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Nat. Sci. Soc.
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DOI | https://doi.org/10.1051/nss/2024025 | |
Published online | 02 September 2024 |
Analyse comparée des dynamiques forestières dans deux vallées du Haut Atlas central (Maroc). Retour sur le vieux débat « population-marché-institutions »
Comparative analysis of forest dynamics in two valleys of the central High-Atlas (Morocco). Back to the old debate: ‘population-market-institutions’
1
Géographie, IRD, UMR LPED, Marseille, France
2
Gestion de l’environnement, IDDRI, Paris, France
* Auteur correspondant : laurent.auclair@ird.fr
Reçu :
9
Juin
2022
Accepté :
9
Novembre
2023
L’analyse diachronique de documents aériens met en évidence des dynamiques forestières fort différentes dans deux vallées voisines du Haut Atlas central marocain (Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli) au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Comment interpréter de telles différences dans ces vallées placées dans le même contexte montagnard et bioclimatique ? Trois séries chronologiques de données sont examinées dans le cadre d’une analyse synchronique et diachronique du système socioécologique : 1) la croissance démographique ; 2) l’accès au marché et la transformation des systèmes de production familiaux ; 3) le rôle tenu par les institutions gestionnaires de la forêt : institutions communautaires locales (agdals) et institution nationale (Service forestier). La pertinence de l’approche comparative repose sur des différences significatives entre les vallées : disponibilité des ressources forestières, accès au marché et processus de développement, fonctionnement des institutions gestionnaires. En conclusion, nous soulignons deux éléments pour la réorientation de la stratégie forestière du Maroc dans les régions de montagne : 1) la reconnaissance des capacités gestionnaires des communautés locales ; 2) la mise en place de dispositifs de médiation efficients dans les forêts ravagées par les conflits intercommunautaires. En insistant sur la fonction médiatrice et d’arbitrage du service forestier, il devient possible d’envisager une forme de complémentarité entre les deux modes d’intervention.
Abstract
Analysis of aerial documents shows specific forest cover evolutions in two neighboring valleys of the central high-Atlas (Aït Bou Guemez and Aït Bou Oulli) during the second half of the 20th century. These diverge both quantitatively (regression of average forest cover) and spatially (geographical distribution of deforestation areas and progression of tree cover). How should such differences between two neighboring valleys in the same bioclimatic context be interpreted? Three data sets are examined in turn within the framework of a synchronic and diachronic analysis of the socio-ecological system: 1) demographic growth; 2) market access and transformation of family production systems; 3) the role of forest management institutions (local community institutions and national institution). At each stage of the analysis, the explanatory models grow more complex by introducing new factors. The relevance of the comparative approach is based on the significant differences between the two valleys, including availability of forest resources, market access, development process and the way the forest management institutions operate. In conclusion, we suggest two approaches for redirecting the Moroccan forestry strategy in mountainous regions: 1) acknowledging the managerial capabilities of local communities; 2) and establishing an effective political mediation process in forest areas ravaged by inter-community conflicts. By emphasizing the mediating and arbitration function of the forest service, it is possible to consider a complementarity between the two modes of intervention.
Mots clés : ressources naturelles / dispositifs institutionnels / dynamiques forestières / analyses comparatives/diachroniques/synchroniques / Haut Atlas (Maroc)
Key words: natural resources / institutional arrangements / forest dynamics / comparative/diachronic/synchronic analyses / High-Atlas (Morocco)
© L. Auclair et P.-M. Aubert, Hosted by EDP Sciences, 2024
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
En comparant les dynamiques temporelles de deux vallées proches et pourtant si différentes de l’Atlas marocain, cet article traite de manière originale du thème classique du lien entre démographie et épuisement des ressources locales. Par l’accumulation de données sur plusieurs décennies et la mise en œuvre d’une analyse comparative entre les vallées, il souligne le rôle de médiation qu’a pu jouer l’administration centrale et suggère une coexistence de formes institutionnelles distinctes de régulation des usages des ressources collectives qui enrichit le corpus théorique et conceptuel de gestion des communs.
La Rédaction
Problématique et enjeux de méthode
Comment la croissance démographique, le marché, les dispositifs institutionnels interviennent-ils sur l’usage des ressources forestières et l’évolution du couvert arboré ? Ces questions ont fait l’objet de recherches depuis plusieurs décennies (Agrawal et Yadama, 1997)1.
L’ambition n’est pas ici d’entreprendre un état des lieux exhaustif de l’abondante littérature consacrée au sujet. Nous évoquerons seulement deux axes de recherche en relation directe avec notre questionnement.
Au niveau mondial, la relation – nexus : lien, enchaînement – entre croissance démographique, pauvreté en milieu rural et dégradation de l’environnement s’est imposée dans les institutions internationales (Fnuap, Banque mondiale, etc.) au cours des années 1980 (Tabutin et Thiltgès, 1992). Mais plusieurs situations agraires, en Afrique notamment, viennent remettre en cause la généralisation du modèle (Mathieu, 1998 ; Leach et Fairhead, 2000 ; Carr et al., 2005). Au Maroc, la théorie du nexus appliquée à la dégradation de l’espace forestier est bien présente aujourd’hui (Aubert, 2010). Cette théorie a-t-elle une portée universelle ou bien n’est-elle pertinente que pour des processus bien circonscrits dans le temps et l’espace ?
Les réponses institutionnelles des sociétés en matière de gestion – appropriation des ressources forestières – reposent sur trois grandes options foncières et de gouvernance : privative, étatique, communautaire. Le champ d’investigation scientifique de la gestion communautaire – common pool resources (CPR) – suscite depuis plusieurs décennies de grands débats sur les questions de durabilité (Ostrom, 1990 ; Timilsina et al., 2017 ; Ferraro et Agrawal, 2021). Quelle peut être sa contribution en matière de gestion durable des écosystèmes forestiers ?
La plupart des auteurs ayant traité des problématiques globales qui ont émergé à la fin du XXe siècle ont privilégié des méthodes quantitatives et statistiques. Or le choix des échelles spatiales et temporelles d’investigation s’avère crucial pour appréhender la complexité des interactions entre population, marché et institutions. L’originalité de notre approche réside dans l’articulation de trois grandes options méthodologiques.
