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Journal |
Nat. Sci. Soc.
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Section | Vie de la recherche – Research news | |
DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2025013 | |
Published online | 09 April 2025 |
Le vivant au cœur des évolutions attendues d’un urbanisme confronté à la transition écologique. Lecture croisée des 23e et 24e éditions des Rencontres internationales en urbanisme
Living beings at the heart of the expected evolutions of urban planning practices faced with the ecological transition. Cross analysis of the 23rd and the 24th editions of the international meetings on urban planning
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Urbanisme et aménagement, Université Euromed de Fès, Fès, Maroc
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Sociologie et urbanisme, Insa Strasbourg, UR AMUP, Strasbourg, France
* Auteur correspondant : maha.boutahray@insa-strasbourg.fr Maha Boutahray est également doctorante en urbanisme et aménagement à l’Insa de Strasbourg.
En croisant les résultats des deux éditions des Rencontres internationales en urbanisme (RIU) de l’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (Aperau) de 2022 et 2023, cet article propose un retour réflexif sur les évolutions attendues des pratiques en urbanisme sous le prisme de la transition écologique et sur la place accordée au vivant dans la réflexion. En raison des défis croissants et de plus en plus complexes, les acteurs de la ville s’interrogent sur les pratiques d’un urbanisme confronté à la transition écologique sous divers prismes. L’analyse de deux cas d’étude à Bordeaux et à Lausanne, présentés et visités lors des événements, permettra d’identifier les traductions opérationnelles des concepts mobilisés dans l’aménagement urbain, afin d’en définir les forces et les limites dans une perspective d’évaluation critique.
Abstract
By exploring the results of the two editions of the international meetings on urban planning of the Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (Aperau) in 2022 and 2023, this article presents a reflexive review of expected changes in urban planning practices as seen through the lens of ecological transition, and the place accorded to living beings (especially humans and plants) in this reflection. With the growing and increasingly complex challenges, urban professionals and stakeholders are questioning urban planning practices and the role they play in shaping positive perspectives. The analysis of two case studies in Bordeaux and Lausanne, presented and visited during the meetings, will enable us to identify the operational translations of the main concepts referred to in the field, in order to highlight their strengths and limitations through a critical evaluation.
Mots clés : ville / environnement / pratiques en urbanisme / transition écologique / vivant
Key words: city / environment / urban planning practices / ecological transition / living beings
© M. Boutahray et F. Rudolf, Hosted by EDP Sciences
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
Les Rencontres internationales en urbanisme de l’Aperau : un rendez-vous annuel pour mettre l’urbanisme en débat
C’est bien dans une perspective d’apprentissage mutuel d’échanges autour de diverses expériences de capitalisation des savoirs et de discussions des méthodes interdisciplinaires que les 23e et 24e éditions des Rencontres internationales en urbanisme (RIU) de l’Association pour la promotion de l’enseignement et de la recherche en aménagement et urbanisme (Aperau1) se sont tenues respectivement en 2022 en France (Bordeaux) et en 2023 en Suisse (Lausanne).
Articulées autour des questions des « évolutions attendues des pratiques en urbanisme sous le prisme de la transition écologique » et d’un « urbanisme du vivant », les deux éditions étaient aussi riches que stimulantes et ont appelé à une prise de conscience collective autour de l’agressivité de nos interventions en tant que bâtisseurs et aménageurs face à la fragilité des écosystèmes et des ressources naturelles.
Nous essayons dans cet article de croiser les questionnements sur le positionnement des différents acteurs dans la fabrique de la ville par rapport à une approche remettant le vivant, principalement l’humain et le végétal, au centre des préoccupations.
Le concept de transition écologique connaît depuis plusieurs décennies un regain d’intérêt croissant en raison de son lien étroit avec l’inquiétante crise environnementale actuelle, qui, selon le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), est due ostensiblement à nos modes de vie. La mise en œuvre immédiate d’une transition écologique, mais aussi sociale, économique et politique, devrait être une priorité planétaire, où contribueront toutes les composantes de la société2.
L’espace urbain est la projection de la société sur le terrain3. Sa planification, sa conception et sa gestion devraient se faire de manière fondamentalement repensée face à ce cadre alarmiste. En effet, les villes d’aujourd’hui sont des réponses imparfaites à des questions posées il y a deux siècles, comme le souligne le grand prix de l’urbanisme 20224 lors de la 24e édition des RIU.
Ainsi, se poser les bonnes questions est essentiel pour mieux appréhender les enjeux liés à la fabrique de la ville. Cela implique, entre autres, une contextualisation des problématiques, une évaluation critique, non seulement des pratiques mais également des outils déployés, et enfin une approche pluridisciplinaire indispensable étant donné les interconnexions entre la ville, l’environnement et la société.
