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Journal
Nat. Sci. Soc.
DOI https://doi.org/10.1051/nss/2024033
Published online 11 September 2024

© C. Blanquart et al., Hosted by EDP Sciences, 2024

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.

La construction est un secteur d’activité qui a des impacts environnementaux extrêmement importants que ce soit en termes d’extraction de matériaux, de consommation d’eau, d’émissions de gaz à effet de serre ou de production de déchets. Cela a conduit les acteurs de l’aménagement à explorer des alternatives au « tout béton ». La terre crue en est une. C’est à ce matériau que s’intéressent les auteurs de l’article. Ils ont ainsi mené une étude comparative originale sur le métabolisme du chantier de construction de la ZAC Sevran Terre d’avenir, qui prend place dans les travaux d’aménagement du Grand Paris, et auquel les autorités ont voulu conférer une haute valeur environnementale. Les auteurs testent ainsi différents scénarios selon la quantité de terre crue susceptible d’être intégrée dans le projet. Même si le béton demeure la matière dominante, quel que soit le scénario envisagé, les résultats offrent des perspectives intéressantes pour le recours croissant à la terre crue.

La Rédaction

Le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) est l’un des plus gros contributeurs aux impacts de l’activité humaine sur l’environnement. Il contribue notamment au réchauffement climatique, avec près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales (IEA et UNEP, 2019), à l’épuisement des ressources, les minéraux non métalliques étant les matériaux les plus consommés dans le monde (Bringezu et al., 2017) et à l’érosion de la biodiversité via l’artificialisation et l’extraction de ressources.

Les études de métabolisme urbain, défini comme le « processus par lequel un territoire consomme et rejette la matière et l’énergie » (Bognon et al., 2018 ; Barles, 2010 ; 2008), ont montré que les matériaux de construction constituent les matières les plus consommées par les villes après l’eau (Augiseau, 2019). Outre les volumes de flux, les impacts de la construction viennent également de la nature des matériaux mobilisés dans les processus constructifs et en particulier de l’utilisation massive du béton (Bendixen et al., 2019). Les impacts environnementaux du béton sont, en effet, liés aux importantes émissions de CO2 induites par l’exploitation des granulats, la préparation des mélanges et leur transport sur le site, la fabrication du ciment. Pour faire face à ces enjeux, les aménageurs se tournent vers d’autres matériaux. Disponible localement et faisant valoir de faibles impacts environnementaux en phase de production, mais aussi une recyclabilité à 100 %, la terre crue semble être une piste intéressante (Morel et al., 2001 ; Cycle Terre, 2021).

Utilisée depuis des millénaires dans le monde, la construction en terre crue a été progressivement abandonnée au cours du XXe siècle (Hamard et al., 2016). Malgré un regain d’intérêt pour ce matériau depuis les années 1970, son utilisation en dehors de la rénovation du patrimoine en terre crue existant reste marginale (Morel et Charef, 2019). Outre les études historiques, la littérature académique propose principalement des approches portant sur les propriétés techniques de la terre crue. Par ailleurs, les études de métabolisme urbain portant sur les flux de BTP s’effectuent surtout à l’échelle d’un pays ou d’une région.

Nous souhaitons dans cet article évaluer l’intérêt de l’intégration de la terre crue dans un projet d’aménagement en partant d’un cas réel (la ZAC Sevran Terre d’avenir) et les produits de la Fabrique Cycle Terre1. Le travail proposera donc à la fois un apport méthodologique pour évaluer ces variations en estimant les quantités d’éléments en terre crue nécessaires et des résultats empiriques issus de notre terrain d’étude.

La première partie reviendra sur les vertus affichées de la terre crue, mais aussi sur les carences quant à l’analyse des impacts de son utilisation sur le métabolisme global des projets.

La deuxième partie détaillera la méthode utilisée pour évaluer ce métabolisme à l’échelle du projet d’aménagement « Terre d’avenir » à Sevran, en intégrant la terre crue sous différentes formes : les briques en terre comprimée (BTC), le mortier de pose (MP) et les panneaux d’argile extrudée (PAE). La troisième partie présentera les résultats sur les volumes de flux nécessaires en comparaison d’un scénario constructif classique en béton. La conclusion, enfin, dessinera les perspectives pour le développement de la construction en terre crue.

La terre crue, solution pour construire une ville durable ?

La terre crue : une alternative plus écologique ?