L’analyse diachronique des dynamiques forestières sur le temps long
Après une brève présentation du contexte géohistorique et écologique de notre région d’étude (1re partie), nous présentons les résultats de l’analyse de documents aériens (photographies et images satellitaires de haute résolution) mettant en évidence des dynamiques forestières spécifiques dans deux vallées voisines du Haut Atlas central – Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli – au cours de la seconde moitié du XXe siècle (2e partie). L’analyse diachronique repose sur l’indicateur « recouvrement forestier2 », un indicateur socioenvironnemental qui résulte à la fois des processus écologiques spontanés et des pratiques de gestion et d’exploitation mises en œuvre (Genin et al., 2012).
Les dynamiques forestières observées divergent tant du point de vue quantitatif (régression du couvert forestier moyen) que spatial (répartition géographique des zones de déforestation et de progression du couvert arboré). Comment interpréter de telles différences dans deux vallées placées dans un même contexte montagnard et bioclimatique ? Cette interrogation constitue le fil conducteur de l’article.
Pluri et interdisciplinarité : analyse synchronique/diachronique du système socioécologique
Nous avons bénéficié de la connaissance de terrain acquise au cours de deux programmes de recherche pluridisciplinaires sur la gestion des ressources forestières et pastorales, conduits successivement dans les mêmes sites3 (2003-2011). Ces programmes ont mobilisé des données quantitatives et statistiques quand elles étaient disponibles et les résultats des différentes recherches thématiques et disciplinaires impliquées dans ces programmes4. De plus, de nombreux entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès des habitants dans le cadre de mémoires d’étudiants et de thèses qui ont fortement contribué à cette recherche (Cordier, 2007 ; Hammi et al., 2007 ; Leguet, 2008 ; Aubert, 2010). Les extraits intégrés dans le texte restituent les discours et les perceptions des populations.
La synthèse interdisciplinaire présentée utilise les résultats de ces travaux pour identifier les principaux déterminants des dynamiques forestières, et aussi leur articulation dans le temps, l’espace et les territoires. Pour cela, nous faisons appel au concept de système socioécologique dans une perspective à la fois synchronique et diachronique5 (Ostrom, 2009 ; Lagadeuc et Chenorkian, 2009 ; Binder et al., 2013).
Trois séries de données chronologiques sont présentées successivement : la croissance démographique (3e partie), l’accès au marché et la transformation des systèmes de production familiaux (4e partie), le rôle tenu par les institutions gestionnaires de la forêt (5e partie). Nous sommes amenés, à chaque étape de l’analyse, à complexifier les modèles explicatifs par l’introduction de nouveaux facteurs. Cette démarche nous conduits vers le modèle d’un système socioécologique centré sur l’usage des ressources forestières (6e partie).
La dimension comparative
La pertinence de l’approche comparative repose sur les éléments suivants. Les vallées étudiées sont caractérisées par des écarts importants en termes de « disponibilité des ressources forestières6 ». Elles ont connu après l’indépendance du Maroc un décalage de plusieurs décennies concernant l’accès au marché et le processus de développement. De plus, le fonctionnement des institutions gestionnaires de la forêt y présente de grandes différences. L’une des vallées (Aït Bou Oulli) s’est toujours vigoureusement opposée à l’implantation de l’Administration forestière sur son territoire alors que sa voisine a dû accepter la soumission des forêts à la législation nationale en 1985.
Enjeux méthodologiques
Une rapide analyse de la littérature scientifique7 montre que les approches mobilisant les analyses diachroniques, synchroniques et comparatives (autour d’un même objet) sont présentes en écologie et notamment en écologie forestière (Dahmani-Megrerouche, 2018), ainsi que dans un grand nombre de recherches relevant des sciences humaines et sociales où elles répondent à un très large éventail de questions : linguistique, philosophie, histoire, géographie, archéologie, anthropologie, agroéconomie, sciences politiques, architecture, etc.
Ce type d’approche est en revanche peu représenté dans la science de la durabilité (sustainability science), un courant qui a émergé il y a une vingtaine d’années pour fédérer les recherches contribuant au développement durable8 (Theys et Vivien, 2014). Seules quelques publications pouvant être rattachées aux sciences de la durabilité sont conduites dans une perspective méthodologique proche de la nôtre : Grévilliot et Muller, 1996 ; Momo Solefack et al., 2012 ; Pallé Diallo et al., 2014. À propos de la gestion des ressources, forestières en particulier, l’article souhaite apporter une contribution méthodologique aux sciences de la durabilité par le développement conjoint des analyses diachroniques, synchroniques et comparatives.
Un contexte montagnard et bioclimatique commun
Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli sont des vallées montagnardes dans lesquelles le milieu physique exerce de fortes contraintes sur les activités humaines, principalement agro-sylvo-pastorales9. Les deux vallées s’étagent entre 1 500 et 2 200 m d’altitude environ et constituent l’amont du bassin versant de l’oued Lakhdar dans le Haut Atlas central (province d’Azilal) [Fig. 1].
Enclavées jusqu’au XXe siècle, les vallées étudiées sont longtemps restées en dehors de l’autorité administrative et fiscale du pouvoir central. Il faut attendre les années 1980 pour que la présence de l’État marocain s’affirme dans la région. Les vallées ont hérité d’une organisation tribale autonome prenant en charge la gestion des ressources naturelles communes (eau d’irrigation, forêts, parcours d’altitude). Les vallées recouvrent à la fois des entités physiques (bassins versants), tribales et aujourd’hui administratives10.
Dans ce contexte commun, quelques différences importantes sont relevées. Alors que les Aït Bou Oulli ont hérité d’un fond de vallée étroit et d’une surface cultivable restreinte, la vallée des Aït Bou Guemez est caractérisée par un large fond plat qui atteint près d’un kilomètre à l’aval11. En conséquence, l’importance relative des activités agricoles y est observée en comparaison avec la vallée voisine (Aït Bou Oulli) qui a été amenée à privilégier les activités sylvopastorales12. À cela s’ajoute une sensibilité à l’érosion nettement plus forte à Aït Bou Oulli.
Fig. 1 Carte présentant la dynamique du recouvrement arboré (1964-2002/2006) dans les vallées Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli (d’après Hammi et al., 2007 : Leguet, 2008. Réalisation : Aubert, 2010). |
Des dynamiques forestières contrastées
C’est sur les versants aux sols squelettiques, généralement décapés par l’érosion, que parviennent à se développer les maigres formations forestières qui nous intéressent ici. Le couvert forestier dépasse rarement 30 %. Les arbres souvent âgés présentent une faible régénération naturelle. Les surfaces arborées sont évaluées à environ 12 000 ha à Aït Bou Guemez et à 15 000 ha à Aït Bou Oulli13.
