Issue |
Nat. Sci. Soc.
Volume 32, Number 4, Octobre-Décembre 2024
|
|
---|---|---|
Page(s) | 391 - 392 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2025023 | |
Published online | 28 April 2025 |
Trop de One Health ! Pas assez de One Health !
« Rien ne sera jamais plus comme avant ! », affirmait-on catégoriquement au début de la pandémie de Covid-19. Mais force est de constater que son souvenir s’est estompé, ne se rappelant à nous que de façon épisodique au croisement d’un masque qui n’est plus de règle hormis dans certains services hospitaliers. Nous nous situons ainsi dans une période de respiration médiatique, paradoxalement propice à un retour réflexif sur nos pratiques de recherche, bien que d’autres voyants s’allument à intervalle régulier. Le virus Marburg émerge de régions subsahariennes où on ne le connaissait pas avant 2021, le mpox a été signalé dans plus de 120 pays depuis 2022, le trop fameux moustique tigre vecteur d’arboviroses est désormais implanté dans 78 départements français, etc.
Si la plupart des actions visibles par le public s’appréhende surtout via une augmentation des moyens et de leurs performances, l’innovation qualitative des approches « One Health » (OH) soutient un pan entier de la recherche consistant à repenser un monde dans lequel toutes les dimensions du vivant sont en interaction et donc interdépendantes, ramenant la santé des humains à celle d’un système bien plus global. Ce concept est apparu au début du XXIe siècle mais ne s’est véritablement généralisé auprès des acteurs institutionnels et politiques qu’au regard des ravages causés par la pandémie de Covid-19. En France, tous les comités ou établissements en lien avec l’environnement ou la santé (Anses, PNSE, PRSE, FRB, SPF, Covars…) ont désormais une composante ou des activités liées à OH. Plus largement, OH est devenu un vecteur des politiques publiques de santé internationales depuis que les institutions multilatérales (OMS, FAO, PNUE…) s’en sont emparées en associant arguments sanitaires et politiques comme inclusivité, équité, collaboration, responsabilité partagée… Autres illustrations de cette vogue, une revue internationale, intitulée One Health, a été créée en 2019 et une journée internationale OH a été instituée chaque 3 novembre.
Il va sans dire que l’écologisation des questions sanitaires au moyen d’approches intégratives est nécessaire dans une optique de prévention. Cependant, et à cause de ce succès, les risques d’écueils et de malentendus sont nombreux à propos de ces enjeux éminemment transdisciplinaires, et les possibilités de s’égarer sur des chemins de traverse ou de s’enferrer dans des approches dogmatiques ne sont pas écartées. Tout d’abord, l’anthropocentrisme en matière de santé persiste. Des sommets internationaux (par exemple, le sommet mondial sur la santé, 18 octobre 2022) concluent sur l’approche OH dans le but de limiter les risques sanitaires touchant, in fine, les humains. Dans les esprits, on est donc sans doute plus loin qu’on ne le dit de l’idée d’une solidarité sanitaire qui s’exercerait au-delà de l’anthropos.
Sur un autre plan, on ne peut que constater des mobilisations diverses et divergentes du concept OH par les scientifiques. NSS s’en est fait l’écho en publiant des articles aussi différents qu’une approche traitant OH comme prisme d’exercice d’un biopouvoir1 et qu’une réflexion multi-acteurs sur l’opérationnalité des démarches OH2. Même entre des approches se revendiquant OH se dessinent des oppositions visibles par leur terminologie. Ainsi, un des pieds du triptyque fondateur du concept OH s’intitule tantôt « écosystème », tantôt « environnement », le deuxième faisant référence à l’idée d’une socialisation de part en part du milieu, opposant ainsi des partisans tout autant persuadés de l’intérêt de l’approche holistique ! Pourtant, les réalités désignées par ces deux vocables et les perspectives analytiques qui en découlent sont bien différentes et parfois antagonistes. Mais cette question est généralement éludée ou appréciée à l’aune de prismes disciplinaires.