Une grande part des impacts de la construction est due aux matériaux utilisés, et en particulier à l’utilisation massive du béton qui présente des impacts environnementaux importants. D’une part, sa production nécessite de l’eau à hauteur d’un dixième de la consommation mondiale d’eau à destination industrielle (Miller et al., 2018). Sont aussi utilisés du sable et des gravillons, tous deux avec des risques d’épuisement dans certaines zones, dont l’extraction requiert de fortes dépenses énergétiques et impacte la biodiversité (Bendixen et al., 2019). En France, 325,7 millions de tonnes de granulats naturels (non recyclés) ont été produites en 2019. Le ciment, autre composant majeur du béton, est, quant à lui, responsable de 7 % des émissions industrielles de gaz à effet de serre au niveau mondial (Cao et al., 2020), en grande partie à cause de sa cuisson à très haute température. Enfin, la valorisation du béton issu de déconstruction concerne principalement une utilisation en infrastructure routière (Infociments, 2018). Sa réutilisation dans le bâtiment, à plus haute valeur ajoutée, reste très marginale.

La consommation de gypse (pour la fabrication de plaques de plâtre) représente des volumes beaucoup plus faibles avec une extraction de 3,4 millions de tonnes par an. Théoriquement recyclable à 100 %, le gypse ne l’est que partiellement dans les faits malgré les engagements de l’industrie : en France, sur les 350 000 tonnes de déchets de gypse produites par an, 107 000 tonnes ont été recyclées en 2019. L’objectif des 250 000 tonnes visées en 2020 par un engagement entre les industriels et l’État n’est donc pas atteint2.

D’un point de vue environnemental, la terre crue semble une alternative intéressante par rapport à ces matériaux. Nous pouvons noter les avantages suivants, d’amont en aval :

  • Dans une approche d’approvisionnement durable, la terre crue est intéressante par sa disponibilité locale, potentiellement issue de terres excavées dans des opérations existantes plutôt que de carrières dédiées, permettant également d’éviter la production de déchets ;

  • Le processus de fabrication des éléments en terre crue demande peu d’énergie car ils ne nécessitent pas de cuisson et peuvent être séchés par aération naturelle. Durant la vie utile du bâtiment, ils demandent peu d’entretien et permettent une isolation satisfaisante ;

  • Enfin, les matériaux en terre crue non stabilisés (sans ajout de ciment) présentent un potentiel de recyclage à 100 % en fin de vie par simple ajout d’eau, pouvant être réutilisés comme matériaux de construction ou rendus à la terre (Cycle Terre, 2021 ; Morel et al., 2001).

La terre crue : de nombreux freins pour son utilisation

Cependant, bien que mobilisée via différentes techniques (pisé, bauge, BTC) dans des opérations privées et publiques en France, déjà bien documentées (Joffroy et al., 2013), l’utilisation de la terre crue, en dehors de la rénovation du patrimoine en terre crue existant, reste marginale (Morel et Charef, 2019). Son utilisation est, en effet, limitée par plusieurs facteurs. Le développement de la construction en terre crue nécessite une approche globale du sujet tenant compte des dimensions :

  • juridique : le Code de l’environnement (article L. 541-7-1) précise que : « Tout producteur ou, à défaut, tout détenteur de déchets est tenu de caractériser ses déchets et en particulier de déterminer s’il s’agit de déchets dangereux ». En conséquence, si les terres sont issues d’un site pollué, un test est nécessaire pour déterminer son classement et les orienter vers un site adapté. Ces sites obéissent eux-mêmes à une réglementation stricte. L’article L. 541-7-1 est complété par l’article L. 541-7-2, où il est précisé : « Sans préjudice du I du présent article, les personnes qui produisent, importent, exportent, traitent, collectent, transportent ou se livrent à des opérations de courtage ou de négoce des terres excavées et des sédiments tiennent à disposition de l’autorité administrative toutes informations concernant : 1) La quantité, la nature, l’origine de ces terres excavées et sédiments et leur destination ; 2) Et, s’il y a lieu, le moyen de transport et le mode de traitement ou d’élimination envisagé». Ces informations doivent être obligatoirement transmises depuis le 1er janvier 2021 ;

  • organisationnelle : dans un projet commun où la production de matière d’un acteur peut devenir la consommation d’un autre, une concordance entre les deux est indispensable. Or, chaque acteur a sa propre rationalité et ses contraintes internes et externes ; les besoins en fréquences et volumes (d’évacuation, d’un côté, d’approvisionnement, de l’autre) peuvent être très différents et ralentir la mise en œuvre du projet (Bastin et Verdeil, 2020). La présence d’un concepteur en chef peut s’avérer fort utile (Rekola et al., 2012) ;