Quels leviers d’actions pour un changement de paradigme ?
Le retour sur des projets urbains réalisés ces dernières années dans la ville de Bordeaux a permis de mettre en exergue la problématique de la discordance entre le souci environnemental et la logique constructive des promoteurs immobiliers. En effet, les sols de la ville sont massivement bétonnés par les grandes opérations privées et le patrimoine foncier est outrageusement consommé. Ce bilan s’oppose à l’ambition de construire la ville sur la ville pour limiter autant que faire se peut l’artificialisation des sols, ce qui incite à passer d’un « urbanisme de liberté », qui encouragerait l’étalement urbain continu, à un « urbanisme régulé », apte à maintenir l’équilibre nécessaire pour densifier au lieu de s’étaler.
Cet équilibre est d’autant plus important à instaurer afin de ne pas subir la rigidité des outils d’urbanisme actuels, qui sont, dans de nombreux cas, obsolètes et ne tiennent pas compte des temporalités urbaines et des potentialités détenues par l’existant, à titre d’exemple.
De ce fait, trois leviers d’action ont été évoqués pour prendre à bras-le-corps les défis soulevés et mieux accompagner la transition écologique5.
La renaturation des villes
La problématique de l’artificialisation des sols, due principalement à l’étalement urbain, invite à la réflexion autour du concept de la renaturation des villes comme solution-clé pour remédier à la propagation d’espaces minéraux. Effectivement, les écosystèmes sacrifiés au profit d’une qualité urbaine médiocre où règne le béton causent un déséquilibre nocif pour le bien-être de l’humain. Par ailleurs, la renaturation des villes permet de réhabiliter les milieux artificialisés vers un état proche de leur état naturel d’origine en restaurant leurs fonctions naturelles et leurs potentialités écologiques. Cela, en addition des valeurs que portent certaines manifestations de renaturation des villes, basées principalement sur l’implication citoyenne et la cohésion sociale.
La régulation de l’urbanisme et la flexibilité des normes
La rigidité de la réglementation urbaine a engendré des modèles de production urbaine de plus en plus similaires et standardisés malgré les spécificités des territoires. Afin de conserver l’authenticité et la singularité de ces derniers et de garantir la qualité des espaces conçus, il est nécessaire que « le site fasse le projet et que le projet fasse la règle ». L’implication des habitants dans le processus de conception et de réalisation des lieux qui leur seront dédiés est d’autant plus cruciale compte tenu de son rôle dans l’inclusion et la cohésion sociale. Cela constituerait même un élément fédérateur de l’engagement citoyen dans la transition vers des modes de vie plus écoresponsables. À ce niveau, l’urbaniste, attentif au risque que représente la technicité extrême des lois et normes régissant la construction et l’aménagement, devrait simplifier l’accès et la compréhension des habitants à la réglementation.
La résilience
La résilience urbaine est définie comme la capacité de la ville à absorber un bouleversement dans un premier temps, avant de reprendre ses fonctions6. Dans ce sens, elle s’impose comme sujet primordial dans le prolongement des perturbations environnementales actuelles (inondations, sécheresses, stress hydriques…). La résilience urbaine s’insère parfaitement dans la continuité des deux premiers points abordés (la renaturation des villes, ainsi que la régulation de l’urbanisme et la flexibilité des normes), compte tenu de son lien avec la capacité des milieux urbains à s’adapter, puis à se régénérer et se transformer pour remédier aux dysfonctionnements. Nos interventions sur l’espace urbain devraient entrer en résonance avec la dimension temporelle décelée dans cette définition. Cela nous renvoie à l’importance de la prise en compte des temporalités urbaines et de l’adaptation des outils d’urbanisme dans les démarches alternatives, comme repenser les transitions écologiques par le bas, en ce que cela apporte en matière de compréhension de l’espace grâce à l’expertise d’usage des citoyens.
La notion de la résilience mobilisée pendant les RIU évoque le fait que les connexions entre les systèmes sont indéniablement fortes et devraient être maintenues et renforcées davantage pour diminuer les vulnérabilités. Dans cette perspective, rassembler les acteurs de la ville, y compris les citoyens, autour du paysage, apparaît comme une piste prometteuse. En effet, l’approche par le paysage suggère d’appréhender la forme urbaine dans sa globalité, en pensant aux différentes composantes de la ville qu’elles soient bâties et non bâties, vivantes et artificielles, incluant ainsi les diverses dimensions – sociale, environnementale, économique… – de la fabrique de la ville. Cela étant exposé, la question de la réception territoriale est fondamentale pour cerner les enjeux qu’implique la transition écologique. L’écologie fait resurgir une matérialité qui interpelle la responsabilité individuelle et collective, confortant le rôle actif des citoyens.
