pourraient fort bien, à mon avis, figurer dans certaines revues scientifiques disciplinaires… et dans les meilleures. NSS n’a donc pas pour fonction d’offrir des possibilités de publication (avec toutes les garanties des revues scientifiques à comité de lecture), à des auteurs qui, sans elle, éprouveraient des difficultés à trouver preneur pour leurs textes. Revue originale, parce qu’elle contient, outre quelques articles interdisciplinaires, des articles relevant de différents domaines disciplinaires, NSS n’est pas une revue à part, encore moins une revue refuge. En ce sens, elle est en concurrence avec d’autres revues pour recueillir des articles et elle ne manque pas d’atouts pour l’emporter dans cette concurrence. […]
Enfin, une autre originalité des textes publiés par NSS est que même les auteurs d’articles disciplinaires manifestent une culture scientifique excédant largement le champ de leur spécialité. Bref, on trouve rarement dans NSS des articles de doctes ignorants. C’est ce qui en fait le prix à mes yeux et à ceux de bien d’autres lecteurs. »
Bien sûr, comment ne pas nous réjouir de ces quelques mots. Mais au-delà, nous voulons souligner ses grandes qualités humaines et intellectuelles, qui en ont fait un collègue de confiance qui, non seulement a contribué à l’émergence des recherches en sciences sociales2 sur ce qui est devenu la question de l’environnement, mais qui s’est aussi régulièrement engagé dans les dispositifs formels ou institutionnels qui contraignent, mais aussi rendent possibles, l’expression et l’évolution des idées.
Il participa ainsi activement à la construction d’un regard nouveau sur les systèmes agraires montagnards, les espaces où se rencontrent marginalisation agricole et emprises forestières, l’insertion des forêts dans les systèmes agraires, l’histoire des forêts et des politiques de la forêt, les usages et les représentations de la forêt. Et c’est pour aller plus loin dans une meilleure intelligence de ces enjeux et des formes d’interactions concrètes, souvent conflictuelles, entre des projets différents sur un même espace, qu’il s’est engagé dans une meilleure compréhension de la question environnementale jusqu’à développer, avec son épouse Catherine, une réflexion approfondie en éthique environnementale. N’oublions pas qu’il était lui-même très attaché, tout au long de sa vie, aux contacts avec le vivant, les chats de la maison certes, mais aussi ce qu’il est convenu d’appeler « la nature » dans laquelle il appréciait les randonnées en famille. Comment alors ne pas s’interroger sur les techniques de manipulation du vivant, les nano- et biotechnologies, mais aussi, dans un établissement comme INRAE ancré dans la pratique de l’expérimentation animale, ne pas contribuer à la reconnaissance de la conscience animale… susceptible, espérons-le, de conduire à dépasser la réification des animaux quand on instrumentalise leur bien-être ? Ces quelques flashes illustrent bien l’éclectisme de Raphaël Larrère et son intérêt pour le dépassement des barrières disciplinaires, tout en maîtrisant les cadres théoriques et conceptuels des différents domaines auxquels il a su contribuer avec une grande pertinence.
Mais ce fut aussi un chercheur engagé et prenant toutes ses responsabilités comme directeur d’unité pas vraiment dans la ligne de son département de rattachement, ou comme membre du conseil scientifique de l’Inra, de celui des Parcs nationaux de France, en même temps que ceux des parcs nationaux de la Vanoise et du Mercantour. Il a accompagné activement et de façon critique les travaux du Comepra (Comité d’éthique et de précaution de l’Inra), animé plusieurs écoles-chercheurs de l’Inra sur l’éthique, présidé le Comité d’histoire de l’Inra et du Cirad dès sa création et pour plusieurs années, codirigé plusieurs colloques de Cerisy et, bien sûr, il a joué un rôle crucial d’éditeur attentif de la collection « Sciences en questions », complice d’Étienne Landais, avec qui il était si attaché à la qualité des textes. Il a poursuivi après sa retraite son engagement comme membre du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale et en s’engageant personnellement pour une orientation de la recherche vers des modèles alternatifs aux modèles animaux.
Chercheur exigeant, ouvert au commerce des idées dans un esprit d’indiscipline, homme de terrain mais aussi attaché à traquer l’universel dans la singularité, Raphaël Larrère a été un compagnon précieux de notre aventure éditoriale. Dans toutes les situations où l’on pouvait le rencontrer, il faisait preuve de la même bonhomie teintée d’un humour bienveillant, sans pour autant jamais renoncer à son esprit critique : son intelligence et son humanité nous manqueront.
La rédaction en chef de NSS et le président de l’Association NSS-Dialogues
Larrère R., 2002. Éthique et expérimentation animale, Natures Sciences Sociétés, 10, 1, 24-32, https://doi.org/10.1016/S1240-1307(02)80005-X. Larrère R., Lepart J., Marty P., Vivien F.-D., 2003. École thématique du CNRS : « Biodiversité, quelles interactions entre sciences de la vie et sciences de l’homme et de la société », Natures Sciences Sociétés, 11, 3, 304-314, https://doi.org/10.1016/S1240-1307(03)00089-X. Larrère R., 2005. Quelle(s) éthique(s) pour la nature ?, Natures Sciences Sociétés, 13, 2, 194-197, https://doi.org/10.1051/nss:2005032. Larrère C., Larrère R., Bouleau N., 2016. Les transitions écologiques à Cerisy, Natures Sciences Sociétés, 24, 3, 242-250, https://doi.org/10.1051/nss/2016030.
Citation de l’article : Rédaction en chef de NSS, président de NSS-Dialogues, 2024. Raphaël Larrère, compagnon de route de NSS. Nat. Sci. Soc., 32, 4, 527–528. https://doi.org/10.1051/nss/2025024
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