  • politique avec la fiscalité et les normes : d’une part, les incitations fiscales pour l’utilisation de la terre crue n’existent pas encore. D’autre part, certaines normes limitent son extension, par exemple sur des territoires où il gèle, ce qui limite considérablement son développement (Morel et Charef, 2019) ;

  • économique : l’utilisation de la terre est aujourd’hui coûteuse et il n’est pas envisageable d’industrialiser le processus en utilisant uniquement des terres à proximité du site du projet (Darko et Chan, 2017). L’émergence d’une filière s’avère donc indispensable, tout comme le développement des compétences permettant sa diffusion en architecture et dans le secteur de la construction.

Ainsi, le « village terre » dans l’Isère (Ville et Aménagement Durable, 2019) semble être la plus grande opération d’envergure en France métropolitaine avec la construction en 1982 de 65 logements sociaux mobilisant différentes techniques autour de la terre crue. Hors métropole, une seule initiative de grande envergure est également à noter3.

L’impact de la terre crue : des zones d’ombre dans son évaluation

Si la terre crue est l’objet d’un nombre croissant d’échanges scientifiques depuis les années 1980 (Guillaud, 1998) et de publications depuis 2003 (Morel et Charef, 2019), cette littérature académique se focalise principalement :

  • sur les freins et les propriétés techniques de différents éléments (Morel et al., 2021), comme nous l’avons signalé plus haut ;

  • sur ce matériau mais indirectement. Dans une revue de littérature de 31 articles portant sur les flux et les stocks de matériaux de construction, la terre crue ne figure pas directement parmi les matériaux concernés, mais seulement avec l’argile sous forme de terre cuite (Augiseau et Barles, 2017) ;

  • sur la partie amont du chantier (Barles, 2014 ; Augiseau, 2017). Pourtant, les déchets produits par les chantiers génèrent aussi des volumes de flux sortants évalués à 68 % des déchets à l’échelle nationale en 2017. Les terres excavées constituent une part importante de ces déchets. En 2014, par exemple, 50 % des déchets du BTP en Île-de-France, soit 15 millions de tonnes, étaient des terres excavées. Ces flux peuvent donc représenter des volumes importants à l’échelle d’un quartier en renouvellement urbain (Fernandez et al., 2019). Cet enjeu est plus que jamais d’actualité : avec les travaux du Grand Paris Express, les déblais de terres inertes en Île-de-France devraient avoisiner 30 millions de tonnes par an (Cycle Terre, 2021). Et ces flux sont aujourd’hui sous-valorisés. Pour la majeure partie, ils sont enfouis dans des installations de stockage des déchets inertes (Vialleix et al., 2020). Ils peuvent également être utilisés en remblai ou, au mieux, en aménagement paysager. Cependant, un véritable recyclage en tant que matériau de construction reste aujourd’hui anecdotique et le potentiel de celui-ci n’est pas étudié sous l’angle du métabolisme urbain ;

  • sur des constructions très spécifiques à des échelles très limitées, comme l’échelle de maisons individuelles en bauge (Morel et al., 2001) ou en briques de terre compressées (Asman et al., 2020. Certains auteurs justifient cette limitation en estimant qu’elle ne permet pas de faire appel à un approvisionnement directement sur le site et en en réduisant l’intérêt écologique (Morel et Charef, 2019). Néanmoins, la possibilité d’approvisionnements de proximité, notamment en Île-de-France, encourage à poursuivre l’analyse. Certes, à l’échelle de métropoles comme le Grand Paris, la possibilité d’un approvisionnement de matériau sur site implique des besoins en matières dépassant largement les matériaux disponibles sur site (Fernandez et al., 2018). Toutefois, au niveau régional, les volumes de terres excavées laissent présager de potentiels approvisionnements ;

  • sur des échelles très vastes : les études de métabolisme urbain identifiées par la revue de littérature d’Augiseau et Barles (2017) se concentrent sur des échelles allant de la ville aux pays ou des échelles de grande taille spécifique (Hamard et al., 2018).

À notre connaissance, peu de recherches scientifiques s’intéressent à l’impact de l’utilisation de la terre crue sur le métabolisme global d’un projet d’aménagement, c’est-à-dire aux avantages environnementaux que ce matériau peut représenter comparativement à un scénario constructif classique en béton. Encore faut-il trouver un projet d’aménagement adapté et évaluer le potentiel d’utilisation de la terre crue. C’est l’objet de la partie suivante.