Par ailleurs, les villes revêtent une forte importance institutionnelle, notamment dans les agendas environnementaux, et leur impact n’est pas des moindres sur l’équilibre écologique planétaire depuis l’avènement de l’Anthropocène. Ainsi, faire le pari de l’importance d’aborder la transition écologique à l’échelle des villes évoque l’agentivité dont ces dernières sont dotées, dans le sens où elles ont une faculté d’action et une capacité à transformer les tendances et non seulement à en subir les conséquences. Cette lecture de la situation qui questionne aussi bien la part de responsabilité de chaque acteur que son pouvoir d’anticiper les scénarios alarmistes projetés sur la base des tendances actuelles, interpelle sur une problématique peu évoquée, bien que fondamentale en l’occurrence, la terminologie adoptée et employée entre disciplines. En effet, l’écologie a recours à une grammaire multiple, qui n’est réservée à aucune classe sociale en particulier et qui allie technicité et sensibilité, afin que les mots utilisés ne trahissent pas l’aspect multidimensionnel de la réflexion7. Étant donné que le champ de la transition écologique fait appel à de nombreux domaines, adopter une terminologie reflétant la pluridisciplinarité de la question sans compromettre sa réception et sa compréhension, aussi bien par la communauté scientifique que par le grand public, est une pratique à considérer pour inciter à un changement collectif de paradigme.
Ce que le terrain dévoile des pratiques en urbanisme
L’existant comme ressource
Mieux interroger la mise en œuvre des savoirs et des compétences dans le cadre d’une transition écologique qui remettrait le vivant au centre de la réflexion suggère de confronter les ambitions théoriques et la réalité du terrain.
Cet exercice s’appuiera sur deux projets qui se démarquent par la singularité de leurs partis d’aménagement et de leurs processus de réalisation, et à partir desquels nous allons formuler des réponses à certaines questions évoquées plus haut.
Le premier projet est le GHI, situé au cœur du Grand Parc à Bordeaux, porté par les architectes Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (lauréats du prix Pritzker en 2021), associés à Fréderic Druot et Christophe Hutin. Le projet de rénovation représente l’une des réponses les plus novatrices aux défis auxquels est confrontée la ville d’aujourd’hui. Engagé en faveur d’une modernité régénérée, le groupe d’architectes a su donner aux logements sociaux une nouvelle identité.
En effet, le parti architectural consistait à atteindre les qualités des résidences de haut standing dans des logements sociaux existants voués initialement à la démolition. Le contexte exceptionnel dans lequel sont implantés ces immeubles de 10 et 15 niveaux permet aux 530 appartements qu’ils regroupent de bénéficier d’une vue panoramique sur Bordeaux, un luxe généralement peu attribué à cette catégorie d’habitat. Des jardins divers et des balcons ont été ajoutés en extension aux habitations rénovées pour profiter de plus de lumière naturelle. Afin de composer avec l’existant de manière durable et économique, les escaliers, les planchers et la structure des bâtiments n’ont pas subi de travaux lourds, conservant ainsi au maximum leur forme initiale. Cela a permis de focaliser les efforts et les dépenses sur les extensions (jardins divers et balcons) qui sont la clé de la réussite du projet. Ces espaces d’« usage et d’évolution du logement » revalorisent considérablement la qualité de l’habitat. Plus d’espace, plus de lumière et plus de vue, mais également plus de convivialité grâce à la valorisation des jardins en pied d’immeubles, des halls d’entrée et des espaces de circulation verticale. Cette typologie renouvelée du logement social, combinant confort, performance énergétique et économie, s’est basée sur une formalisation des besoins directement collectés auprès des habitants au début du projet.
L’un des faits démonstrateurs de la nécessité d’un changement de paradigme vis-à-vis de notre pratique de la fabrique de la ville telle que conçue actuellement est la valeur ajoutée qui émerge de tels projets novateurs. Par ailleurs, prendre du recul, analyser et apprendre de ces interventions qui revêtent une dimension expérimentale valorisante est nécessaire pour capitaliser les enseignements qui en résultent.