D’autres jeux sur les mots sont indicateurs de divergences dans le champ OH, cette fois, sur un plan plus politique. Par exemple, certaines entreprises et certains gouvernements qui freinent les initiatives de développement durable définissent à leur façon la notion de « santé des plantes »… en privilégiant les grandes cultures plutôt que des espèces en voie de disparition. Pour contrer cette tendance, le courant OH, au contraire, tire parti de l’attention portée aux enjeux de conservation et de maintien de la biodiversité, de nombreuses études ayant démontré le rôle d’une diminution de la biodiversité dans l’accroissement de la vulnérabilité d’un système face aux risques infectieux. La rencontre entre santé et conservation s’est ainsi imposée, presque comme allant de soi, devenant le socle de ce courant de recherche et d’action. Pourtant, certains chercheurs en SHS de l’environnement et de la santé n’ont pas manqué de souligner, depuis une dizaine d’années, que le slogan « Un seul monde une seule santé » impose une lecture naturaliste d’une diversité de pratiques relatives à l’environnement et à la santé qui n’est pas universellement reconnue. Il s’agit, en somme, de critiques identiques à celles habituellement adressées aux sciences et politiques de la conservation dès lors qu’elles sont exportées hors de l’Occident. Et cela n’est pas pour surprendre, car la jonction entre biodiversité et santé s’effectue non seulement via des collaborations accrues entre spécialistes de ces secteurs, mais parfois aussi au moyen d’une reconversion des professionnels de la conservation eux-mêmes dans le domaine de la santé. Par exemple, la création, dans les années 2000 de l’Association internationale pour l’écologie et la santé, mieux connue sous le nom d’EcoHealth Alliance, résulte du changement de nom d’une ONG conservationniste qui s’appelait auparavant Wildlife Trust. De même, le slogan « One Health One World » a été inventé par l’ONG conservationniste Wildlife Conservation Society en 2004. Ne s’agissait-il pas de tirer parti de l’exploitation des investissements internationaux dédiés à la santé globale qui représentaient, à l’époque, dix fois les montants consacrés à la conservation à l’échelle mondiale3 ? Compte tenu de telles filiations, on comprend mieux que l’établissement de liens conceptuels entre santé environnementale et conservation ne prémunisse pas contre le maintien de la dichotomie habituelle, tout aussi occidentale et peu universelle, entre nature et société. À rebours de l’exclusion entre ces deux concepts, dont l’intégration est pourtant invoquée, les politiques OH peuvent-elles procéder autrement qu’en déconstruisant le projet holistique ?
Une approche globale de la santé dans notre monde complexe est indispensable. À défaut de toujours souscrire aux approches OH, il faut se réjouir de la popularité du concept. Cependant, un problème dérivé des observations précédentes, et non des moindres, est celui d’un risque de « OH-washing ». On peut ainsi observer qu’OH devient un vaste champ qui, d’une vision holistique idéalisée jusqu’à une vision utilitariste centrée sur l’homme, est susceptible de perdre la substance qui en fait la richesse et l’intérêt. Levier pour une recherche interdisciplinaire et systémique, concept opérationnel pour l’analyse et l’action, mais aussi slogan incantatoire, ne faut-il pas cadrer le champ, non seulement d’intervention, mais également de pertinence du concept One Health ? Il est notamment devenu un argument d’opportunité face à la mise en place de financements dédiés et de supports de publication facilitée. Combien d’articles scientifiques intitulés avec l’expression « One Health » ont-ils été publiés sans que l’esprit n’en soit respecté ? Quoique différente de l’anthropocentrisme, cette façon de manier le concept en limite tout autant la portée par des visées qui restent finalement tout aussi sectorielles.
Il est difficile de ne pas adhérer aux principes et recommandations OH. Qui ne souhaite pas un monde dans lequel humains, faune, flore, seraient en bonne santé ? Alors doit-on finalement s’inquiéter de l’appropriation OH par de multiples tendances ou s’en réjouir ? L’approche OH ou son appropriation n’est pas exempte de critiques ni de limites inhérentes notamment à la complexité de sa mise en œuvre. La façon dont elle se transcrit dans l’action est susceptible de proposer une vision réductrice de la diversité des connaissances et des aspirations humaines. Pour l’opérationnalité des projets et des actions se revendiquant du champ OH, il convient non seulement d’éviter que le concept ne devienne une expression valise instrumentalisée pour des raisons d’affichage, mais aussi de rappeler que les spécialités disciplinaires et des actions aussi fondamentales que surveillance, diagnostic, moyens thérapeutiques et anticipation, entre autres, doivent être mises en œuvre sans dévoyer le concept. Dans l’intérêt d’une mise en place de politiques et d’actions OH, la recherche scientifique ne peut faire l’économie d’une analyse critique de toutes les étapes de la vie des projets afin de produire des connaissances réellement intégratives à la fois aux plans sanitaire, disciplinaire, épistémique et politique, en prenant garde à ce que trop de OH ne tue pas OH.
Figuié M., 2021. La gouvernance de la santé animale : entre biosécurité et bien public mondial, Natures Sciences Sociétés 29, 3, 274-287, https://doi.org/10.1051/nss/2021051.
Olive M.-M. et al., 2022. Les approches One Health pour faire face aux émergences : un nécessaire dialogue État-sciences-sociétés, Natures Sciences Sociétés 30, 1, 72-81, https://doi.org/10.1051/nss/2022023.
Redford K.H., Myers S.S., Ricketts T.H., Osofsky S.A., 2014. Human health as a judicious conservation opportunity, Conservation Biology 28, 3, 627-629, https://doi.org/10.1111/cobi.12290.
© V. Leblan et al., Hosted by EDP Sciences
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
Current usage metrics show cumulative count of Article Views (full-text article views including HTML views, PDF and ePub downloads, according to the available data) and Abstracts Views on Vision4Press platform.
Data correspond to usage on the plateform after 2015. The current usage metrics is available 48-96 hours after online publication and is updated daily on week days.
Initial download of the metrics may take a while.