Méthodologie : choix du terrain et évaluation des quantités de matières

Notre étude de terrain : la ZAC Sevran Terre d’avenir

Il est intéressant d’étudier le potentiel impact d’intégration de la terre crue sur les flux de matières à l’échelle d’un chantier de renouvellement urbain de grande envergure. Parmi les projets potentiels, notre choix s’est porté sur celui de la ZAC Sevran Terre d’avenir.

Située au sein de la ville de Sevran (Seine-Saint-Denis), la zone d’aménagement concertée (ZAC) « Sevran, Terre d’avenir-Centre-Ville Montceleux » conjugue renouvellement urbain et aménagement sur près de 120 ha, en lien avec l’arrivée du Grand Paris Express dont la ligne 16 desservira les deux gares RER de Sevran-Livry et Sevran-Beaudottes. Ce projet vise l’émergence d’un nouveau quartier mixte comprenant 5 types de bâtiment4 ;

  • les logements collectifs : la ZAC devrait compter environ 2 161 logements répartis dans des édifices de 2 à 7 étages. Dotés des surfaces à construire les plus importantes de la ZAC (144 800 m2), les logements représentent un fort potentiel d’apport de matériaux en terre crue via les murs intérieurs, les cloisons séparatives et distributives ;

  • les bureaux seront répartis dans trois unités en rez-de-chaussée (RDC), une unité au 2e étage et une unité majeure au 9e étage de 6 091 m2 ;

  • les commerces seront en RDC pour une surface de 2 060 m2 ;

  • les équipements et les activités seront en RDC. Ayant peu d’information sur leur nature, nous les avons rassemblés en une seule catégorie (équipements) ;

  • une école d’une surface de 6 132 m2 est prévue sur 2 étages.

La ville de Sevran et Grand Paris Aménagement ont souhaité conférer au projet une haute valeur écologique et environnementale. Par ailleurs, avec 11 partenaires et l’Union européenne, ils ont porté le projet Cycle Terre destiné à mettre en place une filière de matériaux en terre crue. Le projet Terre d’avenir, qui se dessinait en même temps que Cycle Terre, a donc fourni un très bon cas d’étude pour évaluer l’impact réel du choix de la terre pour la construction sur le métabolisme de projet. Il faut cependant souligner que les terres excavées utilisées pour la fabrication ne sont pas issues du site même, mais d’un terrain d’aménagement proche – la ZAC Aérolians située à Tremblay en France (93).

Originalité de notre méthodologie

Pour évaluer le métabolisme à l’échelle du projet, nous utilisons la méthodologie proposée par Aurez et Georgeault (2016) et Augiseau (2017) et formalisée par Fernandez et al. (2018) en tant que « méthode ascendante d’analyse des stocks dans une dimension prospective sur une échelle infra urbaine ». Cette méthodologie compare les stocks de matières intégrées dans les constructions avant et après le projet5. Ces quantités de matières sont issues de ratios établis dans le cadre du projet ANR ASURET qui caractérise les matières du bâti et des infrastructures sur la base des surfaces à construire et des typologies de bâtiments.

Pour autant, cette méthodologie n’intègre pas la terre crue dans son recensement car le bâti mobilisant la terre crue existe peu. L’originalité de notre méthodologie est donc de proposer une analyse du métabolisme à l’échelle du projet, en comparant les stocks de matières nécessaires selon différents scénarios constructifs, intégrant des scénarios de construction en terre crue.

Les quantités de matières nécessaires : premier scénario constructif en béton

Comme la plupart des projets immobiliers reposent sur le béton, nous souhaitons évaluer les quantités de matières nécessaires pour la réalisation du projet Terre d’avenir avec ce scénario dit « classique ». Le scénario « tout béton » constituera donc notre scénario initial. Les surfaces à construire par type de bâtiments, réparties en 3 périodes selon le planning d’exécution de travaux prévisionnel, sont synthétisées dans le tableau 1 ci-dessus.

Suivant Fernandez et al. (2018), nous utilisons alors les ratios fournis par l’étude ANR ASURET développés en Annexe 1 (Michel et al., 2012) pour évaluer les stocks de matières nécessaires aux bâtiments prévus dans la ZAC. Nous en déduisons alors les matériaux à approvisionner dans le tableau 2 ci-dessus.