Au-delà de la participation, la complicité
À Lausanne, le projet Les Fiches Nord a vu le jour en réponse au concours d’urbanisme lancé en 2008 par la ville pour loger de 1 500 à 2 000 habitants sur des terrains encore peu construits. L’écoquartier, qui regroupera à terme 600 logements mixtes, est bien desservi par les transports en commun et bénéficie d’une situation stratégique. En plus de sa mixité programmatique combinant logements et activités, et grâce à la place importante qu’il accorde au piéton, le projet est coconstruit avec une volonté de favoriser le vivre-ensemble. Cette collaboration, qui a réuni la ville de Lausanne, les propriétaires ainsi que Bernard Matthey, l’architecte urbaniste en charge du projet, avait pour objectif de bâtir un cadre propice à la convivialité et la citoyenneté, favorisant les interactions sociales et renforçant le lien avec la nature. En effet, le plan du quartier qui n’existait pas encore, fut repensé et tracé par les différents acteurs qui ont proposé des surfaces considérables de détente, de jeux et d’activités pour les habitants, ainsi que l’aménagement des espaces extérieurs ; ce dernier s’appuie sur une charte privée pour préserver l’identité du quartier, charte qui a été développée collectivement et qui est transmise aux nouveaux habitants.
Le caractère spontané de la végétation dans le projet, hormis les potagers, rappelle la mémoire du site et préserve une continuité avec l’aire forestière adjacente. La volumétrie générale du bâti est disposée de manière à permettre une porosité maximale. Les passages entre bâtiments, qui ne définissent pas les parcelles et les limites des propriétés, permettent de pratiquer les espaces extérieurs de manière fluide et de faire le tour du quartier sans obstacle, en s’insérant ainsi dans le parti pris d’aménagement initial qui visait à faciliter l’accessibilité et à renforcer les synergies entre voisins.
À l’image du premier projet à Bordeaux, les bâtiments des Fiches Nord sont soucieux de l’efficacité énergétique. En effet, les immeubles répondent aux normes de qualité Minergie. Chaque logement est équipé d’une tablette eSMART placée dans le hall d’entrée afin de gérer facilement la consommation d’énergie.
La place centrale qu’occupe le vivant dans ce projet en fait un cas d’étude qui interpelle les acteurs de la ville à plus d’un titre. Au-delà de l’implication des habitants, une complicité a été instaurée avec les intervenants professionnels, renforçant ainsi le sentiment de responsabilité et d’appartenance. La dimension environnementale a été également assurée par le souci de diminuer l’impact du projet et de s’inscrire dans une logique de transition écologique.
Pour conclure, les problèmes environnementaux alarmants qui affectent d’une manière exponentielle la planète obligent à s’interroger sur nos modes de vie et à envisager une modification radicale de notre manière de concevoir et de gérer la ville. Les crises récentes (sanitaire, politique…), les chiffres affolants et croissants du taux de gaz à effet de serre, la baisse continue du niveau des ressources naturelles alimentant la crise de la biodiversité dans les écosystèmes, invitent à mobiliser nos efforts en tant qu’urbanistes, dirigeants et citoyens afin de réussir une transition écologique globale centrée sur le vivant. Ce processus suggère d’observer, d’analyser et de capitaliser les expériences réussies dans le but de stimuler l’action et de réfléchir à la possibilité d’un changement de posture. Il invite à considérer une révision conceptuelle apte à identifier les principaux leviers de changement sur lesquels on peut agir. Dans cette même perspective, l’orientation des individus et des institutions vers un tel engagement atteste de l’émergence d’une conscience collective sur la nécessité d’un changement de paradigme en faveur du bien-être de l’humain et de son environnement.
Les 23e et 24e éditions des RIU de l’Aperau ont porté sur deux thématiques complémentaires qui interpellent la communauté des urbanistes. Pour plus d’informations sur ces rencontres : https://aperau2022.sciencesconf.org/ et https://wp.unil.ch/riu2023/. Le but de la lecture croisée des résultats des deux colloques vise à mettre en lumière les défis auxquels font face les pratiques en urbanisme et la place centrale souhaitée/accordée au vivant (humain et végétal) dans la réflexion.
Lhomme S., Serre D., Diab Y., Laganier R., 2010. Les réseaux techniques face aux inondations ou comment définir des indicateurs de performance de ces réseaux pour évaluer la résilience urbaine, Bulletin de l’association des géographes français, 87, 4, 487-502, https://doi.org/10.3406/bagf.2010.8193.
Citation de l’article : Boutahray M., Rudolf F., 2024. Le vivant au cœur des évolutions attendues d’un urbanisme confronté à la transition écologique. Lecture croisée des 23e et 24e éditions des Rencontres internationales en urbanisme. Nat. Sci. Soc., https://doi.org/10.1051/nss/2025013
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