Plusieurs formations forestières, identifiées par leur essence dominante, sont présentes : le pin d’Alep domine à l’aval de Aït Bou Oulli jusqu’à environ 1 800 m d’altitude ; le genévrier de Phénicie colonise le plus souvent les adrets au-dessus des villages ; le chêne vert et le genévrier oxycèdre (cade) se développent sur les versants ensoleillés à moyenne altitude ; enfin le genévrier thurifère, véritable champion de la survie en haute montagne semi-aride occupe la limite supérieure de développement des arbres, entre 2 400 et 2 700 mètres.
À l’origine de cet article, une évaluation diachronique de la végétation forestière a été réalisée sur un pas de temps de 40 ans à l’amont de la vallée des Aït Bou Guemez (Hammi et al., 2007). Peu après, la même démarche a été reconduite dans la vallée voisine des Aït Bou Oulli (Leguet, 2008). Pour réaliser ce travail, trois jeux d’images aériennes ont été mobilisés14.
Les principaux résultats de ces travaux sont présentés dans le tableau 1 et la figure 1. Les trois points suivants résument la spécificité des dynamiques forestières dans les deux vallées :
Les pertes de couvert forestier moyen ont été deux fois plus importantes à Aït Bou Oulli : − 20 % contre − 10 % à Aït Bou Guemez ;
Dans la vallée des Aït Bou Guemez, plus de 20 % des surfaces forestières ont disparu (déforestation totale) contre environ 3 % à Aït Bou Oulli ;
Plus de 20 % des surfaces forestières ont vu leur couvert moyen augmenter à Aït Bou Guemez contre moins de 1 % à Aït Bou Oulli.
Dans la vallée des Aït Bou Guemez, une mosaïque de secteurs présentant soit une forte dégradation, soit une progression du couvert forestier est constatée. Alors que dans la vallée des Aït Bou Oulli, une dégradation diffuse de la forêt est mise en évidence, à l’exception de quelques spots de forte dégradation et de déforestation.
Dynamiques du recouvrement arboré (1964-2002/2006) dans les vallées Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli (d’après Hammi et al., 2007 ; Leguet, 2008 ; Aubert, 2010).
Le modèle démographique
Les deux vallées au centre de notre attention ont été soumises depuis plus d’un demi-siècle à une forte croissance démographique dans des milieux contraignants abritant des densités rurales relativement fortes. Si la population de Aït Bou Oulli apparaît moins dense dès les années 1960, les courbes démographiques parallèles indiquent des taux de croissance voisins au cours de la seconde moitié du XXe siècle15 (Fig. 2). Il s’agit d’un cas d’école illustrant la première phase de la transition démographique16, laquelle coïncide avec le pas de temps des dynamiques forestières (1964-2006).
Si la période 1960-1980 a connu un accroissement assez modéré au regard de la moyenne nationale, la spécificité démographique des vallées étudiées réside dans la poursuite d’un rythme élevé de croissance au cours des décennies suivantes (1980-2000), alors que la plupart des communes rurales marocaines connaissaient l’exode rural, la diminution ou la stabilisation de leurs taux de fécondité et de natalité.
Il ne s’agit pas de nier ou de minimiser l’effet d’une telle croissance de la population sur l’usage des ressources forestières. Toutefois, la mise en perspective des courbes de croissance démographique avec les données d’évolution du couvert forestier montre qu’il ne s’agit nullement d’une relation mécanique. Au vu des taux de croissance voisins observés dans les deux vallées, le modèle démographique ne peut expliquer une dégradation du couvert moyen deux fois plus importante à Aït Bou Oulli (– 20 %).
Le modèle démographique ne peut expliquer non plus les patrons de dégradation forestière spécifiques observés à l’amont de la vallée des Aït Bou Guemez, où les zones de déforestation totale voisinent avec celles de progression du couvert arboré. Dans cette vallée, une faible disponibilité en ressources forestières s’accompagne d’une pression accrue sur les ressources dès les années 1960. Mais de manière a priori surprenante, une diminution deux fois moindre du recouvrement forestier moyen y est observée (– 10 %). On pourrait s’attendre à la validation d’un modèle de dégradation aréolaire de la forêt autour des villages en forte croissance, ce qui est loin d’être le cas.
Force est de constater l’insuffisance du seul modèle explicatif démographique (Fig. 3) et la nécessité de faire appel à des déterminismes multiples pour interpréter les dynamiques forestières observées.
Fig. 2 Une forte croissance démographique entre 1960 et 2000 (source : comptages et recensements de la population : 1936, 1960, 1974, 1984, 1994, 2004). |
Fig. 3 Les limites d’un modèle démographique linéaire (réalisation : L. Auclair et P.-M. Aubert). |
Accès au marché et transformation des systèmes de production familiaux
Le modèle démographique repose implicitement sur le concept de capacité de charge du milieu dont de nombreux auteurs ont contesté la portée car il s’accompagne souvent d’un raisonnement « à technologie et mode de vie constant » (Locatelli, 2000). Dans la région étudiée, l’impact de la croissance démographique a pu être en partie atténué au cours des dernières décennies par deux composantes au centre du processus de développement : l’accès au marché et l’innovation technologique conduisant à la transformation des systèmes de production et des comportements familiaux.
Un important décalage des rythmes de développement entre les vallées
La vallée des Aït Bou Guemez
Elle a entamé un processus d’intégration nationale relativement précoce. En 1982, un caïdat – représentation du ministère de l’Intérieur – est créé à Tabant (Aït Bou Guemez) pour prendre en charge les deux vallées. Quelques années plus tard s’implante l’Administration des Eaux et Forêts avec la création d’un poste forestier (1985). À la même époque est lancé un ambitieux projet visant le développement touristique de la vallée (1981-1986), conduisant à la création à Tabant du premier centre au Maroc de formation des guides de montagne. Les gîtes privés destinés à l’accueil des touristes et les services de l’État se multiplient au cours des années 1990. Ils précèdent de peu le désenclavement de la vallée17. Au début des années 2000, dans la mouvance du développement durable, des projets participatifs conduits par des ONG18 voient l’essor du secteur associatif dans le champ du développement. Un important projet soutenu par la Banque mondiale (2002-2006) se focalise sur les périmètres irrigués « traditionnels » (DRI-PMH). Ce dernier avait pour objet « la mise en place d’une gouvernance décentralisée et participative de l’eau d’irrigation ». Bousculant la gestion en place, le projet encourage la création de nouvelles structures associatives et formelles dans les villages, les Associations d’usagers de l’eau agricole (AUEA)…
Les systèmes de production agricoles sont de plus en plus axés sur la vente des produits sur le marché national au détriment des cultures vivrières. À la pomme de terre, apparue dans les assolements dans les années 1960-1970, succède au cours des années 1990-2000 l’arboriculture fruitière (pommier) qui progresse rapidement dans les terroirs irrigués de la vallée. La diversification des activités économiques de la vallée – essor du tourisme et des productions agricoles destinées à la vente au détriment des cultures vivrières – a permis l’augmentation sensible du niveau de vie et des revenus des populations, mais elle s’est faite au prix d’inégalités sociales croissantes.