Le béton représente plus de 90 % du total des matériaux, ce qui est conforme aux études récentes de flux du BTP (Augiseau 2017 ; Fernandez et al. [2018]). En effet, il est utilisé pour la structure (murs porteurs et dalles) de la majorité des bâtiments, et notamment pour les bureaux et logements. Ces derniers sont le type de bâtiments le plus présent dans l’opération et influencent donc largement le type de matériaux observé. Dans cette étude, nous nous intéressons particulièrement au béton et au plâtre, dont les impacts environnementaux ont été décrits plus haut et qui peuvent être potentiellement remplacés par des éléments en terre crue.

Tab. 1

Bilan de surface du projet « terre d’avenir ».

Tab. 2

Quantité de matériaux pour un scénario « classique ».

Les quantités de matières nécessaires : l’intégration de la terre crue

Nous proposons de comparer ces résultats en termes de métabolisme en intégrant la terre crue comme une alternative au béton. Toutefois, cela nécessite au préalable de quantifier la quantité de terre crue mobilisable dans les différents bâtiments. Or, l’introduction de la terre crue peut se faire avec des éléments, des types d’application et des taux d’utilisation variés.

Concernant les éléments, nous estimons ici le potentiel d’intégration constructif suivant (précisions techniques en Annexe 2) :

  • les briques en terre compressée (BTC) : composées de terre crue et de sable6, elles seront produites dès 2022 dans la Fabrique Cycle Terre, l’usine de production de matériaux en terre installée à Sevran ;

  • le mortier de pose (MP) : composé de terre crue et de sable, il sert à la pose des BTC et sera également produit à partir de 2022 ;

  • les panneaux en argile extrudée (PAE) : composés de terre crue et de fibre végétale, leur production pourrait être lancée en 2023.

Tout comme le béton et les plaques de plâtre, la fabrication de ces éléments nécessite également un apport en eau qui s’évapore en grande partie durant le séchage. Cette perte n’est pas prise en compte dans notre étude. Concernant les modalités d’intégration de ces éléments dans les bâtiments, trois types d’application sont définis, qui ont été certifiés en 2021 par des Appréciations Techniques d’Expérimentation (ATEx) :

  • 1re application : BTC en remplissage d’ossature extérieure. Les capacités d’utilisation de BTC en mur porteur étant réduites, on considère ici une utilisation extérieure en comblement d’une ossature en béton, qui permet d’assurer une stabilité dans le temps et préserve les briques des remontées d’humidité. Les murs ainsi formés sont constitués à 80 % d’éléments constructifs en terre crue (BTC standard7 et mortier) et à 20 % de béton. Notons que cette utilisation impliquerait la pose d’un enduit protecteur à l’extérieur, également utilisé pour le béton ;

  • 2e application : BTC en cloison séparative. On considère ici une paroi intérieure « semi-porteuse » utilisée, par exemple, entre des bureaux ou des logements et les parties communes. Le mur est constitué à 100 % d’éléments constructifs en terre crue, BTC standard8 et mortier ;

  • 3e application : panneaux en terre extrudée (PAE) en cloison distributive. Les panneaux en argile extrudée9 peuvent être utilisés en cloisonnement intérieur. Le mur est composé à 100 % d’éléments constructifs en terre crue, intégralement en PAE. Les applications possibles de la terre crue sont synthétisées dans le tableau 3 ci-dessous.

Ces applications peuvent être déployées à différentes échelles sur l’ensemble de la ZAC. Pour les estimer, nous considérons dans le tableau 4 ci-dessous trois scénarios dont la plausibilité a été vérifiée au sein du consortium de Cycle Terre, notamment CRATerre, le Centre international de la construction en terre10. Les hypothèses communes aux 3 scénarios sont les suivantes :

  • la hauteur des étages est de 2,9 m avec une hauteur sous plafond de 2,7 m ;

  • 2 161 logements dans la ZAC (nombre donné par la programmation) ;

  • 20 bureaux par étage de bureaux ;

  • 20 salles ou locaux par étage dans l’école.

Ces scénarios qualifient 3 niveaux d’ambition :

  1. Le scénario minimum utilise partiellement de la terre crue pour les cloisons séparatives et distributives ;

  2. Le scénario moyen ajoute l’utilisation de terre crue pour l’ossature extérieure de certains bâtiments et augmente l’utilisation de la terre crue pour le cloisonnement ;

  3. Le scénario optimal généralise l’utilisation de terre crue en ossature extérieure et pour la plupart des parois intérieures.

Sur la base des hypothèses précédentes, l’apport en éléments constructifs en terre crue est estimé pour les différents scénarios dans le tableau 5 ci-dessous.

La quantification de la terre crue mobilisable dans les différents bâtiments du projet va alors nous permettre de calculer le métabolisme du chantier et de le comparer au métabolisme du scénario classique en béton.

Tab. 3

Synthèse des applications d’éléments en terre crue.

Tab. 4

Détail des scénarios constructifs mobilisant des éléments en terre crue.

Tab. 5

Estimation des quantités d’éléments en terre crue par type de bâtiment et par scénario (en tonnes).

Résultats : substitution de la terre au béton et impact sur le métabolisme

La terre crue : une alternative de construction décevante ?

Nous évaluons ici les quantités de matières nécessaires au projet selon les différents scénarios constructifs : classique en béton ou selon les différentes modalités d’intégration des éléments en terre crue. Le bilan d’éléments constructifs pour chaque scénario est obtenu à partir du scénario de référence, auquel on ajoute la quantité d’éléments en terre crue (BTC, MEC et PAE) intégrés et on retranche les quantités de béton et de plâtre substituées par ces derniers. Les quantités de matières des différents scénarios sont indiquées dans le tableau 6 ci-dessus.

On observe que l’utilisation de la terre crue ne fait que faiblement varier la quantité totale de matériaux constructifs utilisés par rapport à un scénario classique où le béton représente 94 % de l’ensemble. Légèrement plus faible pour les scénarios optimaux (de 94 % à 79 %) et moyen (de 94 % à 86 %), le béton reste largement dominant dans tous les scénarios, comme indiqué en gras dans le tableau 6. En effet, la terre crue peut remplacer le béton ou le plâtre en cloison séparative ou en comblement d’ossature, mais elle ne peut pas être utilisée aujourd’hui dans les éléments structurels, comme les murs porteurs, les planchers, les poutres, etc.

Si la terre crue ne change donc pas radicalement la consommation totale de matières des chantiers, elle permet cependant d’économiser des quantités non négligeables de béton et de plâtre dans les scénarios les plus ambitieux.

Tab. 6

Quantité d’éléments constructifs selon les scénarios (en tonnes).

Des économies de béton et de plâtre potentiellement non négligeables

Les gains sur les quantités de béton et de plâtre consommés sont présentés dans les figures 1 et 2 ci-dessus et dans la figure 3 ci-dessous.

En remplissage d’ossature et cloisonnement séparatif, les apports en BTC peuvent ainsi remplacer de 4 214 tonnes à 45 911 tonnes de béton, soit 2 à 19 % du béton total dans un scénario de construction classique. En cloisonnement distributif, les apports en BTC et en PAE peuvent remplacer de 1 316 tonnes à 2 684 tonnes de plâtre, soit 29 à 59 % du plâtre total dans un scénario de construction classique.

Cette alternative n’est donc pas négligeable. Toutefois, la fabrication des éléments en terre crue, tout comme celle du béton, nécessite des approvisionnements en matières qu’il convient également de prendre en compte pour disposer d’une vision plus précise des flux liés aux chantiers ainsi que des prélèvements nécessaires sur les ressources naturelles.

thumbnail Fig. 1

Béton et plâtre remplacés, scénario optimal d’intégration de terre crue.

thumbnail Fig. 2

Béton et plâtre remplacés, scénario moyen d’intégration de terre crue.

thumbnail Fig. 3

Béton et plâtre remplacés, scénario minimum d’intégration de terre crue.

Perspectives de recherche : les prélèvements sur les ressources selon les différents scénarios constructifs

Afin de préciser les besoins en approvisionnement, mais aussi l’ampleur des prélèvements sur les ressources, nous détaillons, dans les tableaux 7 et 8, les matériaux contenus dans les éléments constructifs en terre crue ainsi que dans le plâtre et le béton selon la composition suivante11 ;

  • les BTC et le MP : 65 % de terre et 35 % de sable ;

  • les PAE : 90 % de terre et 10 % de fibre végétale ;

  • le béton : on considère ici 12 % de ciment et 81 % de granulats (gravillons + sable) ;

  • les plaques de plâtre : on considère ici 100 % de gypse12.

L’approvisionnement en sable est une des causes de l’impact environnemental élevé du béton, comme nous l’avons signalé. Si les éléments en terre crue nécessitent également du sable, la proportion est plus faible et permet de diminuer la consommation de sable de 13 % pour le scénario optimal. Les éléments Cycle Terre prévoient l’utilisation exclusive de sable local, extrait en Île-de-France, ce qui devrait améliorer le bilan logistique. Pour aller plus loin dans cette démarche d’approvisionnement durable, il serait intéressant d’explorer la possibilité d’utiliser du sable ou des graviers issus du recyclage de béton de déconstruction. En effet, celui-ci n’est pas utilisé aujourd’hui pour la fabrication de béton, hormis dans de rares expérimentations.