Cette série de changements rapides sous l’égide de l’État, le développement des infrastructures, l’ouverture sur le marché et l’aide internationale au développement, a profondément affecté la vallée, bousculant notamment l’organisation sociale et politique des villages et conduisant à la marginalisation progressive des institutions communautaires informelles. Nous y reviendrons.
La vallée d’Aït Bou Oulli
Elle est restée à l’écart de ces transformations jusqu’au milieu des années 200019. Deux décennies de décalage entre Aït Bou Oulli et Aït Bou Guemez, ce qui va s’avérer décisif, notamment sur les modalités d’intervention publique et sur la transformation des systèmes de production familiaux.
Sur le premier point, la population d’Aït Bou Oulli s’est toujours vigoureusement opposée à l’implantation de l’Administration des Eaux et Forêts dans la vallée. Cette posture radicale reflétait la grande dépendance des systèmes de production familiaux vis-à-vis des ressources forestières et la place centrale de ces ressources dans l’économie locale (filières clandestines de charbonnage et d’exploitation/transformation du pin d’Alep). L’opposition des Aït Bou Oulli aux opérations de bornage pour la délimitation du domaine forestier a eu d’importantes répercussions sur le plan social et politique, renforçant l’isolement et la marginalisation de la vallée. « Rien ni personne (en dehors des instituteurs) ne parle au nom ni ne représente le pouvoir central aux Aït Bou Oulli » (Aubert, 2010, p. 182).
Sur le second point, la vallée des Aït Bou Oulli reste très enclavée et souffre d’un manque cruel d’alternatives économiques. L’émigration, temporaire ou définitive, y apparaît comme la seule issue à court et à moyen terme. L’économie locale est dominée par l’élevage extensif avec une forte proportion de caprins. Les systèmes de production familiaux évoluent lentement et restent très dépendants de la forêt pour l’alimentation du bétail20.
Des ressources tirées des forêts locales deviennent accessibles sur le marché
À Aït Bou Guemez, de fortes disparités dans la consommation de gaz sont observées entre les villages selon la disponibilité en bois de feu. Une plus grande consommation de butane, l’usage croissant des fours à gaz pour la cuisson du pain et celle de foyers améliorés caractérisent les villages les plus déficitaires en bois (3-4 tonnes de bois de feu par ménage), comme le village de Zaouit Oulemzi dans la haute vallée des Aït Bou Guemez. En revanche, la consommation de bois de feu reste importante (de l’ordre de 6 tonnes par ménage) et évolue peu dans les villages (c’est le cas à Rbat n’Oufela) disposant de ressources plus abondantes.
Une même tendance est observée pour le bois d’œuvre principalement destiné à la construction21. C’est la disponibilité locale en bois qui détermine les usages. Dans les villages les plus déficitaires, le recours au marché et aux filières illégales est nécessaire pour répondre aux besoins. Dans ces villages, un important transfert de prélèvement sur les ressources forestières (bois d’œuvre et charbon de bois) des vallées voisines (Aït Bou Oulli, Aït Abbas) est mis en évidence.
Les systèmes d’élevage connaissent aussi de profondes mutations (El Aayadi et al., 2020). La tendance générale est à la diminution de la taille moyenne des troupeaux et pour les petits éleveurs, à l’abandon de la transhumance hivernale vers les parcours du versant sud de l’Atlas. La sédentarité croissante des petits troupeaux s’accompagne de l’exploitation continue des parcours de la vallée, mais un sérieux problème apparaît au cours de la saison froide (automne et hiver) lorsque le manteau neigeux empêche les animaux d’accéder aux parcours. En l’absence de stocks fourragers suffisants, la coupe de fourrage foliaire de chêne vert et de genévrier thurifère a longtemps constitué la principale réponse permettant la survie du bétail au cours de ces périodes de soudure. Une alternative, l’achat de compléments alimentaires sur le marché (orge, avoine et concentrés), existe cependant aujourd’hui. Cette stratégie dépend de l’accessibilité de la vallée aux camions transportant les aliments et de la disponibilité en argent frais, conditions que remplissent un nombre croissant d’éleveurs de la vallée des Aït Bou Guemez. « Maintenant, on achète tout ce dont on a besoin pour le troupeau », déclarait un habitant d’Aït Ouham, Aït Bou Guemez en 2007.
Si les processus d’ouverture sur le marché et de transformation des systèmes de production familiaux sont aujourd’hui nettement perceptibles dans la vallée des Aït Bou Guemez, ils restent étroitement liés à la disponibilité des ressources forestières dans les villages (Fig. 4).
Fig. 4 Intégration des variables « Accès au marché » et « Transformation des systèmes de production familiaux » dans le modèle explicatif (réalisation : L. Auclair et P.-M. Aubert). |
Les institutions gestionnaires de la forêt : institutions communautaires locales et Service forestier national
Les agdals forestiers villageois
Dans la montagne marocaine, il est un « concept » auquel les communautés agropastorales se réfèrent (ou se référaient) quand elles sont confrontées à des situations d’insécurité telles que les aléas climatiques (sécheresse, neige) et sociopolitiques (conflits d’appropriation des ressources) concernant les ressources communes. Il s’agit de l’agdal, une pratique de gestion communautaire antialéatoire reposant sur la mise en défens des ressources au sein d’un territoire délimité22. Les pratiques d’agdal concernent une gamme diversifiée de ressources et de milieux écologiques que nous ne détaillerons pas ici (Auclair et Alifriqui, 2012 ; Genin, 2008).
Dans la région d’étude, la mise en place d’agdals forestiers constitue le principal outil des communautés villageoises pour réguler les prélèvements de bois et de fourrage foliaire sur leur territoire. Dans ces espaces protégés, la coupe est interdite pendant la plus grande partie de l’année (Fig. 5). La décision de mise en agdal s’accompagne d’un corpus de règles établies de manière autonome par les villages et d’un système de surveillance et de sanctions23.