Enfin, au regard des volumes de terre nécessaires pour le projet Sevran Terre d’avenir comme pour le développement d’autres projets en terre crue, il convient de soutenir l’émergence d’une filière, la fabrique Cycle Terre s’étant fixé un objectif de traitement de 8 000 tonnes par an en phase démonstrateur.

Tab. 7

Détail des matières selon les scénarios constructifs (en tonnes).

Tab. 8

Total de l’approvisionnement en sable et granulats par scénario constructif (en tonnes).

Conclusion

Dans le cadre du projet Cycle Terre, une méthodologie spécifique a été développée pour estimer l’impact de l’apport d’éléments constructifs en terre crue dans une opération d’aménagement, selon différents scénarios. Ce travail permet d’enrichir les connaissances sur le métabolisme urbain à l’échelle d’un chantier qui, jusqu’à maintenant, ne proposaient pas de références pour la terre crue.

Notre étude du cas de la ZAC Sevran Terre d’avenir montre que les apports possibles en terre crue, aujourd’hui, ne permettent pas un changement radical du métabolisme, le béton restant la matière dominante dans tous les scénarios (de 94 à 79 %). Les scénarios constructifs optimal et moyen présentent toutefois un intérêt pour substituer aux éléments traditionnels des éléments constructifs : jusqu’à 19 % du béton et 59 % du plâtre utilisés dans un scénario de construction classique peuvent ainsi être remplacés par des BTC et PAE.

Il serait également intéressant d’étudier si l’approvisionnement local de la terre et la moindre consommation d’énergie de la production de PAE compensent ce différentiel en termes d’impacts environnementaux. L’analyse des impacts logistiques associés à ces différents scénarios va permettre de confirmer l’intérêt de mettre en œuvre les différents scénarios et ouvrira une réflexion plus approfondie sur les enjeux d’approvisionnement en terre crue.

La diffusion de la construction en terre nécessite par ailleurs le développement d’une approche globale notamment par des évolutions réglementaires soutenant l’ensemble de la filière. Incitant à considérer l’impact environnemental du bâtiment dans sa globalité, de sa phase de construction à sa phase d’exploitation et de démolition, la réglementation environnementale (RE 2020) peut amener les constructeurs à choisir des matériaux à faible bilan carbone. Le projet National Terre, lancé par l’État en 2020, montre également l’importance de la structuration de la filière dans l’atteinte des 70 % de valorisation des déchets du BTP, un objectif fixé par la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte en 201513. Les professionnels ont ainsi commencé à s’organiser au sein de la Confédération de la Construction en Terre Crue (CCTC) en publiant le guide des bonnes pratiques de la construction en terre crue. À l’échelle européenne, les professionnels se sont aussi regroupés, ce qui a permis de produire des référentiels de certification communs concernant les compétences professionnelles en techniques de construction en terre. La nombreuse main-d’œuvre nécessaire sur les chantiers en terre crue doit aujourd’hui être valorisée au regard des économies faites sur l’énergie grise14 et d’usage du bâtiment, de plus en plus élevées dans un contexte d’augmentation du coût de l’énergie. La sensibilisation doit donc se poursuivre, principalement à l’attention des décideurs et des maîtres d’ouvrage.

Remerciements

Nous tenons à remercier monsieur David Rosset pour son apport important dans cet article.

Références

Annexe 1. Ratios de matières issus de l’étude ANR ASURET en kg/m2.

Type de bâtiment Béton Métaux/ Alliages Isolation Verre Plâtre Enrobés Terre cuite Bois
Logements individuels 760 3,27 7 2,1 30 0 103 102,38
Logements Collectifs 1526 40,21 4 3,19 28 17 0 22,1
Commerces 400 75,95 4 2 2 0 0 0
Industriel 400 83,39 4 0,6 1 33 0 0
Bureaux 1 526 40,21 4 3,19 28 17 0 22,1
Enseignement 1 526 40,21 4 3,19 28 17 0 22,1
Équipements 400 83,39 4 0,6 1 33 0 0

Annexe 2. Gamme de produits prévisionnels de la fabrique.