Les agdals forestiers sont généralement situés à proximité des villages, de manière à constituer une réserve de bois et de fourrage sur pied facilement accessible lors des épisodes de neige. L’exploitation des ressources des agdals (fourrage foliaire, bois de feu, poutres et perches destinées à la construction) fait l’objet d’une grande diversité de règles et de pratiques, spécifiques à chaque village (Fig. 6) [Genin et al., 2012]24.
Fig. 5 Paysage d’agdal forestier villageois montrant des contrastes saisissants entre les versants (© L. Auclair, 2008). |
Fig. 6 Exploitation de perches de genévrier dans l’Agdal forestier d’Aït Ouriat (© L. Auclair, 2008). |
Impacts des agdals sur les dynamiques forestières dans la haute vallée d’Aït Bou Guemez
La gestion communautaire et la mise en place des agdals forestiers villageois permettent d’interpréter de manière remarquable les résultats de l’analyse diachronique du couvert forestier à Aït Bou Guemez (Fig. 7).
La progression du couvert moyen concerne 21,4 % de la superficie forestière. Ces secteurs correspondent de manière quasi parfaite aux délimitations des agdals forestiers villageois. Dans ces territoires, la mise en place d’une régulation communautaire s’est avérée efficace, entraînant la diminution des prélèvements (bois et fourrage foliaire) avec pour conséquence la progression du recouvrement forestier sur les quarante années de l’analyse diachronique. Dans la haute vallée des Aït Bou Guemez, principalement sur les frontières inter-villageoises, là où l’appropriation de l’espace forestier était contestée, 21,3 % des surfaces forestières ont été totalement détruites (déforestation complète).
Fig. 7 Évolution des recouvrements arborés et de l’occupation des sols dans la haute vallée d’Aït Bou Guemez entre 1964 et 2002 (source : Hammi et al., 2007). |
La mise en place plus tardive des agdals forestiers villageois à Aït Bou Oulli
Dans la vallée des Aït Bou Oulli, la gestion coutumière des forêts prend des formes différentes. Les règles appliquées à la forêt y sont généralement plus floues et beaucoup moins formalisées que dans la vallée voisine. La variable « disponibilité des ressources », près de deux fois plus importante à Aït Bou Oulli dans les années 1960, a déterminé dans cette vallée un processus « d’agdalisation » plus tardif. On retrouve là encore un décalage temporel de plusieurs décennies entre les vallées. La généralisation des pratiques d’agdal ne s’est opérée à Aït Bou Oulli qu’à partir des années 2000 (Aubert, 2010). L’évolution du recouvrement forestier sur les images aériennes corrobore cette installation tardive, avec des impacts peu visibles sur le pas de temps de l’analyse diachronique (1964-2006).
1960-1985 : la multiplication des conflits intervillageois dans la haute vallée d’Aït Bou Guemez
Il est difficile de dater avec précision l’origine des agdals forestiers à Aït Bou Guemez. Pour les habitants, ces pratiques héritées des ancêtres ont toujours été présentes. Quoi qu’il en soit, les modalités d’accès à l’espace forestier étaient relativement lâches jusque dans les années 1950 (Lecestre-Rollier, 1992). La période 1960-1985 voit la généralisation des conflits ayant pour objet la forêt et son appropriation. Là encore, nous soulignons le rôle clé joué par la variable « disponibilité des ressources » qui est à l’origine du vaste mouvement de « privatisation » de la forêt par les communautés villageoises.
La mise en agdal implique que les différentes communautés puissent s’accorder sur les limites d’un territoire boisé d’usage exclusif. La mise en place des agdals obéit à une double nécessité : celle de conserver une ressource disponible à proximité du village et celle d’empêcher les autres villages de venir couper « chez soi ». Ces deux dimensions sont indissociablement liées dans la pratique de l’agdal forestier. « Alors les gens de Aït Ouchi ont mis l’agdal ici… et plus personne ne pouvait couper de bois. Alors on a commencé à tout couper. Tout le monde coupait tout partout, on déracinait même les arbres là-bas… » (un habitant d’Ifrane [Aït Bou Guemez] évoquant cette période en 2008).
Au moment où les conflits entre villages étaient les plus aigus, au milieu des années 1980, aucune instance d’arbitrage n’a pu être trouvée. Les conflits frontaliers ont conduit à la disparition quasi totale des ressources disputées (hors agdal) dans la haute vallée des Aït Bou Guemez25.
L’arrivée du forestier à Aït Bou Guemez : multiplication des « arrangements » et rôle de médiation entre les communautés
À l’arrivée de l’Administration forestière dans la vallée, en 1985, celle-ci s’est révélée, dans un premier temps, impuissante à réguler les conflits villageois autour des ressources forestières, donnant à l’observateur extérieur le sentiment d’une grande continuité de la gestion coutumière (Lecestre-Rollier, 1992). La présence de l’Administration au côté des institutions communautaires avait cependant introduit un conflit de légitimité au sujet de la gestion et de l’appropriation de l’espace forestier, lequel est magistralement exprimé par un villageois :
« Ici, si tu vas couper le bois dans la forêt, si le garde t’attrape, il te met une amende. Pourtant, les Aït Lkhoms [une fraction des Aït Bou Guemez installée dans la basse vallée] disent que la forêt leur appartient. ça n’est pas logique ! Si la forêt appartient à l’Administration forestière, il faut que ce soit eux qui décident de quand on va couper. Et s’il existe une forêt pour chaque village, à quoi sert le forestier ? » (un habitant d’Aït Ziri, Aït Bou Guemez, mai 2007).
Dans une économie fortement dépendante des ressources de la forêt, l’Administration n’a pu pousser à son terme la logique d’exclusion et de restriction d’usages d’une loi forestière socialement inapplicable. De multiples arrangements locaux, plus ou moins informels, entre le garde forestier et les populations ont vu le jour26. Une vingtaine d’années après le constat de Béatrice Lecestre-Rollier sur la permanence du droit coutumier à Aït Bou Guemez, les évolutions constatées sur le terrain montrent l’affaiblissement progressif et la marginalisation des institutions communautaires en matière de gestion forestière (Aubert, 2010).