Éléments appliqués L
(cm)
e
(cm)
h
(cm)
Poids/ unité M3/unité m2/unité unités pour 1 m2 Masse vol.
BTC Standard (31,5 × 15 × 9,5cm) 32 15 9,5 8,7 0,004 0,030 33,4 1 936
BTC Standard parement (31,5 x 9,5 x ep. 10) 32 10 9,5 5,8 0,003 0,030 33,4 1 935
BTC Classique carrée (31,5 x 15 x 9,5 cm) 22 22 9,5 8,7 0,005 0,021 47,8 1 901
BTC Classique (31,5 x 15 x 9,5 cm) 30 14 9,5 7,6 0,004 0,028 35,7 1 934
BTC Bloc accessoire (31,5 x 20 x 9,5 cm) 30 14 9,5 7,6 0,004 0,028 35,7 1 934
BTC Bloc chaînage 30 20 9,5 8,7 0,006 0,028 35,7 1 550
Panneaux extrudé (100 × 2,2 × 62,5) 120 2 61 20,0 0,015 0,726 1,38 1 377
Mortier (Sac 25 Kg) 52 20 76 25,0 0,079 0,395 2,5 316
Mortier (Big bag 1000Kg) 150 150 100 1 000,0 2,250 1,500 0,7 444

1

Cette recherche a pour origine le projet Cycle Terre, démarré en 2018. Pour plus d’informations, voir www.cycle-terre.eu/cycle-terre/le-projet/. Cet article n’a fait l’objet d’aucune présentation dans un colloque.

2

Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, 2016. « Engagement pour la croissance verte relatif au recyclage des déchets de plâtre », www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/ECV%20-%20Pl%C3%A2tre.pdf.

3

Dans les années 1980, un programme conjoint entre CraTerre, la SIM et la direction de l’Équipement a vu la construction de plus de 20 000 logements à Mayotte avec le développement d’une filière locale s’appuyant sur les particularités sociales, économiques et géographiques de ce territoire insulaire (Joffroy, 2016).

4

Ces informations sont tirées du dossier de création de la ZAC datant de mars 2019. Elles sont susceptibles d’évoluer au fur et à mesure de l’avancement du projet.

5

Ici, le stock de matériaux disponible avant le projet est nul car celui-ci ne nécessite pas de déconstruction majeure préalable.

6

Il s’agit ici de BTC non stabilisées, c’est-à-dire sans ajout d’un liant de type ciment.

7

31,5 x 9,5 x ep. 15 cm − 8,7 kg − 1 935 kg/m3. « Ep. » signifie épaisseur.

8

31,5 x 9,5 x ep. 15 cm − 8,7 kg − 1 935 kg/m3.

9

120 x 62,5 x ep. 2 cm − 20 kg − 1 333 kg/m3.

10

Ces niveaux d’intégration sont réalisables techniquement − le facteur limitant à ce jour se trouve dans la capacité de fabrication des éléments en terre crue, la filière étant encore en développement.

11

L’eau n’est pas prise en compte dans notre analyse.

12

Le carton et les ajouts constituent 4 à 8 % d’une plaque de plâtre classique. Ils sont ignorés dans notre analyse.

13

Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, Journal officiel, 18 août 2015, 189.

14

L’énergie grise prend en compte l’énergie utilisée pour construire et pour démolir un bâtiment.

Citation de l’article : Blanquart C., Moesch E., Zeroual T., 2024. La terre crue comme alternative au béton ? Une évaluation de son impact sur le métabolisme des chantiers de BTP. Nat. Sci. Soc., https://doi.org/10.1051/nss/2024033

Liste des tableaux

Tab. 1

Bilan de surface du projet « terre d’avenir ».

Tab. 2

Quantité de matériaux pour un scénario « classique ».

Tab. 3

Synthèse des applications d’éléments en terre crue.

Tab. 4

Détail des scénarios constructifs mobilisant des éléments en terre crue.

Tab. 5

Estimation des quantités d’éléments en terre crue par type de bâtiment et par scénario (en tonnes).

Tab. 6

Quantité d’éléments constructifs selon les scénarios (en tonnes).

Tab. 7

Détail des matières selon les scénarios constructifs (en tonnes).

Tab. 8

Total de l’approvisionnement en sable et granulats par scénario constructif (en tonnes).

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Béton et plâtre remplacés, scénario optimal d’intégration de terre crue.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Béton et plâtre remplacés, scénario moyen d’intégration de terre crue.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Béton et plâtre remplacés, scénario minimum d’intégration de terre crue.

Dans le texte

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