Le lieu d’implantation des reboisements et des mises en défens de l’Administration fait aussi l’objet de confrontations et de négociations avec les populations. L’intervention du Service forestier s’est focalisée sur les frontières intervillageoises, dégradées ou en voie de dégradation rapide, sur les limites contestées des territoires villageois. De cette façon, les groupes d’acteurs en présence – l’Administration forestière et les communautés en conflit – ont pu trouver une forme de compromis satisfaisante pour les deux parties : le forestier a pu « faire du chiffre »27. Pour les populations, l’intervention du forestier sur les frontières, en gelant l’accès aux espaces disputés, mettait un terme aux conflits d’usages qui épuisaient les communautés sans qu’aucune ne puisse en tirer bénéfice.
L’émergence d’un double paysage forestier à Aït Bou Guemez
Les opérations de reboisement les plus anciennes datent des années 1960-1970 dans la vallée (Fig. 8). Mais l’implantation du poste forestier à Tabant s’est accompagnée d’une forte accélération des opérations de reboisement. Près de 2 500 ha ont été plantés par le Service forestier entre 1985 et 2005. L’objectif premier était la lutte contre l’érosion dans le bassin versant de l’oued Lakhdar : une cible prioritaire au niveau national en matière de gestion conservatoire des eaux et des sols28. Il s’agissait aussi pour l’Administration nouvellement implantée de conforter son assise territoriale par l’extension des plantations forestières.
Sur le plan technique, les essences forestières allochtones à croissance rapide ont été privilégiées dans les opérations de reboisement (cyprès de l’Arizona, Pin d’Alep et différentes variétés d’essences résineuses, etc.).
« Là où le forestier fait le reboisement, il n’y a plus rien qui pousse dessous ; plus d’herbe, plus d’autres plantes » (un habitant d’Aït Bou Guemez, mai 2008). Un double paysage forestier s’édifie progressivement. D’une part, les plantations forestières d’essences allochtones (qualifiées par les populations « d’agdal du forestier ») sont protégées et gérées efficacement par le Service forestier. D’autre part, les espaces forestiers « coutumiers » et les agdals villageois sont dominés par les essences autochtones et multi-usages (chêne vert et genévriers). « S’il y a quelqu’un qui coupe dans l’agdal, il a 200 dirhams d’amende [qui alimente la caisse commune du village]. Mais s’il coupe dans le reboisement, c’est la responsabilité du forestier » (le naïb d’Ifrane, Aït Bou Guemez, avril 2007). L’impact des reboisements sur le recouvrement forestier n’est pas perceptible à la lecture de nos images, mais il faut s’attendre à une emprise croissante des plantations forestières dans les années à venir.
Fig. 8 Plantations forestières à Aït Bou Guemez (© L. Auclair, 2006). |
Retour sur le débat : population, marché, institutions
L’analyse des dynamiques forestières sur le temps long permet la mise en perspective des trajectoires démographiques, économiques et environnementales dans les vallées étudiées au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Il s’agit d’un cas localisé et daté. Mais notre approche, mobilisant les analyses diachroniques, synchroniques et comparatives, permet d’ouvrir sur des propositions méthodologiques plus générales, utiles aux sciences de la durabilité pour mieux comprendre les processus socioécologiques, utiles aussi à l’évaluation des politiques forestières.
Dans notre modèle, la variable « disponibilité des ressources », principalement déterminée par la croissance démographique, occupe une position centrale. La perception par les populations de la dégradation des ressources forestières déclenche la régulation communautaire (gestion agdal) dans les deux vallées. La variable « usages des ressources » déterminant les dynamiques forestières apparaît centrale dans notre modèle. C’est vers elle que converge un faisceau d’interactions : disponibilité des ressources forestières, transformation des systèmes de production familiaux induite par l’accès au marché, impacts des institutions gestionnaires (agdals et Administration forestière).
L’accès au marché et les institutions médiatisent les relations entre croissance démographique et ressources forestières (Agrawal et Yadama, 1997) [Fig. 9].
Sur le plan environnemental, le rôle tenu par le marché est ambivalent dans la région d’étude. D’une part, il permet de soulager la forêt locale quand il concerne des produits distribués à l’échelle nationale dans le cadre de filières structurées (gaz butane, aliments destinés au bétail). D’autre part, il s’accompagne d’un surcroît de prélèvements dans les forêts voisines (Aït Bou Oulli et Aït Abbas) quand il donne lieu à un commerce illégal alimenté par la demande croissante liée au différentiel des niveaux de vie entre les vallées (charbonnage et bois d’œuvre : charpente et menuiserie).
Le décalage dans la transformation des systèmes de production familiaux induit par l’ouverture sur le marché, associé à des écarts importants en termes de disponibilité des ressources, permet d’expliquer les différences d’intensité de la dégradation forestière observées dans les deux vallées.
La mise en place des agdals forestiers détermine la distribution spatiale de l’évolution du couvert arboré à Aït Bou Guemez. L’agdal n’induit pas directement la réduction des prélèvements en forêt. Ces derniers se déplacent sur les frontières villageoises soumises à une forte pression sur les ressources29. De plus, les territoires agdal restent ouverts à l’usage pastoral la plus grande partie de l’année30. Sur le plan écologique, ce sont les principales limites de l’agdal forestier (Cordier, 2007).
Dans la vallée des Aït Bou Guemez, face à la croissance démographique induisant la raréfaction des ressources forestières à partir des années 1960, une première réponse institutionnelle est apparue sous la forme des agdals forestiers villageois. Puis l’arrivée du forestier, en 1985, a donné lieu à une phase de « cohabitation institutionnelle » qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. À la même époque, la vallée connaissait une grande accélération dans les processus d’ouverture économique accompagnant l’accès au marché et le développement rapide du tourisme.
Aujourd’hui (2023), les processus mis en évidence se sont confirmés et amplifiés : expansion spatiale des reboisements au détriment des agdals, progression de l’arboriculture de pommier31 qui atteint une extension telle que l’on peut parler de monoculture à l’échelle de la vallée, avec des conséquences environnementales majeures en termes de qualité des eaux (pollution liée à l’usage intensif des pesticides). De plus, la « vallée heureuse32 » connaît une certaine banalisation de ses paysages avec la généralisation de l’emploi du parpaing dans les villages de pisé à l’architecture typique. Ces évolutions sont susceptibles de diminuer l’attractivité de la vallée pour les visiteurs adeptes de randonnée en montagne et sensibles à l’écologie.
Par contraste, la vallée des Aït Bou Oulli s’est enfoncée dans la pauvreté et la dégradation forestière à la fin du XXe siècle, en relation avec une régulation communautaire plus tardive, le refus de la législation forestière nationale et le manque d’alternatives agricoles et économiques. Le nexus, le lien entre pauvreté, sous-développement, dépendance aux ressources et dégradation forestière est clairement observé dans cette vallée à une période clé de son histoire.
Aujourd’hui (2023), le forestier n’a toujours pas mis le pied à Aït Bou Oulli bien que les avis de la population semblent de plus en plus divergents sur le sujet. L’implantation des agdals forestiers se poursuit lentement mais le consensus des habitants est de plus en plus difficile à obtenir. L’exode rural a vidé les villages de la plus grande partie de la population jeune malgré quelques tentatives récentes de développement agricole33 et touristique34. La vallée est aujourd’hui reconnue au niveau national pour l’importance de la pauvreté en milieu rural35.
Une nouvelle menace, le changement climatique global36, apparaît et s’intensifie au cours des dernières décennies. En matière d’écologie forestière, l’incertitude domine très largement37. Un consensus scientifique se dégage toutefois : les écosystèmes forestiers atlasiques seront fortement perturbés dans un avenir proche. Le processus d’aridification risque fort de priver à court ou moyen terme les communautés rurales de leurs moyens d’existence : dégradation des ressources en eau, forêts, pâturages. En premier lieu, les activités pastorales extensives seront touchées, mais à terme c’est l’ensemble du système agropastoral, reposant sur la combinaison de l’agriculture intensive dans le domaine irrigué et des activités pastorales dépendantes des ressources sylvopastorales, qui sera affecté38. Face à l’évolution climatique en cours39, la résignation des populations domine : « L’Maktoub ».
Fig. 9 Intégration des variables « Institutions » dans le modèle explicatif : un essai de formalisation d’un système socio-écologique centré sur l’usage des ressources forestières dans la région d’étude (réalisation : L. Auclair, P.-M. Aubert). |
Conclusion
L’agdal forestier apparaît comme un cas d’école de gestion communautaire (Baron et al., 2011 ; Aubert et Romagny, 2012) répondant de manière quasi parfaite aux sept critères énoncés par Elinor Ostrom (1990) pour le succès d’une gestion durable40. Mais face à l’ampleur des mutations contemporaines, des auteurs soulignent certaines limites de la grille d’analyse des approches sur les communs (CPR). En se concentrant sur l’organisation institutionnelle coutumière, ces approches ont souvent tendance à négliger l’émergence de nouveaux acteurs et l’impact des transformations induites par les politiques publiques et les projets de développement (Aubert 2010 ; Timilsina et al., 2017).
Les institutions communautaires agissent en étroite interaction avec les éléments du contexte local (l’usage des ressources forestières, les systèmes de production familiaux, les aléas et les contraintes du milieu biophysique) dans le cadre d’une gestion adaptative et décentralisée, alors que l’intervention du Service forestier apparaît largement déconnectée de la dimension locale41. La reconnaissance, par l’Administration, des savoirs et capacités gestionnaires des populations (dont l’agdal forestier constitue la forme la plus emblématique) apparaît nécessaire et urgente (Aubert, 2012).
Si la gestion communautaire présente des avantages en termes d’adaptabilité et de résilience des systèmes socioécologiques locaux, avantages soulignés par de nombreux travaux conduits dans la perspective du développement durable (Auclair et Alifriqui, 2012), la gestion administrative et centralisée apporte une nouvelle fonction médiatrice qui faisait autrefois cruellement défaut. En insistant sur la fonction médiatrice et d’arbitrage du Service forestier42, il est possible d’envisager une certaine complémentarité entre les deux modes d’intervention. Dans de tels contextes de pluralité institutionnelle – Administration/communautés locales –, ne serait-il pas judicieux d’ouvrir un nouveau questionnement de recherche sur les conditions écologiques et sociales de complémentarité institutionnelle en matière de gestion des ressources ?
Remerciements
Nos remerciements vont aux habitants d’Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli pour la qualité de leur accueil, à nos interprètes qui furent souvent bien plus que des informateurs, des amis.
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Ces questions s’inscrivent dans la problématique globale des relations entre « population, environnement et développement » : un champ de recherche pluri-interdisciplinaire apparu dans les dernières décennies du XXe siècle pour répondre à la nécessité de traiter de manière intégrée des problématiques jusque-là disjointes. Ces problématiques globales se sont fortement développées au cours des années 1990-2000 puis régressent dans les dernières décennies (en nombre de publications), justifiant le terme « vieux débat » utilisé à leur sujet.
Le recouvrement forestier correspond au pourcentage de la surface couverte par le houppier des arbres par rapport à la surface au sol. Il ne peut nous renseigner sur le sous-étage des peuplements forestiers, leurs capacités de régénération et la vitalité des arbres. Mais il permet une évaluation assez précise du stock de ressources ligneuses sur pied.
1) Le programme AGDAL, « Les agdals du Haut Atlas. Biodiversité et gestion communautaire de l’accès aux ressources forestières et pastorales » : 2003-2007, IRD, Laboratoire Population environnement développement (UMR LPED), Université Cadi Ayyad de Marrakech (UCAM)/Institut français de la biodiversité (IFB : AAP 2003) ; 2) le programme POPULAR, Politiques publiques et gestions paysannes de l’arbre et des forêts. Alliance durable ou dialogue de dupes ? : 2007-2011, Agence nationale de la recherche (PADD-06). IRD (UMRs LPED et GRED), UCAM ; École nationale forestière d’ingénieurs (ENFI, Sale).
Des relevés de terrain (écologie, pastoralisme, télédétection), des enquêtes et entretiens auprès des populations sur les volets relevant des Sciences Humaines et Sociales. Les principales disciplines représentées étaient l’écologie végétale, l’agropastoralisme, la géographie, la socioanthropologie, l’économie et les sciences de gestion.
Sur le contexte écologique et bioclimatique, voir les travaux de Rhanem, 1985 ; Cordier, 2007.
La vallée abrite un espace irrigué « traditionnel » de près de 1 800 ha de terres alluviales et fertiles, une situation exceptionnelle dans le Haut Atlas (Couvreur, 1968), qui s’accompagne d’une densité de peuplement plus élevée : 36 habitants/km2 à Aït Bou Guemez, 29 habitants/km2 à Aït Bou Oulli au recensement de 2004.
Occupant respectivement 30 % (Aït Bou Guemez) et 45 % (Aït Bou Oulli) du territoire (Leguet, 2008).
Une mission photographique de l’administration du cadastre (1964), et deux images SPOT de haute résolution (au pas de 2,6 m), de 2002 pour Aït Bou Guemez, 2006 pour Aït Bou Oulli. Pour Aït Bou Guemez, seul l’amont de la vallée a fait l’objet de l’analyse des dynamiques forestières (près de la moitié de la superficie). Les résultats de ces travaux ont été homogénéisés et mis en perspective dans la thèse de doctorat de P.-M. Aubert (2010).
Une nouvelle route goudronnée reliant Azilal à Tabant par la basse vallée et les Aït Abbas (2001-2002) remplace l’ancienne piste du col du Tirghist (2 629 m) régulièrement interrompue par les chutes de neige en hiver. Le raccordement des villages au réseau national d’électricité s’achève en 2002 ; l’accès au réseau de téléphonie mobile, lui, est achevé en 2005.
Dans le village d’Iskattafen (Aït Bou Guemez), ce sont en moyenne 2 500 perches et 90 poutres qui sont nécessaires à la construction d’une nouvelle maison, correspondant à un volume de bois de 15 à 20 m3 (Aubert, 2010).
L’agdal désigne tout à la fois un espace-ressources, les règles d’accès et d’usage associées à cet espace et leurs modalités de mise en œuvre. Ce type de gestion est caractérisé par l’alternance de périodes d’ouverture (usages autorisés) et de fermeture (usages interdits) des ressources présentes sur le territoire. Dans la langue amazighe, le terme agdal est associé à l’interdit et comporte une dimension religieuse et sacrée.
L’assemblée coutumière (Jmaa) détient les droits collectifs de gestion et d’exclusion des ressources. Les décisions collectives reposent sur le consensus des usagers, même si l’on constate le rôle prééminent de l’élite locale dans les prises de décision. Des représentants (naïb) sont désignés par la jmaa ainsi que des gardiens d’agdal, rémunérés le plus souvent en nature.
Quotas de prélèvement de fourrage foliaire, taxes sur l’exploitation des perches et des poutres alimentant la caisse de la communauté villageoise, règles d’exploitation forestière (sélectivité des essences exploitées et rotations des coupes par secteurs, etc.). Certains espaces forestiers sont réservés à l’approvisionnement en bois de feu de la mosquée.
Dans la fraction Aït Hakem (haute vallée des Aït Bou Guemez), les « grands » (les notables) des différents villages furent convoqués pour arbitrer les conflits ; lorsque le caïdat de Tabant fut créé, c’est à cette nouvelle autorité que l’on s’adressa, ainsi qu’à l’administration forestière, sans plus de succès dans un premier temps.
Aït Bou Oulli est la cible privilégiée de plusieurs organisations humanitaires : dons de nourriture, jouets, vêtements, médicaments à destination des familles les plus démunies. L’axe routier reliant la vallée à Demnate par Aït Blal (2016) a permis de désenclaver le territoire et un collège a été récemment implanté à Abachkou.
Au niveau du Maroc, la météorologie nationale donne les prévisions suivantes à l’horizon 2045 : une forte augmentation des températures moyennes (0,16 par décennie), la baisse des précipitations au printemps (diminution de 47 %), l’augmentation de la fréquence des événements extrêmes (inondations, tempêtes, etc.), modifiant à terme le cycle de l’eau et les étages bioclimatiques.
En l’absence de données précises sur les capacités adaptatives des différentes essences (autochtones, allochtones), les programmes visant « l’adaptation au changement climatique des écosystèmes forestiers » soutiennent financièrement les services forestiers nationaux, administration et recherche (Hajib, 2013).
L’arrêt, ou même la régression marquée, des activités d’élevage pastoral, du fait du changement climatique et du manque d’attractivité de ces métiers, constitue aussi une menace sérieuse pour la durabilité des cultures de rente (pommes de terre, pommiers, etc.), en l’absence des transferts de fertilité générés par l’activité pastorale.
D’une manière plus générale, l’aridification liée au changement climatique actuel pointe une grande injustice spatiale et environnementale. L’avenir est très sombre pour les communautés agropastorales du Haut Atlas placées en première ligne de la remontée aride du Sahara. Caractérisées par une empreinte écologique des plus réduites, elles ne sont nullement à l’origine du changement climatique global, mais elles en sont les premières victimes.
Citation de l’article : Auclair L., Aubert P.-M., 2024. Analyse comparée des dynamiques forestières dans deux vallées du Haut Atlas central (Maroc). Retour sur le vieux débat « population-marché-institutions ». Nat. Sci. Soc., https://doi.org/10.1051/nss/2024025
Liste des tableaux
Dynamiques du recouvrement arboré (1964-2002/2006) dans les vallées Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli (d’après Hammi et al., 2007 ; Leguet, 2008 ; Aubert, 2010).
Liste des figures
Fig. 1 Carte présentant la dynamique du recouvrement arboré (1964-2002/2006) dans les vallées Aït Bou Guemez et Aït Bou Oulli (d’après Hammi et al., 2007 : Leguet, 2008. Réalisation : Aubert, 2010). |
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Fig. 2 Une forte croissance démographique entre 1960 et 2000 (source : comptages et recensements de la population : 1936, 1960, 1974, 1984, 1994, 2004). |
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Fig. 3 Les limites d’un modèle démographique linéaire (réalisation : L. Auclair et P.-M. Aubert). |
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Fig. 4 Intégration des variables « Accès au marché » et « Transformation des systèmes de production familiaux » dans le modèle explicatif (réalisation : L. Auclair et P.-M. Aubert). |
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Fig. 5 Paysage d’agdal forestier villageois montrant des contrastes saisissants entre les versants (© L. Auclair, 2008). |
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Fig. 6 Exploitation de perches de genévrier dans l’Agdal forestier d’Aït Ouriat (© L. Auclair, 2008). |
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Fig. 7 Évolution des recouvrements arborés et de l’occupation des sols dans la haute vallée d’Aït Bou Guemez entre 1964 et 2002 (source : Hammi et al., 2007). |
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Fig. 8 Plantations forestières à Aït Bou Guemez (© L. Auclair, 2006). |
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Fig. 9 Intégration des variables « Institutions » dans le modèle explicatif : un essai de formalisation d’un système socio-écologique centré sur l’usage des ressources forestières dans la région d’étude (réalisation : L. Auclair, P.-M. Aubert). |
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